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véritable expression de la pensée législative, quand il est en opposition avec les principes.

Il faut donc s'en tenir aux idées que nous avons présentées; et Toullier lui-même avoue implicitement la justesse de ces idées quand il dit (n° 98): « Il est vrai que le vendeur n'avait qu'une propriété révocable, et que, d'après les art. 2125 et 2182, le vendeur ne transmet que les droits qu'il avait lui-même et sous l'affectation des mêmes résolutions; mais ce principe souffre une exception unique dans notre cas. » Où donc est formulée cette exception dont on est obligé d'avouer la nécessité? Nulle part; et dès lors les principes demeurent dans toute leur puissance. C'est ce que reconnaît implicitement un arrêt de cassation du 4 avril 1838. (Dev., 38, I, 306.) (1)

Du reste, quand l'aliénation a été faite de bonne foi, le demandeur en éviction sera tenu de rembourser à l'aliénateur tout ce que celui-ci payerait à l'acquéreur en sus du prix reçu. C'est évident, puisque l'art. 1380 veut que le vendeur de bonne foi n'ait jamais à rendre au delà du prix de la vente. C'est de toute justice, en effet; car si celui qui a reçu de bonne foi le payement indu n'y doit rien gagner (sauf les fruits qu'il peut avoir comme possesseur de bonne foi), il n'y doit non plus rien perdre; si un préjudice quelconque doit être souffert, c'est évidemment par celui dont l'imprudence et l'inattention en sont la cause.

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1381. Celui auquel la chose est restituée doit tenir compte, même au possesseur de mauvaise foi, de toutes les dépenses nécessaires et utiles qui ont été faites pour la conservation de la chose.

-

I. Cet article, relatif, comme les deux précédents, au cas d'un immeuble ou d'un meuble déterminé in individuo, et qui prévoit la restitution faite en nature de cet immeuble ou de ce meuble, nous présente une rédaction inexacte et incomplète. Elle est inexacte, en parlant de dépenses nécessaires et utiles faites pour la conservation de la chose. Car toute dépense faite pour la conservation de la chose est une dépense nécessaire; en sorte qu'il y a tout à la fois pleonasme dans les mots nécessaires et faites pour la conservation, puis contradiction entre ces mêmes mots et l'adjectif utiles. Il fallait dire : dépenses nécessaires, c'est-à-dire faites pour la conservation. Elle est par là même incomplète, puisqu'elle ne règle le sort ni des dépenses utiles, c'est-àdire faites non pour la conservation, mais pour l'amélioration, ni des dépenses voluptuaires ou de simple agrément. On conçoit, au surplus, qu'une seule et même dépense peut être nécessaire pour une partie, simplement utile pour une autre partie, et purement voluptuaire pour le reste, et qu'il faudrait appliquer à chaque fraction de cette dépense unique les règles relatives à chaque espèce de dépenses.

II. Les dépenses faites pour la conservation de la chose doivent,

(1) Conf. Duranton (t. XIII, no 683); Larombière (t. V, art. 1380, n° 7); Aubry et Rau (p. 535).

d'après notre article, être restituées intégralement et toujours, sans distinction de la bonne ou de la mauvaise foi du possesseur.

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- Quant aux dépenses simplement utiles, c'est-à-dire celles qui, sans être indispensables à la conservation du bien, tendraient seulement à le mettre en meilleur état, on devra, dans le silence de notre article, appliquer la règle générale tracée pour tout possesseur par l'art. 555 (1). — Pour ce qui est des dépenses voluptuaires, elles ne sont pas remboursables par le propriétaire, sauf que le possesseur pourrait enlever ce qui serait susceptible d'enlèvement, à la charge de rétablir les lieux dans leur premier état (art. 599).

Ainsi, dans les rapports de celui qui a fait le payement avec celui qui l'a reçu, la distinction de la bonne ou de la mauvaise foi de ce dernier n'est à considérer que pour les dépenses utiles, conformément à l'art. 555, et non pour les dépenses nécessaires et voluptuaires. Mais cette distinction aurait plus de portée, toujours chez celui qui a reçu, en ce qui touche un tiers acquéreur, et elle doit se faire aussi chez le propriétaire. Ainsi, d'une part, s'il s'agissait d'un tiers acquéreur, et que la chose lui eût été vendue de mauvaise foi, ce tiers pourrait se faire indemniser par son vendeur de toutes les dépenses, même voluptuaires, que le propriétaire de bonne foi n'est pas tenu de rembourser. Telle est la disposition formelle de l'art. 1635, et elle est fort juste, puisqu'il y a, dans ce cas, de la part du vendeur, un quasi-délit qui l'oblige à la réparation de tout le tort qu'il a causé. Une obligation semblable frapperait, et par la même raison (soit au profit de celui qui a reçu de bonne foi le payement, soit au profit du tiers acquéreur), sur un propriétaire qui aurait été de mauvaise foi, c'est-à-dire qui aurait fait le payement indu sachant bien qu'il ne devait pas la chose. Il est clair que ce propriétaire devrait alors réparer intégralement le préjudice causé par le fait blàmable qu'il a commis, et que les règles posées dans le premier alinéa de ce no II ne concernent que celui qui n'a livré la chose indue que par erreur.

I.

CHAPITRE II.

des délits et des QUASI-DÉLITS.

Nous savons déjà qu'on entend ici par délit le fait répréhensible et dommageable, accompli avec mauvaise intention, et que le quasi-delit est le fait, également répréhensible et dommageable, accompli sans intention mauvaise.

Nous indiquons quel est ici le sens du mot délit; car le délit en matière civile n'est pas la même chose que le délit de droit criminel. En droit criminel, le mot délit a deux sens: l'un générique, l'autre

(1) Conf. Toullier (XI, no 111); Rolland (no 91 et 92); Duranton (675); Dalloz ( Oblig., no 5556).

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spécial: il signifie, lato sensu, tout fait puni par le Code pénal; puis, dans un sens plus restreint, il désigne le fait entraînant une peine correctionnelle, et se trouve opposé au crime et à la simple contravention. Ainsi, en droit criminel, il y a trois classes de délits : les crimes, les délits (spécialement dits) et les contraventions. Il serait bon, au surplus, de remplacer toujours le mot delit, pris dans son sens générique, par le mot infraction, comme le fait le Code pénal (Code pénal, art. 1, 5 et autres; Code d'instruction criminelle, art. 41, etc.).

Le délit civil n'est pas toujours délit pénal, et réciproquement le délit pénal n'est pas toujours délit civil; en sorte que M. Duranton tombe dans l'erreur quand il enseigne (XIII, 697 et 698) que le mot délit est pris ici dans le sens générique que lui donne le droit criminel. Ainsi, le stellionat, qui constitue un délit civil (art. 2059), n'est pas incriminé par la loi pénale; réciproquement, l'homicide commis par simple imprudence et sans aucune intention constitue un délit criminel (Code pénal, art. 319), tandis que par cela même qu'il n'y a pas eu intention mauvaise, il n'est pas un délit civil et ne peut être qu'un quasi-délit, en supposant que cet homicide préjudicie à quelqu'un. De même une tentative de meurtre, qui constitue un crime (Code pénal, art. 2), ne saurait être, en droit civil, ni delit, ni quasi-délit, puisqu'il n'y a pas de préjudice causé, et qu'ainsi il n'existe pas de fait dommageable.

II. Le délit et le quasi-délit, qui se distinguent l'un de l'autre par la présence ou l'absence de l'intention de nuire, ne peuvent exister et donner lieu à la réparation du dommage causé que sous ces deux conditions: 1° que le fait soit illicite; 2° et qu'il soit imputable à l'agent.

Il faut d'abord que le fait soit illicite, c'est-à-dire qu'il présente une violation du droit d'autrui, une infraction à un devoir, et ne constitue pas l'exercice d'un droit. Il est clair, par exemple, que celui qui élève un mur sur son terrain, en face de ma maison, si gênante et dommageable que sa construction puisse être pour moi, ne commet pas un délit. Il faut ensuite que ce fait illicite soit imputable, c'est-à-dire vraiment volontaire et provenant d'une libre détermination. Ainsi, l'enfant en bas âge ou le fou ne peuvent être auteurs d'un délit ou quasi-délit (1). Nous parlons, bien entendu, de l'acte accompli par un fou au moment où il est privé de sa raison; car, s'il s'agissait d'un fait accompli pendant un intervalle lucide, il pourrait fort bien constituer le délit ou le quasi-délit.

L'ivresse, quelque profonde qu'elle fût, ne saurait faire obstacle à la réparation, puisqu'il y a obligation de réparer tout dommage causé par une faute, si légère qu'elle soit, et qu'il y a faute à s'enivrer. Sans doute, l'ivresse pourra diminuer assez l'usage de la raison pour qu'il ne puisse plus y avoir delit criminel, mais il y aura toujours faute, pour le fait même de s'être enivré, et il y aura lieu dès lors, en matière civile, sinon au délit, du moins au quasi-delit.

(1) Voy. Bruxelles, 21 janv. 1820; Crim., cass., 19 déc. 1817, 17 mars 1806; Bruxelles, 7 nov. 1816; Paris, 7 janv. 1809; Req., 29 nov. 1832; Bordeaux, 28 mai

III. La loi s'occupe simultanément des délits et des quasi-délits dans les art. 1382 et 1383, puisqu'elle consacre l'obligation résultant de tout acte préjudiciable et fautif, sans distinguer si cet acte a été ou n'a pas été accompagné de l'intention de nuire. Du reste, le premier de ces articles formule suffisamment ce principe, et on va voir que le second est une répétition parfaitement inutile, inexacte même, et qu'il faut considérer comme non avenue. Elle s'occupe ensuite exclusivement des quasi-délits dans les art. 1384-1386, relatifs à des cas de responsabilité dans lesquels l'intention de nuire n'a guère pu exister.

1382. Tout fait quelconque de l'homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer. 1383. Chacun est responsable du dommage qu'il a causé nonseulement par son fait, mais encore par sa négligence ou son imprudence.

SOMMAIRE.

L. L'art. 1382 embrasse tous les délits et quasi-délits. Importance du mot faute. II. Il n'y a faute dans l'omission que quand on n'a pas fait ce qu'on était tenu de faire. Erreur de Toullier.

III. Il ne s'agit ici que de la violation des devoirs généraux, non de la violation d'obligations. Erreur de M. Duranton.

IV. Les délits et quasi-délits civils n'entraînent pas solidarité.

V. L'art. 1383 fait double emploi avec l'art. 1382, et pourrait être retranché.

I. - Le premier de ces articles, par sa rédaction large et compréhensive, embrasse tous les cas possibles de delits et de quasi-délits, puisqu'il fait résulter l'obligation de réparer, de tous faits quelconques, soit de commission, soit d'omission, causant du dommage à autrui et arrivés par la faute de leur auteur. Sa proposition comprend donc tous les faits dommageables et répréhensibles, sans distinction, aussi bien ceux dans lesquels il n'y a pas eu dessein de nuire (les quasi-délits) que ceux dans lesquels cette intention a existé (les délits).

Il faut bien remarquer ce mot faute, dont on a quelquefois fait abstraction, et qui est essentiel à l'exactitude du principe. On entend Souvent dire que tout fait causant du dommage oblige son auteur à réparer ce dommage. C'est une grave erreur. L'auteur du fait dommageable n'est tenu à réparation que quand ce fait est en même temps répréhensible, c'est-à-dire illicite et imputable tout à la fois, comme on l'a vu plus haut; en un mot, quand l'acte constitue une faute de la part de son auteur, qui, d'un côté, n'avait pas le droit de l'accomplir, et qui, d'un autre côté, l'a accompli intelligemment et avec le libre usage de sa volonté. C'est ainsi, comme nous l'avons dit déjà, que la construction que j'ai faite dans les conditions voulues par la loi, bien qu'elle vienne masquer toutes vos fenêtres, ne m'oblige à rien, parce que, si ce fait préjudiciable est volontaire, il n'est pas illicite; c'est ainsi également que l'acte d'un fou qui vient couper vos arbres ne l'oblige pas non plus, parce que, si ce fait préjudiciable est illicite, il

n'est pas volontaire. Dans ces cas et autres semblables, il n'y a pas faute, et la faute est indispensable pour faire naître l'obligation de réparer le dommage causé (1).

II.

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Et, bien entendu, il en est ainsi dans l'omission comme dans le fait positif par commission. Cette omission, pour faire naître l'engagement, doit être également imputable et illicite.

Qu'elle doive être imputable et qu'un fou ou un enfant en bas âge ne répondent pas plus de leurs omissions que de leurs faits positifs, on ne l'a jamais nie; mais Toullier n'a pas compris qu'elle doit aussi être illicite, et que, comme le fait positif n'oblige que lorsqu'il est l'accomplissement d'une chose défendue par la loi, de même le fait négatif ne peut obliger que quand il est l'abstention d'une chose ordonnée par la loi. De même que je ne suis tenu pour ce que j'ai fait que lorsque je devais ne pas le faire, de même je ne réponds de ce que je n'ai pas fait que quand je devais le faire. Comment donc Toullier, qui développe si bien la première idée (XI, 120), a-t-il pu nier la seconde et soutenir (n° 117, 2° art.) que celui-là est toujours tenu qui, pouvant empêcher une action nuisible, ne l'a pas empêchée? Il ne suffit pas qu'il l'ait pu, il faut qu'il l'ait dû, et les autorités que Toullier cite à l'appui de sa doctrine viennent précisément la contredire. Il invoque d'abord une loi romaine qui déclare le maître tenu du délit qu'il a laissé commettre par son esclave, alors qu'il eût pu l'empêcher. Il invoque ensuite la loi prussienne; or cette loi dit : « Celui qui souffre sciemment ce qu'il pouvait et devait empêcher. » Enfin, il invoque Domat, qui dit de même : « Ceux qui, pouvant empêcher un dommage que quelque devoir les engageait de prévenir... » et Domat cite l'exemple d'un maître répondant du fait de son domestique (art. 1384) (2).

III. Il ne s'agit donc que de faits, soit positifs, soit négatifs, qui présentent la violation d'un devoir.

Remarquons bien que c'est de la violation d'un devoir proprement dit qu'il s'agit, d'un de ces devoirs généraux existant au profit de toutes personnes, et non pas de la violation du devoir existant spécialement de telle personne déterminée à telle autre personne déterminée, et qui constitue l'obligation. Les violations d'obligations sont prévues par la section 4 du chapitre 3 du titre précédent (art. 1146-1155); le Code ne s'occupe plus ici, sous le nom de délits et de quasi-délits, que des violations de devoirs généraux, et M. Duranton commet une inexactitude qu'il faut éviter, quand il confond (XIII, 710) ces deux classes d'infractions que le Code a dù distinguer et séparer. Ce n'est pas seu

(1) Sur ce qu'il faut entendre par la faute, vide: Paris, 30 nov. 1840; Lyon, 16 mars 1854; Bastia, 26 fév. 1855; Req., 19 juill. 1854; Rej., 1er fév. 1855, 29 janv. 1856, 8 juin 1857.-Voy.. au sujet des médecins, Req., 18 juin 1835; Colmar, 10 juill. 1850; Besançon, 18 déc. 1844; Cass., 21 juill. 1862; Coffinière Encyclop, du droit, vo Art de guérir, no 61); Morin (Rep., eod. vo, no 4); Orfila (Med. lég., 4o édit., p. 47 .

(2) Voy. Proudhon (Usuf., no 1521 et 1525); Merlin (Rep., vo Faute); Rolland de Villargues (no 6): Sourdat (De la Resp., 662); Zachariæ (t. III, 8 444, p. 189); Dalloz (yo Re p., 87 et 101); Larombière (art. 1382, 6); Cass. crim., 19 déc. 1817; Rennes, 25 avril 1836; Req., 30 juin 1836.

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