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PREMIÈRE PARTIE.

L'ABBAYE DE SAINTE-GENEVIÈVE. LE COLLEGE DE MONTAIGU.

Il n'entre point dans mon plan de parler avec détail de l'ancien Paris, ni même de donner, après tant d'auteurs, une description aussi exacte que possible des premiers bourgs de la rive gauche et du mont Lucotitius ou Lucotetius qui, dans la suite des temps, reçut le nom de montagne Sainte-Geneviève; je passerai très-rapidement sur les âges antérieurs à la fondation du monastère et à la domination des rois francs.

Le sommet du mont déjà nommé fut d'abord un lieu de

sépulture où l'on déposa au Ive siècle les restes mortels de Prudentius, évêque de Paris. Près de ce charnier, sur l'emplacement du Panthéon, étaient des terrains exploités pour les arts céramiques, et dans la même région se trouvaient des arènes. Le versant de la montagne couvert de vignes, d'enclos et de villas, sillonné par deux voies, supportait le palais des Thermes, - le seul débris romain que nous possédions, qu'habitèrent

Julien, Valentinien et Valens.

Tout le monde sait le vœu attribué au roi Chlodowig ou Chlodowech, -que nous appelons improprement Clovis, ― marchant contre Alaric; ses rapports avec la pieuse fille Geneviève de Nanterre qui, de concert avec la chrétienne princesse à laquelle nous donnons le nom tout moderne de Clotilde, le pressait d'embrasser le culte du vrai Dieu.

Inutile de revenir de nouveau sur tous ces faits peut-être à moitié fabuleux, au moins incertains, et du domaine de la légende. Ce ne sont là que les confus prolégomènes de notre histoire nationale; son crépuscule se faisait alors.

Le chef franc, sollicité vivement par Geneviève et par Clotilde de fonder une église chrétienne sur le mont Lucotetius où il se promenait en ce moment avec celle-ci, lança au loin sa francisque de bataille, et s'engagea à élever dans cet espace une basilique et à la garder sous sa protection spéciale s'il revenait victorieux de son expédition. Telle fut l'origine d'un temple dédié aux apôtres Pierre et Paul et consacré plus tard par Remy, évêque de Reims, qui attira les dons du roi sur la cathédrale de sa ville épiscopale.

J'ai lu en maints lieux que l'église du mont Lucotetius, dont

Clovis ne vit pas l'achèvement, fut construite avec tout le luxe architectural de cette époque: l'extérieur de l'édifice présentait des mosaïques variées, et l'intérieur était orné comme d'une tapisserie fixe et d'une peinture solide. Une forte muraille. crénelée ceignit le territoire des religieux, car le roi, d'autres disent la reine après lui, voulut que des clercs ou religieux séculiers fussent établis dans cette basilique pour la desservir, et leur donna en toute propriété le sol environnant; on y joignit les terres de Rosny, Nanterre, Vanves, Jossigny et Choisy, ce qui fit à ces prêtres un revenu plus que suffisant. Ils acquirent par la suite d'autres fiefs, notamment Rungis, qui leur fournissait de l'eau, Draveil, Bovest, Auteuil, Épinay, Marisy, Trianon, etc.

Des historiens croient que Clovis avait un palais près de la basilique et que ce palais fut l'origine de l'abbaye.

Clotilde ne cessa de faire preuve de munificence envers le sanctuaire où avaient été placés les tombeaux de son époux, ceux de la vierge de Nanterre et des enfants de Chlodomir, roi d'Orléans : elle y fut enterrée à son tour (1).

Le chanoine Viallon, auteur d'une Vie de Clovis et dont j'aurai l'occasion de parler plus tard, dit que la nef fut terminée en 520, et que, d'après l'étendue de la crypte existant avant la révolution, on pouvait conjecturer qu'elle avait 200 pieds de long.

Cette crypte ou église basse avait servi de lieu de retraite pour leurs cérémonies aux premiers chrétiens. Bientôt la véné

(1) Un service pour Clovis était célébré annuellement le 27 novembre.

ration des Parisiens pour leur patronne, dont le sépulcre était fréquemment visité et devant lequel brûlait nuit et jour une lampe dont l'huile, croyait-on, guérissait d'un grand nombre de maladies, bientôt leur vénération, dis-je, fit donner à l'église le nom de sainte Geneviève, laquelle partagea avec saint Pierre et saint Paul le patronage du lieu (1). Il s'y tint des conciles en 572, 577 et 614. Le premier eut pour but l'arrangement des contestations qui s'étaient élevées dans le clergé; le second, auquel Grégoire de Tours assista, fut convoqué par Chilpéric d'après la volonté de Frédégonde et pour perdre Prétextat, évêque de Rouen; le dernier s'occupa de choses relatives à la discipline ecclésiastique.

En 630, saint Éloy, le patron des orfévres, orna d'argenterie et de pierres précieuses la châsse de sainte Geneviève, dans l'église de laquelle on ensevelit, au commencement du siècle suivant, le corps de saint Céraune, évêque de Paris.

Pour ne pas revenir sur les sépulcres de la basilique de Clovis, je dirai qu'elle renfermait, indépendamment des tombeaux de ce roi, de son épouse et de sa fille, les reliques de sainte Alde ou Aude, une des vierges compagnes de sainte Geneviève, le chef de saint Baudèle et la chasuble de saint Pierre, apportée d'Antioche tous ces restes et ce vêtement sacerdotal étaient, comme on le pense bien, en grande vénération.

Depuis sa fondation, le moutier de Sainte-Geneviève fut

(1) Austregiste, abbé de Saint-Vandrille, mort en 832, est un des premiers écrivains qui donnèrent à la basilique Saint-Pierre et Saint-Paul le nom de Sainte-Geneviève.

regardé comme un lieu d'asile des plus inviolables et des plus saints. Il reçut et protégea contre toutes poursuites Leudastes, comte de Tours, qui avait mal parlé d'un évêque et avait dû, en conséquence, prendre la fuite, car très-grande était alors l'influence des membres de l'épiscopat.

Libre à chacun de penser ce qu'il veut des miracles, du récit desquels les Vies de la sainte sont remplies; je n'ai pas, quant à moi, à m'en occuper.

La basilique fut agrandie, ainsi que plusieurs autres, sous les princes mérovingiens, et Louis-le-Débonnaire vint y prier, en 814, avec une particulière ferveur.

Dans le 1x siècle, la maison des desservants de Sainte-Geneviève eut le sort de beaucoup d'autres couvents, pillés, saccagés, livrés aux flammes par les Normands, Danois ou autres barbares du Nord; les sépultures royales ne furent certainement pas respectées. Les auteurs des différentes histoires de la vierge de Nanterre affirment que les moines eurent la précaution d'enlever les reliques de leur sainte et de les transporter à Draveil près de Corbeil (terre donnée par Dagobert), à Athys et à Marisy, lieux de leur juridiction; mais un des abbés de la maison, Étienne de Tournay, affirme positivement dans une lettre adressée à l'évêque que le corps de la vierge ne fut point épargné.

Qui faut-il croire de cet abbé ou de ses successeurs?

Quoi qu'il en soit, la basilique de Clovis, profanée et souillée par les sauvages pirates de la Seine et de la Loire, resta en ruine, ou à peu près, pendant cent quarante-trois ans environ, c'està-dire jusqu'au temps du roi Robert dit le Bon, qui la fit res

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