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puisqu'ils sont de Raphaël; ni enfin cette Transfiguration, son chef-d'œuvre, celui de l'art, et originairement destinée, pour nous. Mais on sait qu'avant d'exécuter pour François Ier. ce dernier de ses chefs-d'œuvre, Raphaël lui en avait envoyé deux autres, le Saint Michel et la Sainte Famille. Ainsi donc si jamais regrets ne furent plus fondés que les nôtres, jamais aussi consolations ne dûrent être plus efficaces. Le littérateur à qui l'on défendrait de lire ou de voir jouer presque tout le théâtre de Racine, à l'exception d'Andromaque et de Phèdre, devrait-il s'affliger immodérément?

sans

Mais au nombre de nos plus puissantes consolations, il faut compter celles que fera toujours naître en nous la contemplation des chefs-d'œuvre de notre propre école. Revenons avec un sentiment d'orgueil national, doute très-permis, devant les tableaux de nos grands maîtres. Ce Jugement dernier, composé avec une imagination si féconde, et si bien dessiné, Jean Cousin le peignait dès le temps même où les arts s'acclimatèrent en France; et, malgré la petitesse des proportions des figures, aucune nation, aucune ville ne possède de tableaux sur cet effrayant sujet plus dignes d'être cités après l'immense fresque de Michel-Ange. Si le peintre des philosophes et des savans, Poussin, dont la Normandie est aussi fière que de Corneille, a multiplié ses excellentes productions, nulle collection n'en offre de plus remarquables que celle du Musée. Là sont le Pyrrhus sauvé, les Aveugles de Jéricho, le Temps enlevant la Vérité, le sublime Déluge, et vingt autres tableaux, jouissant aussi d'une réputation européenne; là le Raphaël français, cet Eustache Le Sueur, qui ne vit jamais ni Rome ni l'Italie, se montre digne du surnom le plus glorieux, et ne craint point les comparaisons les plus redoutables, puisqu'on lui doit ces Saints Gervais et Protais amenés devant le proconsul Astase, cette Annonciation; cé Mi

qu'il avait pu l'être en sortant de l'atelier de Raphaël. Au reste, il n'est peut-être pas un chef-d'oeuvre qui n'ait été en France l'objet de semblables soins, et que nous ne rendions dans un état incomparablement meilleur que nous ne l'avons reçu.

racle arrivé pendant la messe de saint Martin, surtout ce saint Paul préchant à Ephèse, chefs-d'œuvre dignes de l'auteur de la vie de saint Bruno, qu'on admire au Luxembourg. Là le Martyre de saint Etienne suffirait pour prouver que Le Brun fut justement nommé le premier peintre de Louis XIV, et méritera toujours dans les arts une place honorable. Là Claude Lorrain est toujours le premier des paysagistes, comme Vernet le premier des peintres de marine Là ce Jouvenet si énergique, Bourdon, Lafosse, La Hire, Valentin, mort si jeune, ont des tableaux faits pour attirer l'attention et l'estime des connaisseurs assez raisonnables pour ne pas admirer exclusivement ce qui vient de loin.

Au reste, si cette manie, souvent reprochée à notre nation avec justice, avait encore des partisans parmi nous, jamais elle ne serait moins excusable. Je l'ai dit, et, certes on ne me démentira pas, nous seuls avons encore une école nationale. Quand les tableaux d'Italie et de Flandre retourneront aux lieux où ils furent faits, ces admirables productions de Raphael, du Corrège, du Titien, de Rubens, de Vandyck, y trouveront-ils beaucoup d'émules de ces hommes illustres? La réponse n'est pas douteuse. En France, au contraire, non-seulement le feu sacré des arts ne s'est point éteint; mais si c'était ici le lieu, il serait facile de faire voir que le goût de l'école s'est encore épuré sous plus d'un rapport. Nos artistes vivans sont connus, appréciés dans toute l'Eu rope, et plusieurs de leurs productions rivaliseraient ave avantage des tableaux depuis long-temps célèbres.

Ainsi donc, quelles que soient nos pertes, nous possédons encore, tant en tableaux d'anciens maîtres étrangers que d'anciens maîtres français, une collection très-precieuse. Pour en former une seconde, il suffirait de faire un choix parmi les principaux ouvrages de nos meilleurs peintres actuels; enfin, ces mêmes artistes sont presque tous dans la force de l'âge; ils soutiendront le nom qu'ils se sont fait, et, déjà par leurs leçons et leurs exemples, un assez grand nombre d'élèves s'annoncent comme dignes de marcher sur leurs traces. Ainsi donc, au lieu, de s'éteindre, ou même de pâlir en France, le flambeau

des arts ne peut qu'y jeter une lumière de plus en plus vive. De la Grèce où il a brillé d'abord, il est venu jusqu'à nous, après avoir jeté dans l'Italie ancienne et moderne un grand éclat. S'il doit un jour nous quitter pour d'autres contrées, on peut affirmer que, témoins de tant de révolutions, nous n'avons pas du moins à redouter celle-là d'ici à un temps à peu près indéfini.

Telles sont, Monsieur, les considérations que je n'ai pu qu'indiquer, puisque leur développement n'eût pu être le sujet d'une simple lettre. Si vous croyez qu'elles puissent satisfaire quelques-uns de nos compatriotes éclairés, et adoucir leurs regrets, vous êtes le maître de les publier.

Agréez, etc.

TRAITÉ D'HARMONIE,

Suivi d'un Dictionnaire des Accords;

Par Henri Montan-Berton, membre de l'Institut, chevalier de la Légion-d'Honneur, professeur au Conservatoire, chef du chant de l'Académie royale de Musique.

La musique, dit-on, est un art aussi ancien que celui de la poésie; peut-être ces deux arts sont-ils nés simultanément. Tous deux ont été consacrés à célébrer les héros, à adorer la Divinité, à conduire aux combats, et à honorer les regrets. Plus d'une fois même les chants et les vers ont créé la valeur.

La poésie ancienne a laissé des monumens éternels. Les poëmes des Grecs, des Romains et des Hébreux nous sont tous parvenus; nous pouvons encore admirer les vers d'Homère, et les chants d'Orphée sont perdus. Amphion et Linus, dont les historiens nous ont vanté l'art, redoublent notre incertitude. Une foule de problèmes viennent s'offrir à notre imagination étonnée. D'où venait ce charme puissant de leur lyre? Leurs accords étaient-ils plus savans que les nôtres, ou leurs contemporains plus sensibles à l'harmonie que nous ne le sommes?

Quel rhythme employa donc ce musicien dont parle QuinteCurce, rhythme qui fit passer Alexandre de la joie à la fureur? Qui pourra jamais soulever le voile mystérieux qui nous dérobe la connaissance des moyens qu'employaient les anciens pour émouvoir et pour calmer les passions et porter les peuples aux plus grandes actions par le seul ascendant de la musique? Depuis ces temps reculés on aurait cependant à citer une foule d'exemples frappans de la diversité des effets produits par de simples airs. On sait l'impression que fait sur les Suisses expatriés le fameux Ranz des Vaches. L'on n'a pas oublié des chants qui ont coopéré si fortement à donner à la France la fievre de la gloire militaire.

Peut-être devons-nous aussi attribuer à de simples refrains populaires ces miracles qu'opérait autrefois la musique des anciens. Combien devons-nous regretter que l'écriture musicale leur ait été inconnue, ou que les caractères ne nous en soient pas parvenus ! Dans le moyen âge, le chant grégorien fut fixé, et se perpétua jusqu'à nous; c'est sous les signes trop bornés que Charlemagne fit adopter, que nous sont parvenus quelques airs de Clotilde.

La musique, considérée comme art, ne date que depuis peu de temps. Nous ignorons de qui les Lully, les Rameau, les Léo et les Durante ont pu apprendre les règles de cet art; mais nous savons que c'est d'après eux, et surtout les grands maîtres qui leur ont succédé, que nos compositeurs actuels doivent l'étudier. Il manquait à ce même art un traité qui développât ex professo des principes que de grands exemples ont consacrés, et qui devint, pour ainsi dire, l'art poétique de la musique.

M. Berton a entrepris cet ouvrage. Son Traité d'harmonie offre aux amateurs de musique, et surtout aux compositeurs, un vaste champ de réflexions. Ils y verront, à travers des matières naturellement abstraites, une foule de remarques curieuses sur toutes les parties de l'art musical. La mélodie, l'harmonie et le rhythme, cette trinité, si rare aujourd'hui, donnent lieu à des développemens savans sur les accords, les cadences, les modulations, le contre-point et la fugue.

Nous avons remarqué dans l'analyse d'un air d'Haydn

l'essai que fait M. Berton de la ponctuation ordinaire des langues, c'est-à-dire la virgule, le point et virgule et le point. M. Berton est possesseur du manuscrit de la chacone de son père, morceau de musique qui a eu une grande célébrité en Europe, et qui la méritait à juste titre pour le temps où il a été composé. Ce morceau est ponctué d'un bout à l'autre, ainsi que l'on ponctue ordinairement le discours. Il s'étonne que l'on n'ait pas profité de cette innovation. Nous doutons qu'elle puisse avoir un but d'utilité pour le perfectionnement de l'exécution musicale. Son usage d'ailleurs nous semble trèsdifficile; car, d'après l'exemple que M. Berton nous donne lui-même, il est certain que le point induirait souvent en erreur. On prendrait souvent une note qui ne serait pas pointée pour une note pointée. Nous croyons que la musique aujourd'hui a tous les signes suffisans pour exprimer toutes les pensées musicales possibles.

Nous regrettons beaucoup que M. Berton ait terminé son traité sans avoir parlé d'un article important dans la musique dramatique; je veux dire la Prosodie. Un grand nombre de compositeurs estimables, et surtout les étrangers, ont rarement senti la nécessité d'étudier l'art d'adapter la musique aux paroles; quelques-uns, au contraire, ont adapté les paroles à la musique; et l'un d'eux, Dezède, a poussé l'irrévérence contre la poésie jusqu'à prétendre qu'on pouvait composer de la musique sur de la prose; et, qui plus est, il a osé l'entreprendre. Nous ignorons quel était le motif qui porta Dezède à cet acte de désespoir. Un vieil amateur du Théâtre Italien nous a assuré que c'étaient les vers anti-poétiques d'Alexis et Justine et des Trois Fermiers que lui avait donnés Monvel.

Pour en revenir à M. Berton, nous dirons que nous ne pouvons concevoir comment il a pu sacrifier huit ou dix ans à la composition d'un ouvrage aussi abstrait que son dictionnaire des accords. Nous le félicitens sincèrement de sa patience; autant les savans lui en auront obligation, autant le public regrettera cinq ou six partitions nouvelles qu'il aurait pu lui donner. Désormais, grâce aux recherches sans nombre et à l'arbre généalogique des accords qu'a fait M. Berton; en un mot, grâce

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