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INSTRUCTION PUBLIQUE.

N°. VIII.

Discussion des anciens modes d'éducation, suivie d'un nouveau plan.

Une question bien importante s'agite en ce moment; c'est celle relative à l'éducation publique. Les uns, frappés de résultats odieux, veulent, en détruisant la nouvelle organisation, briser l'instrument qui semble les avoir produits; d'autres, intéressés à la conservation d'un établissement qui leur est si avantageux, voudraient qu'on en changeât seulement la direction, et surtout que cette direction continuât à leur être confiée. Il s'agit donc d'abolir tout-à-fait le nouveau mode d'éducation, et de rétablir l'ancien; ou d'en créer un autre qui participe de tous les deux ; ou, enfin, conservant ce qui est établi, s'attacher seulement à donner par des moyens semblables une impulsion différente.

Il nous est permis dans cette occurence, et l'amour du bien public nous en fait même un devoir, d'émettre des idées que l'expérience a provoquées, et que les réflexions ont mûries.

Nous jetterons les yeux sur les anciennes institutions; nous examinerons les nouvelles; et, après les avoir rapprochées, comparées, si nous les jugeons également defectueuses, nous oserons présenter au public un plan qui serait sûrement plus utile et plus simple, si l'expé rience une fois l'avait démontré praticable.

Qu'on nous permette, avant d'entrer en matière, de mettre au jour quelques réflexions sur les avantages et les inconvéniens de l'éducation publique, et les idées opposées qu'on s'en forme. Les uns en ont horreur; les autres la croient ce qu'il y a de plus utile à la société. Tous ont raison; car l'éducation publique est ce qu'il y a de meilleur ou de pire, suivant qu'elle est bien ou mal

dirigée; mais assez généralement le mal a prévalu. Les hommes rassemblés s'améliorent, s'ils sont tenus sous une discipline exacte. Outre l'habitude de l'ordre qu'ils contractent, et les principes dont ils se pénètrent, il se forme un certain honneur, qui, à cause de la connaissance réciproque, rend les individus d'une même société comme garans mutuels de leur bonne conduite; et il semble que plus le nombre des personnes qui nous connaissent sous des rapports favorables s'étend et se multiplie, plus la garantie devient forte contre les penchans vicieux qui pourraient nous entraîner si nous étions isolés.

Ce que produisait la discipline militaire sur les hommes vagabonds, débauchés, corrompus, dont on formait autrefois les armées, est la preuve de ce que j'avance: mais aussi quelle corruption, quels désordres s'introduisent parmi les hommes rassemblés, lorsqu'une loi vigilante et sévère cesse de les gouverner! C'est surtout parmi la jeunesse, si susceptible des impressions vives et fortes en bien ou en mal, que cette corruption se porte à son comble; elle finit, livrée au désordre, par ne rougir que de ce qui est honnête. Si l'éducation est abandonnée au caprice des individus qui s'en chargent, les résultats varieront, et les jugemens qui condamnent ces établissemens seront généralement trop fondés: c'est ce qui fait que, pour rendre les produits de l'éducation aussi uniformes que bienfaisans, il est bon qu'un même mode appliqué à tout un état ressortisse d'une seule autorité qui soit dans la main du souverain.

Les institutions qu'on regrette avaient-elles ce carac tère et cet avantage? Non, sans doute; et, si quelques maisons ont vu accidentellement des Rollin et autres les gouverner avec sagesse, on peut dire qu'en général le plan était mauvais, vicieux dans bien des points, et défectueux dans tous.

Des corps ambitieux, des universités rivales, des communautés corrompues et des particuliers avares se partageaient, ou plutôt s'arrachaient la jeunesse et l'éducation. Quel bien. quel ensemble, pouvaient en résulter? Les jalousies de ces différens corps contribuèrent cepen

dant à répandre les lumières dans les commencemens; mais, depuis, elles ne servirent qu'à ridiculiser ceux qui s'y livrerent, ou entretenir des préjugés et des haines aussi contraires à la morale qu'au bon sens.

Quant à cette discipline qu'on nous vante, pourquoi l'histoire de l'Université est-elle pleine de règlemens tonjours insuffisans pour réprimer les désordres de ses suppôts et de ses élèves? Qui de nous, enfans d'avant la révolution, n'a été témoin de l'anarchie des pensions, des révoltes des colléges et même des petits séminaires? Dans un, près Orléans, où j'ai fini mes études, n'ai-je pas vu, pour mon compte, trois malheureux régens entraînés, dans une promenade, la corde au cou, à la rivière? Des mariniers seuls les sauvèrent; et c'était presque sous les yeux de l'évêque! Je ne parlerai point des pillages, des combats, dont on faisait l'apprentissage aux dépens des habitans de la campagne. La prudence de mes parens m'y avait placé cependant comme dans un lieu privilégié pour les mœurs: mais de qui la bouche impure oserait maintenant révéler les turpitudes, les infamies dont il a pu être témoin, et qu'il a su, par tradition, infecter depuis si long-temps la plupart des établissemens! J'ajoute à tous ces défauts, le système insensé de déprécier son gouvernement, en exaltant sans cesse, à une jeunesse trop avide de chimères et de nouveautés, une antiquité qui n'est belle peut-être que parce qu'elle n'est plus sous nos yeux.

Je ne dirai qu'un mot sur les associations religieuses. Leur esprit de corps, leurs préjugés, leur discipline toujours tant soit peu monastique, n'eût jamais para, même à l'ancienne université, favorable au progrès des sciences. Quant aux mœurs... le dirai-je... la tension vers le mieux me paraît ennemie du bien.

Si les institutions d'autrefois ne nous laissent rien à regretter sous le rapport de la morale et de la discipline, nous allons voir que la nouvelle Université, conçue d'après un plan plus vaste, mais adoptant de vieilles routines dans le détail, et maîtrisée par les circonstances, n'a produit qu'une éducation plus vicieuse et une instruc

tion aussi fausse. Ce qu'on pourrait conclure de résultats à peu près semblables, c'est que les anciennes écoles ont amené, sans le prévoir, une révolution, que les nouvelles consolidaient à dessein.

L'éducation se partage entre des colléges et des pensions particulières; ce partage seul est un défaut; l'éducation publique veut être exclusivement entre les mains du gouvernement. C'est sous son influence immédiate que les enfans doivent sucer les principes qui constituent son immutabilité. Ce défaut, comme on a vu, n'est point le produit de la révolution. Bonaparte l'a trouvé établi; il l'avait modifié, et l'aurait fait disparaître. Faisons le bonheur de la société ce que le tyran pour projetait pour son unique avantage; imitons les Romains, et prenons de nos ennemis tout ce qui est propre à les vaincre.

Dans les colléges, la discipline est plus exacte, les maîtres mieux choisis, mieux payés; leur sort est plus supportable, sans être cependant fortuné. Du reste, les pensions comme les colléges me paraissent en cela mal organisés. Il y a trop de maîtres (1), les élèves en changent trop souvent. Que dirait-on d'un père de famille qui donnerait tous les six mois un nouveau gouverneur à son fils? Les maîtres d'études ne font cependant pas autre office auprès des jeunes gens. Leur grand nombre, la modicité du traitement qu'il entraîne, joint à l'assujétissement et au mépris même attaché à des fonctions dont chacun affecte d'ignorer l'excellence, font que le choix ne peut jamais tomber que passagèrement sur des sujets capables de remplir dignement ces emplois. Du

(1) Cette partie est une innovation; autrefois les maîtres de quartier dans les colléges étaient de jeunes aspirans aux différentes chaires; aujourd'hui, c'est comme un état à part, et c'est presque même un titre d'exclusion pour le professorat. L'ancien mode, en cela, valait mieux, parce qu'il n'éteignait pas l'émulation ́ et n'entraînait pas le mépris des élèves. *

reste, le plus long-temps qu'un élève puisse demeurer avec un maître, c'est dix mois; il est des pensions où ils en changent presque toutes les semaines. Mais l'aurore d'un plus beau jour semble luire pour l'éducation, et de nouvelles méthodes vont sans doute porter enfin la réforme dans des abus enracinés depuis long-temps. Qui peut sans attendrissement voir des bandes très-considérables des enfans du peuple traverser des quartiers de Paris dans l'ordre et le silence, sous la conduite d'un des leurs! De quelles révolutions heureuses ces essais sont les pronostics! On ne s'attend pas, dans l'éducation im médiate, que je parle des conseillers, des inspecteurs, presque pas même des proviseurs, quoique ces derniers, par leur sagesse et leur fermeté, suppléent beaucoup souvent à l'insuffisance des maîtres. Les professeurs ne peuvent influer que légèrement sur la conduite des éléves. Leur besogne est d'enseigner; de bons avis néanmoins, dans la bouche d'un homme qu'on estime, ne sont jamais déplacés, et peuvent produire d'excellens effets en leur temps.

Peu satisfaits des colléges, que sera-ce si nous passons aux institutions particulières, et surtout aux petites pensions? Ces maisons prises en masse contiennent néanmoins une quantité énorme d'élèves en comparaison des colléges c'est là cependant où l'on retrouve toute cette ancienne turpitude à laquelle la révolution même n'a pas manqué d'ajouter quelques degrés de déprava

tion.

:

Aujourd'hui comme alors, des hommes communément vils prennent des gens de toute espèce à leurs gages, rassemblent quelques élèves; et voilà une maison d'éducation : mais d'autres, plus manifestement immoraux, sont à la tête de quelques-unes ; et c'est là de nos jours le surcroît de scandale.

Les Spartiates, pour donner l'horreur de l'ivrognerie à leurs enfans, faisaient sous leurs yeux enivrer des Ilotes. Serait-ce dans de pareilles intentions, parens si téméraires, que vous mettriez vos enfans dans des maisons où, du matin au soir, ils n'auront auprès d'eux que des hommes faits pour attirer leur mépris ou leur haine?

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