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nistre et du siècle précédens. Il y va de sa gloire; quelques cajoleries avec cela, et l'ouvrage sera bientôt composé. Aussitôt dit, aussitôt fait; il jette les yeux sur l'abbé M...., l'un de ses confidens intimes. Celui-ci semble avoir toutes les qualités propres à cette mission: adresse, esprit, une certaine réputation philosophique, tout doit assurer son succès. Il part, muni de ses instructions, arrive à Ferney, et peu de jours lui suffisent pour gagner la confiance de Voltaire. Enfin, lorsqu'il se trouve assez d'aplomb pour hasarder sa confidence, il amène l'entretien sur le ministère de Colbert : d'abord il en exagère les bonnes intentions, mais il n'en dissimule pas les fautes; puis il cherche à établir un parallèle entre ce ministère et celui de M. Turgot. Vains efforts! le malin philosophe l'avait déjà deviné; et, s'enveloppant dans sa robe de chambre, il l'écoute long-temps sans l'interrompre. Puis, comme s'il sortait d'une profonde rêverie, il rompt tout à coup le silence, en disant : Mais si j'ai une bonne robe de chambre en soie, où les fleurs sont représentées avec tout le charme, toute la vivacité que leur prête la nature, n'est-ce pas aux encouragemens que M. de Colbert a prodignés aux manufactures languissantes de Lyon que je suis redevable de cet avantage?

Quoique étourdi par cette apostrophe inattendue, l'abbé M.... ne se déconcerte pas; il reprend la discussion, et essaie de nouveau à exalter l'importance des projets de M. Turgot pour la prospérité des manufactures. Mais, s'écrie de nouveau Voltaire en se frottant les jambes, sì j'ai des bas en laine de Ségovie, bien chauds et bien moelleux, n'est-ce pas parce que M. de Colbert a su acquérir à grands frais des métiers à tricoter, et attirer en France les ouvriers qui en connaissaient la mécanique?

D'accord, interrompit l'abbé très-piqué du peu de succés de sa négociation; mais vous conviendrez néanmoins que...... A ces mots, Voltaire tirant sa montre, et la faisant sonner comme s'il n'avait pas discontinué de parler, ajoute: Si j'ai une bonne montre à répétition qui indique à mon oreille l'heure que mes yeux ne peuvent plus apercevoir, ce sont encore les libéralités de Colbert

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qui m'ont procuré la commodité d'une pareille invention. Pour le coup l'abbé M.... n'y tint plus; il sentit tout le ridicule de son personnage. Il changea le sujet de la conversation, et voyant que Voltaire ne désavouerait jamais ce qu'il avait écrit sur le siècle de Louis XIV, il ne fut plus question entre eux, ni de Colbert, ni de M. Turgot. Et moi, toute comparaison à part, sans répondre directement aux lettres indiscrètes que l'on m'a adressées, je jette les yeux autour de moi. La table sur laquelle j'écris est soutenue par quatre chimères qui semblent faites sur le modèle du beau trépied en bronze trouvé dans les ruines d'Herculanum. Je suis assis dans un fai teuil élégant et commode, dont la forme rappelle les siéges de marbre qu'on voyait naguère dans la salle des Antiques au Musée. Sur ma cheminée, j'aperçois une heureuse imitation de la statue d'Uranie. Cette muse m'indique, avec la pointe d'un compas, les heures tracées sur un double cercle qui tourne dans une sphère céleste. De chaque côté de cette pendule sont placés des vases de porcelaine auxquels les vases grecs les plus purs ont servi de type. Enfin, les rideaux de mon alcove, de mes croisées, sont ajustés avec autant d'élégance, de goût, que les draperies qui ornent le fond du tableau de la Noce Aldobrandine, ou de celui du Testament d'Eudamidas.

Cependant je ne suis logé que dans un simple hôtel garni, où je n'eusse trouvé, il y a vingt ans, et où je ne trouverais encore dans tout autre pays (1), pour bureau, qu'un secrétaire à cylindre; pour fauteuil, une bergère de velours d'Utrecht et à bois guilloché, des rideaux de Perse pour draperies; et pour pendule un

Coucou.

Mais plus je mesure combien sont immenses les pro

(1) Je dois cependant à la vérité de dire qu'en Angleterre et en Hollande les auberges sont aussi propres que commodes; mais on n'y rencontre aucun meable qui décèle que les Anglais et les Hollandais aient quelque goût pour les arts.

ils

grès que tous les objets d'industrie qui ont rapport aux arts du dessin ont faits depuis quelques années, plus je persiste à en rapporter la cause principale à l'établissement du Musée. Je sais que MM. David et Talma sont les premiers en France qui aient fait exécuter pour leur propre usage des meubles dans le goût antique; mais je doute que, malgré toute l'influence de leur exemple, eussent trouvé beaucoup d'imitateurs. J'irai plus loin, en supposant même qu'ils aient pu opérer cette révolution dans le mode des ameublemens, les autres produits de l'industrie auraient-ils été perfectionnés dans la même progression? Non, sans doute: il a fallu, pour arriver à un changement si heureux et si subit, que le public s'habituât à sentir, à connaître le beau; il a fallu que des savans, des artistes publiassent une foule d'ouvrages gravés qui, offrant des modèles dans tous les genres, et se trouvant à la portée des moindres artisans, ont donné à tous les esprits une direction si favorable; enfin, il a fallu qu'une nuée d'artistes médiocres devinssent, comme je l'ai déjà dit, les premiers ouvriers des principales manufactures. Or, sans l'établissement du Musée, toutes ces causes n'auraient point existé, et je puis donc répéter en toute conscience, comme Dacier : Ma remarque subsiste.

Erratum. Dans le premier article, n°. IX, au commencement de la note des rédacteurs, il faut lire Mercure au lieu de morceau.

VARIÉTÉS.

Il paraît en ce moment un nouvel ouvrage de madame Dufrénoy, intitulé la Petite Ménagère (1). Cet intéressant ouvrage réunit à la morale la plus pure des vues d'utilité incontestable pour les jeunes demoiselles. La mère y trouvera des leçons propres à diriger le cœur et l'esprit de sa fille, que l'auteur, selon ses expressions, prend à l'âge de quatre ans, et quitte à l'âge de vingtcinq, lorsque, devenue épouse, mère et nourrice, elle a parcouru toutes les époques difficiles de la vie. Nous croyons faire un véritable plaisir à nos lecteurs en leur donnant un extrait de cet ouvrage, qui manquait pour l'éducation des demoiselles en France. Voici le chapitre intitulé l'Extrême-Onction:

« Madame de Melzi n'avait pas quitté sans une vive douleur les deux objets de sa plus chère affection; mais la résolution où elle était de remplir un devoir sacré allégeait et son chagrin et sa fatigue : rien ne nous donne autant de courage que l'appui d'une conscience pure. La comtesse, rendue en trente heures à Calais, s'embarqua sur un paquebot qui la transporta en moins de quatre heures à Douvres. Au lieu de s'arrêter dans cette ville pour prendre du repos, elle remonta de suite dans sa chaise de poste, et n'en descendit plus qu'à Londres. Promptement arrivée dans cette capitale, la comtesse passa à la hâte un vêtement modeste, prit un léger repas, et courut chez M. Dorrifourth. Je viens, lui dit-elle, monsieur, vous témoigner ma reconnaissance de vos

(1) Quatre vol. in-18, ornés de 24 jolies gravures. Prix: 7 fr.; et, Avec les gravures coloriées, 9 fr. Il faut ajouter 2 fr. de plus pour les recevoir francs de port.

Paris, à la librairie d'Alexis Eymery, rue Mazarine, no. 3ø.

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bontés pour mon mari, et lui prodiguer mes soins. Qu'entends-je! seriez-vous madame la comtesse de Melzi? Oui, monsieur. Viendriez-vous de Paris? Oui, monsieur. C'est inconcevable; vous êtes venue bien vite. — Je craignais qu'il ne fût encore trop tard.Femme admirable! hélas! vous allez voir un bien triste spectacle. Serait-il effectivement si mal? n'a-t-on plus d'espérance? - Ses organes s'affaiblissent à chaque instant; ses souffrances sont affreuses; et depuis hier il lui est survenu un accident horrible. Lequel? ô mon Dieu! Je n'ose vous en informer. - Parlez, je suis résignée à tout; ne suis-je pas ici pour partager ses maux ! Parlez, je vous en supplie. Ses yeux ont perdu la lumière. L'infortuné! ah! conduisez-moi sur-le-champ vers lui, je vous en conjure; il a tant besoin de moi ! Sa situation demande des ménagemens; je voudrais le prévenir avec adresse. Malheureusement il n'en est pas besoin. Vous m'avez dit qu'il n'y voit plus ? Je puis donc l'approcher sans qu'il me reconnaisse. Il vous entendra. Je ne parlerai pas; je me placerai à côté de son lit, j'y remplirai les fonctions de garde, et j'épierai le moment où je pourrai me découvrir sans lui causer une émotion dangereuse. -Vous le voulez? je vais vous mener à sa chambre; mais affermissez votre cœur, il sera cruellement éprouvé.

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Comment ?

Il est vrai.

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La comtesse suivit en silence M. Dorrifourth, et tous deux s'avancerent à petits pas jusqu'auprès du malade. Saisie d'effroi à l'aspect du changement qui s'était opéré dans les traits de son époux, Augustine retint avec peine un cri prêt à lui échapper. M. Dorrifourth, alarmé de son extrême pâleur, s'empressa de lui avancer un siége, ce qui ne se fit pas sans occasioner quelque bruit. Qui est là? demanda le comte. Moi, votre ami, répondit le négociant: eh bien ! comment vous trouvez-vous? -Toujours à peu près de même ; cependant j'ai un peu dormi. C'est déjà une bonne chose; allons, patience, avec le temps vous guérirez. Ce qui m'inquiète surtout, c'est ma vue. Elle reviendra. Croyez-vous? En faisant cette question, M. de Melzi fixa ses yeux éteints sur la comtesse; elle frémit, et détourna la tête. Dans ma

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