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et légère. C'était, enfin, une architecture extraordinaire qui, malgré l'assertion de Pons et de Céan, n'était pas celle de Michel-Ange, dont les ouvrages sont dans le goût de la véritable architecture gréco-romaine. Ce genre mixte eut cependant plus d'influence qu'on ne devait le croire. La sculpture, il est vrai, prit de là son essor, et parvint, dans ce seizième siècle, à son plus haut degré de splendeur, comine le prouvent les ouvrages de Vigarni, de Berruguete, Valdelvira, Siloé, Becerra Monegro, Vergara, Étienne Jordan, Raphaël de Léon, si connu par le superbe chœur de Val de Iglesias, et beaucoup d'autres.

Quoi qu'on dise de la correction dans le dessin, et des nobles maximes que suivaient alors les peintres espagnols, cette époque ne fut cependant pas la meilleure pour la peinture. Les maximes de Michel Ange et de Raphaël, fondées sur l'étude de l'antique, étaient préférables à celles de ces derniers temps; mais l'Espagne sortait, pour ainsi dire, des ténèbres. La nature ne lui avait pas ncore accordé ces génies fougueux et créateurs qui distinguerent les grands maîtres du dix-septième siècle. Il faut dire aussi que les poëtes espagnols du seizième âge, supérieurs en goût, et sans doute en mérite, à ceux du siècle suivant, n'avaient cependant ni le feu, ni la grâce, ni l'abondance d'un Lope de Vega, d'un Quévedo, et d'autres littérateurs de leur temps.

Ce seizième siècle produisit cependant, en peinture, quelques grands maîtres.

Vincent Joanes, l'auteur de la Cèné, qu'on a vue chez M. Bonne-Maison, et de plusieurs beaux tableaux qu'on retrouve à Madrid, mérite, quoique sec, d'être compté parmi les premiers talens de toutes les écoles.

Le correct, le noble Louis de Vargas, auteur d'une descente de croix, dans l'hôpital de las Bubas, à Séville, est peut-être le plus grand dessinateur qui jamais ait existé.

Le divin Morales, Sanchez Coëllo, Cotan, Carbajal, Barroso, Louis Velasco, et beaucoup d'autres, avaient chacun un mérite assez transcendant pour souffrir l'ana

lyse la plus sévère, et gagner dans les comparaisons avec de grands émules des autres écoles.

Fernandez Navarrete, surnommé avec raison le Titien de l'Espagne, fut un prodige. Très-jeune, il était devenu sourd et muet; cependant il fut le meilleur de cette belle époque. Il avait de la hardiesse, et l'emportait sur tous ses rivaux par la couleur.

Le passage du seizième au dix-septième siècle fut des plus brillans. L'Escurial avait fixé le goût des arts en Espagne.

L'architecture gothique et mixte avait disparu.

Dans Monegro et Léoni la sculpture conservait deux soutiens de sa splendeur.

Les peintres abandonnaient leur timidité, et la remplaçaient par un pinceau vigoureux et correct.

A Séville, le riche Roëlas, le fougueux Herrera, préparaient une nouvelle école.

A Madrid, Vincent Carducho, Eugène Caxès et d'autres se faisaient distinguer par l'exactitude du dessin et le charme de la couleur.

A Valence, les Ribalta, les Orrente, ramenaient les écoles romaine et vénitienne, et développaient des talens supérieurs.

A Tolède, Louis Tristan, le père Mayno, maître de Philippe IV;

A Cordoue, le savant poëte et peintre Cespedes,
Se faisaient tous remarquer.

Le règne de Philippe III, qui dura de 1598 à 1621, fut encore celui du bon goût dans l'architecture, fomenté par les élèves d'Herrera, surtout par le fameux

Mora.

La peinture, il est vrai, comptait peu de partisans. Le dessin n'était plus celui de l'antique. L'école de ce temps se faisait remarquer seulement par un coloris plus onctueux ; mais tout annonçait une décadence prochaine. C'est alors que, par un prodige assez difficile à expliquer, le règne de Philippe IV, qui fit déchoir la sculpture, et plongea l'architecture dans un degré inouï ãe corruption, fut celui qui, dans l'art de peindre, vit éclore ces talens supérieurs, qui assignent à l'Espagne un

rang éminemment distingué dans le temple des arts. Ce prince, passionné pour les plaisirs, eut une cour brillante. Tous les courtisans pétillaient d'esprit, faisaient des impromptus, et substituaient les pointes et les rébus à la manière du règne précédent, dont le caractère portait l'empreinte sévère des anciens; on courait au bal et au théâtre, tandis qu'on perdait le Roussillon et le Portugal.

Dans les premières années de ce règne désastreux, on vit cependant paraître l'un des plus grands, et le meilleur des maîtres espagnols peut-être. L'illustre Velasquez de Silva vient à Madrid, peint le roi sous les auspices du duc d'Olivares, obtient la faveur du monarque, et bientôt embellit la cour par ses productions magnifiques.

Alphonse Cano, élevé à Séville, y passe sa jeunesse dans une constante étude, et devient un talent supérieur, comme peintre, architecte et sculpteur. Après avoir parcouru l'Espagne, il se présente à Madrid, y cause une grande sensation. On veut l'y retenir; mais il préfere un canonicat pour Grenade, que bientôt il sait orner d'œuvres dignes de tout éloge.

François Zurbaran s'immortalisait à Séville par son tableau de saint Thomas, qui lui valut tous les suffrages: on a pu juger à Paris s'ils étaient mérités.

Espinosa, dans Valence, obtenait la palme de la pein

ture.

Moya, l'un des plus parfaits élèves de Wandick, imitait son maître au point de surprendre et de laisser dans le doute les observateurs.

Un jeune homine, né pour les arts, sans appui, sans secours, se procure une pièce de toile, en fait des tapis de fleurs; et avec le produit, qui tout au plus le pouvait conduire à Madrid, part de Séville pour Rome. Il arrive dans la capitale des Espagnes, voit Velasquez. Ce grand artiste ouvre au voyageur les trésors des palais, et particulièrement de l'Escurial. Le candidat, pendant trois ans, copie Rubens, Wandick, Titien, l'Espagnol Ribera qui enchantait alors l'Italie, et cherche surtout à imiter Velasquez. Il retourne dans sa patrie; c'est là donpant l'essor à des inspirations qu'il ne tenait que de lui

que,

même, Murillo balance la réputation de son maître, commande à l'estime et à l'admiration générale par son inimitable coloris, le flou de son pinceau, le vrai de ses chairs et la suavité de son style.

La sculpture en décadence se soutenait cependant encore. Gaspard Delgado et le Montagnès, à Séville, faisaient des statues agréables, gracieuses, bien dessinées, et surtout bien drapées.

Alphonse Cano imitait la simplicité de l'antique avec la grâce que l'on retrouve en ses peintures.

Hernandez, en Castille, abandonnait la manière de Buonarota, qui y régnait, puisque les bons sculpteurs du seizième siècle apprirent en Italie; mais il étudiait d'après nature, et parvint à un mérite si transcendant, que, s'il était facile de transporter ses ouvrages, il jouirait dans l'étranger d'une renommée égale à celle de Velasquez et de Murillo en peinture.

Pereira terminait cette statue de saint Bruno, qui forçait tous les amateurs de tous les pays à s'arrêter rue d'Alcala, devant le couvent de las Baronesas, dont elle ornait le portail.

Les colonnes torses, le goût, que les Espagnols appellent talla (qui sont des fleurs de bois dorées), entraînaient l'architecture vers sa ruine. Jean Gomez de Mora, élève d'Herrera, dont j'ai parlé, la soutenait encore par ses ouvrages; mais à sa mort, qui eut lieu en 1648, il ne resta aucun architecte pour suivre les règles de Vitruve et de Vignola.

Le dix-septième siècle touchait à sa fin. Philippe IV n'était plus: Velasquez, mort avant le roi, avait laissé son gendre Martinez del Maso le plus grand paysagiste espagnol.

Murillo soutenait à Séville une académie d'artistes, laissait des élèves assez faibles, si ce ne sont Villavicencio, son ami; Tobar, qui le copiait à s'y méprendre ; et un très-petit nombre d'autres.

Pereda, Carreno, Cerezo, étaient alors les meilleurs peintres; mais, en ce moment, il parut un génie pour la peinture.

Claude Coello, né sous Philippe II, eût été l'un des

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plus grands artistes de ce temps, comme il le fut du sien. Le tableau de l'Eucharistie, dans la sacristie de l'Escurial, est sans doute l'un des tableaux les plus extraordinaires que jamais ait créés aucun artiste d'aucune école.

Pierre Roldan, sculpteur, de Séville, et Pierre de Mena, élève de Cano, de Grenade, faisaient des statues qui, sans avoir rien de l'antique, rendaient exactement la belle simplicité de la nature. Celles du premier sur tout sont pleines d'expression et bien drapées.

La peinture meurt avec le siècle et les arts. Les lettres l'avaient précédée au tombeau ; tandis que la France, sous Louis XIV, acquérait la supériorité, par les armes, sur le monde, et le surpassait en lumières, l'Espagne perdait sensiblement toute sa splendeur.

Ne pourrait-on pas définir ainsi les causes de cette décadence?

La philosophie n'avait pas suivi la route des arts ni des belles-lettres.

L'Italie s'enorgueillissait du Tasse, de l'Arioste, de Guichardin, et n'avait pas un philosophe.

En Espagne, tandis que Granada et Cervantes, Léon et Herrera, Jauregui et Valbuena, fixant les bornes du langage, inspiraient un goût mâle, le scolasticisme dominait dans les universités, les couvrait des ténèbres les plus épaisses, et se préparait à ensevelir l'illustration qu'avait acquise cet heureux pays.

Le fanatisme sombre que Philippe II légua sans nul doute à l'Espagne, sans léguer ses talens pour régner, augmentait le mal en retardant les progrès de la philosophie. (1)

Taxée d'impiété, jamais elle ne put éclairer ces climats. Ce goût de la métaphysique des écoles parvint à cor

(1) La philosophie dont je parle n'est sans doute pas cette frénésie dont nous sommes victimes depuis vingt-cinq ans. Je parle de celle qui, laissant aux lumières le soin de se propager, n'arrête que les excès. Je parle de cette saine philosophie qui, sœur de la tolerance, vient de s'asseoir sur le trône avec Louis-le-Désiré, dont elle semble en effet diriger toutes les intentions particulières.

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