Page images
PDF
EPUB

ΚΟΥ

FÉVRIER 1816.

56 ABRE

L'autre, préférant la grâce des madrigaux de MM. de la Seiglière et Dupuy-des-Ilets, me demande quelquesuns de ces jolis vers auxquels on ne peut comparer que la prose de M. Auguste-Hus. Il faut donc satisfaire cette grande faim qu'à mes yeux on expose, et, pour commencer, peut-on rien voir d'égal à ces vers de M. Dupuy des-Ilets, adressés à mademoiselle Bigottini ?

Voilà bien cette taille aux contours onduleux,

Qu'entre dix doigts voluptueux
L'amour adolescent emprisonnait sans peine.

C'est bien cette bouche mi-close,
Que l'abeille indecise, en cherchant son butin,
Plus d'une fois prit pour la rose.

Voilà un madrigal,

Qui passe en doux attraits Dorat et Brissotin.

Voulez-vous maintenant une pensée neuve, exprimée avec autant d'élégance que de concision? lisez le Malheur envié, de M. Bazot:

Mon épouse n'est plus, juge de mon malheur!

Que ton malheur, Lindor, ferait bien mon bonheur !

L'on voit que M. Bazot, dans ses vers',

Affecte d'enfermer moins de mots que

de sens.

M. Mezes s'offre ensuite à l'admiration de ceux qui veulent que l'on crée des expressions nouvelles et d'heureuses alliances de mots :

C'est en vain, ma pauvre Lucrèce,

Que des roses de la jeunesse

Tu pares ton front raboteux.

Certes, personne avant M. Mèzes, n'avait dit un front raboteux. Il n'appartient qu'à des génies tels que Racine

et M. Mezes, d'enrichir notre langue par des créations aussi élégantes que hardies.

Que de fois n'a-t-on pas célébré Grégoire, depuis Panard jusqu'à Désaugiers! On n'aurait pas cru qu'il fût possible de dire rien de neuf sur le patron des buveurs. M. Edmond, d'Alençon, nous prouve le contraire dans l'épitaphe de Grégoire, où il l'appelle

Ennemi né de l'eau.

Au milieu de tant de jolies choses, de tant de vers charmans, de tant d'épigrammes, qui font encore plus d'honneur au cœur qu'à l'esprit de ces messieurs, on rencontre bien quelques imperfections, quelques rimes qui ne sont pas très-exactes. Par exemple, M. A. Deville fait rimer content et va-t-en. Mais on trouve bien des fautes de français dans Racine et dans Molière; et c'est encore là un des endroits par lesquels MM. Mèzes, zot, etc., ressemblent à ces grands écrivains; mais quelles fautes ne rachèterait pas cette foule de traits piquans, de pensées ingénieuses que renferme l'Almanach des Muses? Quel est le critique dont la sévérité ne serait pas désarmée par une pièce telle que l'Épire aux Dindons, de M. Damas? Ce chef-d'œuvre mérite qu'on s'y arrête un instant. L'auteur commence ainsi :

Laissons au céleste séjour

S'élancer l'oiseau téméraire,

Qui, bravant les flots de lumière,

Fixe hardiment l'œil du jour.

Ba

M. Damas, détestant ces tyrans des hautes régions, dont l'audace extréme

:

Plane en se jouant au sein même

Du foyer d'où jaillit l'éclair,

aime mieux chanter des héros simples et bons comme lui chacun a ses goûts, le sien est pour les dindons. Une pareille bonté d'âme est bien faite pour toucher. Si un autre motif a pu le déterminer encore pour ce sujet, oe n'est point l'amour-propre : qui oserait en soupçonner

[ocr errors][ocr errors][ocr errors]

M. Damas quand il célèbre les dindons? Il les affectionne parce qu'ils sont utiles; il nous blâme de notre frivolité; L'utile, hélas ! est dédaigné;

Ingrats humains, devrait-il l'être!

S'il a pu l'être il ne le sera plus; personne ne pourra être insensible à un reproche fait en si jolis vers; et, grâce au charme d'une pareille épître, on ne négligera plus l'utile, ni les dindons, ni M. Damas.

[merged small][ocr errors][merged small]

Après nous avoir appris que les dindons brillent sur table, et qu'ils réunissent ainsi le brillant à l'utile, il ajoute que lui-même ne se distingue pas moins à table. Si j'en crois pour les festins

L'ardeur qui chez moi se signale,
Il me semble, qu'au talent près
Tout comme un antre je pourrais
Siéger au rocher de Cancale.

Vous êtes trop modeste, M. Damas ; et, d'ailleurs, M. le chevalier Jacquelin ne vous prouve-t-il pas qu'on peut siéger au Rocher de Cancale, au talent près ? M. Damas chante ensuite la tendre bécassine, et l'hôte plein d'accueil qui le fait

Passer du filet de chevreuil

A l'aile de l'oiseau du Phase.

Il se compare ensuite à Homère, à Buffon, à Catulle, à Gresset et à Voltaire, et, pour justifier encore une fois le choix de son sujet, il fait l'argument suivant, qu'on trouvera sans réplique :

« Homère a chanté les grenouilles; Catulle et Gresset, des oiseaux; Buffon et Voltaire ont célébré les vertus de l'âne et ses fortunés talens; et aucun de ces écrivains

n'était une bête; à plus forte raison, je puis, moi, dit M. Damas, chanter les dindons. »>

Il n'est aussi permis, je pense,

D'écrire à mon tour aux dindons.

Ne dirait-on pas que, pour leur écrire, l'auteur a pris une de leurs plumes?

Après nous avoir fait voir les dindons à la broche et sur la table, M. Damas nous les montre dans la bassecour; il nous vante leur allure combinée, et le vif incarnat de leur cravate enluminée. On ne trouvera pas làdedans beaucoup de gradation, et il aurait peut-être mieux valu nous les montrer d'abord dans la basse-cour avant de les mettre à la broche; mais

Souvent un beau désordre est un effet de l'art.

Quoi qu'il en soit, si tout le monde n'admire pas ce désordre, il n'est personne qui ne reconnaisse la vérité dont M. Damas se fait lui-même l'application en terminant son épître:

En dépit de lui, tout anteur

Se peint toujours dans son ouvrage,

Et tout le monde répétera aussi avec M. Bordeaux, après avoir lu sa traduction d'une ode d'Horace,

Mais rien n'est immortel, et tout nous en instruit.

Non, rien n'est immortel, pas même le nom de M. Bordeaux; tout nous en instruit, tout, jusqu'aux vers dè M. Damas.

L'admiration de tant de beautés, et le désir de les faire toutes connaître à mes lecteurs, m'a entraîné si loin qu'il ne me reste plus de place pour leur citer quelques-uns des vers non moins jolis que renferment les autres recueils que j'ai annoncés, et surtout le Chansonnier des Graces; mais c'est le cas de dire:

Disce omnes,

ab uno

Sur le frontispice de l'Almanach des Muses, on voit la statue et les œuvres d'Homère: c'est placer le remède à côté du mal.

AGENDA DES ENFANS;

PAR M. FREVILLE:

Pour l'année 1816; un volume in-18 avec gravures. A Paris, chez A. Eymery, rue Mazarine, n°. 3o. Prix: 1 fr. 25 c., et 2 fr. par la poste.

Les parens, les instituteurs, la jeunesse, devront des éloges à l'auteur de l'Agenda des Enfans; car, de cette idée simple, ingénieuse et utile à la fois, il en résultera de très-grands avantages pour tous ceux qui en feront usage. Le père ou la mère qui élèveront leur fils ou leur fille, le gouverneur chargé d'instruire son élevé, l'écolier qui doit passer ses jeunes années à l'étude, tous, en un mot, applaudiront à l'idée de M. Fréville; ils consulteront l'Agenda des Enfans, et les notes qui y seront inscrites seront tôt ou tard un souvenir agréable du bien qu'on a fait, ou un stimulant certain pour réparer le temps qu'on a perdu.

Essayons donc de donner une courte analyse de ce petit ouvrage, qui, malgré son titre modeste, n'est pas le moins intéressant de tous ceux qui se publient journellement sur l'éducation, et qui, au lieu de la perfectionner, l'embarrassent dans sa marche et la gênent dans ses développemens.

M. Fréville nous apprend que sa méthode a été employée avec succès dans l'éducation morale du duc de Bourgogne. Tous les jours, toutes les heures de l'éducation de cet auguste prince, étaient consignés dans un Journal de conduite; ce qui m'a fourni, dit M. Fréville, l'idée de mon Agenda. Il se compose de quatre tableaux. Le premier est consacré aux notes du journal de conduite; il a trois colonnes, où sont les jours du mois, le bien et le mal. Le second tableau donne le détail des bonnes

« PreviousContinue »