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on peut le dire ainsi, le serment de ne rien dessiner ni peindre sans la consulter.

Velasquez, à cet effet, s'était attaché un jeune paysan et s'en faisait un modèle permanent. Il lui donnait mille postures différentes, le faisait rire, le faisait pleurer, et ne se pardonnait aucune difficulté (1).

Pour bien approfondir le mystère de la couleur, il peignit, d'après nature, des fruits, des poissons, des natures mortes. Il mit à suivre ce système une inconcevable tenacité.

Velasquez, ensuite, fit des intérieurs, des bambochades, et parvint à se distinguer dans ce genre. Il faut cependant convenir que ses premiers ouvrages ont quelque rudesse. Ce qu'il fit de mieux dans cette manière est son Aguador de Sevilla (le marchand d'eau de Séville). Cet ouvrage brille entre toutes les beautés du palais de

Madrid.

Parmi quelques autres productions d'égal mérite, on doit surtout considérer l'Adoration des pasteurs, que possédait M. le comte de l'Aguilla, et des Buveurs, que l'on peut voir à Paris.

Pacheco, recevant à Séville les personnages les plus distingués par leur savoir, Velasquez mettait à profit toutes leurs conversations, tirait un grand parti de l'enthousiasme des poëtes qui ornaient cette société, et par la lecture des livres choisis de son maître, fortifiait son imagination et son esprit. Il se rendit enfin si recommandable, que Pacheco, qui était un homme d'un rare mérite, lui donna sa fille en mariage.

Séville, à cette époque, recevait une quantité inouïe de tableaux d'Italie, de Flandres et de Madrid. Velasquez

(1) C'est d'après cet enfant, dont Velasquez fit tant de portraits, qu'il acquit un talent rare pour la ressemblance. Cette méthode aussi lui donna tant de facilité pour peindre les têtes, que pen d'Italiens l'ont égalé.

voulait tout voir et tout imiter; mais les compositions qui le frappèrent le plus furent celles de Louis Tristan, célèbre professeur de Tolède. L'harmonie des teintes, la vivacité des conceptions, tout était en rapport avec la manière de voir, de sentir de Velasquez, au point qu'il se déclara le partisan prononcé de Tristan.

En 1623, Velasquez quitte Séville, arrive à Madrid. Jean de Fonseca, chanoine de Séville, en exercice au palais, lui procure le moyen d'étudier les collections de Madrid, du Pardo, de l'Escurial, etc.

Il venait de terminer le portrait du poëte Louis de Gongora, quand son beau père le fit revenir à Séville; mais son protecteur Fonseca s'occupa tellement de lui que l'année suivante, 1623, il reçut une lettre du comte duc d'Olivares, ministre d'état et favori de Philippe IV.

Velasquez se rend donc à Madrid, et Pacheco l'y accompagne pour être témoin, dit-il, de la gloire de son gendre.

Le seigneur de Fonseca reçoit l'artiste dans sa maison, lui demande son portrait, que l'on porte de suite au palais, et qui, enlevant les suffrages de toute la cour, présage la brillante fortune de Velasquez.

Le jour même il est admis au service du roi, dont il finit le portrait le 30 août 1623; et c'est là que les Carducho, les Caxes, les Nardi, peintres du premier ordre, convinrent que jamais ils n'avaient eux-mêmes représenté le roi d'une manière aussi transcendante (1).

(1) S. M. manifesta toute la satisfaction que lui causait cet onvrage, en ordonnant de suite que l'on recueillit tous les portraits déjà faits par d'autres artistes, et donna elle-même à Velasquez l'insinuation flatteuse que désormais lui seul aurait l'honneur de la peindre c'est à ce moment même que le roi lui fit compter trois cents ducats d'or, pour qu'il fit venir sa famille, et le nomma son peintre.

Dans ce tableau, le roi, armé en chevalier, montait un cheval magnifique (1).

Parmi les étrangers marquans à la cour d'Espagne à cette époque, on voyait figurer le prince de Galles. Un goût décidé pour la peinture, réuni à une grande intelligence, donnait à son témoignage une valeur irrécusable.

Velasquez fut prié de faire le portrait de ce prince; malheureusement pour nos jouissances, il ne put le terminer, en raison du départ précipité de S. A. R., le gseptembre 1623.

On s'occupait à la cour d'élever un monument à la gloire de l'expulsion inespérée des Maures par le pieux Philippe III. Tous les artistes célèbres furent invités à concourir. Velasquez reçut la palme, et, pour récompense, eut les deux places d'huissier de la chambre et de fourrier du palais (2).

F. Q.

(La suite à un prochain numéro.)

(1) Le roi permit qu'un jour de fête on plaçât ce portrait devant l'église de Saint-Philippe-le-Royal. Cette exposition donna lieu à tous ce qui arrive en pareil cas; il y eut des enthousiastes, des jaloux, des vers adulateurs, des vers critiques. Mais le tableau fat reconduit en triomphe au palais, dont il est toujours l'un des plus beaux or

nemens.

(2) Il n'est pas déplacé de dire ici que le roi fit ajouter à ces avantages une dotation annuelle, à Velasquez, de go ducats d'or pour un habit de gala, et, de plus, fit donner à son père trois charges d'écrivains de Séville, dont chacune rapportait 1000 ducats d'or.

CORRESPONDANCE DRAMATIQUE.

Depuis long-temps, Monseigneur, nos auteurs comiques sont rarement gais. Les nouveautés se succèdent à Paris avec grande rapidité; le peu de talent et de temps que l'on met pour écrire la comédie, sont les causes qui ont amené cette stérile abondance qu'on remarque en ce moment dans la littérature dramatique.

Nous voici parvenus à une époque de l'année où on est convenu de rire, où la gaîté indulgente du spectateur donne un champ libre à toutes les folies qui peuvent passer dans la tête des auteurs. Tous les théâtres se piquent d'avoir leur piece de carnaval. La Comédie Française, suivant l'usage antique et solennel, a remis au courant de son répertoire le Malade imaginaire, avec sa cérémonie; le Bourgeois gentilhomme et sa réception; Pourceaugnae, et tout le cortège de la faculté. On parlait, il y a quelque temps, de la reprise de Jodelet, et j'ignore ce qui a empêché la représentation de cette nouveauté, qui ne date que de 1645. Il aurait peutêtre fallu que les sociétaires apprissent leurs rôles : c'était bon quand ils n'étaient que pensionnaires.

Le théâtre de l'Odéon a des acteurs qui n'ont ni fortune ni réputation; aussi, le jour qu'ils jouent une nouvelle pièce, ils savent déjà le rôle de celle qu'ils doivent donner huit jours après. La Féte d'un bon Bourgeois de Paris, ou le Jour et le Lendemain, est une comédie en trois actes et en prose, dont la première représentation n'a pas dû faire rire les auteurs. La chute a été complète ; mais, le lendemain, ils ont été aux nues. Il est vrai que la salle était une espèce de désert, qu'une troupe de vigoureux amis remplissait de leurs bruyans applaudissemens. Quoi qu'il en soit, cette pièce n'est pas sans mérite. L'action en est faible; mais les détails sont agréables. La peinture des mœurs de la basse bourgeoisie de Paris est fidèle, et traitée avec une sorte d'art. On reconnaît dans le dialogue le style du vaudeville, où tout est sacrifié aux

jeux de mots, aux pointes et à l'esprit; des scènes de bonne comédie n'y sont qu'ébauchées. Les auteurs n'avaient pas le talent de creuser davantage un sujet qui serait devenu plus important dans des mains plus habiles; ils auraient dû renfermer leur cadre dans un petit acte.

On prépare au même théâtre une piece intitulée Brusquet, ou le Fou de Henri II. On a déjà donné la reprise des Réveries grecques, parodie assez plaisante d'Iphigénie en Tauride. Ainsi vous voyez, Monseigneur, que voilà l'Odéon assez bien monté pour fournir une joyeuse carrière pendant le cours du carnaval.

Si j'avais suivi l'ordre hiérarchique des théâtres, j'aurais dû commencer par l'Académie royale de Musique, qui daigne un moment abdiquer le sceptre de l'ennui pour agiter les grelots de la folie. L'auteur du joli ballet des Noces de Gamache, M. Millon, nous a donné ces jours-ci le Carnaval de Venise, ballet-pantomime, où les danses, les mascarades, les décorations, en un mot, où toute la pompe qu'on peut désirer à l'Opéra n'est point épargnée.

Pour passer d'une pantomime à une autre pantomime, il n'y a souvent qu'un changement de décoration; aussi, Monseigneur, vais-je vous conduire de l'Opéra au Cirque de MM. Franconi, où vous verrez Sancho, gouverneur de l'île de Barataria, farce renouvelée des Grecs, comme disait ingénument un rival de M. Cuvelier, auteur de Sancho, et qui s'est spécialement livré à la littérature dramatico-équestre.

Si V. A. n'était pas fatiguée de gestes, je lui indiquerais encore une pantomime intitulée Bétinet, qu'on a représentée avant-hier au théâtre de l'Ambigu-Comique; mais je ne veux point abuser de sa patience. Que le nom de Molière vienne réparer ma digression sur les panto

mimes.

L'Original de Pourceaugnac, ou Molière et les Médecins, tel est le titre d'un vaudeville de carnaval, assez divertissant si le fond en était vrai. Un Limousin, nommé M. de Sotignac, est épris de madame Molière, jolie actrice du temps, qui donna plus d'un sujet à l'auteur du Misanthrope de se plaindre de la coquetterie des

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