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quitter ma position, » lui répondit le comte Vandamme.

Il se leva néanmoins, mais tout en persistant dans son refus de s'en remettre aux instructions, écrites et pourtant si formelles, qui lui étaient communiquées.

Ne pouvant en rien obtenir, le général Rogniat se décida à franchir la frontière avec ses deux compagnies et son demi-équipage de pont, sans autre appui que la cavalerie d'avant-garde.

Ne comprenant rien à un pareil retard, l'Empereur prit les devants, avec la petite colonne du général Rogniat et marcha droit sur Charleroy, précédé sculement par la cavalerie légère du comte Pajol, et du général Domon.

A huit heures du matin, les deux compagnies des sapeurs et marins de la garde, eurent l'honneur d'attaquer, les premières, la chaussée et le pont de cette ville, et d'y faire leur entrée, à onze heures, ayant l'Empereur à leur tête.

Le général Vandamme n'arriva qu'à trois heures après-midi, à Charleroy, lorsqu'il eût

y être entré en vainqueur, dès dix heures du matin, si la fatalité n'eût pas voulu que l'officier d'état-major, chargé de lui apporter cet ordre, se fût cassé la jambe en route.

PREMIÈRE FATALITÉ de la campagne, qui nous cnleva les avantages que devaient nous assurer les habiles dispositions prises par l'Empereur, dans le but de s'interposer hardiment entre les

deux armées anglaise et prussienne, de les séparer l'une de l'autre; d'écraser Blücher d'abord, et de se retourner ensuite sur Wellington, dont il eût alors eu bon marché, malgré l'incontestable valeur de ses légions. Les trente mille hommes du corps de Ziéten pouvaient donc être, en grande partie, détruits, sans ce funeste accident, et le lendemain, plus de bataille de Ligny ou victoire complète : Dieu en avait décidé autrement!...

Quant à la garde, elle continuait sa marche irrégulière, à travers les ombrages de ces forêts, ignorant ce déplorable contre-temps, lorsque nous reçûmes l'ordre de presser le pas, pour sortir de ce défilé, et de remplacer l'infanterie du général Vandamme.

Mais tout l'honneur de la matinée appartint aux deux compagnies des sapeurs et marins de la garde, qui forcèrent le pont et pénétrèrent les premières dans la ville, où elles se barricadèrent aussitôt, contre un ennemi trop supérieur en nombre, et s'y défendirent ainsi jusqu'à notre arrivée. Leurs pertes furent néanmoins peu considérables, tant il est vrai que l'audace est souvent un bon moyen d'économiser des hommes.

A notre sortie des bois, nous remarquâmes, de distance en distance, de longues perches, surmontées de bottes de pailles; c'étaient, nous diton, les jalons qui avaient servi de guides aux différents détachements de l'arrière-garde ennemie, pour se replier sur leurs soutiens.

Ce pays nous parut d'un bel aspect et d'une végétation vigoureuse. Il est entrecoupé de coteaux boisés, de champs fertiles et de gracieux vallons.

Notre marche guerrière, par une matinée magnifique, au milieu de ces beautés de la nature, avait quelque chose de romantique, et cependant nous allions à la mort!...... avec une abnégation, et presqu'avec une sorte de joie, car la gaîté était empreinte sur toutes les figures. Passait-il une cantinière, tant soit peu égrillarde, vite un mot galant, un geste même, faisaient retentir toute cette colonne de vieux soldats, d'une bruyante hilarité. Mais la gràvité revint, lorsque l'on nous fit encore précipiter notre marche. Nous n'étions déjà plus qu'à une demi-lieue de Charleroy, que nous découvrîmes, peu à près, en amphithéâtre sur la rive gauche de la Sambre, et séparée seulement de nous par des prairies et un coteau boisé, que nous allions franchir en quelques minutes.

Au bas de ce coteau, dans une maison isolée, servant d'hôtellerie au voyageur, nous rencontrâmes les premiers trophées de notre avantgarde; c'était une centaine de fantassins prussiens, faits prisonniers par les 4 et 9e régiments de chasseurs à cheval, et que l'on y avait placés, après leur avoir fait déposer les armes à quelques pas de la grande route.

Nous marchions, en ce moment, en colonnes

;

par sections de toute la largeur de la chaussée ; nous leur jetâmes, en passant, un regard mêlé de curiosité et d'intérêt, car tel est l'esprit d'un vrai soldat: il devient humain et généreux envers son ennemi, dès l'instant qu'il a mis bas les armes.

Arrivés au pied de Charleroy, notre mouvement se ralentit, pour traverser le pont, mais bientôt nous montâmes la ville, car l'Empereur était déjà, depuis quelques heures, en avant d'elle. Chacun se demanda la cause de cette halte si brusque que l'on nous ordonna à la sortie, après nous avoir fait précipiter notre marche, et surtout alors que nous apercevions l'ennemi en position au-dessus de Gilly. C'était la brigade à qui avait été confiée la défense des ponts de Charleroy et de Chatelet, et qui s'était retirée là pour y garder le défilé du bois de Fleurus.

L'ennemi n'avait que sept bataillons, huit pièces de canon et un régiment de dragons; mais il profita du loisir qu'on lui laissait si gratuitement pour embarrasser la route par quelques abattis d'arbres.

Bien que l'Empereur eut sous la main des forces bien supérieures, l'attaque ne commença cependant que vers six heures. Est-ce encore la faute du général Vandamme, dont tout le corps d'armée se trouvait en ligne, ou celle du maréchal Grouchy qui peut-être crut avoir devant lui toutes les troupes de Ziéten ?... L'Empereur attendait-il que toute l'armée eût passé la Sambre; est-ce

enfin parce qu'il voulait avoir des nouvelles de la marche du deuxième corps vers Gosselies?.... C'est encore une énigme pour nous, et cependant l'on a assuré qu'irrité du temps perdu, mécontent de voir l'ennemi lui échapper, Napoléon, après être allé lui-même reconnaître ce corps prussien, se retournant vers un de ses aides de camp, en lui montrant ses escadrons de service, lui aurait dit LETORT, PRENEZ MES ESCADRONS, CHARGEZ » ET ENFONCEZ TOUT CELA! »

Ces quatre escadrons partent, s'élancent sur les carrés, en culbuttent un, et forcent cette brigade à continuer sa retraite.

Quoi qu'il en soit de la cause, on perdit encore là, trois ou quatre heures de la journée, que l'on eût pu employer bien utilement, car notre avantgarde eût dû aller prendre position à Fleurus même, ou du moins têter le pouls à Ziéten, s'il était tenté de défendre ce gros bourg (a).

(a) Voici l'explication donnée par le maréchal Grouchy sur le peu de résultats du combat de Gilly; explication qui vient à l'appui de plusieurs des accusations trop justement fondées que nous serons dans le cas de porter contre certains officiers-généraux. L'histoire doit recueillir tous ces aveux, quelque pénibles qu'ils soient à consigner :

་་

Le maréchal Grouchy avait établi, depuis quelques jours, son quartier-général à Laon, quand, le 14 juin, l'Empereur arriva dans cette ville et l'envoya chercher. Il lui exprima d'abord son étonnement de l'y trouver encore, et lui demanda si les troupes à cheval étaient rendues à la frontière, l'ordre de les y porter ayant dû lui être expédié.

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