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ÉNIGME.

Voyons, lecteur, jusqu'où va ton savoir : Qu'est-ce, quand il fait jour, que ton œil ne peut voir, Que ton oeil prétend voir alors qu'il ne voit goutte, Et qu'il faut éviter lorsqu'on se met en route?"

Quoique obscars trois jours de l'année,

Dans le cours de l'après-dînée,

L'on nous voit et l'on nous entend

Jouer un rôle assez brillant ;

Je dis brillant, surtout en commençant ;

Car alors qu'il finit, il s'obscurcit d'autant.

S.......

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CHARADE.

D'une main très-agile,
Jeune fille docile

Sans se faire prier

Travaille à mon dernier.

Pour cet oeuvre elle emploie

Fil, coton, laine et soie.

Tel qu'un jambon au croc, le matelot anglais,

Ou, même en naviguant, tous les marins français,

Passent sur mon premier la moitié de leur vie.

De cet être pourtant vois la bizarrerie,

Lecteur; c'est lui qui, dans un bal,
Met tout en train en carnaval.
Et dans un grand combat naval,
Mon tout, qui n'est point Annibal,
Toujours doit être général.

V. B. (d'Agen.)

LOGOGRIPHE.

. D'un pinceau délicat l'artifice agréable,
» Da plus affreux objet fait un objet aimable, »
Dit quelque part le poëte français:
Ainsi, lecteur, à mon tour je pourrais
Sans pinceau, sans palette,

Et sans changer de tête,

En transportant deux pieds, présenter à tes yeux
D'abord l'objet horrible, affreux,

Qu'ont cru voir quelquefois la nuit les gens peureux;
Ensuite un attribut que l'éclat environne,

Et qui comble les voeux de l'homme ambitieux :
L'un éblouit par le pouvoir qu'il donne ;

L'autre inspire l'effroi par son aspect hideux.

V. B. (d'Agen.)

Mots de l'Enigme, de la Charade et du Logogriphe insérés dans le dernier numéro.

Le mot de l'énigme est Vin.

Le mot de la charade est Annibal.

Le mot du logogriphe est Insecte, dans lequel on trouve

Secte.

DE L'HABITUDE.

On parle souvent avec trop de légèreté de l'habitude, et c'est cependant une des plus fortes racines de notre existence. On dit très-communément : ce n'est qu'une mauvaise habitude, il s'en défera; ce n'est pas un mauvais homme, mais il est faible, il se laisse entraîner par l'habitude; il faut lui pardonner son étourderie, ses brusqueries, ce n'est pas défaut d'intention, c'est habitude. On oublie qu'habitudes ou coutumes sont ce qu'on appelle les mœurs; que l'habitude des penchans bons ou mauvais fait le caractère, comme l'habitude des mouvemens gracieux ou désagréables fait la physionomie; que cette habitude est, comme on l'a dit, une seconde nature, et qu'elle date souvent de si loin qu'il est impossible de la distinguer de la première.

Un homme n'est pas vicieux parce qu'il a eu une faiblesse; il n'est pas vertueux parce qu'il a fait une bonne action: c'est l'habitude des vertus ou des vices qui imprime le caractère de sagesse ou de libertinage, de crime ou de probité. L'âme prend, par l'habitude ou du bien ou du mal, un bon ou un mauvais pli, et lorsqu'il est une fois marqué, rien n'est si difficile que d'en faire disparaître la trace. C'est ce qu'un courtisan sincère fit sentir ingénieusement à Pierre-le-Grand: ce monarque législa-. teur voulait changer les mœurs barbares des Moscovites; et comme, pour atteindre ce but, l'exemple lui paraissait aussi utile que les lois, il ordonna à un certain nombre de seigneurs russes de voyager en Europe, espérant qu'ils reviendraient de ce voyage assez instruits, assez éclairés pour perdre leurs habitudes, et pour contribuer au succès de son plan de réforme ; il avait choisi, pour remplir son intention, des hommes graves et mûrs. Tous les courtisans louaient avec enthousiasme ce projet, et se prosternaient devant la prévoyance et le génie de l'empereur; un seul sénateur se taisait, et dans les cours, lorsque la flatterie parle, le silence est courage. Pierre

!

« Non, dit

lui demanda s'il n'approuvait pas son plan.
» le sénateur; ce plan n'aura pas d'effet, et vos voya-
» geurs ont trop de barbe au menton; ils reviendront
» tels qu'ils seront partis. » L'empereur, plein de son
idée, et fort de l'approbation de tout ce qui l'entou-
rait, railla le sénateur sur son humeur frondeuse, et le
défia d'appuyer son objection d'aucune preuve solide.
Celui-ci prit alors une feuille de papier, la plia, et, apres
avoir passé fortement l'ongle sur le pli, il le montra au
czar, et lui dit : Vous êtes un grand empereur, un
>> monarque absolu; vous pouvez tout ce que vous vou-
lez, rien ne vous résiste; mais essayez d'effacer ce pli,
» et voyons si vous en viendrez à bout. » Pierre se tut,
révoqua son ordre, et s'occupa de l'éducation de la jeu-
nesse avant de la faire voyager.

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Il fit bien; l'éducation devrait être regardée partout comme une partie principale de la législation; les peuples modernes s'occupent assez de l'instruction qui ouvre l'esprit, et trop peu de l'éducation qui forme le caractère. Les anciens y pensaient plus que nous; aussi chaque peuple avait alors un caractère national qui nous manque; nous livrons l'esprit à l'école et le caractère au hasard.

L'habitude des bons ou mauvais penchans commence dès la plus tendre enfance, et Montaigne avait raison de dire que notre principal gouvernement est dans la » main des nourrices. >> A Sparte, on accoutumait les enfans à rester seuls, à marcher dans l'obscurité, pour les habituer à ne rien craindre; on exigeait qu'ils prissent sur eux de rire et de chanter, tandis qu'on les fouet– tait, afin de les former à la constance et au courage; enfin, devenus plus grands, lorsqu'ils étaient rassemblés au banquet, un vieillard leur montrait la porte du festin, et leur disait ces mots : Aucune parole ne doit sortir par cette porte: leçon journalière qui leur imprimait l'habitude de la discrétion et de la sûreté.

C'est par de pareilles pratiques qu'on ployait les âmes à la législation lacédémonienne, et qu'on façonnait les enfans, de manière à en faire des hommes qui surpassaient dans la suite tous les autres Grecs en courage et en vertus.

Lycurgue eut beaucoup de peine à persuader à ses compatriotes l'utilité d'une éducation à la fois si forte et si minutieuse; il se servit d'une fable vivante pour les convaincre, et cet apologue d'un nouveau genre eut plus de succès que ses raisonnemens.

Il avait élevé deux chiens, tous deux nés du même père et de la même mère ; dressant l'un avec dureté, et donnant à l'autre toute liberté et toute la nourriture qu'il voulait. Un jour, devant l'assemblée du peuple, il

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fit venir ces deux chiens; en même temps il posa à terre une écuelle de soupe, et fit lâcher un lièvre; le chien dressé courut au gibier, et le chien gâté au potage. « Voyez, dit le législateur, l'effet de l'éducation » ces animaux sont de même race et de même sang; » l'un est gourmand, l'autre chasseur; tel est le résul» tat des leçons qu'on leur a données, des habitudes » qu'ils ont prises. Vos enfans seront des hommes lâches » ou courageux, selon que vous négligerez ou suivrez les lois que je vous propose. »> Sparte le crut, et devint la première cité de la Grèce.

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On n'ignore pas ces vérités et ces faits; mais nos habitudes nous empêchent d'en profiter. Toutes les familles trieraient au despotisme, si on voulait les forcer à donner aux enfans une éducation uniforme et analogue à la forme du gouvernement sous lequel ils sont destinés à vivre. Cependant il est évident qu'une éducation républicaine dans une monarchie sème des révolutions; que des enfans qui, au sein d'une république, seraient éle-. vés dans des principes d'ambition et de monarchie, renverseraient un jour ou défendraient mal les lois de leur pays, et que, sous une constitution libérale et mixte, l'impression faite par des principes trop populaires ou trop despotiques, préparerait pour l'avenir des factions et des déchiremens.

Rappelons-nous nos colléges, nos professeurs, nos livres, nos leçons, et nous verrons que, dans notre enfance, un œil clairvoyant aurait pu discerner tous les divers partis, tous les différens systèmes qui ont depuis divisé les esprits, désuni les cœurs, et livré notre patrie à des discordes jusqu'à présent interminables. Les idées diverses données à cette enfance sont devenues des

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