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presque désabusé; je ne crois plus au bonheur d'un mé chant lorsqu'il l'est aussi ouvertement que celui dont nous parlions mais, quand la méchanceté prend des formes plus fines, plus adroites; quand elle pince au lieu de déchirer; quand elle se contente de jeter adroi tement un léger ridicule sur les vertus, au lieu de les calomnier, n'est-il pas possible, qu'en faisant presque autant de mal, elle ne parvienne encore à se faire aimer?

Voyez cette jeune Cydalise, qui loge en face d'ici; comme elle est légère, brillante, entourée! quelle grâce dans ses manières! quelle variété dans ses moyens de plaire quelle vivacité dans ses saillies! elle rit de tout, et fait rire ceux même dont elle s'amuse. La prude Eliante venait de quitter son vieil amant pour en prendre, dit-on, un autre plus jeune ; mais elle cachait cette nouvelle liaison, et voulait qu'on attribuât sa rupture à un accès de dévotion. On en parlait à Cydalise, qui dit « Oui, je sais qu'Eliante s'est dépouillée du vieil homme pour se revêtir du nouveau. » Cette plaisante et maligne citation eut un succès universel. Il échappe à tous moinens une foule de traits semblables à Cydalise: elle n'épargne personne, et personne n'a plus d'amis.

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Des amis, mon cher Cléante! dites des spectateurs, des amateurs, comme une jolie actrice, comme une danseuse légère en attire chaque soir; mais ils recommandent tous à leurs filles d'éviter un aussi mauvais exemple; et tous citent à son propos ce que M. Walpole disait d'une femme du même genre: Elle médit gaî» ment et babille bien; mais que peut-on faire de cela » à la maison? »

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Croyez-moi, les méchans les plus aimables connaissent le plaisir, mais ils ignorent le bonheur. C'est un trésor qui ne tombe jamais que dans les mains de la douceur, de la bienveillance, de l'indulgence et de la bonté.

Un de nos philosophes a dit : « La bonté est si néces»saire aux hommes, qu'il n'y aurait plus de lien ni de » société sans elle, et que lorsqu'elle n'existe pas, on » est encore obligé d'en emprunter l'apparence, le » masque et le langage. »

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On s'arme souvent dans le monde contre la bonté,

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parce qu'on la confond avec la faiblesse : quelle erreur! C'est la méchanceté qui est faible, puisqu'elle cède aux passions et à la crainte, qui est la plus basse de toutes.

La vraie bonté est forte, puisqu'elle dompte la peur, l'envie et la vengeance. Lorsque Henri IV relevait Sully de peur qu'on ne crût qu'il lui pardonnait, était-ce faiblesse? C'était grandeur d'âme! Le Roi se relevait luimême en relevant son ami.

Louis XII, en pardonnant les injures faites au duc d'Orléans, était-il faible? Il triomphait d'un juste res

sentiment.

Marc Aurèle, Titus, Antonin, ont-ils jamais été taxés d'avoir peu de force, parce qu'ils méprisaient les délateurs, et rendaient à Rome, par leur bonté, un repos dont leurs prédécesseurs l'avaient privée par leur méchanceté?

La bonté, la douceur, loin de s'opposer à la gloire, en sont à la fois la base et l'ornement. On pourrait même dire que, sans elle, on peut acquérir de la célébrité, mais non de la vraie gloire : il est permis de vanter l'habileté de Louis XI, mais c'est à des Rois comme saint Louis et Louis XII que la palme de la gloire est réservée. Le peuple appelait l'un son père, et n'a trouvé pour l'autre de place digne de lui que dans le ciel.

Octave était-il grand? était-il fort? était-il heureux, lorsqu'esclave de ses passions il proscrivait ses ennemis? Non, l'époque de sa grandeur, de sa gloire, fut le moment où il eut la force de se vaincre et de pardonner à Cinna.

Des-lors il fut Auguste; il devint bon, on l'aima; les conjurations cessèrent, et tout l'empire jouit d'une profonde paix.

Cyrus, après tant de siècles, exciterait-il encore l'admiration du monde sans ses vertus, sans sa bonté, qui s'étendait jusqu'au plus pauvre de ses sujets; sans cette bienveillance active qui le portait à vouloir faire du bien aux hommes, même après sa mort?

Xénophon rapporte « qu'il défendit qu'on l'enfermat » dans un cercueil, voulant (disait-il qu'après avoir

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été utile à l'humanité pendant sa vie, son corps fût » utile à la terre en la fertilisant. »

Non, la vraie bonté ne peut donner lieu à aucune accusation de faiblesse ou de médiocrité : c'est la méchanceté qui invente le paradoxe, et c'est la sottise qui le répète.

L'élite des grands hommes, des grands esprits, des 'grands talens, se lève en masse pour le réfuter.

Le sage Scipion, le vertueux Epaminondas, le loyal Duguesclin, le bon Bayard, le modeste Turenne, nous ont laissé de si grands exemples et de si doux souvenirs, qu'on ne peut prononcer leurs noms sans éprouver tout ce qu'inspire de vénération la vraie bonté.

Tout porte à croire qu'après la mort les méchans seront punis, et les bons récompensés; mais croyez, mon cher Cleante, que, dans cette vie même, le supplice du méchant commence, et qu'un de ses tourmens est de savoir combien l'homme juste, bon et bienfaisant, éprouve intérieurement de douces et pures jouissances.

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A la représentation d'une pièce d'Eschyle, l'acteur prononçant les vers qui disent « qu'Amphiarus était moins jaloux de paraître homme de bien que de l'être en effet, tous les regards du public se tournèrent à la fois vers Aristide. » Quelle jouissance pour cet homme vertueux! quel chagrin pour ses lâches ennemis! Ils tenterent en vain de s'en venger par l'ostracisme; ils ne firent qu'augmenter sa gloire.

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L'envie change les biens d'autrui en maux pour ellemême le méchant souffre toujours, parce qu'il porte les chaînes pesantes de l'envie, de la haine et de la jalousie.

Henri VIII, cédant à ses transports jaloux, était comme un homme agité des furies; il était malheureux et abhorré.

Notre bon Henri IV, maîtrisant sa jalousie, et «< jetant » une aile de poulet à son rival, qu'il apercevait caché » sous le lit de sa maîtresse, » jouissait de sa victoire sur lui-même; et en disant: Il faut que tout le monde vive; il pouvait ajouter avec vérité: Il faut que tout le monde m'aime,

Voltaire, au milieu de ses triomphes, était tourmenté par la colère; la piqûre du plus petit insecte excitait sa haine, et cette haine lui attirait une foule de petits ennemis. La bonté pour ses rivaux manquait à son bonheur comme à son génie.

Le bon La Fontaine, l'aimable et doux abbé Delille, je tèrent un moins grand éclat; mais ils vécurent heureux. Ils faisaient aimer à la fois leurs personnes et leur gloire.

Voltaire lui-même connut ce bonheur, en faisant réhabiliter la mémoire des Calas, et en rendant ses paysans heureux ; aussi le doux sentiment qu'il éprouva lui dicta ce vers charmant :

J'ai fait un peu de bien, c'est mon meilleur ouvrage.

Le méchant n'ignore pas qu'on déteste ses succès et qu'on applaudit à ses revers; il ne peut s appuyer sur rien pour résister au malheur; le vide est autour de lui comme dans son cœur.

L'homme généreux et bon voit augmenter sa félicité par la part qu'y prennent ses amis; dans l'infortune il est consolé par eux, et sa conscience le dédommage intérieurement des injustices de la fortune.

La bienfaisance est la fille de la bonté; les jouissances qu'elle donne sont innombrables: l'ambition, l'avarice, la volupté, nous promettent et nous vendent des ombres de bonheur qui passent comme un éclair; la bienfaisance nous donne des plaisirs réels, qui ne s'altèrent jamais, et dont le souvenir seul est encore un bonheur.

Oh! pour le coup, dit vivement Cléante, je vous arrête là. J'adopte du fond du cœur votre opinion sur la bonté; quant à la bienfaisance, je la révère comme une vertu; mais je ne peux la considérer comme une source de jouissances, car elle fait trop d'ingrats.

J'avoue, mon cher Cléante, que l'ingratitude est un vice affreux; elle peut attrister, mais non décourager la bienfaisance. Apprenez d'abord que, s'il existe des ingrats, c'est souvent par la faute des bienfaiteurs, qui ne songent pas assez qu'il faut respecter et ménager l'infortune; qu'elle est de sa nature délicate et irritable, et qu'on doit éviter de la blesser en la secourant.

Sénèque disait: J'aime la bienfaisance quand elle se

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présente sous les traits de la sensibilité, ou du moins » sous ceux de la douceur ; quand le bienfaiteur ne m'accable pas de sa supériorité; quand, loin de s'élever au-dessus de moi, il descend à mon niveau pour ne » me laisser voir que sa bienveillance; quand il paraît » plutôt saisir une occasion que soulager un besoin : » mais, lorsque c'est l'orgueil qui fait du bien, il fait prendre en aversion le bienfait. »

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Enfin, mon jeune ami, retenez cette vérité: on trouve encore du bonheur à faire des ingrats; mais il n'y a que du malheur à l'être.

Et n'oubliez pas qu'on ne peut être bon sans être indulgent. L'indulgence rend seule la justice aimable; et la vraie bonté est la grâce de la vertu.

La bienveillance est le plus doux lien des hommes; la religion la nomme charité; c'est par cette vertu qu'elle a conquis l'univers; les pompes, les trophées, la richesse, la puissance, les voluptés du paganisme, ont disparu à la voix du Dieu bon, qui dit aux hommes: Aimez-vous et pardonnez-vous.

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C'est en France que l'étude de la langue et de la littérature chinoises a pris commencement t; et depuis Louis XIV jusqu'à nos jours, on n'a pas cessé d'y publier de nombreux ouvrages, les meilleurs que nous possédions sur cet objet. La gloire de donner à l'Europe le premier dictionnaire chinois imprimé, était encore réservée aux presses françaises. Malheureusement cet ouvrage fut confié à un éditeur qui était peut-être, de tous ses compétiteurs, le moins propre à l'exécution d'un tel projet ; et le dictionnaire du P. Basile de Gumona, qu'il a publié, ne remplit nullement les espérances qu'on en avait conçues. Louis XVIII, à peine rétabli sur le trône de ses ancêtres, digne émule de leur munificence envers la littérature chinoise, a couronné tout ce qu'ils avaient fait

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