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pérances. « Si Napoléon abdique en faveur de son fils, l'Autriche acceptera une régence au nom du roi de Rome et soutiendra cette combinaison; M. de Metternich s'y est formellement engagé, » disait-il aux membres qui désiraient maintenir l'établissement impérial; et en même temps il laissait échapper des demi-confidences sur ses rapports déjà ébruités avec le premier ministre autrichien. « L'Angleterre s'est formellement expliquée en ratifiant le traité du 25 mars; les autres puissances ont adhéré à ses déclarations; on laissera la France libre de choisir le gouvernement qui lui conviendra, » ajoutait-il en s'adressant ensuite aux nombreux partisans du duc d'Orléans et en leur faisant entendre qu'il avait sur les dispositions des alliés, à l'égard de ce prince, des assurances positives et personnelles. — D'un autre côté, MM. de Lafayette, Lanjuinais et plusieurs autres représentants auxquels un long passé politique semblait donner une expérience consommée des révolutions, s'adressant aux membres incertains ou timides, leur disaient : « Hier, la Chambre en temporisant a commis une faute; Bonaparte, abattu par les revers, n'a pas osé en profiter; il pouvait, pendant la nuit, dissoudre la Chambre et ressaisir la dictature; il a manqué de résolution; ne l'imitons pas ! si la Chambre hésite, demain, ce soir peut-être, un nouveau coup d'État plongera la France sous le despotisme le plus intolérable et dans la plus effroyable anarchie.» La Chambre dissoute ou Napoléon renversé, voilà effectivement l'alternative que, le matin du 22, se posaient la plupart des députés en se rendant au Palais-Législatif.

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L'ouverture de la séance avait été fixée à huit heures du matin. Toutes les tribunes publiques, lorsque les représentants arrivèrent, étaient déjà envahies, et les curieux qui n'avaient pu y trouver place, stationnaient en groupes assez nombreux aux portes extérieures du palais; douze ou quinze cents gardes nationaux, amenés par le major Billing, sur la réquisition de la commission administrative', et dont la moitié avait passé la

1. La commission administrative se composait des représentants Lefeuvre, Pénières, Garnon et Labbey de Pompières. Les gardes nationaux amenés par

nuit sous les armes, occupaient toutes les avenues de la salle; des officiers de cette milice encombraient les portes et les couloirs intérieurs. A huit heures et demie, la Chambre se trouva au grand complet; en revanche, le fauteuil de la présidence demeurait vide des voix, parties de tous les bancs, demandèrent qu'un des vice-présidents y montât; mais aucun d'eux ne se trouvait dans la salle. Des exclamations confuses, des cris signalèrent long-temps l'impatience de l'assemblée. Enfin, à neuf heures et demie, les réclamations bruyantes de la majorité obligèrent un des secrétaires, M. Bedoch, de s'installer au fauteuil et de déclarer la séance ouverte. M. Bedoch annonça que la rédaction du procès-verbal de la dernière séance n'étant pas encore terminée et le rapport de la commission extraordinaire nommée pour s'entendre avec les ministres n'étant pas encore prét, il accorderait immédiatement la parole à ceux des membres qui auraient à saisir la Chambre d'une proposition. M. Leyraud (de la Creuse) parut aussitôt à la tribune; mais il essaya vainement de parler; des cris nombreux, persistants, de: La commission! le rapport de la commission! couvrirent constamment sa voix. « Il paraît, dit M. Bedoch en profitant d'un intervalle de demi-silence, que la Chambre ne veut s'occuper d'aucune espèce de travail avant le rapport de la commission extraordinaire ? De toutes parts: Oui! oui! En ce cas, toute délibération, jusque-là, restera suspendue. » Après une heure de nouvelle et vaine attente, les réclamations et le tumulte recommencèrent. « Nous sommes responsables envers la patrie de tout le temps qu'on nous fait perdre ! s'écrie un membre. On ajourne le moment de satisfaire le vœu de la Chambre, ajoute M. Henri Lacoste; je demande que la commission soit invitée à venir faire son rapport; il doit être prêt. »

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M. Billing appartenaient, pour la plus grande partie, à la 3e légion. On lit, cette occasion, dans un rapport adressé cinq semaines plus tard (9 août 1815) au comte d'Artois, par le général Dessoles, alors commandant de la garde nationale de Paris : « C'est M. Billing qui, en marchant avec sa légion pour entourer et défendre la chambre des représentants, prête à prononcer la déchéance de Buonaparte, a puissamment contribué à déterminer l'abdication. »

Ce rapport, simple énoncé des résolutions arrêtées dans le conseil de la nuit, était effectivement prêt depuis longtemps. Les trois vice-présidents, collègues du général Grenier, et M. Lanjuinais, réunis de bonne heure à l'hôtel de la Présidence, en avaient entendu la lecture et se disposaient à le porter tous ensemble à la Chambre, lorsque Regnault (de Saint-Jean-d'Angély), accourant de l'Élysée, vint leur annoncer que Napoléon, cédant aux instances de son conseil, semblait décidé à prévenir le vœu de la Chambre, à abdiquer. « Consentez à retarder la présentation de votre rapport, ajoutait Regnault, et vous pourrez communiquer à l'assemblée, non plus l'opinion des ministres et des deux commissions législatives, mais une positive détermination de l'empereur. » Le général Grenier et ses quatre collègues attendirent.

Les frères de Napoléon, ses ministres, et quelques-uns de ses conseillers d'État, réunis en conseil impérial sous sa présidence, s'efforçaient effectivement, depuis le matin, de lui faire prendre une positive décision. Les avis étaient fort opposés.

Lucien voulait que, bravant les menaces des représentants, l'empereur se rendit aux Tuileries, qu'il y réunît toutes les troupes de ligne présentes à Paris, les 6,000 hommes de dépôt de la garde impériale, les fédérés de la garde nationale, et qu'après y avoir convoqué le conseil d'État et les ministres, il prononçat l'ajournement des deux Chambres. « Les représentants, disait-il, pourront protester, ils ne résisteront pas. » Ces conseils énergiques restaient sans écho; au lieu d'enhardir, d'exciter, ils effrayaient. Ainsi plusieurs ministres d'État, Regnault (de Saint-Jean-d'Angély), entre autres, repoussaient toute tentative d'ajournement ou de dissolution comme le signal d'une affreuse guerre civile 1. Carnot lui-même, si résolu la veille au matin, tenait le même langage; toute son énergie était tombée devant l'hostile démonstration des deux Chambres.

1. « Regnault (de Saint-Jean-d'Angély) et Thibaudeau furent les premiers à s'opposer au projet de dissolution et à prévenir ceux (des représentants et des pairs) auxquels il était réservé de le combattre. » (Mémoires de M. de Lafayette, t. 5, page 455.)

La majorité des ministres, invoquant les résolutions arrêtées dans la nuit avec les commissions des deux Chambres, opinaient pour laisser celles-ci négocier directement avec les puissances coalisées. Cet expédient, par cela même qu'il ne terminait rien, plaisait à ces esprits timides. En gagnant quelques heures, ils croyaient tout sauver.

Enfin, Fouché proposait hardiment l'abdication en faveur du jeune prince impérial. Il faisait valoir à l'appui de cette combinaison les mêmes motifs qu'il donnait, hors du conseil, aux partisans d'une régence: « L'abdication, ajoutait-il, conciliait à la fois les intérêts de l'empereur, comme père, comme chef de dynastie, et les nécessités de la situation faite à la France par la bataille de Waterloo. La guerre devenait sans prétexte, et dans le cas où les alliés, mentant à toutes leurs déclarations, continueraient les hostilités, les Chambres, averties, n'hésiteraient plus à employer toutes les forces nationales et à se dévouer elles-mêmes pour la cause du roi de Rome et pour le salut de l'empire. >>

Ces considérations, présentées avec l'apparence de la plus entière bonne foi, amenèrent successivement à l'opinion du duc d'Otrante, Caulaincourt, le duc de Bassano, et Joseph, qu'entraînait, assure-t-on, l'espérance du titre et des honneurs de régent. L'empereur, tantôt assis, tantôt se promenant dans la salle, écoutait d'un air distrait chaque opinion, faisait parfois entendre une critique, sans cependant se prononcer, assistant ainsi aux conversations de ses conseillers en spectateur mécontent, fatigué, plutôt qu'en souverain dont on discutait le maintien ou la chute. « On pouvait remarquer en lui, a dit Benjamin Constant, je ne sais quelle insouciance sur son avenir, quel détachement de sa propre cause, qui contrastaient singulièrement avec sa gigantesque entreprise. Il ne domptait plus comme autrefois les distractions, la fatigue et le sommeil. Sa puissance d'attention semblait à son terme. >>

Pendant que Napoléon, à l'Élysée, ne pouvait trouver en lui-même ni la volonté de remettre le pouvoir, ni la force de le

retenir, la commission de la Chambre des représentants, à l'hôtel de la Présidence, attendait toujours la décision promise par Regnault (de Saint-Jean-d'Angély). Les heures s'écoulaient. M. Lanjuinais, après plusieurs messages inutiles aux ministres, leur fit dire que l'impatience de la Chambre ne permettait plus de différer la présentation du rapport. On lui fit répondre que la commission pouvait annoncer aux députés le prochain envoi d'un message où l'empereur déclarerait approuver la nomination d'une ambassade chargée de traiter de la paix et où il offrirait de faire à la patrie tous les sacrifices qui lui seraient demandés. La commission quitta le palais de la Présidence.

Il était près de midi quand le président et les quatre viceprésidents entrèrent dans la salle des séances. Leur présence apaisa soudainement le tumulte qui, depuis le matin, n'avait cessé d'y régner; chacun courut à son banc; le plus profond silence s'établit, et le général Grenier donna lecture des résolutions arrêtées dans le conseil tenu aux Tuileries'. L'annonce du message promis par les ministres terminait son rapport.

Cette communication ne répondait pas aux passions emportées de la majorité; des murmures violents l'accueillirent, et un grand nombre de membres s'empressèrent de demander la parole. M. Leyraud (de la Creuse) parut de nouveau à la tribune: « Et nous aussi, s'écria ce député en parlant de lui-même, nous avons réfléchi sur les circonstances difficiles où se trouve la France; nous nous sommes demandé par quels moyens nous parviendrons à sauver la patrie. Pour répondre à cette question, interrogeons les forces qui nous restent. Certes, si nous calculons les forces des armées ennemies, l'imagination s'en effraie...» A ces mots, des cris à l'ordre! à bas! interrompent l'orateur; vainement il s'épuise en efforts pour continuer; les cris à bas! à l'ordre! couvrent constamment sa voix ; il est obligé dé quitter la tribune. M. Crochon l'y remplace; ce représentant déclare

1. V. le texte de ces résolutions, dans le précédent chapitre, page 58.

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