Page images
PDF
EPUB

espagnol, imprimé à Canton en 1707. C'est avec le secours de cet ouvrage que tous les missionnaires ont appris le chinois, et il est encore très-estimé à Canton, comme nous l'apprenons par M. Carter, Américain trèsinstruit, qui a plusieurs fois fait le voyage en Chine, et qui s'occupe avec beaucoup d'assiduité de l'étude du dialecte de Canton.

Avec tant de facilités données par le gouvernement français à ceux qui voudront se livrer à l'étude du chinois et du mandchou, on ne peut douter qu'il n'y ait beaucoup de personnes qui profiteront de ces circonstances favorables pour suivre le cours de M. de Rémusat. Elles verront alors avec plaisir que tout ce qu'on a avancé sur la difficulté de cette étude est faux, et qu'avec une application suivie il sera facile de se frayer la carrière dans la littérature de l'Asie Orientale, pour laquelle les missionnaires français ont, il est vrai, fait beaucoup, mais qui est encore très-loin d'être approfondie.

JULES DE KLAPROTH.

PODALIRE,

OU LE PREMIER AGE DE LA MÉDECINE. (1)

Les noms d'Esculape, de Machaon et de Podalire ne sont pas moins célèbres que ceux d'Agamemnon, de Priam, d'Achille et d'Hector. Homère les a tous consacrés. Si les guerriers aiment à être comparés aux derniers, les médecins se plaisent à être rapprochés des premiers. Etienne de Byzance rapporte que Podalire, à son retour du siége de Troie, saigna du bras Syrna, fille de Damætas, roi de Carie. Au moyen de cette opération, qui n'avait pas encore été pratiquée, la princesse guérit

(1) Un vol. in-12, avec fig. Prix, beau papier, 2 fr. 50 c. ; et en vélin, 4 fr.

Paris, à la librairie d'Alexis Eymery, rue Mazariue, no. 30.

1

d'une blessure grave qu'elle s'était faite en tombant d'une fenêtre. Dans ce trait, M. le docteur Marquis a trouvé le sujet du roman poétique dont nous allons rendre compte.

Cet ouvrage est divisé en dix livres. Après une invocation à la déesse de la santé, la bienfaisante Hygiée, l'auteur entre en matière. Les cendres de Troie fumaient encore. Couvert de gloire, riche des présens offerts par la reconnaissance, Podalire naviguait vers Argos. Assis sur la poupe du vaisseau, à côté d'Euphranor, son fidèle ami, il éprouve, à la vue des côtes de la Carie, un saisissement qui fait tomber de ses mains la lyre dont il tirait des sons harmonieux. Euphraor le presse de lui découvrir la cause du trouble qui l'agite. Depuis long-temps il avait reconuu que son front était chargé d'ennuis. Podalire ouvre son cœur à Euphranor, et lui fait le récit de

ses aventures.

Podalire connut le malheur des sa naissance. Le berger Moeris le ramassa près de mourir de faim sur le sein de sa mère, que la chaste déesse avait percée d'une flèche. Présenté par le pâtre à sa femme Nausiclée, il est élevé par eux, avec soin et tendresse. Il essaye ses forces contre les hôtes des bois. Le sage Hermès forme son cœur et son esprit; il remporte le prix du chant aux jeux que les habitans de la Carie célèbrent en l'honneur de Diane. La fille du roi couronne le vainqueur, et lui donne un lyre d'ivoire enrichie d'or; les yeux de Syrna ont rencontré les yeux de Podalire, c'en est assez pour décider du sort de la princesse et du berger.

Podalire ne peut plus habiter le toit rustique de Moris et de Nausiclée. Il obéit à un oracle qui lui ordonne de partir sur le premier vaisseau qui abordera le rivage, et de s'abandonner à sa destinée. Il s'embarque, il arrive en Thessalie. En proie à la plus noire mélancolie, il erre dans les montagnes : sa raison même s'égare. Il va mourir; mais un vieillard le rappellè à la vie. Ce vieillard est le sage Chiron. Le centaure reconnaît Podalire; il lui apprend qu'il est fils d'Esculape, que la nymphe Théone est sa mère, et qu'il est frère de Machaon.

Cependant la mélancolie qui consume Podalire cède aux conseils du savant Thessalien. L'étude de la méde

cine apporte du soulagement aux maux qu'endure le fils d'Esculape. Bientôt on le distingue parmi les disciples de Chiron. Entièrement initié aux mystères de la médecine, soumis aux ordres de son père, Podalire part pour le camp des Grecs, où il voit Machaon, qui le reconnaît pour son frère, l'associe à ses travaux et lui fait partager sa gloire. Ici se termine le récit qui embrasse sept livres. Dans le huitième, le héros est jeté sur les côtes de la Carie; mais le naufrage qui l'y porte est une faveur de Neptune. Le souverain des mers les a soulevées à la demande de Vénus. Cette divinité n'a pas résisté aux prières du dieu d'Épidaure. Elle a pardonné l'indifférence dont autrefois s'était rendu coupable le fils de Théone.

Podalire, après avoir embrassé Moris (Nausiclée n'étoit plus), veut revoir les lieux témoins des amusemens de son adolescence. Il met sur ses épaules le carquois qu'il avait laissé dans la cabane du berger bienfaisant, qui lui avait servi de père ; il s'arme de l'arc, resté depuis si longtemps inutile, et va parcourir les collines de la Carie. Il s'avance jusqu'au fond de la forêt; il entend le son des cors, l'aboi des chiens, tout le fracas d'une chasse. Un énorme sanglier, furieux de porter dans ses flancs la flèche dont il est atteint, blesse de ses défenses le cheval fougueux que monte l'amazone qui a lancé le trait (c'est la fille du roi): le coursier fait un bond et la jette sans mouvement sur les cailloux dont la terre est couverte. Podalire accourt, tue le monstre, et donne à Syrna les premiers secours de son art; mais ils sont insuffisans..... Alors l'idée d'une opération inconnue se présente, comme par inspiration, au fils d'Esculape; il la propose, il la pratique, par ce moyen la princesse est promptement guérie. Le héros médecin ne tarde pas à recevoir le prix de son amour, de sa valeur, de son talent, de son génie. Damætas lui donne sa fille, et lui remet la couronne et le sceptre de Carus.

Telle est l'analyse de l'ouvrage que vient de publier M. le docteur Marquis. On ne peut contester à l'auteur l'imagination la plus vive et la plus brillante. La partie que les classiques appellent l'invention ne laisse rien à désirer. Mais le plan est-il assez bien ordonné, pour ne

pas laisser de prise même à la critique la plus indulgente? Suivant nous, un poeme, un roman divisé en dix chants, en dix livres, est défectueux par cela seul que sept de ces chants ou de ces livres ne sont employés qu'en narration, puisqu'il n'en reste plus que trois pour l'action. En vain dirait-on que le récit marche sans interruption vers le dénouement. Nous pensons qu'il eût été facile à l'auteur de couper cette partie de son ouvrage de manière à y faire figurer plus d'un interlocuteur.

Ce qu'il y a de supérieur dans ce roman poétique, c'est l'exécution. Il est impossible d'offrir une plus grande variété de connaissances que celles qu'on trouve dans ce petit volume. Les hommes instruits qui le liront et le liront encore en seront étonnés; et si quelque chose peut surprendre plus agréablement les gens de goût, c'est la manière dont y est traité ce qui concerne les sciences. Les choses les moins susceptibles de grâces en ont pris sous la plume de l'académicien de Rouen. Son style n'a point d'affectation: il est chargé d'ornemens; mais il n'en est pas accablé. Pour mettre nos lecteurs à même de prononcer, nous allons citer quelques passages.

Avec attention le géographe suivra Podalire, lorsque, ayant déjà laissé derrière lui la fertile Lesbos, Scyros où Déidamie pleure encore Achille et le cherche en vain parmi ses compagnons, Chias, riche des dons de Bacchus et des larmes odorantes du lentisque; la flotte victorieuse est poussée par les vents vers les rivages de Samos, chère à Junon. La mer, qui reçut dans ses flots l'imprudent Icare, écume sous les coups mesurés des rames. »

Avec intérêt le géologue accompagnera Vénus lorsqu'elle descendra dans l'empire humide de Neptune. «C'est dans ces profondeurs inaccessibles que le mollusque, en formant sa brillante et solide habitation, prépare la matière des montagnes que couvriront un jour des forêts de pins. L'homme des siècles à venir, en fouillant leurs entrailles pour bâtir des palais, reconnaîtra avec étonnement les débris des coquilles et l'empreinte du poisson des mers éloignées, monumens des antiques révolutions de la terre qui la porte, et qui menace à chaque instant de l'engloutir.

Le physicien et l'astronome penseront comme le D. Marquis: « Peut-être quelque astre errant, reparaissant dans sa marche périodique, à des époques connues des intelligences supérieures, mais incalculables à celles de l'homme, cause-t-il en pesant, comme le globe de Phébé, sur la masse des eaux qu'il déplace, ces désastres horribles, qui anéantissent les générations et renouvellent la face du monde. »>

Le botaniste admirera l'élève de Chiron. « Il a surpris l'insecte chargé de la poussière dorée, portant avec elle la fécondité d'une fleur à l'autre. »

» L'imagination se plaît à voir dans la fleur mollement balancée sur sa tige, non plus une parure vaine et passagère du végétal, mais un lit nuptial, orné des plus riches, des plus élégantes draperies. L'arbre semble, au retour du printemps, partager les tendres émotions des oiseaux, qui construisent dans ses branches, avec tant d'art et de soin, le berceau de leur postérité. »

Les disciples du Centaure moissonnent « le safran à la chevelure jaunissante, la fleur pourprée de Péan salutaire aux nerfs ; l'herbe puissante de Melampe ; le moly, dont les dieux même estiment les vertus; le pavot, qui rappelle, par la couleur de son feuillage, celle des eaux de la mer, et dont la tête rayonnante fournit à l'égyptien ce suc inestimable, ce nepenthes, qui endort les douleurs et calme les peines comme par une puissance magique. »

Grandement imité par Linné, « Chiron a voulu que les plantes des ces montagnes nous rappelassent par leurs noms ses disciples les plus chers. Des souvenirs touchans ajoutent au charme de chaque fleur.

« Les disciples de Chiron lui ont consacré l'une des plus aimables fleurs des forêts; elle unit, comme le sage vieillard, la grâce à la vertu. Son tendre incarnat le dispute à celui des roses. Mes amis, nous disait-il, est-ce à ma vieillesse que vous deviez consacrer cette fleur charmante? La mousse blanchâtre qui pend en longue barbe aux rameaux de l'arbre desséché convenait bien mieux

« PreviousContinue »