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qu'elle comprendrait si la dette n'avait pas existé (Pothier, no 375) (1). D'un autre côté, la clause de franc et quitte ne permet pas, comme la clause de séparation des dettes, de restreindre la poursuite des créanciers, sous la condition d'un inventaire, aux meubles provenant de l'époux débiteur; notre art. 1513 n'étend point à ce cas la disposition de l'art. 1510. Les créanciers pourraient donc, nonobstant l'inventaire, agir ici sur tous les biens communs, et ce serait, dès lors, faire une chose utile que d'ajouter une clause expresse de séparation de dettes à la clause de franc et quitte, plus avantageuse sous un autre rapport, ainsi qu'on vient de le voir (2).

II. Le payement des dettes de l'époux faussement déclaré franc peut causer à son conjoint deux espèces de préjudice: 1o une diminution de sa part de la communauté; 2o une réduction du fonds commun à un chiffre insuffisant pour remplir ce conjoint des différents droits et créances qu'il peut avoir à exercer. Le payement des dettes dont il s'agit ne produira cette seconde espèce de préjudice que dans certains cas, tandis qu'il produira le premier nécessairement et toujours. Or, on discutait dans l'ancien droit sur le point de savoir si le droit du conjoint à une indemnité, droit incontesté pour la seconde espèce de préjudice, s'étendait à la première. Renusson (3) tenait pour l'affirmative; mais la plupart des auteurs, et notamment Pothier, enseignaient la négative (4).

Cette question n'en saurait être une aujourd'hui, et l'indemnité est certainement due pour tout préjudice souffert... Et d'abord, les principes du droit, comme ceux de l'équité, demandaient qu'il en fût ainsi ; car c'est par son dol, par sa fraude, que l'époux déclaré quitte nuit ici à son conjoint; et c'était le cas ou jamais, dès lors, de l'obliger à la réparation intégrale du dommage causé, de quelque manière que se réalise ce dommage. Donc, du moment que notre législateur changeait, comme on l'a vu, dans sa nature et ses effets, l'ancienne clause de franc et quitte, il devait notamment la changer en ce point. C'est ce qu'il a fait, puisque notre article, loin de n'admettre l'indemnité que quand il y aura telle espèce de préjudice, ne parle pas même de préjudice, et déclare d'une manière générale que cette indemnité sera due toutes les fois que la communauté aura payé les dettes antérieures au mariage de l'époux déclaré franc et quitte. C'est qu'en effet, il y aura toujours et nécessairement un préjudice pour le conjoint dans ce payement, qui diminue l'actif de la communauté. La règle est donc absolue comme elle devait l'être, et l'idée contraire de M. Battur (II, 425), rejetée d'ailleurs par tous les auteurs (5), est évidemment inadmissible.

(1) Duranton (t. XIII, 137); Odier (788); Troplong (2064).

(2) Conf. Delvincourt (t. III, p. 87, note 1); Duranton (t. XV, no 125); Toullier (t. XIII, no 364); Rodière et Pont (t. II, no 225); Troplong (2063); Dalloz (2830). (3) Commun., part. 1, ch. 11, n° 36 et 37.

(4) Duplessis (Commun., 1. 2, ch. 1, sect. 4); Lebrun (1. 2, ch. 3, sect. 3, no 41 et 42); Bourjon (Droit commun, part. 3, ch. 5, sect. 1, no 3); Pothier (no 366).

(5) Delvincourt (t. III); Toullier (XIII, 366); Duranton (XV, 123); Bellot (III, p. 196); Zachariæ (III, p. 543); Dalloz (Contr. de mar., vo Mariage); Rodière et Paul

III. — Quant au point de savoir si une dette de l'époux payée par la communauté était vraiment ou non antérieure au mariage, et si l'on peut admettre comme telle celle qui ne résulterait pas d'un acte ayant date certaine, il est sans difficulté entre les deux conjoints, mais non pas quant aux garants.

Entre les conjoints, toute dette de l'époux déclaré quitte que l'acte présentera comme antérieure au mariage, sera évidemment acceptée comme telle et donnera lieu à l'indemnité, quoique la date de l'acte ne soit pas certaine; car l'époux débiteur ne peut pas être admis à critiquer la date qu'il a lui-même donnée à son acte. Mais si, en cas d'insuffisance des biens de l'époux, le conjoint voulait recourir contre les garants, la question deviendrait délicate. D'une part, les garants sont des tiers, ils semblent donc pouvoir opposer le défaut de date certaine; et on peut dire, comme on le faisait en effet autrefois (1), qu'il est impossible d'admettre qu'ils soient à la discrétion de l'époux déclaré quitte, qui pourrait, par des antidates, les obliger indéfiniment. Mais, d'un autre côté, le conjoint de cet époux ne doit pas non plus être victime du défaut de preuve écrite et régulière des dettes de celui-ci; il lui était certes bien impossible de faire constater par écrit des dettes qu'on lui disait ne pas exister, en sorte qu'il peut faire preuve par tous moyens, même par témoins; et comme, en définitive, les déclarants seraient toujours en faute d'avoir trop facilement garanti une personne dont ils ne connaissaient pas assez la position ou la probité, tandis que le conjoint n'a aucune espèce de reproche à se faire, on doit, selon nous, admettre en principe comme efficaces contre les garants, et la preuve par témoins, et aussi celle résultant d'un acte dépourvu de date certaine, en réservant seulement à ces garants de prouver (par tous moyens, bien entendu) que cet acte est antidaté et que la dette est réellement postérieure à la célébration (2).

Pour ce qui est, enfin, du moment où peut s'exercer l'action en indemnité, le texte de notre article est trop précis pour laisser place à aucune difficulté. Cette action, en principe, ne peut jamais être intentée, soit par le mari contre la femme, soit par la femme contre le mari, soit par la femme contre les garants du mari, qu'après la dissolution de la communauté. Mais le mari, lui, dans l'intérêt et pour la meilleure gestion de sa communauté, est autorisé à agir, dans le cours même de cette communauté, contre ceux qui ont déclaré sa femme franche et quitte. C'est la seule exception au principe, et ces garants eux-mêmes, après avoir payé à l'acquit de la femme l'indemnité due par celle-ci, ne peuvent exercer leur recours contre elle que quand la communauté est dissoute. Toute action leur est interdite jusque-là (3).

Pont (II, 229); Odier (II, 789); Duvergier (sur Toullier); Troplong (III, 2059); Rolland (t. II, p. 321).

(1) Duplessis (Commun., 1. 2, ch. 1, sect. 4); Pothier (no 367).

(2) Voy. Pothier (367); Delvincourt (t. III, p. 88); Duranton (XV, 130); Odier (793); Troplong (2067); Pont et Rodière (II, 228); Dalloz (2832).

(3) Conf. Pont et Rodière (t. II, nos 233 et 234); Troplong (n° 2065); Dalloz (2841).

T. V.

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SECTION V.

DE LA FACULTé accordée a la femme de reprendre son apport franc ET QUITTR

1514. La femme peut stipuler qu'en cas de renonciation à la communauté, elle reprendra tout ou partie de ce qu'elle y aura apparté, soit lors du mariage, soit depuis; mais cette stipulation ne peut s'étendre au delà des choses formellement exprimées, ni au profit de personnes autres que celles désignées.

Ainsi la faculté de reprendre le mobilier que la femme a apporté lors du mariage, ne s'étend point à celui qui serait échu pendant le mariage.

Ainsi la faculté accordée à la femme ne s'étend point aux enfants; celle accordée à la femme et aux enfants ne s'étend point aux héritiers ascendants ou collatéraux.

Dans tous les cas, les apports ne peuvent être repris que déduction faite des dettes personnelles à la femme, et que la communauté aurait acquittées.

L

SOMMAIRE.

Clause de reprise d'apport. Elle déroge au droit commun et doit s'entendre restrictivement. Application de l'idée quant aux choses comprises dans la clause. Mauvaise rédaction du Code.

II. Application quant aux personnes appelées à jouir du droit : erreur de Toullier. Hypothèses diverses. Quand s'ouvre le droit; une fois ouvert, il est transmissible comme tout autre droit.

III. Le droit ne s'exerçant qu'au moyen d'une renonciation, il ne constitue qu'une créance contre le mari : conséquence. Il ne s'exerce que sous déduction des dettes correspondantes de la femme.

I. - Une nouvelle dérogation aux règles de la communauté légale est celle de la stipulation par laquelle la femme se réserve le droit de reprendre, en renonçant à la communauté, tout ou partie des biens qui y sont entrés de son chef. Cette stipulation, si elle ne déroge pas (quoi qu'on en ait dit) au droit commun des sociétés (1), déroge évidemment au droit commun en matière de communauté, puisque, d'après lui, la femme perd par sa renonciation toute espèce de droit sur les biens entrés dans la masse commune. Puisqu'elle déroge au droit commun, elle doit donc, et notre article s'en explique d'ailleurs formellement, s'interpréter restrictivement, et quant aux choses qui en font l'objet, et quant aux personnes au profit desquelles elle est écrite.

Ainsi, d'abord et quant aux choses, si la femme a dit qu'elle réservait, soit pour elle seulement, soit pour elle et tous ou quelques-uns de ses héritiers, le droit de reprendre tous ses apports, ou tout son mobi

(1) Voy. MM. Malepeyre et Jourdain (no 130); Duvergier (no 264); Troplong (no 660); Championnière et Rigaud (no 2756); Rodière et Paul Pont (II, 236).

lier, ou tous les biens par elle mis en communauté, comme alors il y a doute sur le point de savoir si c'est de la totalité des biens et apports présents, ou des biens et apports présents et futurs, que la femme a entendu parler, et que les biens présents sont les seuls sur lesquels il y ait certitude de sa volonté, c'est à ceux-ci que se restreindra l'effet de la clause; car l'interprétation restrictive d'une stipulation consiste, comme nous l'avons déjà fait remarquer plus haut, à ne l'appliquer qu'aux objets qui s'y trouvent compris d'une manière certaine. Quant à l'exemple donné par le Code, il dénature, en croyant le reproduire, le passage dans lequel Pothier indiquait cette même idée. Pothier, en effet, explique que «lorsqu'il est dit simplement que la femme reprendra ce qu'elle a apporté, la convention ne renferme que ce qu'elle a apporté en se mariant. » En ajoutant dans cette phrase, aux mots ce qu'elle a apporté, ceux lors du mariage, le Code en change le sens et n'exprime plus qu'une idée trop évidente pour qu'il fût besoin de l'exprimer. Il est bien clair, en effet, qu'en ne stipulant la reprise que pour le mobilier apporté lors du mariage, on laisse sous le droit commun celui qui écherra pendant le mariage (1). Il est clair aussi que, si la clause n'est stipulée que pour le mobilier à échoir par donation, elle ne s'appliquera point à celui qui viendrait par succession, et réciproquement (2).

Que si la femme, au lieu de dire qu'elle pourra reprendre, lors de la dissolution, ce qu'elle apporte ou ce qui entre de son chef dans la communauté (ou encore ce qui est entré ou ce qu'elle a apporté), disait ce qu'elle aura apporté ou ce qui sera entré, comme ce futur passé ne saurait être restreint au mobilier présent qu'en violant le sens naturel et grammatical des mots, il faut reconnaître que la clause comprendrait alors tous les meubles présents et futurs (3).

II. — La clause doit aussi s'entendre restrictivement quant aux personnes appelées à en profiter.

Ainsi, tandis que, en principe, le droit qu'une personne a stipulé pour elle appartient, le cas échéant, à ses héritiers ou ayants cause, quels qu'ils soient, ici la faculté stipulée pour la femme n'appartiendrait pas à ses enfants, celle qu'elle stipulerait pour elle et ses enfants n'appartiendrait point à ses héritiers ascendants, celle qu'elle se réserverait pour elle et ses enfants et ascendants ne pourrait être exercée par ses héritiers collatéraux, et celle, enfin, qui serait stipulée pour la femme et ses héritiers, sans distinction de la qualité de ces héritiers, ne s'étendrait ni à ses successeurs irréguliers (enfants naturels et l'Etat), ni à ses successeurs testamentaires, c'est-à-dire à ses légataires, même universels. Que si l'on avait rédigé la clause au mode impersonnel, en disant qu'au moyen d'une renonciation il pourra être fait reprise de tels ou tels biens, comme cette phrase, qui ne désigne spécialement aucune

(1) Voy. Zachariæ (III, p. 544, 2); Odier (II, no 845); Troplong (2096). (2) Toullier (XIII, 379); Duranton (XV, 141 et suiv.); Delvincourt (t. III, p. 91); Odier (844); Troplong 2095); Dalloz (2879).

(3) Lebrun (1. 3, chap. 2, sect. 2, dist. 5); Pothier (no 401); Rodière et Paul Pont (II, 260); Caen, 28 mai 1849 (Dev., 49, II, 694); Bellot (III, p. 229); Dalloz (2876).

personne, a deux sens possibles, que peut-être on a voulu y comprendre tous les héritiers et ayants cause, que peut-être aussi on n'a songé qu'à la femme, et que, de ces deux sens, le plus large est douteux et l'autre seul certain, il est clair, malgré la doctrine contraire de Toullier (XIII, 381), qu'il faut s'en tenir à ce sens restreint et refuser le droit à tous autres que la femme. Toullier, qui combat sur ce point la solution des anciens auteurs avec une telle conviction qu'il ne suffirait pas, ditil, de l'autorité de la Cour suprême pour le faire changer d'opinion, n'adopte pourtant là qu'une erreur manifeste. Il est bien évident, en effet, que la phrase impersonnelle laisse complétement dans le doute le point de savoir si l'on a entendu parler des personnes autres que la femme; et, puisque la loi commande d'interpréter la clause d'une manière rigoureuse, il est donc impossible de l'appliquer alors à ces personnes. Aussi l'idée de Toullier est-elle rejetée, même par son annotateur (1).

Mais si l'on doit interpréter la clause avec rigueur, il ne faut pas exagérer cette rigueur, et l'on devra donner effet à la volonté des parties toutes les fois que cette volonté, même sans être très-explicite, sera cependant bien manifestée par le contrat (2). Ainsi, quand la faculté sera stipulée pour la femme et ses héritiers collatéraux, on devra y déclarer compris les descendants et ascendants, puisque, le contrat appelant les héritiers les moins favorables, les autres se trouvent appelés par à fortiori. De même la vocation explicite des ascendants contiendrait virtuellement celle des descendants (3). Enfin, celle des enfants comprendrait tous les descendants; car, en définitive, ces deux mots sont synonymes; le mot enfants est une expression générique qui s'emploie pour toutes les générations, et aussi bien avec addition des mots du 2o dégré, du 3o degré, etc., qu'avec celle du 1er degré, et le Code lui-même, qui l'entend ainsi partout, lui donne précisément ce sens dans notre article, en distinguant les trois classes d'héritiers en collatéraux, ascendants et enfants. Cette même expression d'enfants, ainsi qu'elle embrasse les enfants de tout degré, embrasse aussi les enfants de toute qualité; les enfants naturels et les enfants adoptifs y sont compris aussi bien que les légitimes, ceux d'un précédent lit aussi bien que ceux du mariage (Pothier, no 387-390) (4).

(1) La Thaumassière (Quest., 2o cent., ch. 72); Pothier (no 385); Rodière et Paul Pont (II, 245); Duvergier (sur Toullier, loc. cit.); Troplong (III, 2077). Jugé d'ailleurs que, pour que la clause soit opposable aux tiers, il faut qu'elle soit conçue en termes tellement explicites que ceux-ci n'aient pu être induits en erreur. Cass., 14 et 15 déc. 1858 (Dev., 59, 1, 229), 13 août 1860 (Dev., 61, I, 154).

(2) Ainsi, la clause qui, dans ses termes, subordonnerait la reprise au prédécès du mari, n'exclut pas le droit de reprendre l'apport en cas de dissolution par une séparation de biens. Pothier (382); Bellot (III, 215); Rolland (725); Duranton (XV, n° 151); Pont et Rodière (II, 241); Odier (II, 851); Troplong (2086); Dalloz (2854).

(3) Pothier (390); Toullier (XIII, 387); Battur (II, 453); Zachariæ (III, 545); Duranton (XV, 158); Rolland (738); Pont et Rodière (254); Odier (II, 849); Troplong (2082); Dalloz (2864).

(4) Conf. Delvincourt (III, p. 92); Bellot (t. III, 218); Rolland (735, 731 et 732); Duranton (XV, 136, 175); Rodière et Pont (II, 248 et 249); Troplong (2083); Dalloz

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