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Les deux principes de l'art. 1341 reçoivent exception l'un et l'autre, selon nous du moins, en matière commerciale. Ainsi, on peut alors, par témoins, 1o prouver un intérêt excédant 150 fr.; puis 2o prouver, au-dessus comme au-dessous de ce chiffre, outre ou contre les énonciations d'un acte écrit.

Les auteurs et les arrêts sont tous d'accord sur le premier point. Et en effet, l'art. 109 du Code de commerce suffit à lui seul pour le justifier. Cet article déclare que les achats et les ventes peuvent se constater par la preuve testimoniale; or les achats et les ventes sont le type de toutes les affaires commerciales; ils sont les plus fréquents et les plus importants des actes commerciaux. Le moyen de preuve formellement admis pour eux l'est donc implicitement pour toutes autres opérations; et tel était l'ancien usage du commerce, auquel rien n'indique que notre législateur ait voulu apporter de changement. (Merlin, Quest., vo Dern. ressort, § 18.) (1)

Le second point est controversé. M. Bonnier (no 93) et trois arrêts de Cours d'appel (le dernier est d'Angers, 4 juin 1829) décident que, même en matière commerciale, on ne peut pas, en dehors des cas d'exception indiqués par nos art. 1347, 1348, prouver par témoins contre ni outre le contenu aux actes. Mais cette doctrine est repoussée par la grande majorité des auteurs et des arrêts (2); et c'est, selon nous, avec raison.

En effet, 1o l'ancien usage du commerce était également constant sur ce second point (Merlin, loc. cit.), et le Parlement de Paris jugeait ainsi dès le commencement du dix-septième siècle; or, rien dans la loi n'indique une règle différente; 2° au contraire, l'art. 109 ayant été rédigé tout d'abord en ce sens que la preuve testimoniale serait admissible s'il y avait commencement de preuve par écrit, ce qui eût assimilé les matières commerciales aux matières civiles, de vives réclamations s'élevèrent de toutes parts contre cette innovation, on demanda le maintien de l'ancienne règle, et il fut fait droit à ces réclamations par la rédaction actuelle, qui permet la preuve testimoniale dans tous les cas où le tribunal croira devoir l'admettre; 3° l'art. 41 du Code de commerce, porté tout exprès pour rejeter la preuve testimoniale contre et outre le contenu aux actes dans le cas particulier de société, indique assez qu'en règle générale elle est admissible: on n'aurait pas exprimé spé

(1) Conf. Locré (sur l'art. 109, C. comm.); Toullier (t. IX, no 230): Pardessus (262 et 263); Favard (vo Preuve, 1, no 9); Delvincourt (t. II, p. 1, no 196); Bravard (chap. 7); Rolland (131); Duranton (XIII, 340 et 341); Bonnier (no 132); Massé et Vergé (t. III, p. 519, note 7); Aubry et Rau (p. 445); Larombière (art. 1341, no 36); Cass., 25 janv. 1821, 1er juill. 1824, 28 juin 1825, 15 mars 1827, 15 déc. 1827, 15 janv. 1828.

(2) Toullier (IX, 233): Pardessus (n° 262 et 459); Dalloz (Obligat., 4962); Zachariæ (V, p. 724, note 3); Nouguier (III, 65); Devilleneuve et Massé (no 10): Bravard (chap. 7); Nouguier (t. II, p. 65); Aubry et Rau (t. VI, p. 446); Toulouse, 11 mai 1833; Paris, 3 mai 1834; Rej., 10 juin 1835; Rej., 11 juin 1835; Agen, 1er fév. 1838; Rej., 6 avril 1841 (Dev. et Car., 1836, 1, 623 et 689; 1841, I, 709); Rej., 10 avril 1860. Nota. M. Bonnier a rétracté son opinion dans sa 2a édition (no 106, et 3 édit., no 145).

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cialement pour les sociétés la prohibition dont on ne parle pas dans les autres matières, si cette prohibition avait été un principe commun à toutes; 4° le texte même de l'art. 1341 manifeste la même idée, puisque, après avoir porté les deux prohibitions, il annonce que l'exception des lois commerciales frappe sur le tout.

M. Bonnier tombe, au surplus, dans de graves erreurs de fait, quant aux deux arrêts qu'il cite à l'appui de son opinion. « Un arrêt de cassation du 16 mai 1829, dit-il, s'est prononcé en ce sens ; et si un arrêt de rejet du 11 juin 1835 paraît décider le contraire, c'est parce que, dans l'espèce, il y avait un commencement de preuve par écrit. » Ces trois lignes donnent lieu à plus d'une observation. Et d'abord, le prétendu arrêt de cassation du 16 mai (qui est au contraire un arrêt de rejet du 15 juin) ne juge en aucune façon que le témoignage est inadmissible outre ou contre l'acte; il dit seulement que le juge a un pouvoir discrétionnaire à cet égard, ce qui est bien évident en présence de ces termes de l'art. 109: Dans le cas où le tribunal croira devoir l'admettre. —Ensuite, l'arrêt du 11 juin 1835, que M. Bonnier dit n'avoir reconnu l'admissibilité du témoignage que parce qu'il y avait commencement de preuve par écrit, la proclame au contraire très-expressément en dehors et indépendamment de cette circonstance. La Cour d'appel avait dit : «Attendu qu'en matière commerciale la preuve testimoniale est admissible dans toute espèce de contestation, et que dès lors elle serait doublement admissible dans celle-ci, où il y a commencement de preuve par écrit »; la Cour suprême a reproduit la même doctrine en disant : « Attendu que la preuve testimoniale est admissible en matière commerciale, encore bien que la demande (contre laquelle elle est dirigée) soit formée en vertu d'un titre écrit, conformément à la disposition finale de l'art. 1341 combiné avec l'art. 109 du Code de commerce; attendu, d'ailleurs, que l'arrêt attaqué constate qu'il y avait dans la cause un commencement de preuve par écrit. » - Enfin, nous venons de voir que la Cour suprême, que M. Bonnier présente comme opposée à notre doctrine, l'a au contraire consacrée trois fois (10 juin 1835, 11 juin 1835, 6 avril 1841), et n'a jamais jugé autrement.

Cette règle de l'inapplicabilité des principes de l'art. 1341 aux matières commerciales nous paraît trancher une question qui est cependant controversée, celle de savoir si l'on peut prouver par témoins la remise, faite à un entrepreneur de transports, des objets destinés à être transportés. M. Bonnier (no 111) se décide pour la négative; mais nous croyons, avec M. Maleville (sur l'art. 1786) et M. Zachariæ (t. II, p. 41), qu'elle doit se résoudre affirmativement, non pas par une prétendue analogie avec le 2o de notre article et avec l'art. 1952, mais par la raison que c'est là une opération commerciale. En vain M. Bonnier fait remarquer que l'art. 1785 ordonne aux entrepreneurs d'inscrire sur des registres tout ce qu'on leur donne à transporter, et voudrait conclure de là l'impossibilité de la preuve testimoniale; car les autres commerçants aussi doivent inscrire sur des registres toutes

leurs opérations (art. 8, Code de commerce), ce qui n'empêche nullement l'admission du témoignage, comme le reconnaît M. Bonnier luimême (1).

VIII. C'est une question très-controversée sous le Code Napoléon, comme elle l'était auparavant, que celle de savoir si l'on doit admettre comme dernière exception aux principes de l'art. 1341 le cas où celui contre lequel il s'agit de faire preuve consent à l'audition des témoins (2).

Quoique l'affirmative, en outre des nombreux auteurs qui la professent, compte pour elle trois arrêts de Cours d'appel, notre conviction intime se refuse à l'admettre... On a vu, en effet, que la prohibition du témoignage ne tend pas seulement à protéger le plaideur contre le danger de la corruption des témoins, mais aussi à prévenir la multiplicité des procès. Or, si la prohibition, sous le premier point de vue, se rapporte principalement à l'intérêt privé de la partie, il est clair que, sous le second, son but est tout d'intérêt général : ce n'est pas spécialement pour les personnes que vous venez d'appeler devant tel tribunal qu'il importe de restreindre autant que possible le nombre des procès, c'est pour tous, c'est pour la société entière. Mais puisqu'il s'agit là d'un objet d'intérêt public, il est donc impossible, aux termes de l'art. 6, d'y déroger par convention particulière, et le consentement donné à cet égard par les deux adversaires se trouve inefficace. Aussi remarquons bien que le Code, qui a soin de formuler les diverses exceptions qu'il entend apporter à son principe, n'a rien dit nulle part qui fasse allusion à celle que l'on veut introduire ici; et ce silence est d'autant plus significatif que la loi s'explique même sur les cas d'exception qui allaient de soi, ceux dans lesquels il y a eu impossibilité physique, matérielle, absolue, de se procurer une preuve écrite. Et non-seulement la loi ne dit rien qui puisse faire croire à la nouvelle exception dont il s'agit, mais ses termes indiquent assez clairement l'intention contraire: car l'art. 1341 ne dit pas qu'on pourra s'opposer à la preuve par témoins, mais bien qu'il ne sera reçu aucune preuve par témoins, posant ainsi, non pas un droit conféré au plaideur, qui serait libre de repousser le témoignage quand il voudrait, mais une défense adressée au juge, qui ne doit pas recevoir de témoi

gnage.

Les seules exceptions qui nous paraissent admissibles sont donc les

(1) Conf. Favard (vo Preuve); Duranton (t. XIII, 316); Rolland (no 109); Aubry et Rau (t. VI, p. 377); Larombière (art. 1348, no 35); Dalloz (vo Oblig., no 4914).

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(2) Negat., Toullier (IX, 36 et suiv.); Merlin (Rep., vo Preuve, sect. 2, 3, n° 28 et suiv.); Rolland de Villargues (Rep., v° Preuve, 40 et suiv.); Boncenne (IV, p. 223 et suiv.); Zachariæ (V, p. 695); Poujol (sur l'art. 1341, 17); Aubry et Rau (3o édit., t. VI, p. 423); Larombière (art. 1347, note 1). Voy. Caen, 24 vent. an 9; Caen, 30 avr. 1860 (Dev., 1861, II, 93); — Affirm., Duranton (XIII, 308); Favard (vo Enquête, sect. 1, 1); Dalloz (v° Oblig., no 4615): Curasson (Compét. des juges de paix, I, 15); Bonnier (n° 115); Boitard (t. II, p. 173); Carré et Chauveau (p. 497, quest. 976); Bioche (v Enquête, no 42); Massé et Vergé, sur Zachariæ (t. III, p. 517, note 2); Bourges, 16 déc. 1826; Rennes, 25 fév. 1841; Bordeaux, 16 janv. 1846 (Dev., 1841, II, 427; 1846, II, 299); Req., 5 août 1847 (D. P., 47, 1, 349).

quatre que nous avons indiquées, et que nous rappelons en terminant cette importante et difficile matière :

1o Existence d'un commencement de preuve par écrit ; 2o impossibilité où s'est trouvée la personne de se procurer une preuve écrite; 3° impossibilité où elle a été de conserver la preuve écrite qu'elle s'était procurée; -4° enfin, matières commerciales.

Il va sans dire, au surplus, que, dans tous les cas où la preuve testimoniale serait dirigée contre les énonciations prouvées par un acte faisant foi jusqu'à inscription de faux, elle ne pourrait être employée qu'au moyen de cette inscription de faux.

1349.

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SECTION III.

DES PRÉSOMPTIONS.

Les présomptions sont des conséquences que la loi ou le magistrat tire d'un fait connu à un fait inconnu.

I. — A défaut de preuves proprement dites, c'est-à-dire de nature à donner, ou à peu près, la certitude de la vérité de l'allégation, la loi se contente des présomptions qui en procurent la simple vraisemblance, la probabilité. Ces présomptions, dit notre article, sont des conséquences tirées d'un fait connu à un fait inconnu; mais cette définition, si elle était prise à la lettre, s'appliquerait à toute preuve quelconque d'un fait; car cette preuve ne se fait jamais que par l'induction du connu à l'inconnu (1). La loi n'entend donc parler ici que des conséquences conjecturales et tirées, du connu à l'inconnu, par voie de pure probabilité.

Du reste, on voit que les présomptions, que l'on peut opposer aux preuves en prenant ce dernier mot dans son sens spécial, deviennent elles-mêmes des preuves, dans le sens large du mot, et sont admises comme telles par le Code, puisqu'elles forment ici la troisième des classes de preuves que nous avions à étudier, et que nous avait indiquées l'art. 1316.

II. — Les présomptions se divisent en présomptions légales ou de droit, et en présomptions de l'homme ou de fait, selon que l'induction qui les constitue est faite par la loi elle-même ou par le magistrat. Nous allons voir que les présomptions légales se subdivisent en simples ou juris tantùm, et en absolues, que l'on a appelées juris et de jure.

Un premier paragraphe est consacré par le Code aux présomptions légales; un second s'occupe des présomptions de l'homme.

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? 1er. Des présomptions établies par la loi.

1350. La présomption légale est celle qui est attachée par une loi spéciale à certains faits. Tels sont :

(1) Bonnier (no 707); Larombière (art. 1349, no 2).

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1o Les actes que la loi déclare nuls, comme présumés faits en fraude de ses dispositions, d'après leur seule qualité;

2o Les cas dans lesquels la loi déclare la propriété ou la libération résulter de certaines circonstances déterminées;

3o L'autorité que la loi attribue à l'autorité de la chose jugée;
4o La force que la loi attache à l'aveu de la partie ou à son serment.

I. — La présomption légale est, nous le savions déjà, celle que la loi pose elle-même par quelque disposition particulière. Notre article nous en indique plusieurs cas.

Ainsi, d'abord, il y a présomption légale toutes les fois qu'un acte est déclaré nul par le législateur sur la simple supposition, déduite de telle ou telle circonstance, que cet acte est fait en fraude des dispositions de la loi. Lorsque l'art. 911, par exemple, après avoir établi la nullité de toute donation faite à une personne incapable de recevoir, range de plein droit dans cette catégorie les donations faites aux père, mère, descendant ou époux de l'incapable, c'est une présomption, puisque de ce fait connu que la donation est faite au conjoint ou à un proche parent de l'incapable, on déduit, par pure conjecture et par simple probabilité, ce fait inconnu que la donation s'adresse réellement à l'incapable lui-même ; et c'est une présomption légale, puisque c'est la loi elle-même qui tire cette conséquence. Il y a également présomption légale, et du même genre, dans l'art. 918, qui déclare que tout acte apparaissant comme une vente faite, à fonds perdu ou avec réserve d'usufruit, à l'un des héritiers présomptifs en ligne directe du vendeur, n'est qu'une donation déguisée, et que cet acte, nul comme vente, ne vaudra que comme libéralité réductible à la quotité disponible.

Il y a présomption légale d'un autre genre dans tous les cas où la loi, dit notre article, fait résulter de certaines circonstances la propriété ou la libération. Ainsi, quand la loi nous déclare propriétaire par prescription, c'est sur la supposition, tirée du silence gardé pendant le temps voulu par le précédent propriétaire, qu'il y a eu consentement de celuici et que vous êtes aujourd'hui le véritable maître; quand elle déclare qu'il y a dans telle circonstance, et qu'il n'y a pas dans telle autre, mitoyenneté d'un mur, d'un fossé ou d'une haie, c'est parce que ces circonstances donnent lieu de supposer que l'objet appartient en entier à l'un des voisins ou seulement pour moitié à chacun d'eux, et c'est encore un cas de propriété établi par présomption légale. Quand la loi, par l'effet de la prescription, vous déclare libéré d'une dette, c'est parce que le silence gardé par votre créancier lui fait présumer que vous l'avez payé; et c'est également parce que la remise que le créancier vous a faite de son titre fait supposer un payement, que la loi vous déclare encore libéré dans cette circonstance (art. 1282, 1283) : ce sont encore là des présomptions légales.

II. L'une des présomptions légales les plus importantes, l'une de

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