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Suger en fut chargé, et reçut à cet effet les instructions du pape, qui voulait que l'on introduisit à Sainte-Geneviève des moines de l'ordre de Cluny. Mais ce premier projet ne fut pas mis à exécution, soit que les chanoines eussent présenté une humble supplique au pape, soit que Suger eût vu des inconvénients à faire ce qui lui était prescrit; bref, il demanda à Gilduin, abbé de Saint-Victor, douze de ses moines, avec Oddo ou Eudes pour abbé de la nouvelle congrégation, et il les installa. C'est ainsi qu'une communauté de chanoines réguliers de SaintAugustin remplaça une communauté de chanoines séculiers.

Le vertueux Guillaume, rappelé alors de son exil, revint à Sainte-Geneviève et y fut sous-prieur; appelé ensuite en Danemark par le roi de ce pays, il y introduisit la discipline monastique (1).

L'abbaye royale de Sainte-Geneviève ne date, à proprement parler, que de ce moment; nous verrons qu'une seconde et dernière réforme, devenue urgente, fut opérée au XVIIe siècle.

Cependant les anciens chanoines avaient supporté avec un chagrin non équivoque, une mauvaise humeur extrême, l'introduction dans leur couvent des religieux de Saint-Victor; ils

(1) On lui fit cette épitaphe rapportée par Bollandus :

PARISIIS NATUS,

DICTIS FACTISQUE beatus,

MUNDO SUBLATUS

JACET HIC GUILLELMUS HUMATUS.

Dans ce temps-là fut fondé, rue de la Montagne-Sainte-Geneviève, le collége des Danois ou de Dace pour les écoliers d'une nation désormais en rapports directs avec l'abbaye.

firent d'abord tout ce qu'ils purent imaginer pour molester ces nouveaux hôtes ils les troublèrent scandaleusement dans la célébration du service divin, les molestèrent de diverses façons, et enfin répandirent le bruit, en 1161, que ces réformateurs, qu'ils regardaient comme des intrus et des usurpateurs, avaient dérobé la tête de la patronne.

Le peuple s'émut, le roi envoya poser son sceau sur la châsse, puis il en fit faire solennellement l'ouverture; la tête fut trouvée à sa place, et la colère publique se calma aussitôt.

En 1163, l'abbé Eudes quitta Sainte-Geneviève pour rentrer à Saint-Victor, où il retrouva un calme que sans doute il regrettait; mais l'œuvre de la réforme était consommée. Cette même année, le pape Alexandre III déclara par une bulle que SainteGeneviève était sous l'autorité immédiate du saint-siége.

Sous Étienne de Tournay, abbé, de grands travaux furent entrepris à Sainte-Geneviève et réparèrent les anciens dégâts faits par le temps et par les hommes: on restaura et agrandit le cloître et l'église, on perça des fenêtres, on construisit des yoûtes, on couvrit de plomb la toiture; le tombeau de Clovis, enlevé de la crypte, vint prendre place au milieu du chœur de l'église supérieure, où la châsse de sainte Geneviève fut aussi apportée (1).

Le nécrologe latin du couvent nous apprend qu'en ce temps un chanoine de Paris, qui était aussi chantre à Sainte-Geneviève, éleva de ses deniers la tour abbatiale ou clocher, aujour

(1) Son sépulcre resta toutefois dans la crypte. La date de ces réparations et changements varie, dans les auteurs, de 1170 à 1190. Il faut adopter de préférence celle de 1178 du manuscrit de la bibliothèque déjà cité.

d'hui enclavée dans les bâtiments du collége Henri IV; la mort le surprit et ne lui permit pas de poursuivre son œuvre au delà du premier étage. Ce Thibaud ne borna pas à cette fondation ses bienfaits, il donna à l'abbaye sa prébende canonicale (1). Le deuxième et le troisième étage de la même tour furent élevés peu après (2), et un personnage du nom de Maignaud, dont on ignore entièrement la condition, fit rétablir le porche de l'église (3).

J'ai lu dans Crevier que l'abbé Étienne de Tournay, trouvant dès son arrivée les classes de Sainte-Geneviève hantées par un public trop nombreux et sans doute bruyant, craignit que la paix monacale n'en souffrît, et que les chanoines ne prissent des habitudes mondaines peu convenables à leur état. C'est pourquoi il établit prudemment une école intérieure pour la communauté ; l'ancienne fut laissée à la jeunesse du dehors. Cet abbé devint évêque, en 1191, de la ville dont il porte le nom.

En 1190, sous le règne de Philippe-Auguste, l'enceinte de Paris s'agrandit, et ses murailles traversèrent un vaste enclos de vignes situé au midi de l'abbaye et qui était de son domaine. Le déplacement des limites occasionna quelques contestations entre les religieux et l'évêque au sujet de la paroisse de la montagne : je ne reviendrai pas sur ces différends qui se reproduisirent plusieurs fois.

(1) Obiit Thebaldus sacerdos et præcentor, qui præbendam sanctæ Mariæ tribuit huic ecclesiæ, et turrim usque ad primum solium erexit, baculum præcentoris, auro et argento, cum lapidibus decoravit. 10 kalend. April.-' Cette tour contenait deux grosses cloches.

(2) Ms. de Sainte-Geneviève.

(3) Obiit Maignaudus qui porticum ecclesiæ fecit. (Nécrologe.)

Six ans après, il y eut une si grande inondation, que le roi fut contraint de se retirer sur les hauteurs de nos moines. On croit qu'il établit momentanément sa résidence aux Thermes; mais ce n'est là qu'une simple conjecture. A cette même époque, Innocent III permit à l'abbé Jean, pour orner sa dévotion et honorer son église, de porter la mitre et la crosse ; les successeurs de cet abbé usèrent, jusqu'au dernier, de cette permission qui flattait leur orgueil monacal et leur permettait de prendre des airs d'égalité vis-à-vis de l'évêque, lequel n'avait sur eux aucun pouvoir.

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Au commencement du XIVe siècle, éclatèrent de nouveaux démêlés entre l'évêque et l'abbaye au sujet de la chapelle paroissiale dédiée d'abord à Notre-Dame, puis à saint Jean-l'Évangéliste ou saint Jean-du-Mont, aujourd'hui Saint-Étiennedu-Mont. L'accroissement de la population avait nécessité la construction de cette petite église contiguë à celle de l'abbaye et toujours desservie par un religieux de Sainte-Geneviève dit chapelain; le couvent, jaloux de ses droits et craignant une sorte de concurrence de la part de cette chapelle, avait voulu qu'elle fût une annexe de la nef abbatiale: Saint-Jean ne jouissait point d'une entrée particulière; pour y arriver, il fallait passer sous le porche de Sainte-Geneviève, où étaient les fonds baptismaux.

La décision du pape fut favorable à l'évêque; il y eut par la suite d'autres petites querelles entre les deux églises. J'en dirai quelques mots.

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D'après le manuscrit déjà mentionné plusieurs fois, la création du recteur de l'Université date de 1215. « Avant, dit-il,

c'étoient l'abbé et le chancelier de Sainte-Geneviève qui en faisoient l'office, » Ce fonctionnaire s'appelait Capitale scholarum (scholâtre).

Plusieurs historiens placent à la date de 1226 et 1246 la permission donnée à l'abbé de Sainte-Geneviève de porter la mitre et la crosse, et ils l'attribuent au pape Grégoire IX; j'ai adopté de préférence la version de notre manuscrit.

Ce même pontife interposa son autorité, en 1227, entre Jean de Candel, chancelier des écoles de la Cité, et le chancelier des écoles de Sainte-Geneviève à la requête de l'abbé de cette maison. Candel, voulant renfermer dans l'île l'enseignement théologique au détriment de la montagne, s'avisa de faire jurer à ceux à qui il conférait la licence qu'ils n'enseigneraient pas dans les quartiers ultrapontains, si l'on peut employer ce mot non ultra pontes. Grégoire IX rendit une bulle favorable à la liberté de l'enseignement, et portant défense à Candel d'imposer des serments de ce genre à ses récipiendaires.

Vers cette époque, la reine Blanche, mère de Louis IX, qui avait une grande dévotion à sainte Geneviève, fit présent à son autel « d'un parement d'étoffe précieuse;... tous les évêques de Paris, ajoute le manuscrit, sont obligés, lorsqu'ils font leur entrée, après avoir fait serment, sur cet autel, de conserver inviolablement les priviléges de cette abbaye, d'y offrir aussi un parement de quelque étoffe précieuse pour son ornement. » Je passe sous silence d'autres dons enregistrés par le chroniqueur.

En 1242, saint Louis régnant, et Robert de la Ferté-Milon étant abbé, une nouvelle châsse fut faite pour la patronne par

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