Page images
PDF
EPUB

Enfin, il est évident que, dans le cas même où la partie perdante n'aurait pas de preuves nouvelles, les juges d'appel (si ce jugement était dans le taux du premier ressort) pourraient, en examinant l'affaire de nouveau, l'apprécier autrement que les premiers juges, et arriver, soit à trouver suffisamment convaincants les moyens de la partie qui avait d'abord perdu, et lui donner gain de cause sans recourir à aucun serment, soit encore déférer le serment supplétif à cette même partie, adversaire de celle qui l'avait prêté en première instance.

1369.

[ocr errors]

Le serment sur la valeur de la chose demandée ne peut être déféré par le juge au demandeur que lorsqu'il est d'ailleurs impossible de constater autrement cette valeur.

Le juge doit même, en ce cas, déterminer la somme jusqu'à concurrence de laquelle le demandeur en sera cru sur son serment.

I. C'est ici l'espèce de serment supplétif auquel on donne quelquefois le nom de serment in litem, et dont nous avons déjà parlé plus haut. Il présente ceci de particulier, qu'il ne peut être déféré qu'au demandeur et seulement après que le juge a lui-même fixé un maximum, au delà duquel le serment serait sans valeur (1).

Du reste, ce serment est soumis, bien entendu, aux autres règles qui viennent d'être exposées. Ainsi, notamment, le juge peut, après l'avoir reçu, s'il lui survient de nouveaux éléments d'appréciation, non-seulement diminuer la somme pour laquelle le serment a été fait, mais aussi l'augmenter et dépasser de beaucoup le maximum qu'il avait déterminé d'abord.

N. B. — Nous avons déjà dit, en commençant le commentaire de ce titre, que son résumé ne serait donné que plus loin, en même temps que celui du titre IV, qui complète la matière Des Obligations en général.

TITRE IV.

DES ENGAGEMENTS QUI SE FORMENT SANS CONVENTION.

(Décrété le 9 février 1804. - Promulgué le 19.)

Nous savons que si la convention, le contrat, c'est-à-dire le consentement mutuel des parties, est la source la plus fréquente des obligations

(1) Dans une instance en restitution de titres d'obligations et de valeurs soustraites, le jugement qui défère le serment au demandeur satisfait au vœu de la loi, lorsqu'il indique numériquement d'après leur contexte les obligations sur lesquelles devra porter le serment déféré. Req., 27 fév. 1854 (J. Pal., 1854, t. II, p. 382).

ou engagements, elle n'est cependant pas la seule. Le Code, dans ce petit titre, complète et termine la matière des obligations considérées en général, en traitant, dans les dix-sept articles que nous allons commenter, des obligations provenant de toute source autre que le contrat.

Nous avons déjà signalé le tort qu'ont eu les rédacteurs de diviser en deux titres, malgré l'exemple de Pothier, une matière dont l'unité est évidente, et de reserver le nom d'obligations à la classe des obligations conventionnelles, pour ne donner ici aux autres que le nom d'engagements, quoiqu'un engagement ou une obligation soient une seule et même chose. (Voy., au tome précédent, nos observations préliminaires du tit. III.)

1370. Certains engagements se forment sans qu'il intervienne aucune convention, ni de la part de celui qui s'oblige, ni de la part de celui envers lequel il est obligé.

Les uns résultent de l'autorité seule de la loi, les autres naissent d'un fait personnel à celui qui se trouve obligé.

Les premiers sont les engagements formés involontairement, tels que ceux entre propriétaires voisins, ou ceux des tuteurs et des autres administrateurs qui ne peuvent refuser la fonction qui leur est déférée.

Les engagements qui naissent d'un fait personnel à celui qui se trouve obligé, résultent ou des quasi-contrats, ou des délits ou quasidélits; ils font la matière du présent titre.

SOMMAIRE.

1. Mauvaise rédaction du Code, reproduite par Toullier et M. Duranton.-Division des obligations nées sans convention. Sens du mot volontairement.

II. Observations sur cette classification.

III. Autre critique de l'article. Réfutation des étranges principes de Toullier.

IV. Suite de la réfutation. Erreurs et contradictions de cet auteur.

V. Reproches adressés par Toullier au droit romain, qu'il n'a pas compris ici.

VI. Notre article ne range et ne devait ranger l'obligation des tuteurs dans les obligations de la loi que quand ces tuteurs ne peuvent pas refuser leurs fonctions. Observation finale.

I. Le premier alinéa de cet article s'exprime fort inexactement, quand il oppose aux obligations conventionnelles les engagements qui se forment sans qu'il intervienne aucune convention, ni de la part du débiteur, ni de la part du créancier. Une convention ne peut pas intervenir de la part d'une seule personne, puisqu'elle consiste dans le concours et la réunion des volontés des contractants. Il fallait dire : sans qu'il intervienne aucune convention ENTRE celui....... et celui.........; ou bien, si l'on voulait conserver les mots ni de la part du débiteur, ni de la part du créancier, il fallait dire sans qu'il intervienne AUCUNE VOLONTÉ DE S'OBLIGER. Encore une fois, une convention ne saurait intervenir de la part d'une personne l'obligation conventionnelle suppose bien plusieurs volontés de former l'obligation, volontés dont chacune intervient de la part de

chaque partie; mais elle ne suppose pas plusieurs conventions. - Ce premier vice de rédaction de l'article se conçoit d'autant moins que Pothier, guide continuel des rédacteurs, disait fort exactement, en commençant cette matière : « sans qu'il intervienne aucune convention entre les deux personnes », et à l'alinéa suivant : « sans qu'il soit intervenu aucune convention entre l'héritier et les légataires (113). » Il se gardait bien de parler d'une convention intervenant soit de la part d'une des personnes, soit de la part de l'autre... Du reste, si de telles inexactitudes d'expression s'expliquent à la rigueur chez des praticiens, comme MM. Tronchet, Bigot et autres, comment les comprendre dans la bouche de professeurs? Comment Toullier (XI, 6) et M. Duranton (XIII, 629), ayant à choisir entre la locution de Pothier et celle du Code, ont-ils pu adopter la dernière.

Les obligations qui naissent sans convention résultent, ou d'un fait de l'homme, ou de la seule autorité de la loi. Le fait de l'homme qui donne naissance à l'obligation est licite ou illicite : quand il est licite, on dit qu'il y a quasi-contrat; quand il est illicite, il y a délit ou quasidélit, selon que ce fait illicite a été accompli avec ou sans intention de nuire. Au surplus, le fait de l'homme s'entend ici dans le sens le plus large; il comprend le fait négatif comme le fait positif et proprement dit, l'omission comme la commission; et il y aura délit ou quasi-délit lorsque, avec ou sans intention de nuire, vous aurez causé un préjudice en ne faisant pas ce que vous deviez faire, aussi bien que quand vous l'aurez causé en faisant ce que vous ne deviez pas faire.

Donc 1° obligations provenant du fait de l'homme (et résultant dès lors d'un quasi-contrat, d'un délit ou d'un quasi-délit); 2° obligations se trouvant exister sans aucun fait de l'homme : telle est la division adoptée par le Code et qu'il a prise dans Pothier. Cette division fait comprendre dans quel sens le troisième alinéa de l'article parle des engagements formés involontairement par opposition à ceux naissant des quasi-contrats, délits et quasi-délits, lesquels seraient ainsi des engagements formés involontairement. Par engagements formés volontairement ou involontairement, la loi n'entend pas ici des obligations formées avec ou sans la volonté de s'obliger, mais seulement des obligations provenant ou ne provenant pas d'un fait volontaire, des obligations nées du fait de l'homme ou sans le fait de l'homme.

Ainsi, quand vous me comptez 1000 fr., que nous croyons tous deux m'être dus par vous et qui ne le sont pas, je me trouve vis-à-vis de vous dans une obligation (l'obligation de restituer les 1 000 fr.); et cette obligation, pour parler comme notre troisième alinéa, s'est formée volontairement, non pas en ce sens qu'il y ait eu volonté de s'obliger, car ni vous ni moi n'avons songé à former une obligation, mais en ce sens que l'obligation résulte d'un fait volontaire, le payement de l'argent par vous et sa réception par moi; et comme le fait est licite, il y a alors quasi-contrat. L'obligation dans laquelle se trouve le voleur de restituer ce qu'il a volé s'est formée volontairement, non pas qu'il y ait eu chez le voleur volonté de s'obliger, mais parce qu'il a

commis volontairement le vol qui engendre l'obligation; et comme ici le fait générateur est illicite et accompli avec la conscience du préjudice causé, il y a délit. Quand un propriétaire dont la maison menaçait ruine l'a laissée, faute de la faire abattre ou réconforter, tomber sur des passants que sa chute a blessés, l'obligation où il est d'indemniser les victimes, et qui naît de l'omission des travaux qu'il eût dù faire, provient encore d'un acte de volonté de l'obligé, de son libre arbitre; il y a eu de sa part faculté de prévenir le mal et volonté plus ou moins réfléchie d'omettre les travaux nécessaires pour le conjurer, il y a fait de l'homme comme alors le fait, ce fait d'omission, quoique blâmable et illicite, n'a pas eu lieu avec l'intention de causer le malheur, il y a quasi-délit.

Au contraire, l'obligation dans laquelle je me trouve d'administrer comme tuteur la personne et les biens d'un enfant s'est formée sans qu'il y ait eu aucun acte de ma volonté, puisque la charge de tuteur est forcée. De même, l'obligation où je suis de vous laisser entrer dans mon héritage pour y prendre les meubles qu'une inondation a emportés de chez vous et poussés chez moi, existe sans qu'il y ait aucun fait de l'homme dans les circonstances qui l'ont produite.

II. — La distinction du Code, distinction reproduite de Pothier, est donc celle-ci : ou il existe quelque fait de l'homme d'où provient l'obligation (et ce fait est un quasi-contrat, ou un délit, ou un quasi-délit, selon les cas); ou cette obligation se forme sans aucun fait de l'homme, et alors, de quelque manière et par quelque circonstance que l'engagement soit né, on dit qu'il vient de la loi.

Quoique l'on fasse ainsi une classe à part des obligations venant de la loi, il est bien clair que, en définitive, toutes les autres obligations, sans distinction, viennent égalenient de la loi : toute obligation civile, quelle qu'elle soit, vient d'un principe de l'équité naturelle, sanctionné par la loi positive. - Ainsi l'obligation que l'on dit venir du quasicontrat de réception de l'indu provient de ce principe d'équité, consacré par la loi, que nul ne doit s'enrichir au détriment d'autrui. « Dans les quasi-contrats, dit Pothier lui-même, à qui est due la classification du Code, c'est la loi seule, ou l'équité naturelle (il fallait dire, après l'équité, comme sanction de l'équité), qui produit l'obligation, en rendant obligatoire le fait d'où elle résulte (no 114). » — Dans le délit ou le quasi-délit, l'obligation vient de la consécration, par la loi, de ce principe d'équité, que tout dommage causé (avec ou sans dessein de nuire, peu importe) par un fait condamnable doit être réparé par l'auteur de ce fait. Enfin, dans les contrats eux-mêmes, que Pothier, dans ce no 114, paraît mettre en opposition sous ce point de vue avec les quasi-contrats, l'obligation vient également de la loi, qui sanctionne et fait respecter ce principe d'équité que tout homme doit tenir sa parole et remplir ses promesses. C'est ce que Pothier reconnaît lui-même un peu plus loin (no 123).

[ocr errors]

L'obligation vient donc de la loi dans tous les cas possibles, et aussi bien dans les quatre premières classes indiquées par le Code que dans

:

la cinquième; mais dans ces quatre premières, il existe, à côté de la loi et avant son intervention, un fait de l'homme qui n'existe plus dans la cinquième, et le Code se sert du nom générique de ce fait pour distinguer les différentes catégories. Sans doute, dans le cinquième cas encore, il existe quelque circonstance qui détermine l'intervention de la loi, et ici comme dans les quatre autres cas, le législateur ne fait que sanctionner une obligation de conscience, de justice naturelle, qu'il voit preexister si la loi civile me déclare tenu de me soumettre à la mission de tuteur qui m'est déférée, c'est parce que la loi naturelle ne permet pas de laisser sans protection l'enfant dont on me confie les intérêts; quand la loi me commande de fournir aux besoins de mon père indigent, elle ne fait que consacrer une obligation écrite dans ma conscience. Mais comme les circonstances variées qui peuvent se rencontrer ici ne sauraient être rangées sous une expression générique et les embrassant toutes, le Code, toujours d'après Pothier, désigne ici la source de l'obligation par la loi même, ce qui suffit pour distinguer la cinquième classe, puisque chacune des quatre autres porte une désignation différente.

Ainsi l'obligation vient: 1° du contrat et de la loi; 2° du quasi-contrat et de la loi; 3° du délit et de la loi; 4° du quasi-délit et de la loi; 5o enfin, de quelque circonstance autre que les quatre ci-dessus et de la loi, de la loi qui, bien que principe commun aux cinq classes d'obligations, présente ainsi une appellation spéciale à la dernière.

il

III. Notre article nous dit à deux reprises différentes, dans le deuxième alinéa et dans le quatrième, que les obligations non conventionnelles résultant du fait de l'homme naissent d'un fait personnel à celui qui se trouve obligé. C'est une nouvelle inexactitude; car si le fait oblige le plus souvent son auteur envers une autre personne, peut quelquefois aussi obliger, au contraire, cette autre personne envers lui. C'est ce que prouvent l'art. 1371 et l'art. 1375, où l'on parle d'obligations que le fait de gestion d'affaires accompli par moi fait naître à mon profit contre vous: un fait émané de moi peut donc faire naître quelquefois une obligation chez vous, et il est inexact, dès lors, de ne présenter les obligations dont il s'agit que comme résultant d'un fait personnel à celui qui se trouve obligé. Cette inexactitude, répétée deux fois, est d'autant moins excusable que Pothier disait fort bien, avec sa netteté et sa précision ordinaires : « On appelle quasi-contrat le fait d'une personne, permis par la loi, qui l'oblige envers une autre, ou oblige une autre personne envers elle, sans qu'il intervienne aucune convention entre elles (n° 113). »

Toullier, qui ne critique certes pas la rédaction du Code toutes les fois qu'il faudrait le faire, lui adresse ici, par compensation, un reproche qui n'a aucun fondement, et dans lequel l'inexactitude est toute du côté de l'auteur. Il prétend (XI, 9 et 310) que, corrigés comme nous venons de le dire, les alinéas deuxième et quatrième sont encore incomplets, et qu'il faut mettre en regard des obligations résultant de la loi, non-seulement celles qui viennent d'un fait personnel soit à celui

« PreviousContinue »