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si cette délation est purement facultative pour le plaideur (qui ne saurait jamais être contraint de s'en remettre ainsi à la conscience d'un adversaire qui peut n'avoir pas de conscience), elle n'est nullement facultative pour le juge, qui n'a jamais le droit de repousser la délation du serment dès là que les quatre conditions exigées se trouvent exister.

La jurisprudence est également dans une grave erreur, quand elle décide que le serment déféré par une partie cesse d'être décisoire, et se transforme en serment supplétoire si la partie ne le défère que subsidiairement, et après avoir inutilement employé tous autres moyens à l'appui de sa prétention. Car, d'un côté, la loi autorise formellement la delation du serment décisoire en tout état de la cause; et d'un autre côté, les deux circonstances que le serment est déféré par la partie (et non pas par le juge), pour produire à lui seul la décision du débat (et non pas pour servir seulement de complément à une preuve déjà commencée), sont précisément les caractères distinctifs du serment décisoire (art. 1358-1360).

CLXXXVIII.

Nous avons dit que celui à qui le serment est déféré a le choix, ou de le prêter, ou de le référer à son adversaire; mais il faut pour cela qu'il s'agisse d'un fait commun aux deux parties, ou du moins à une partie et à l'auteur de l'autre (ce qui permet le serment de credulitate), sans quoi la relation ne serait pas possible. Du reste, celui à qui on réfère le serment ne peut pas le renvoyer de nouveau à son adversaire, car ce serait tourner dans un cercle.

Tant que la délation ou relation n'est pas acceptée, elle peut être retirée; car la convention, la transaction, n'est pas encore formée. Mais une fois que la proposition faite par une partie est acceptée par l'autre, la première ne peut plus retirer son offre, à moins de prouver qu'elle n'a été amenée à le faire que par le dol de son adversaire,

Une fois que le serment déféré ou référé a été prêté, son effet est pleinement irrévocable, et ne tomberait même pas devant la preuve de la fausseté du serment. Une telle preuve ne peut jamais être faite par la partie perdante, pas plus pour obtenir des dommages-intérêts que pour empêcher l'exécution du jugement, et pas plus en se portant partie civile dans une action criminelle intentée par le ministère public qu'en agissant devant le tribunal civil. Cette impossibilité, qui résulte forcément de la nature du serment décisoire (puisque, autrement, il faudrait recommencer le débat pour savoir si le serment est faux ou vrai, en sorte que ce serment n'aurait rien de décisoire), et qui n'est, au surplus, qu'une application des principes, a d'ailleurs été formellement proclamée dans les travaux préparatoires du Code pénal, comme elle l'est par la jurisprudence, et on ne s'explique pas qu'un auteur ait pu ne pas la comprendre (art. 1361-1364).

Au surplus, la prestation ou le refus du serment ne font preuve et n'ont d'effet, bien entendu, qu'entre les parties ou leurs ayants cause. Ainsi, et sans présenter d'autres exemples sur ce point, le créancier solidaire n'étant mandataire de ses cocréanciers, et ceux-ci n'étant les

ayants cause du premier, que pour la conservation ou l'amélioration de la créance, et non pour transiger, ou remettre la dette, il est clair que le serment prêté par le débiteur, sur la délation de ce créancier (comme aussi celui qui serait refusé par ce créancier sur la proposition du débiteur), ne déchargerait ce débiteur que pour la part du créancier dans la créance (art. 1365).

Il n'est pas moins certain, malgré l'étrange contradiction des arrêts, que l'effet produit par le serment prêté ne saurait être attribué, en thèse, à la simple acceptation suivie de la mort de la partie ou de toute autre cause d'impossibilité. Il est évident, en effet, que la promesse de préter un serment n'est pas la même chose que la prestation effective de ce serment; et la raison est d'accord avec l'autorité de Dumoulin pour dire que (à moins que le retard de la prestation ne provienne de la seule faute de l'adversaire) la convention se trouve alors non avenue, pour inaccomplissement de la condition sous laquelle elle avait été faite (art. 1364).

82. Du serment supplétoire.

CLXXXIX. Ce serment, qui ne peut être déféré que d'office par le juge, ne peut l'être, comme on l'a déjà dit, que pour compléter une preuve déjà commencée : il ne pourrait l'être ni alors qu'il y a déjà preuve complète (cas où la prétention qui s'appuie sur cette preuve doit être immédiatement admise), ni alors qu'il n'y a pas même commencement de preuve (cas où la demande doit être rejetée); il faut qu'il y ait commencement de preuve, et rien que commencement de preuve. Et, bien entendu, ce commencement, dans le cas où le témoignage n'est pas admissible, doit résulter d'un écrit, puisque tout commencement de preuve est une preuve (commencée et incomplète), et que la loi, dans ce cas, ne reconnaît pas d'autre preuve que la preuve écrite.

Le juge défère le serment à celle des parties qu'il lui plaît de choisir (et dès lors ce serment ne peut pas être référé par une partie à l'autre), et il est libre aussi de déférer à la partie un serment de credulitate, non-seulement sur un fait personnel à l'auteur de cette partie, mais même sur un fait personnel à tout autre; car la règle qui ne permet la délation que sur un fait personnel n'est pas reproduite ici par le Code, et il fallait, en effet, laisser au juge toute latitude pour s'éclairer (art. 1366-1368).

CXC. - Une autre différence entre le serment décisoire et le serment supplétoire, c'est que celui-ci n'étant qu'une affaire d'instruction et de renseignement, et n'ayant rien de transactionnel, le magistrat peut, après avoir rendu le jugement qui l'ordonne, s'il arrive autrement à se procurer une conviction complète, déclarer ce jugement non avenu. Pour la même raison, la partie contre laquelle le serment a eu lieu pourrait très-bien en prouver la fausseté; que si le jugement était rendu, la partie perdante à laquelle surviendraient de nouveaux moyens de preuve pourrait les faire valoir par un appel, ou, en cas d'impossibilité d'appeler, par une demande de dommages-intérêts. Enfin, les magis

trats d'appel pourraient également, même sans de nouveaux éléments de décision, apprécier les choses autrement que les premiers juges et donner gain de cause à celui qui avait perdu d'abord (ibid.).

Il va sans dire, du reste, que le serment supplétoire peut avoir pour objet de renseigner le juge, ou sur le point de savoir s'il doit condamner, ou seulement sur le montant de la condamnation, le fait qui motive cette condamnation étant établi déjà. Dans ce dernier cas, il ne peut être déféré qu'au demandeur, et seulement après que le juge a luimême fixé un maximum au delà duquel le serment serait sans valeur (art. 1369).

CXCI.

Classification des moyens de preuve.

On comprend maintenant, d'après ce qui vient d'être dit dans ce chapitre, que les moyens de preuve, ainsi que nous l'avions annoncé en commençant cette matière, peuvent se diviser en dix espèces, qui, rangées d'après leur plus ou moins grande énergie, se présentent dans l'ordre suivant : - 1° le Serment décisoire; 2o la Présomption légale absolue d'ordre public; 3° l'Aveu judiciaire; -4° 4° les autres Présomptions légales absolues; -5° la Présomption légale simple; -6° l'Ecriture; -7° l'Aveu extrajudiciaire; -8° le Témoignage; -9° la Présomption de fait;-10° le Serment supplétoire.

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On voit également que ces dix espèces de preuves pourraient, en les considérant toujours d'après leur degré de puissance, se diviser en cinq catégories, savoir :

1o Le Serment décisoire et la Présomption absolue d'ordre public, qui ne peuvent jamais être renversés par une preuve contraire; 2o les autres Présomptions absolues et l'aveu judiciaire, qui cèdent quelquefois à cette preuve contraire (l'aveu, en effet, peut être détruit par la preuve que l'avouant fait de son inexactitude; et la présomption absolue qui n'est pas d'ordre public peut l'être par différents moyens dans les cas réservés par la loi, et, en dehors même de ces cas, elle peut toujours l'être par le serment ou l'aveu); - 3o la Présomption simple et l'Écriture, en face desquelles la preuve contraire est toujours admissible; 4° l'Aveu extrajudiciaire, le Témoignage et la Présomption de fait, qui, toujours expugnables aussi par la preuve contraire, sont en outre pleinement soumises au pouvoir discrétionnaire du juge, dont la conscience peut les trouver probants ou non probants, sans qu'on puisse jamais lui demander compte de sa conviction à cet égard : le second de ces trois moyens est d'ailleurs moins puissant que le premier, puisqu'il n'est permis de l'admettre que dans certains cas; et le troisième l'est moins que le second, puisque le juge n'est jamais forcé d'y recourir; -5° enfin le Serment supplétoire, qui est également facultatif pour le juge, mais qui, en outre, ne peut jamais servir que pour compléter une preuve déjà commencée, sans être une preuve par l

même.

TITRE V.

DU CONTRAT DE MARIAGE et des droits respectTIFS DES ÉPOUL.

(Décrété le 10 février 1804. Promulgué le 20.)

1. Le Code, après avoir établi dans les deux titres précédents les principes généraux qui régissent les obligations, revient aux contrats, qui en sont, comme on l'a vu, la source la plus fréquente; et il va nous indiquer, dans un grand nombre de titres particuliers, les règles spéciales de ceux de ces contrats qui sont ou plus importants ou plus usités. Le contrat qui régit l'association conjugale, quant aux biens, réunissait ces deux caractères à un assez haut degré pour mériter d'être placé en première ligne.

Quoique l'expression Contrat de mariage dût, ce semble, signifier le contrat qui s'appel mariage, le contrat qui constitue le mariage (comme les mots contrat de vente, contrat de louage, etc., désignent les contrats qui constituent la vente, le louage, etc.), cette expression n'est cependant pas prise ici dans ce sens. Le législateur n'a désigné que par le nom de Mariage (titre V du livre Ier) le contrat moral qui a pour objet l'union des personnes, et il réserve le nom de Contrat de mariage à la convention accessoire que les futurs époux forment quant à leurs biens. Le Contrat de mariage est donc le contrat de société pécuniaire du mariage, le contrat formé, à l'occasion du mariage, pour fixer les droits respectifs des époux quant aux biens; et ces mots quant aux biens doivent être ajoutés à la rubrique de notre titre, qui sans cela, et telle que le Code la présente, indique mal son objet, et conviendrait aussi bien au mariage lui-même, puisque d'une part le mariage est aussi un contrat, et qu'en réglant ce contrat le législateur a dů s'occuper aussi (au chap. VI, art. 212 et suiv.) des droits respectifs des époux. Du reste, l'expression Contrat de mariage est souvent employée aussi pour indiquer l'écrit, l'instrumentum, qui constate les conventions arrêtées, tandis que l'écrit qui constate le Mariage ne reçoit jamais d'autre nom que celui d'acte de mariage.

II. -- Nous avons eu déjà l'occasion de dire (art. 124, no 1) que le Code admet et explique cinq systèmes ou régimes de conventions matrimoniales, qui sont : 1° la Communauté légale; 2o la Communauté conventionnelle; 3° l'Exclusion de communauté; 4° la Séparation de biens; et 5° le Régime dotal. Cela étant, on ne s'explique pas trop, au premier coup d'œil, la division adoptée par notre titre. Ce titre, en effet, après avoir consacré un premier chapitre aux Dispositions générales, divise toute la matière en deux parties seulement (Chap. II,Chap. III); et c'est dans la première de ces parties, qui a pour rubrique Du Régime en communauté, qu'il s'occupe, non pas seulement de la communauté soit légale, soit conventionnelle, mais aussi de l'exclu

sion de communauté et de la séparation de biens; en sorte que le régime dotal forme à lui seul l'objet du troisième et dernier chapitre. Ainsi, tandis que trois des cinq régimes sont exclusifs de la communauté, en sorte que la division naturelle semble être celle-ci : I. RGIMES DE COMMUNAUTÉ, 1° Communauté légale, 2o Communauté conventionnelle; II. RÉGIMES SANS COMMUNAUTÉ, 1° Exclusion simple de communauté, 2° Séparation de biens, 3° Régime dotal, le Code, au contraire, place dans la première catégorie deux des trois objets qui appartiennent à la seconde, et nous donne cette division fort singulière au premier abord: I. COMMUNAUTÉ, 1° Communauté légale, 2o Communauté conventionnelle, 3° Exclusion de communauté, 4° Séparation de biens; II. RÉGIME DOTAL.

Il est souvent arrivé aux rédacteurs du Code, comme on l'a vu par l'étude des précédentes matières, de n'adopter des classifications vicieuses que par défaut de méthode, et sans que nulle circonstance pût justifier ou excuser leur plan. Il n'en est pas de même ici. La divísion adoptée dans ce titre avait dans les faits sa raison d'être; et si elle paraît bizarre, quand on l'examine radicalement et à priori, elle se trouve au contraire parfaitement simple et toute naturelle, quand on l'envisage au point de vue historique.

On sait que nos anciennes provinces françaises se divisaient en pays coutumier et en pays de droit écrit; et que ceux-ci, ayant conservé le système romain, étaient soumis au régime dotal, tandis que les premiers suivaient généralement les principes, indigènes et vraiment nationaux, de la communauté (1). Or, comme c'était uniquement dans ces pays de coutumes qu'il pouvait intervenir des conventions excluant la communauté, et non dans les pays de droit écrit (puisqu'il ne pouvait pas être question de stipuler le rejet de la communauté là où la communauté n'était pas admise), il s'ensuit que, lors de la confection du Code, deux systèmes seulement étaient en présence d'une part, la communauté, avec son cortége obligé de règles subsidiaires, permettant, soit de modifier le régime légal pour constituer une communauté conventionnelle, soit de repousser entièrement ce régime en adoptant ou l'exclusion simple de la communauté, ou la séparation de biens; d'autre part, le régime dotal.

Lorsque nos législateurs de 1804, après de longues et très-vives discussions entre les partisans des deux systèmes, finirent par donner la préférence au premier, ils durent le formuler tel qu'il existait dans les pays coutumiers et avec les accessoires nécessaires qui le complétaient.

(1) Parmi les provinces de coutumes, qui étaient celles du centre et du nord de la France, une seule, la Normandie, par une exception que semble expliquer l'origine de ses habitants, avait adopté le régime dotal. Sortis, non de la Germanie, mais du fond du Nord, soldats farouches, conquérants avides, les premiers Normands, en s'emparant de la Neustrie et en y prenant les femmes des vaincus, durent, à l'exemple des premiers Romains, voir dans leur mariage un rapport du maître à l'esclave plutôt qu'une association donnant des droits communs aux personnes; et si l'on comprend que l'élément national, le principe de communauté, n'ait pas pu dominer dans nos

provinces méridionales, trop fortement imbues des idées romaines, on même qu'il ne pouvait pas prévaloir sous la domination normande.

comprend de

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