Page images
PDF
EPUB

Chaque jour notre sage, ou plutôt notre fou,
Raisonnait à perte de vue.

La chenille, sans doute, à l'exemple du loir,
Fait des sommes fort longs, dit-il. J'ai l'espoir
Qu'après une certaine époque,

Madame, un beau matin, sortira de sa coque.

Attendons. L'hiver vient, puis le mois des amours,

-

Et madame dormait toujours.

Mais voilà tout à coup qu'un papillon timide
Montre le bout du nez, sort de la chrysalide,
Et, dépliant sondain ses ailes couleur d'or,
S'essaie innocemment à prendre son essor.

Arrêtez, papillon.... que je vous questionne!....
Êtes-vous la même personne

Que je connus chenille, et qui dans ce tombeau
S'enferma, de plein gré, sur la fin de l'automne?
Êtes-vous un être nouveau?

Jupiter dans votre cerveau
A-t-il placé l'intelligence?

Avez-vous du passé quelque réminiscence?
Le léger papillon, vous vous en doutez bien,
S'exerçait à voler, et ne répondait rien.

Da triste oiseau bientôt il quitta la masure,
Et vola dans les prés, guidé par la nature.

Hélas! dit le hibou, tant soit peu courroucé,
Rien n'est clair ici-bas; et je vois bien qu'en somme,

Et sur notre avenir, et sur notre passé,

Ce maudit papillon n'en sait pas plus qu'un homme.

Par M. JEAufret.

ÉPITAPHE.

m

Ci-git un médecin : si vous pricz pour lui,
N'oubliez pas non plus ceux qu'il a mis ici.

ÉNIGME.

Quoique je ne sois pas tellement nécessaire,

Qu'on ne puisse sans moi terminer tonte affaire,
Pourtant il est vrai que sans moi',

Nul ne pourrait avoir pain ni pâte chez soi. *.

S.......

www

CHARADE.

Je suis un de ces mots dits onomatopée,
Dont le son à l'esprit trace une juste idée;
Mon premier rime en ic, mon second rime en ac,
Et mon tout se nomme......

LOGOGRIPHA.

Sine capite guberno,

Cum capite gubernatus.

S........

BONNARD, ancien militaire.

*}

Mots de l'Enigme, de la Charade et du Logogriphe insérés dans le dernier numéro.

Le mot de l'énigme est Seaux (les).

Le mot de la charade est Semaine.

Le mot da logogriphe est Comète, dans lequel on trouve Comie, Mot, Come, Côte, et les lettres o, è, e, m, c et t.

393

LE TEMPS,

Le temps est la seule propriété qui soit entièrement nous, tout le reste est incertain; le temps est, comme on l'a dit, l'étoffe dont notre vie est faite; c'est le bien dont nous devrions être le plus économes, et c'est pourtant........' celui que nous dépensons le plus follement, que nous... perdons avec le moins de regret, et que nous nous lais¬ts sons voler le plus facilement. Nous aimons même ceux qui nous le dérobent, tandis que nous poursuivons avec... acharnement celui qui nous ravit toute autre propriété bien qu'illusoire et passagere, on dirait que le temps est un fardeau, qu'il nous pèse; nous oublions que c'est t notre existence, et nous ne cherchons qu'à nous en débarrasser; enfin, par la plus étrange contradiction, en cherchant souvent sans succès à tuer le temps, l'homme se plaint de la longueur des jours et de la brièveté de la

vie.

A

Tous les philosophes, tous les moralistes s'accordent ! pour nous recommander un sage emploi du temps, et pour nous rappeler la rapidité de sa marche; mais ces conseils ont peu de succès, et nous pouvons répéter aux hommes de nos jours, ce que Séneque disait aux hommes de son temps: Songez-y bien: une partie de la vie se » passe à mal faire, la plus grande à ne rien faire, la presque totalité à faire autre chose que ce qu'on de» vrait. »

[ocr errors]

D'où vient cette méprise de l'homme sur un point qui l'intéresse si capitalement? Je ne sais; mais je serais tenté de l'attribuer à l'imperfection, à la contradiction des définitions qu'on a faites du temps, et aux fausses idées qui en sont résultées. On ne peut apprécier que ce qu'on connaît, on ne sait jouir que du bien dont la nature et la valeur sont vues et senties clairement par

nous.

Les anciens disaient que Saturne, père des dieux et

des hommes, dévorait ses enfans. Cette allégorie ingenieuse nous fait croire que tout est créé et détruit par le Temps; dès-lors le Temps est un monstre qui fait peur; nous craignons le poids de ses pas qui nous écrasent, et chaque heure qui sonne nous paraît un coup de la terrible faux dont il est armé. De là viennent nos désirs de lui échapper, et nos plaintes absurdes contre sa vitesse, contre sa durée, contre sa mobilité. Les amans lui attribuent leur inconstance; les malheureux leurs revers; les ambitieux leur chute; les empires même lui reprochent leur destruction.

On l'accuse de tout, des arrêts du ciel, des injustices du sort, des folies des hommes. L'Espérance voudrait accélérer sa marche, la Peur voudrait la retarder.

Pythagore appelait le Temps l'áme de l'univers. Platon disait que le temps avait été créé au même instant que le monde, et que le mouvement existait avant cette création; mais qu'il existait sans règle, sans mesure et sans bornes.

Ces idées, toutes aussi fausses que les premières, donnant au Temps une volonté, autorisaient encore à se plaindre de sa rigueur et de ses caprices.

Tout le monde divise ordinairement le temps en trois parties, le passé, le présent et l'avenir. Eh bien! Chrysippe affirmait que le passé n'existe plus, et que l'a» venir n'existait pas encore; » d'où il concluait « que » le présent était la seule chose qui existât, et dont »> nous pussions jouir et nous occuper. »

[ocr errors]

D'un autre côté, Archidamus disait que « le présent >> n'a aucune existence réelle, que le moment actuel est, comme tout dans la nature, divisible en deux parties, »> dont l'une appartient déjà au passé, et dont l'autre est encore à l'avenir. >> Ainsi, en adoptant les opinions de ces deux philosophes, on pourrait dire que le passé n'est plus, que le présent n'est pas, que l'avenir n'est point encore, et que, par conséquent, le temps n'existe pas pour nous.

[ocr errors]

Les théologiens, sans pousser leur rigueur jusqu'à cette subtilité, s'en rapprochent assez; car, en comparant sans cesse le présent à l'éternité, ils le réduisent à un

point imperceptible; le monde n'est plus qu'une auberge pour l'homme, dont le voyage ne dure qu'une minute. Le résultat de ce système un peu triste, est de se détacher de la matière et de la vie, et de ne s'occuper que de l'avenir.

I paraît qu'en général les hommes, peu sûrs de la vérité au milieu de ces contradictions, se font un mélange confus de ces idées païennes, philosophiques et religieuses.

Ils ont détrôné les autres dieux du paganisme; mais ils laissent encore au Temps sa volonté, son inconstance, sa rigueur, ses ailes et sa faux.

Ils rendent divers cultes à ce dieu, suivant leurs différens caractères : les savans n'adorent que le passe; l'expérience ne leur offre la vérité que par la bouche des morts; la mémoire borne leurs plaisirs à l'étude des beautés détruites; ils ne cherchent des fruits et des fleurs que dans les ruines de l'antiquité.

Les amans de la gloire, comme les hommes éclairés par la religion, ne regardent que l'avenir, le ciel et la postérité; les uns veulent jouir d'une immortelle célébrité, les autres d'une félicité éternelle.

Le vulgaire gouverné par les sens suit, sans le savoir, les dogmes d'Epicure et d'Horace; le présent seul le maîtrise; il regrette faiblement le passé, s'occupe peu de l'avenir; il veut éviter la douleur, échapper à l'ennui, qui le poursuivent, et le saisissent souvent, tandis qu'il ne cherche que le plaisir.

Je crois qu'il serait possible de sortir de cette obscurité, de marcher à la lueur d'une lumière plus sûre, et de nous rendre à la fois moins injustes pour le temps, et plus habiles dans l'art d'en jouir. Mais, pour profiter du temps, voyons-le, non tel que l'imagination le peint, mais tel qu'il est en effet.

Ne faisons pas un dieu d'une chose créée comme l'univers; n'en faisons pas même un être tout-à-fait indépendant de nous car il est si facile de démontrer que nous avons mille moyens de le modifier, de l'étendre, de le - resserrer, de le hâter, de le ralentir, qu'on pourrait presque mettre en doute si c'est le temps qui compte

« PreviousContinue »