Et, pour distraire un peu sa rêverie, Jouait du luth ou bien du chalumeap. Quelques bergers par hasard l'entendirent; Ces bergers-là tout d'abord avertirent D'autres bergers qui de suite le dirent A leurs amis, puis à tout le hameau. Chacun accourt, car on dit qu'en Lydie Comme chez nous on aimait le nouveau. Phébus les voit et se tait. On s'écrie :
Encore, encore; allons donc ! que c'est beau!..... Tonjours les dieux ont aimé qu'on les prie ;
Mais les louer les chatouille encore plus :
Le que c'est beau! charma le bon Phébus. D'un air content, mais plein de modestie, Il poursuivit ses chants interrompus. Autour de lui, les bergers en silence Prêtaient l'oreille et marquaient la cadence, Sans y penser, par leurs gestes naïfs. On aurait lu dans leurs traits attentifs
que chacun ressentait en lui-même; Les doux transports, l'espérance, l'amour, Que dépeignait avec un charme extrême Le divin luth, s'y montraient tour à tour. Parmi la foule était le dieu Mercure,
Tout jeune alors, à ce que
Vif, éveillé, complaisant, beau parleur, M Et par-dessus déterminé voleur.
Volenr! un dieu! pourquoi non? le dirais-je,
A votre avis, s'il n'en était ainsi ?
Non sûrement: je ments peu, Dien merci ;
Et si parfois j'use du privilége, ¦ Croyez du moins que ce n'est point ici.
Or, sachez donc que voler, quoi qu'on dise, Dans le bon temps était le lot des dieux, Vice chez nous, je ne sais quoi chez eux, Joyeuselé, passe-temps, gaillardise,
Bref quelque chose entre bon et mauvais ; Pour l'exprimer le mot manque en français.
Il ne faut pas, pauvres gens que nous sommes, Que nous traitions cela de contes bleus; Nous le savons, la justice des dieux
En aucun temps ne fut celle des hommes. Continuons. Au lieu de s'amuser
A des chansons qu'il ne savait priser, L'escroc divin, dans la foule immobile, Sous un air calme, indifférent, tranquille, Faisait ses tours, exerçait son savoir, Et l'exerçait déjà comme un habile. Il enlevait, d'un geste fort agile, A l'un sa bourse, à l'autre son mouchoir. A droite, à gauche, il eût fallu le voir Jouer des mains, moissonner, dans les poches Des pauvres sols, ce qu'ils pouvaient avoir, Tous, trop distraits pour s'en apercevoir, Trop bonnes gens pour craindre ses approches. Aussi fit-il, et dans moins d'un instant, Force bons coups, mainte et mainte capture; Certes tout autre en eût été content; Lui ne l'était; il s'appelait Mercure, Et l'appétit lui venait en mangeant. Il méditait un coup pour la clôture, Dont il voulait que l'on parlât au loin, Un coup d'éclat, digne d'être avec soin Transmis, prôné, célébré par l'histoire; Car remarquez qu'il yolait pour la gloire, Non pour l'argent. En effet, quel besoin Aurait-il eu de chose aussi mauvaise, Lui qui de rien pouvait vivre à son aise? Il résolut, tous accidens prévus, D'escamoter le troupeau de Phébus, De l'enlever à sa barbe. Il s'approche
D'un gros mouton que l'on nommait Robin, Avec douceur le flatte de la main,
Joue avec lui; puis, tirant de sa poche Un peu de pain dérobé sur le lieu un peu.
Le lui présente en s'éloignant Robin le suit; les brebis à la file Suivent Robin. L'adroit et malin dieu Gagne un sentier qui conduit à la ville: Le voilà sûr du succès de son jeu. Il change alors de style et de manière; Laissant Robin, il se tient en arrière, Et devant lui fait marcher le troupeau. En moins d'une heure à la ville il'arrive : On avait foire; il y vend bon et beau Sans marchander, jusqu'au dernier agneau, Et puis décampe en cas qu'on le poursuive. Je vois d'ici maint censeur mécontent Hausser l'épaule, en disant: Comme il ment! Quelle pitié! croit-il avoir affaire
A des enfans, à des gens sans lumière, Qui, comme on dit, passent tout au gros sas Quoi! les bergers auraient donc pu se taire?" Le chien aussi? Supposez ces deux cas, Monsieur Phébus ne voyait donc pas faire Le ravisseur? on ne le croira guère. Il faut, messieurs, vous tirer d'embarras: Il le voyait, mais il n'y pensait pas; Ses anditeurs n'osaient pas le distraire,
Ses chiens dormaient: voilà tout le mystère.
Le soir arrive; Apollon cesse alors
Ses doux accens, ses aimables accords;
De tous côtés il promène sa vue;
Il cherche en vain. Hélas! plus de troupeau!
A d'autres soins la foule revenue
Lui dit bon soir et retourne au hameau ;
En un moment elle fut disparue.
A la maison il revient bien pénaud, Bien inquiet de ce qu'on va lui dire.
Enfans du dieu des vers, j'ai tracé votre histoire. Occupés de vos chants, ne voyant que la gloire Que vous en devez recueillir,
Vous ne vous embarrassez guère
De ce qu'on fait chez vous, comment vont vos affaires ; La gloire vous est tout. Vous avez beau vieillir,
Jamais on ne vous voit quitter cette chimère
Pour revenir au train vulgaire.
Aussi la pauvreté vous vient-elle accueillir.
Mais, que dis-je? à vos yeux ce reproche est frivole ; Qu'importe donc la pauvreté ?
Les cygnes du Méandre aux rives du Pactole
Ont-ils jamais chanté !
RÉPONSE A UNE PROPOSITION DE MARIAGE.
Cent fois grâce de l'offre honnête
Que vous me faites d'un lien, Où je verrais peut-être un bien,
Si, pour m'assurer ma conquête,
Seize printemps de fleurs paraient encor ma tête. Mais quand de leurs frimas, en attristant mes yeux, Cinquante-sept hivers blanchissent mes cheveux,
Épouser une femme intéressante, belle,
Jeune surtout, et compter sur sa foi! Elle aurait trop d'attraits pour moi, Et j'en aurais trop peu pour elle.
Quand des antres du Nord s'échappe l'Aquilon, Que Zéphyr effrayé s'enfuit des verts bocages C'est alors que la mer, sous un sombre horizon, Se couvre de débris, s'enrichit de naufrages.
La sagesse me dit tout bas :
Noeud d'amour sied mal à ton âge. L'expérience, sur ce cas,
M'en dit, hélas ! bien davantage. Par elle je sais qu'un vieillard, Du dieu d'hymen crédule apôtre, Dans son temple arrivant trop tard, Ne prend femme que pour un autre.
Oh! que ne puis-je m'abuser
Sur le risque, après lui, qu'entraîne un mariage, Et que ne puis-je le briser
Ce miroir véridique où se peint notre image!
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