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M. Demante a prévu la question, et il répond qu'en l'absence de cette détermination de somme, la clause ne sera que l'établissement d'une communauté universelle. Mais cette réponse, qui paraît avoir engendré la grave erreur que nous avons relevée plus haut chez M. Mourlon, n'est pas plus heureuse que le système qu'elle tend à protéger; car, outre que toute clause de communauté universelle n'est qu'une des espèces d'ameublissement, un ameublissement général déterminé, il n'est d'ailleurs pas vrai que tout ameublissement général déterminé constitue réciproquement la communauté universelle. Cette communauté n'existe, on le conçoit bien, que quand le contrat ameublit tous les immeubles des époux. Si donc j'ameublis, moi, tous mes immeubles, mais que mon conjoint n'ameublisse par les siens, où mon ameublissement se classera-t-il alors dans la fausse théorie de M. Demante?... Nulle part, et cette seule observation suffit pour renverser le singulier système du savant professeur.

Ce système, au surplus, n'a pas même, comme celui de MM. Rodière et Paul Pont et de M. Troplong, l'excuse d'une rédaction mauvaise, mais formelle, de la loi; et le texte même du Code lui est contraire. D'un côté, en effet, l'art. 1506 nous dit que l'ameublissement est indéterminé quand l'époux n'a mis ses immeubles en communauté que jusqu'à concurrence d'une certaine somme, ce qui indique déjà que l'ameublissement serait déterminé si les immeubles étaient mis en communauté absolument, totalement, sans restriction à une certaine somme. Et, d'un autre côté, l'art. 1507, alinéa 2, déclare ameublissement déterminé, sans distinction d'absence ou de présence de désignation spéciale des biens, celui qui met en communauté les immeubles de la femme en totalité, c'est-à-dire sans restriction à une somme de...

IV. — En définitive, l'ameublissement déterminé (auquel il eût été facile de donner un nom qui le fit mieux comprendre et qui ne prêtât pas à l'équivoque), c'est l'ameublissement véritable, celui qui fait réellement entrer les immeubles dans la communauté comme y entrent les meubles, et qui, par conséquent, a vraiment pour effet de les ameublir. L'autre n'est pas proprement un ameublissement, puisqu'il ne donne à la communauté, sur ces immeubles, qu'un droit qui ne l'en rend pas maîtresse et ne lui permet pas d'en disposer.

La distinction des ameublissements en déterminés et indéterminés, ou, pour mieux dire, en parfaits et imparfaits, est complétement indépendante de leur division en généraux et particuliers. Et cette proposition, bien établie déjà par ce qui précède, est d'ailleurs de toute raison; car il est bien évident que la nature du droit que je confère à ma communauté ne dépend en aucune façon du point de savoir si je soumets à ce droit, soit un ou plusieurs immeubles spécialement désignés, soit la généralité de mes immeubles. Je puis donner à la communauté un entier et véritable droit de propriété, quoiqu'il s'agisse de tous mes immeubles, aussi bien que je puis ne lui donner qu'un droit moindre, quoiqu'il ne s'agisse que d'un seul immeuble.

Il est évident, au surplus, que l'ameublissement d'une quote-part d'un ou plusieurs immeubles suit la même règle que l'ameublissement d'un ou de plusieurs immeubles entiers. Ainsi, quand je déclare mettre en communauté, absolument et sans restriction à une somme, mais pour un tiers seulement, tel immeuble ou tels immeubles, ou tous mes immeubles, il est clair que l'ameublissement sera parfait, de même qu'il serait imparfait si j'avais déclaré ne le faire que jusqu'à concurrence d'une certaine somme. Il est vrai que Delvincourt (t. III), MM. Rodière et Paul Pont (II, 165), et M. Troplong (III, 2005), contestent cette doctrine, et enseignent que tout ameublissement d'une quote-part est nécessairement et toujours un ameublissement indéterminé, imparfait. Mais cette opinion est dénuée de tout motif solide ou seulement spécieux. De même qu'en mettant dans la communauté, purement et sans restriction à une somme d'argent, ma maison A, je rends la communauté propriétaire de cette maison, de même évidemment, en mettant de cette même façon dans la communauté le tiers de ma maison A, je la rends propriétaire du tiers de cette maison, c'est-à-dire copropriétaire de la maison avec moi, à qui les deux autres tiers restent propres; et la communauté peut dès lors, comme toute personne à qui j'aurais vendu, donné ou autrement aliéné ce tiers de la maison, l'aliéner sans me demander avis... Aussi ce point, que Pothier ne traitait pas (ce qui fait que nos rédacteurs n'ont pas songé à en parler), était-il résolu dans notre sens par les anciens auteurs qui le prévoyaient; ces auteurs, en effet, en déclarant ameublissement indéterminé celui d'un immeuble jusqu'à concurrence d'une somme, ne manquaient pas de ranger celui d'un immeuble pour telle quote-part parmi les ameublissements déterminés, ameublissements transférant à la communauté la propriété de la chose ameublie et la pleine faculté de l'aliéner (Nouv. Denizart, loc. cit.)... C'est qu'en effet, le doute même ne se comprend pas ici; car, encore une fois, celui à qui on a transféré le tiers ou le quart d'un immeuble est parfaitement maître d'aliéner ce tiers ou ce quart quand et comme il veut. Ce n'est là que l'application des principes les plus fondamentaux; ces principes ne pourraient cesser qu'autant que, pour notre cas, un texte formel y ferait exception; où est ce texte?... nulle part. C'est donc avec raison que la doctrine contraire est repoussée par la généralité des auteurs (1).

Il va sans dire, enfin, qu'il n'y a rien de sacramentel dans les termes à employer pour effectuer l'ameublissement; que si l'art. 1506 parle d'un époux qui déclare ameublir ET mettre en communauté, ce n'est nullement pour indiquer qu'il faille cumuler ces deux expressions, et qu'il suffit d'une phrase exprimant que les immeubles seront ameublis, ou mis en communauté, ou apportés à la communauté, ou rendus communs, ou réputés meubles, ou tenus pour conquéts, de termes,

(1) Toullier (XIII, 330); Duranton (XV, 62 et 63); Zachariæ (111, p. 528); Odier (II, 802); Taulier (V, p. 490); Duvergier (sur Toullier). — Contrà : Dalloz (2772).

enfin, manifestant d'une manière quelconque la volonté de l'époux. Ceci entendu, fixons successivement les effets de l'ameublissement déterminé et de l'ameublissement indéterminé.

V. L'ameublissement déterminé, ou ameublissement véritable, ayant pour effet de rendre les immeubles biens communs, comme si c'étaient des conquêts, il s'ensuit que le chef de la communauté peut les aliéner comme tous les autres immeubles communs, et qu'ils doivent, s'ils n'ont pas été aliénés, être compris comme tous autres, lors de la dissolution, dans le partage à faire entre les époux ou leurs héritiers. Cependant la loi, par égard pour l'affection qu'on attache quelquefois à un bien de famille, permet à chaque époux, et à ses héritiers après lui, de prendre dans sa part les immeubles par lui ameublis, en les comptant pour le prix qu'ils valent à ce moment. Delvincourt enseigne, et M. Duranton (XV, 78), sans toutefois le décider nettement, incline aussi à dire que la femme qui renonce aurait un droit analogue, et pourrait reprendre les immeubles par elle ameublis, en payant leur prix au mari; mais nous pensons, comme la généralité des auteurs (1), que cette opinion est inadmissible. Il s'agit là d'une disposition que sa nature même d'exception commande de restreindre au cas prévu; or l'art. 1509 n'accorde cette faculté qu'à l'époux venant au partage de la communauté.

Quand l'ameublissement parfait est particulier, l'époux qui l'a fait est tout naturellement garant, envers la communauté, de l'éviction qu'elle pourrait subir pour une cause antérieure au mariage. Pothier, qui avait d'abord adopté une opinion différente (2), l'a bientôt abandonnée (3), et avec raison. Il est bien évident, en effet, que la mise d'immeubles dans la communauté n'est nullement une libéralité, comme Pothier l'avait admis d'abord, mais une stipulation à titre onéreux; et dès lors l'époux qui a promis l'apport de tels immeubles spécialement indiqués doit en faire l'apport effectif et réel, c'est-à-dire en rendre la communauté propriétaire.

Il en est autrement, bien entendu, dans le cas d'un ameublissement général; car transférer à la communauté l'universalité de ses immeubles, la totalité de sa fortune immobilière, c'est la lui transmettre telle qu'on l'a, et lui attribuer les droits tels quels qui la constituent. Et, dans ce même cas d'ameublissement général, c'est la communauté qui reçoit à sa charge les dettes relatives aux immeubles ameublis, par la raison déjà indiquée maintes fois, que les dettes sont dues par la généralité des biens. La mise dans l'actif de tous les immeubles présents fait donc entrer dans le passif toutes les dettes présentes, de même que l'a mise des immeubles futurs, c'est-à-dire de ceux à échoir ultérieurement

(1) Toullier (XIII, 345); Bellot (III, p. 156); Zachariæ (III, p. 531); Odier (II, 812); Paul Pont et Rodière (II, 183); Troplong (III, 2019); Dalloz (2788). (2-3) Introd. à la Cout. d'Orléans, no 53. Commun., no 311. Conf. Delvincourt (t. III, p. 83); Toullier (t. XIII, no 344); Battur (t. II, no 401); Duranton (t. XV, 71); Pont et Rodière (t. II, no 162); Odier (II, 815); Troplong (1998); Zachariæ (t. III, p. 531); Dalloz (2769).

par des successions ou donations, y fera tomber toutes les dettes de ces successions et donations; et si l'ameublissement ne portait que sur une quote-part de l'universalité des immeubles, la communauté ne supporterait que la même quote-part des dettes afférentes à ces mêmes immeubles. Il en est autrement dans l'ameublissement particulier, quia æs alienum, universi patrimonii, non certarum rerum, onus est (voy. Dalloz, C. de mar., 2769-2784).

VI. Quand l'ameublissement n'est qu'imparfait, indéterminé, c'est-à-dire quand, au lieu de rendre purement et simplement communs les immeubles qu'il frappe, il ne les soumet à la communauté que jusqu'à concurrence d'une certaine somme, le droit qui en résulte pour cette communauté n'est plus qu'une créance, mais c'est une créance d'une nature toute particulière et qui produit de remarquables effets (1).

Cette créance a pour objet, non pas la somme jusqu'à concurrence de laquelle les immeubles sont ameublis, mais ces immeubles euxmêmes c'est évident, puisque la clause consiste à mettre dans la communauté, non pas une somme de... à prendre sur les immeubles, mais les immeubles jusqu'à concurrence de cette somme. De là des conséquences.

Ainsi, quand même les biens ameublis auraient une valeur inférieure à la somme indiquée, la communauté ne devrait pas moins s'en contenter, sans pouvoir exiger que l'époux qui a fait l'ameublissement complète cette somme au moyen de ses autres biens (2).

De même, si les immeubles viennent à périr, soit en totalité, soit en partie, tellement que la valeur de ce qui reste se trouve inférieure à la somme fixée, l'obligation de l'époux se trouve ainsi éteinte, faute d'objet, pour partie ou pour le tout. Mais il ne faudrait pas conclure de là que, quand l'ameublissement est particulier, l'époux ne serait pas garant d'une éviction fondée sur une cause antérieure, et qui réduirait les biens ameublis à une valeur inférieure à la somme indiquée : ici comme dans l'ameublissement parfait, l'époux doit faire une mise réelle; la circonstance qu'il n'apporte les immeubles que jusqu'à concurrence d'une somme de... est évidemment insignifiante sous ce rapport; et c'est seulement, comme plus haut, quand l'ameublissement est général, que l'époux cesse d'être garant de l'éviction (3).

C'est aussi parce que le droit de la communauté frappe directement sur les immeubles que la loi donne à cette communauté, quoiqu'elle ne soit pas propriétaire, et par exception de l'art. 2124, la faculté d'hy

(1) Quelques auteurs soutiennent que la communauté devient propriétaire des immeubles quand ils sont ameublis jusqu'à concurrence d'une certaine somme. Pont et Rodière (II, 150 et 165); Troplong (1990 et 2000); Dalloz (2773). Contrà Toullier

(t. III, 344); Delvincourt (t. III, 83); Battur (II, 49); Duranton (XV, 70). (2) Conf. Pothier (314); Pont et Rodière (II, 171); Troplong (2008 et 2014); Dalloz (2777).

(3) De ce que l'ameublissement indéterminé donne lieu à une créance immobilière, il en résulte encore que si elle n'avait point encore été liquidée à la dissolution du mariage, et si l'autre conjoint se remariait, elle n'entrerait pas dans la deuxième communauté. Toullier (XIII, 337); Duranton (XV, 86); Dalloz (2760).

pothéquer les biens jusqu'à concurrence de la somme fixée. Cette faculté, du reste, ne peut évidemment avoir d'application que pour les immeubles de la femme; car lorsqu'il s'agit d'immeubles du mari, comme ce dernier, en même temps que chef de la communauté, est aussi le propriétaire des biens ameublis, il est clair que cette dernière qualité lui permet non-seulement d'hypothéquer ces biens, mais de les aliéner; et c'est seulement, dès lors, pour les immeubles ameublis par la femme que la loi avait à conférer au mari le droit d'hypothèque.

Lors de la dissolution de la communauté, l'époux, s'il n'a pas autrement acquitté sa dette, est obligé de mettre dans la masse à partager les immeubles ameublis, ou, si leur valeur excède la somme fixée, une partie de ces immeubles suffisante pour représenter cette somme: et, bien entendu, c'est à lui d'indiquer, dans ce cas, celui ou ceux des immeubles qu'il entend mettre dans la masse. Toutefois, et quoique cette mise d'immeubles en nature soit le moyen régulier d'exécution de son obligation, l'époux jouit de la faculté, signalée plus haut pour le cas d'ameublissement parfait, de retenir ses immeubles en tenant autrement compte à la communauté de la somme pour laquelle ils étaient ameublis. S'il est vrai, en effet, que cette faculté de conserver les immeubles n'est formulée par l'art. 1509 que pour l'ameublissement déterminé, il est évident qu'on doit l'admettre à plus forte raison dans notre cas. Comment le droit de substituer aux immeubles une valeur équivalente serait-il refusé à l'époux qui n'a promis les immeubles que jusqu'à concurrence d'une somme, quand la loi l'accorde à celui qui avait transmis à la communauté purement et simplement la propriété même de ces immeubles? Il faut donc reconnaître que si les immeubles font ici l'objet direct de l'obligation, le payement en argent se trouve réservé in facultate solutionis.

Il va sans dire que si, pendant la communauté, les immeubles ameublis avaient été vendus en tout ou en partie, et que le prix, mis dans la caisse commune, excédât la somme jusqu'à concurrence de laquelle avait eu lieu l'ameublissement, l'époux aurait une action en reprise pour l'excédant. Car la somme fixée, sans être l'objet de la créance, détermine le maximum de son étendue; et si l'émolument de la communauté peut quelquefois être inférieur à cette somme, comme on l'a vu, il ne peut jamais lui être supérieur (Paul Pont et Rodière, II, 181).

SECTION IV.

de la clause de séparation des dettes.

:

Le Code réunit ici deux clauses distinctes celle de séparation des dettes proprement dite (art. 1510-1512); celle de franc et quitte, qui présente, surtout dans un cas, beaucoup d'analogie avec elle, mais qui en diffère cependant en plusieurs points (art. 1513).

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