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conservé un employé atteint de démence, d'un maître qui chargerait de fonctions dangereuses un enfant inintelligent ou trop jeune pour s'en bien acquitter, qui lui ferait, par exemple, conduire une voiture...

Toullier, prenant le change d'une étrange façon, insiste sur ce principe, émané de la loi éternelle et immuable, qu'un fait ne saurait être imputé à celui qui l'a accompli sans discernement; mais ce n'est pas là la question. La loi n'impute pas ici le fait à l'agent, elle l'impute, avec raison, à celui qui est en faute d'avoir employé cet agent et de ne l'avoir pas surveillé suffisamment. Mon animal lui-même m'oblige par ses dégâts, d'après l'article suivant; or, mon chien a-t-il agi avec discernement?... Quand à l'ancienne jurisprudence, que Toullier prétend, à tort, conforme à sa doctrine, elle lui était contraire, puisque, comme il le reconnaît lui-même, elle ne faisait cesser la responsabilité du père, même pour le dommage causé par un enfant incapable de discernement, que quand ce père n'avait pas pu prévenir ni empêcher ce dommage.

Quand l'auteur du fait a agi avec discernement, en sorte qu'il est luimême coupable du délit ou du quasi-délit, on comprend que celui qui a subi le préjudice peut alors agir, à son choix, ou contre l'auteur même du fait, ou contre la personne que la loi déclare responsable; et, dans ce même cas, cette personne responsable, si c'est elle qui a payé l'indemnité, a son recours contre l'auteur du fait.

1385. Le propriétaire d'un animal, ou celui qui s'en sert, pendant qu'il est à son usage, est responsable du dommage que l'animal a causé, soit que l'animal fût sous sa garde, soit qu'il fût égaré ou échappé.

1386. Le propriétaire d'un bâtiment est responsable du dommage causé par sa ruine, lorsqu'elle est arrivée par une suite du défaut d'entretien ou par le vice de sa construction.

SOMMAIRE.

I.

Responsabilité du dommage causé par des animaux.

II. Dommage causé par l'écroulement d'une construction. Renvoi pour d'autres cas de responsabilité.

III. Délais dans lesquels doit s'intenter l'action en réparation du dommage causé par des délits ou quasi-délits.

I. - Le propriétaire d'un animal, sauvage ou domestique, peu importe, répond du préjudice causé par cet animal, aussi bien quand il était égaré ou échappé au moment du dommage, que quand il se trouvait alors sous la garde du maître ou de ses gens; car il y a faute, défaut de surveillance et de soins suffisants, à avoir laissé l'animal

s'enfuir.

Le propriétaire offrirait en vain de prouver qu'il a fait tout ce qu'il était possible de faire pour empêcher le mal; car, de deux choses l'une, ou il n'a pas pris toutes les précautions que la prudence commandait,

et alors il est en faute, ou il s'agit d'un animal tellement méchant que toutes les précautions imaginables pour l'empêcher de nuire sont inefficaces, et alors il est en faute par cela seul qu'il le conserve (1). Il en serait autrement, bien entendu, si c'était par la faute du réclamant que le mal fut arrivé, parce qu'il aurait excité l'animal ou s'en serait approché, malgré les recommandations du gardien (2).

Cette règle de l'art. 1385 s'applique aux lapins d'une garenne, puisque le propriétaire de la garenne est propriétaire des lapins; mais elle ne s'appliquerait pas aux lapins libres dans les bois, ni à tout autre gibier, puisque le gibier n'est pas la propriété de celui sur le terrain duquel il repose. Sans doute, les propriétaires ou fermiers des terres voisines, auxquels nuirait la trop grande abondance du gibier, pourraient se plaindre; mais au lieu de pouvoir placer le défendeur sous le coup de la responsabilité de plein droit établie par nos articles, ils ne pourraient invoquer que les art. 1382 et 1383, et n'obtiendraient une indemnité qu'en prouvant que c'est par la faute de leur adversaire que le gibier s'est ainsi accru outre mesure (3).

La responsabilité légale est également imposée à celui qui, sans être propriétaire de l'animal, l'a pris sous sa garde, soit en l'empruntant ou le louant pour s'en servir, soit en le recevant à titre de dépôt; mais, s'il n'a pas été averti par le maître de la nature difficile et dangereuse de l'animal, il est clair qu'il aura son recours contre le maître. Il n'est pas besoin de dire qu'on ne pourrait plus, sous le Code, comme on le pouvait en droit romain, se soustraire à l'obligation de réparer le dommage en abandonnant l'animal qui l'a causé à la personne lésée (4).

II. Un dernier cas de responsabilité légale est indiqué par l'article 1386. Le propriétaire d'un bâtiment qui vient à s'écrouler est responsable du dommage causé par sa chute, si l'on prouve que cette chute résulte du défaut d'entretien ou du vice de la construction, sauf, dans ce dernier cas, le recours que le propriétaire peut avoir à exercer contre les architectes ou entrepreneurs (art. 1792). Ici encore, le propriétaire est, de plein droit, présumé en faute; il a dû savoir que sa maison n'était pas en bon état, il a dû connaître les vices dont elle était affectée et les réparations dont elle avait besoin, et il ne serait pas admis à prouver qu'il avait été trompé et qu'il les ignorait.

Du reste, différents autres cas de responsabilité sont réglés, en de

(1) Paris, 24 mai 1810; Bordeaux, 28 janv. 1841; Paris, 20 mars 1846, Gazette des Tribunaux et le Droit du 21 mars.

Conf. Rolland (no 55); Sourdat (1163); Dalloz (loc. cit., 717); Toullier (XI, 316); Domat (liv. 2. tit. 8, sect. 2, no 7); Larombière (art. 1385, no 3).

(3) Rej., 22 mars 1837 (Dev. et Car., 1837, I, 298); 31 déc. 1844, 7 mars 1849, 19 juill. 1859; Cass., 25 nov. 1862, 10 juin 1863, 17 fév. 1864. Voy. Toullier (310 et niv.); Merlin (Rep., t. XV, add., p. 349); Sourdat (1158); Dalloz (loc. cit., 737).— En ce qui concerne les volailles et les pigeons, consultez Merlin (loc. cit., p. 125); Toullier (t. XI, no 300); Sourdat (1157); Carnot Com. sur l'art. 454); Vaudoré (Lois rurales, t. I, no 753); Larombière (art. 1385, no 12).

(4) Larombière (art. 1385, no 14); Zachariæ (t. III, p. 204); Merlin (Rép., vo Quasidelit); Toullier (t. XI, no 298).

hors du Code Napoléon, par plusieurs lois spéciales. Ainsi, par exemple, la loi du 10 vendémiaire an 4 déclare les communes responsables du dommage causé, sur leur territoire, par des attroupements ou rassemblements, sauf à la commune à faire cesser sa responsabilité en prouvant 1° que le dommage a été causé par des personnes étrangères; 2° qu'elle a fait tout ce qui lui était possible pour prévenir le désordre ou le réprimer.

:

Nous verrons également, dans le Code Napoléon lui-même, d'autres cas de responsabilité. C'est ainsi qu'en cas d'incendie d'une maison, les art. 1733 et 1734 présument en faute, au profit du propriétaire, tous les locataires de la maison, et les déclarent, jusqu'à preuve contraire, auteurs responsables, et solidairement responsables, du dommage causé à ce propriétaire par le sinistre. Il est bien évident, au surplus, par la raison déjà indiquée, que ces dispositions si rigoureusement exceptionnelles ne sauraient être étendues, et que la présomption ainsi établie au profit du propriétaire ne saurait être invoquée par d'autres. C'est un point qui ne peut être douteux pour personne, quoique M. Demante ait eu l'idée de le poser en question dans son Programme (II, 879).

III. Terminons cette matière des délits et quasi-délits par l'indication du délai dans lequel l'action en réparation du dommage devra être intentée.

En principe, toute action personnelle dure trente ans, et ce principe est évidemment applicable en matière de délits ou quasi-délits, comme partout ailleurs (1). Mais il recevra exception toutes les fois que le délit ou quasi-délit consistera en une infraction réprimée par la loi criminelle. L'art. 2 du Code d'instruction criminelle soumet alors l'action civile en réparation du dommage à la même prescription que l'action criminelle. La loi n'a pas voulu qu'après la prescription de l'action publique, on pût venir encore alléguer et prouver un méfait punissable, même sans le faire punir. Or cette prescription, d'après les art. 637, 638 et 640 du même Code, est de dix ans pour les crimes, de trois ans pour les délits, et d'un an pour les contraventions.

Mais si la partie lésée, quoique sachant qu'il y a eu méfait punissable, avait soin de ne rien articuler et de n'argumenter que d'une simple faute civilement répréhensible, l'action pourrait, sous cette précaution, s'intenter pendant trente ans, comme elle le pourra toutes les fois que le délit civil ou le quasi-délit ne constituera pas une infraction atteinte par la loi pénale. Dans les autres cas, l'action durera dix ans, trois ans ou un an, d'après la distinction ci-dessus.

(1) Conf. Sourdat (625): Zachariæ, édit. Massé et Vergé (t. IV, p. 19, 626); Dalloz (yo Respons., no 228 et 229).

RÉSUMÉ DES TITRES TROISIÈME ET QUATRIÈME.

DES OBLIGATIONS.

I. On appelle obligation le lien qui astreint spécialement telle personne à une prestation quelconque au profit d'une autre personne. La nécessité spéciale à une ou plusieurs personnes, et correspondant dès lors à un droit purement relatif et personnel, c'est-à-dire à une créance, constitue seule l'obligation. Quant à la nécessité générale et commune à tous, laquelle correspond au droit absolu, au droit réel, eile forme un devoir qu'on est également tenu de ne pas enfreindre, mais qu'il ne faut pas confondre avec l'obligation proprement dite.

Ainsi, par exemple, tandis que le simple devoir n'a jamais pour objet que l'abstention des faits qui nuiraient aux droits d'un tiers, l'obligation, au contraire, peut avoir pour objet, ou de s'abstenir d'un fait, ou d'accomplir ce fait, ou de transférer la propriété ou ses démembrements, ou de procurer une chose à tout autre titre. L'obligation est toujours, pour nous comme pour les Romains, vinculum juris quo necessitate adstringimur ad aliquid dandum, vel præstandum, vel faciendum, vel non faciendum (art. 1101):

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II. — Pour traiter avec ordre l'importante matière des obligations, nous étudierons successivement et dans cinq chapitres différents : 1o Les sources des obligations; 2o Les diverses espèces d'obligations; 3o L'effet des obligations; 4o Les causes d'extinction des obligations; -5° Enfin, la preuve des obligations et celle de leur extinction.

III.

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CHAPITRE PREMIER.

SOURCES DES OBLIGATIONS.

L'obligation peut naître de cinq sources différentes : le Contrat, le Quasi-contrat, le Délit, le Quasi-délit, et la Loi.

Toutes les obligations, bien entendu, viennent nécessairement de la loi (de la loi civile immédiatement, en même temps que de la loi naturelle médiatement). Mais tandis que la plupart en viennent à la suite d'un fait de l'homme, qui constitue ou un contrat ou un quasi-contrat, ou un delit ou un quasi-délit, quelques autres viennent sans aucun fait de l'homme et par l'effet de circonstances variées qu'il était impossible d'embrasser sous une seule dénomination. On a désigné la source des premières, divisées en quatre classes, par le nom générique du fait qui les produit (contrat, quasi-contrat, délit, quasi-delit), en réservant pour les autres le nom du principe commun à toutes (la loi), qui devient ainsi une appellation spéciale pour celle-ci (art. 1170).

SECTION PREMIÈRE.

DES CONTRATS.

IV. On entend par contrat ou convention (car ces deux mots sont synonymes dans le Code) tout accord de plusieurs volontés sur un objet d'intérêt juridique, consensus plurium in idem placitum.

Le contrat, qui est la source la plus fréquente des obligations, peut aussi produire d'autres effets, comme nous le verrons en terminant cette section (n° XXVII). Mais c'est surtout en tant que créant des obligations que nous avons à l'examiner ici; et c'est seulement aux contrats productifs d'obligations que s'appliquent les règles qui vont faire l'objet des paragraphes suivants (art. 1101).

8 1er. Des diverses espèces de contrats.

V. Il y a cinq divisions principales des contrats :

ment.

-

1° Ils se divisent en bilatéraux (ou synallagmatiques) et unilatéraux, selon qu'ils créent des obligations de part et d'autre ou d'un côté seuleSi le contrat, en ne créant actuellement qu'une seule obligation, fait cependant naître l'éventualité d'une obligation réciproque, qui peut se réaliser par l'execution même de la convention, il reçoit le nom de synallagmatique imparfait (art. 1102 et 1103).

2o Le contrat est de bienfaisance ou à titre gratuit, quand l'une des parties rend à l'autre un service, en lui procurant un avantage qui ne reçoit pas d'équivalent; il est à titre onéreux, lorsque chacun des contractants entend se procurer un avantage. Le contrat à titre onereux est commutatif, lorsque des deux côtés l'avantage est certain; il est aléatoire, quand, soit des deux côtés, soit d'un côté seulement, cet avantage se trouve soumis à une chance de gain ou de perte (art. 11041106).

3o Le contrat est nommé ou innommé, selon qu'il a ou n'a pas, dans la loi, sa désignation spéciale. Mais, à la difference de ce qui avait lieu à Rome, il est obligatoire dans le second cas aussi bien que dans le premier (art. 1107).

4o Le contrat est principal, quand il a son existence propre; il est accessoire, lorsqu'il ne peut se former qu'en se rattachant à un autre (ibid.).

5o Enfin le contrat est solennel ou non solennel, selon que son existence légale est ou non subordonnée à l'accomplissement de certaines formalités. Les seuls contrats solennels sont : la donation entre-vifs, les conventions matrimoniales, et la constitution d'hypothèque; mais nous ne parlons, bien entendu, que des contrats ordinaires, pécuniaires, et non des contrats purement moraux, comme le mariage et l'adoption, qui ont leurs règles à part (ibid.).

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