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Espérons, pour celle des cordonniers, que l'on imprimera les œuvres de maître François, dont le talent a fait, il y a cinq ans, pendant deux mois, presque autant de bruit que celui de maître Adam en fait depuis deux siècles.

Il a dû sans doute occuper l'attention. Qu'un homme sans étude, sans instruction, ait conçu et versifié un ouvrage dont tous les vers ne sont pas mauvais, cela doit surprendre. Ce goût pour un art qui semble ne devoir être apprécié que par les esprits cultivés, doit plaire d'autant plus qu'il se manifeste dans un esprit sans culture. L'étonnement excité par les essais qu'il produit, si faibles qu'ils soient, s'explique. Mais, que cet étonnement se change en admiration, voilà qui a besoin d'être expliqué.

Ce dernier sentiment, si l'ouvrage qui en est l'objet ne le justifie pas, ne peut provenir que de la sottise ou de la malignité.

De la sottise, si c'est de bonne foi qu'on admire des productions imparfaites; de la malignité, si, comme cela arrive presque toujours, l'admiration n'est qu'affectée.

Un homme de goût pourra s'étonner, non du poëme fait, mais de ce que le poëme a été fait. S'il sort de cette sage réserve, tenez-vous pour assuré qu'il est de mauvaise foi, et que les éloges qu'il prodigue à cet homme de métier ont moins pour objet d'élever son mérite que de rabaisser celui des gens du métier.

Si l'on voulait scruter sincèrement la disposition d'esprit avec laquelle on juge le plus habituellement les ouvrages d'esprit, on reconnaîtrait que, je ne sais quel sentiment d'envie s'y mêle dans une proportion quelconque. Tout homme qui écrit pour le public semble faire, par cela même, l'aveu de la conscience qu'il a de sa supériorité. Nous sommes d'autant plus disposés à le faire descendre au-dessous de nous, qu'il a prétendu se placer au-dessus. Quel moyen plus efficace de rabaisser les beaux esprits, que de rabaisser l'art qu'ils cultivent!

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et quel meilleur moyen de rabaisser cet art, que d'exagérer la facilité avec laquelle les succès s'y obtiennent! Sied-il tant de s'en prévaloir, après de longues études, quand on les voit devenir le prix des premiers essais d'un ignorant ouvrier? raisonnement tacite qui, dans l'opinion de celui qui le fait, met les lettres au niveau des vils métiers, et par lequel l'homme du monde se guinde au-dessus de l'homme de lettres, de toute la hauteur de laquelle sa vanité contemple le poëte qu'il vante par dédain pour la poésie.

Qu'a-t-il fait cependant le poëte à tablier? un poëme? Non; mais une chose qui ressemble à un poëme.

L'action d'un singe ressemble quelquefois à celle d'un homme, et rien de plus naturel que de s'en étonner. La surprise doit être d'autant plus vive que l'animal auquel appartient cette action, semble moins organisé pour la faire, encore qu'il la fasse sans utilité. Mais qui jamais a conclu de cela, qu'un singe valait un homme, ou qu'un homme ne valait pas mieux qu'un singe?

Telles sont les réflexions, un peu sévères peut-être, que faisait un vieillard de ma connaissance, au sujet de l'engouement occasioné par une tragédie de maître François, l'un des plus habiles cordonniers de la capitale. Elle ne manquait ni de formes ni de mesures. Divisée en cinq actes, lesquels se divisaient en scènes, subdivisées en tirades, composées de vers masculins et féminins, rangés dans l'ordre voulu, c'était un ouvrage régulier. Il n'y avait pas de fautes. On en conclut qu'elle abondait en beautés. Les connaisseurs, c'est-à-dire, ces gens qui, sans réputation, prétendent faire les réputations, parlèrent du nouveau drame avec enthousiasme, en colportèrent des extraits, et finirent par promener le poëme et le poëte de salon en salon, demandant s'il y avait beaucoup d'hommes en état de faire aussi bien? s'il y en avait un seul en état de faire mienx, fùt-ce maître F....... lui-même, qui, à la vérité, n'écrit pas comme un cordonnier. Les lectures réduisirent les choses à leur juste valeur. Tous les gens de bon ton en entendirent une; et l'on convint bientot que cette tragédie, qui était un prodige d'artisan, n'était pas un prodige de l'art.

L'artisan n'eut heureusement qu'à se louer de cette yogue momentanée. Les cadeaux accompagnèrent souyent les complimens qu'on lui prodiguait; cadeaux, au reste, dignes d'un homme de lettres. C'était un Voltaire, un Plutarque, un Boileau, reliés en veau: cela était bien. On y joignit une pension: cela était mal; quoique, si on a eu le tort de la donner, on n'a pas eu celui de la payer. Sont-ce là des prodiges qu'il faut multiplier? Je voudrais bien savoir si le Mécène qui donne cent louis de pension au faiseur de souliers, qui, sans avoir étudié, fait une tragédie, en donnerait une pareille au faiseur de tragédies qui, sans l'avoir appris, ferait une paire de souliers, ce qui serait aussi un prodige!

La tête ne tourna pas à maître François. Comme il a plus de bon sens encore que de génie, il n'a pas abandenné le métier pour l'art. Il ne versifie que dans ses momens perdus; et nous avons un rimeur de plus, sans avoir un cordonnier de moins.

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Le génie est un don de la nature; je le sais. Il peut se trouver dans les gens de toutes les classes : je le sais aussi. Mais peut-on prendre pour du génie la manie de rimer, qui se trouve aussi dans toutes les classes? Des rim's rapprochées ne terminent pas toujours des vers, comme des vers ne sont pas toujours de la poésie. Je ne vois rien d'étonnant à ce qu'un homme sans éducation imite, assez exactement même, la forme des vers, si elle a par sard attiré son attention; cherche à reproduire des consonnances qui auront plu à son oreille, et parvienne à fabriquer des vers carminiformes, comme dit maître Rabelais. Rien dans tout cela que de mécanique. Un ignorant peut faire de mauvais vers sans esprit, puisque des érudits sans esprit en ont même fait de bons. Il n'y a là aucun prodige.

Mais qu'un homme de la lie du peuple, élevé sur le fumier, nourri dans les étables, abreuvé dans les tavernes, devine l'art du théâtre, en y remplissant les plus viles fonctions; que l'observation lui tienne lieu d'éducation; que le génie lui fasse inventer ce que les autres apprennent, créer ce qu'ils imitent, et imaginer ce que, depuis, Voltaire et Ducis imiteront: voilà un prodige!

voilà l'homme que l'orgueil national ne peut pas trop encourager! voilà celui à qui la munificence des grauds doit ses prodigalités, à qui l'admiration des contemporains doit un mausolée, et celle de la postérité des honneurs séculaires.

Le génie brut, que l'esprit et le talent des poëtes qui lui succèdent depuis trois siècles, n'ont pu déposséder de la première place, ne s'est montré qu'une fois, et que chez un peuple: c'est Shakespear!

(On annonce, dans ce moment, un nouveau prodige littéraire. Un maître vitrier vient, dit-on, de faire paraître un recueil de vers de sa façon. Ne connaissant ni le nom, ni les vers de ce maître, nous déclarons que nous sommes fort éloignés de lui faire l'application des principes généraux posés par l'auteur de ce fragment, et que nous n'avons l'intention de casser les vîtres de personne.) (Note de l'éditeur.)

CORRESPONDANCE DRAMATIQUE.

Scarron, de burlesque mémoire, avait opéré une révolution parmi les auteurs et le public. Son Virgile Travesti eut un tel succès, que les libraires de son temps, pour avoir du débit, parodièrent les ouvrages les plus sérieux. Enfin on poussa l'extravagance jusqu'à imprimer la Passion en vers burlesques. Excepté le Roman Comique, tous les ouvrages de Scarron ne sont plus guère lus aujourd'hui. On ignore sans doute que ses Nouvelles en prose ont fourni à Molière une des principales scènes du Tartufe; à Beaumarchais, le second acte du Mariage de Figaro ; et que celle qui a pour titre la Précaution Inutile a donné au père de la comédie l'idée de son Ecole des Femmes.

C'est dans cette même Nouvelle, Monseigneur, qu'un auteur anonyme vient de puiser une petite comédie en un acte et en prose, qui a été représentée au théâtre de la Porte Saint-Martin, sous le titre de la Nouvelle

Agnès. C'est l'Isabelle de l'Ecole des Femmes telle que Scarron l'avait conçue, et telle que Molière s'est bien gardé de nous la représenter. La Nouvelle Agnès, comme dans celle du conte, monte la garde, armée de pied en cap, auprès du chevet du lit nuptial, pendant que son mari jaloux dort, et elle croit que les devoirs du mariage se bornent à ce ridicule exercice. Le mari de cette Agnès est opposé à un mari confiant, heureux et qui s'est uni à une femme coquette, mais vertueuse. V. A. doit voir que cette donnée ne pouvait tout au plus donner matière qu'à une parade qui n'a même pas fait

rire.

Le théâtre de la Porte Saint-Martin devrait chercher à jouer de bonnes comédies, et à sortir, s'il est possible, du genre détestable qu'il paraît avoir adopté. Voudraitil se borner à lutter avec les théâtres de l'Ambigu-Comique et de la Gaieté? Disputerait-il avec eux d'inepties et de platitudes? La Pie Voleuse était un drame agréable; de jolis ballets, des vaudevilles spirituels faisaient espérer qu'il abandonnerait aux boulevarts du Temple les monstrueuses conceptions des Boirie, des Cuveliers et des Guilbert-Pixérécourt. Mais tout à coup apparaît Jean-Sans-Peur ou le Pont de Montereau, drame plus sot encore que ceux qui ont consenti à le faire jouer. Que V. A. se figure trois mortels actes où on a eu la prétention de mettre en scène un trait de l'Histoire de France, et où il n'y a rien d'historique que le titre de la pièce.

Je ne sais d'ailleurs jusqu'à quel point un auteur, ou des auteurs (car je ne jurerais pas que plusieurs écrivains de la même force ne se soient cotisés pour écrire le mélod rame de Jean sans Peur); je ne sais, dis-je, jusqu'à quel point des auteurs peuvent outrager à la fois le bon sens, la langue et l'histoire; mais ce que je puis affirmer, c'est que l'assassinat du duc de Bourgogne sur le pont de Montereau n'est pas assez honorable aux yeux des Français, pour qu'on le traduise sur un de nos théâtres. On le supporterait à la Comédie Française, parce qu'une tragédie est l'école des rois, des gens d'état, et que de beaux vers la

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