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216 (Disc. du projet de Code civil.]

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE.

Le Premier Consul demande pourquoi, après la mort naturelle du condamné, on n'exécuterait pas le jugement par effigie.

Le citoyen Tronchet répond que c'est parce qu'alors la fiction ne peut plus avoir lieu.

Il ajoute que l'exécution par effigie est suspendue jusqu'au jugement du tribunal de cassation; que si le condamné meurt avant le jugement qui maintient sa condamnation, il meurt encore integri status. Autrefois il en était ainsi, même quand il se donnait lui-même la mort: mais alors on faisait le procès à sa mémoire pour crime de suicide..

Le citoyen Regnauld (de Saint-Jean-d'Angély) observe que le suicide n'étant plus au nombre des actes que la loi punit, les condamnés pourraient échapper à la mort civile, en se donnant euxmêmes la mort.

Le citoyen Tronchet dit que quand on s'occupe d'une loi générale, il ne faut pas se détermiuer par quelques cas qui ne sont que des exceptions dans le cours ordinaire des choses.

Le Ministre de la Justice pense que les condamnés devraient être dans l'impuissance d'aliéner, à dater du jour du jugement; que le système de ne faire courir tous les effets de la mort civile que du jour où le tribunal de cassation a prononcé peut entraîner de graves inconvénients. En effet, tous les condamnés ont aujourd'hui la faculté de se pourvoir : il s'écoule un mois avant que le tribunal de cassation ait prononcé. Les condamnés, qui la plupart se pourvoient avec la conviction intime qu'ils font une tentative inutile, peuvent employer ce temps à disposer de leurs biens par des actes frauduleux.

Le citoyen Boulay dit qu'on remédierait à ce désordre en déclarant frauduleux les actes faits dans le temps intermédiaire.

Le citoyen Tronchet dit que les observations du ministre sont justes; qu'elles avaient également toute leur force dans le temps où les jugements criminels étaient sujets à l'appel, et que cependant la mort civile n'était encourue que du jour de l'exécution.

Quant aux actes frauduleux que le condamné pouvait faire, ils avaient alors pour objet de soustraire ses biens à la confiscation, et néanmoins on n'annulait que les dispositions gratuites. Maintenant la mort civile n'a d'autre effet, par rapport aux biens du condamné, que d'ouvrir sa succession. Il peut se faire que l'époque où commence sa mort civile change la personne de son héritier; mais c'est là une des chances inséparables de la matière des hérédités.

Le citoyen Maleville dit que l'intérêt des tiers peut aussi exiger que le condamné ne divertisse pas sa fortune. Il en est ainsi dans le cas où, indépendamment de la peine imposée pour la vindicte publique, il est condamné à restituer un vol, ou à payer des dommages-intérêts.

Le citoyen Tronchet répond qu'alors les dispositions frauduleuses qu'il aurait faites seraient annulées, parce que tout acte qui fraude un droit acquis est essentiellement nul.'

L'article est adopté.

L'article 19 est soumis à la discussion.

Le Ministre de la Justice dit que la mort civile de l'un des époux ne doit ôter au mariage que ses effets civils et pécuniaires; qu'elle ne peut détruire le contrat naturel sans que l'autre époux y consente. Comment la loi ne verrait-elle plus qu'une concubine dans la femme qui, par principe de conscience', croirait ne devoir pas abandonner son mari? Comment celle qui a été

[Procès-verbal du Cons. d'État.]

femme légitime pourrait-elle cesser de l'être pendant que son mari existe et ne la répudie pas? Comment déclarer illegitimes des enfants qui naissent d'une union formée, dans le principe, sous les auspices de la loi ? La mort civile de l'un des époux ne doit être qu'une cause de divorce.

Le citoyen Boulay dit qu il avait d'abord embrassé celte opinion mais on lui a répondu que la loi ne s'occupe pas du contrat naturel du mariage, qu'elle ne règle que le contrat civil; et que, quand elle l'a rompu, elle ne peut plus regarder comme légitimes les enfants qui naissent ensuite. Le Ministre de la Justice répond que la mort civile n'est qu'une fiction; qu'une fiction ne peut aller au delà de la vérité ; qu'ainsi la loi est forcée de reconnaître pour vivant l'individu frappé de mort civile, et, par une conséquence nécessaire, de lui accorder des aliments, de punir les attentats commis sur sa personne, de lui permettre de poursuivre les injures qu'il reçoit la loi peut donc aussi déclarer ses enfants légitimes. Le citoyen Tronchet dit que le contrat naturel du mariage n'appartient qu'au droit naturel. Dans le droit civil, on ne connaît que le contrat civil, et on ne considère le mariage que sous le rapport des effets civils qu'il doit produire. Il en est du mariage de l'individu mort civilement comme de celui qui a été contracté au mépris des formes légales.

Le Premier Consul dit que, d'après ce système, il serait donc défendu à une femme profondément convaincue de l'innocence de son mari, de suivre dans sa déportation l'homme auquel elle est le plus étroitement unie; ou, si elle cédait à sa conviction, à son devoir, elle ne serait plus qu'une concubine. Pourquoi ôter à ces infortunés le droit de vivre l'un auprès de l'autre, sous le titre honorable d'époux légitimes?

Le citoyen Tronchet répond que la loi ne défend pas, en ce cas, à la femme de suivre son mari; mais elle ne peut plus s'occuper de la nature de son union, tous les effets civils étant détruits. La succession du condamné est ouverte, ses enfants la recueillent, ceux qui lui surviennent ensuite n'y peuvent rien prétendre: sous le rapport du droit civil, ce sont des bâtards dont on ne reconnaît que la mère.

Le Premier Consul objecte que, si la loi permet à la femme de suivre son mari sans lui accorder le titre d'épouse, elle permet l'adultère.

Le citoyen Tronchet dit qu'il n'y a pas d'adultère, parce que les époux ne vivent plus que sous l'empire de la loi naturelle, et sont désormais étrangers à la loi civile.

Le Premier Consul dit qu'ils vivront cependant sous l'empire des lois positives, si le lieu de la déportation est situé sur le territoire français.

Le citoyen Tronchet dit qu'il ne regarde pas
comme mort civilement celui qui n'est pas dé-
porté hors du territoire de la République.

Le Premier Consul dit que la société est
assez vengée par la condamnation, lorsque le
coupable est privé de ses biens, lorsqu'il se trouve
séparé de ses amis, de ses habitudes. Faut-il éten-
dre la peine jusqu'à la femme, et l'arracher avec
violence à une union qui identifie son existence
avec celle de son époux? Elle vous dirait : « mieux
« vaut lui ôter la vie; du moins me sera-t-il per-
« mis de chérir sa mémoire; mais vous ordonnez
qu'il vivra, et vous ne voulez pas que je le con-
« sole! » Eh! combien d'hommes ne sont coupa-
bles qu'à cause de leur faiblesse pour leurs
femmes! Qu'il soit donc permis à celles qui ont
causé leurs malheurs, de les adoucir en les par-

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tageant. Si une femme satisfait à ce devoir, vous estimerez sa vertu; et cependant vous ne mettez aucune différence entre elle et l'être infâme qui se prostitue.

Le citoyen Tronchet pense qu'il convient d'ajourner toutes les questions relatives à la mort civile, jusqu'à la confection du Code criminel, pour éviter les contradictions, et de se borner à dire dans le code Civil: La mort civile est encourue dans les cas et suivant les formes déterminés par les lois criminelles.

Le citoyen Regnier dit que la mort civile et ses effets sont du domaine de la loi positive, qui peut les modifier, les étendre ou les resserrer à son gré. Rien ne s'oppose donc à ce que la loi admette la restriction proposée par le Premier Consul, si la bienséance et la justice commandent; l'une et l'autre paraissent exiger que la mort civile de l'un des époux n'établisse pour l'autre que la faculté de faire rompre le mariage.

Le citoyen Maleville dit que la raison et la législation romaine le veulent ainsi. Il fait lecture de la loi première au Code de Répudiis. Cette loi porte Matrimonium quidem deportatione, vel aquæ et ignis interdictione, non solvitur, si casus in quem maritus incidit, non mu et uxoris adfectionem. Ideoque dotis exactio ipso jure non competit; sed indotatam esse, cujus laudandum propositum est, nec ratio æquitatis, nec exempla permittunt.

Le citoyen Maleville ajoute qu'on ne peut attribuer cette décision à l'idée de sacrement que le christianisme attache au mariage, puisque l'empereur Alexandre Sévère, qui l'a donnée, et Ulpien, le chef de son conseil, étaient tous deux païens: au reste, jamais en France la mort civile n'a rompu le mariage du condamné, ni rendu batards les enfants nés depuis; ils ne succédaient pas directement à leurs père et mère, mais ils étaient légitimes.

Le citoyen Regnier dit que le lien du mariage subsistait, parce qu'il était du ressort de la puissance ecclésiastique; mais que cependant la loi civile peut restreindre les effets naturels de la mort civile.

Le citoyen Boulay dit qu'il serait contradictoire de regarder des enfants comme légitimes, et de leur refuser néanmoins le droit de succéder.

Le citoyen Roederer répond que c'est la position où se trouvent les enfants de tous les individus frappés de confiscation: ils naissent légitimes, mais ils naissent déshérités.

Les difficultés viennent ici de ce qu'on oublie que la mort civile n'est qu'une fiction, dont la loi peut régler les suites comme elle le croit convenable.

Le citoyen Regnauld (Saint-Jean-d'Angély) dit que l'enfant d'un individu frappé de confiscation ne naît pas même déshérité; qu'il naît d'un père qui n'a plus de patrimoine.

Le citoyen Tronchet dit que la difficulté subsistera, du moins pour les successions collatérales.

Le citoyen Maleville répond que le parlement de Paris, sur les conclusions de l'avocat général Bignon, a jugé la question en faveur des enfants du condamné, et qu'à cette occasion a été établi le principe, que la mort civile du père ne détruit pas la consanguinité qui unit ces enfants à leurs parents collatéraux: Jus consanguinitatis non tollitur.

Le citoyen Portalis dit qu'il y a eu de grandes discussions sur le mariage de l'individu mort civilement. On a demandé si les enfants nés depuis sont légitimes, s'ils succèdent. Lorsqu'en France

la loi réunissait dans le mariage, le contrat et le sacrement, le principe religieux de l'indissolubilité entraînait la continuation du mariage, malgré la mort civile de l'un des époux; en conséquence les enfants étaient réputés légitimes: mais aujourd'hui il impliquerait contradiction que le contrat civil pût survivre à la mort civile de l'un des époux.

Il est encore bon de remarquer que la filiation des enfants, que l'on supposerait nés d'un condamné qui se cache, serait presque toujours incertaine; la présomption pater is est était principalement fondée sur la cohabitation publique des époux.

Cependant, dans notre législation moderne, nous admettons un genre de peine qui peut comporter des règles particulières. La déportation, par exemple, emporte la mort civile: mais si l'on voulait former, des déportés pour crime, une colonie, pourquoi n'autoriserait-on pas les mariages de ces déportés ? Pourquoi negarantirait-on pas l'état civil des enfants qui naîtraient de ces mariages, au moins relativement à tout ce que les auteurs de leurs jours auraient possédé ou acquis dans la colonie même et depuis leur déportation?

Le citoyen Maleville dit que l'inconvénient dont parle le citoyen Portalis ne pourrait avoir lieu, tout au plus, qu'à l'égard de la femme du condamné contumax, et jamais dans le cas de celui qui subit sa peine, et qui est bien nécessairement sous les yeux du public. Eh! pourquoi, d'ailleurs, supposer le crime de la part de celle dont on est forcé d'admirer la vertu? Le citoyen Maleville ajoute que les dispositions de l'ordonnance de 1639 ne s'appliquent qu'aux mariages contractés depuis la mort civile, et aux enfants qui en sont les fruits; mais qu'elles ne rompent pas le mariage contracté auparavant, et ne privent pas de leur état les enfants qui en naissent depuis que leur père est mort civilement. Cette loi était d'ailleurs d'une dureté qui l'a empêchée de recevoir son exécution, même à l'égard des mariages qu'elle avait en vue elle déclarait incapables de succéder, non-seulement les enfants nés d'un mariage contracté depuis la mort civile, mais encore toute leur postérité.

Le citoyen Boulay dit que c'est pour corriger la dureté du principe, que l'article 27 du projet laisse au Gouvernement le droit de disposer de la succession du condamné après sa mort naturelle.

Le citoyen Regnier dit que cet adoucissement ne rend pas aux enfants les honneurs de la légitimité.

Le citoyen Boulay répond que ce point est du domaine de l'opinion, qui certainement ne flétrira pas les enfants d'un condamné; mais que, si l'on admettait le príncipe de la légitimité des enfants nés depuis la mort civile de leur père, la mère pourrait introduire des bâtards dans la famille.

Le Premier Consul dit que la mère n'a pas d'intérêt à commettre cette fraude, puisque les enfants qu'elle supposerait nés de son mari ne recueilleraient pas la succession de leur père.

Le citoyen Boulay dit que la mère agirait par l'intérêt de leur assurer sa propre succession. Le citoyen Regnier dit qu'il s'agit surtout de sauver l'honneur des enfants, et que la loi en a le pouvoir. Il ne reste donc qu'à examiner si la honte d'une condamnation doit réfléchir sur ceux qui tiennent au condamné. L'humanité et la justice veulent qu'on en restreigne, autant qu'il est possible, les effets.

Le Premier Consul pense qu'il conviendrait d'adopter la proposition du citoyen Tronchet et d'ajourner cette discussion jusqu'à celle du Code criminel.

Le citoyen Tronchet persiste d'autant plus dans cette opinion, qu'il est frappé de la nécessité dont a parlé le citoyen Portalis, de se régler sur la nature et la durée des peines qui seront établies, et de la distinction qu'il a faite. On conçoit, en effet, que si les déportés doivent vivre dans une contrée française, sous les yeux du public et des magistrats, il n'y a pas d'inconvénient à déclarer légitimes des enfants dont la filiation ne sera obscurcie par aucune incertitude; mais qu'il n'en est pas de même du condamné vagabond, dont la vie entière est cachée aux yeux de la société. Le citoyen Tronchet propose la rédaction suivante : «La mort civile est encourue par la condamna«tion à des peines auxquelles la loi criminelle « attache cet effet. »

Le citoyen Regnier objecte qu'il s'agit ici des effets de la mort civile, et que la loi civile doit seule les déterminer, à moins qu'elle ne prononce que la mort civile sera une privation totale et absolue de toute espèce de droits.

Le citoyen Cretet observe que le mariage du mort civilement peut produire deux sections dans sa postérité l'une comprend les enfants nés avant sa condamnation; l'autre, les enfants nés depuis. On pourrait les regarder toutes deux comme légitimes. La première prendrait à titre d'hérédité les biens qu'aurait le condamné au jour où commencerait sa mort civile; la seconde serait appelée à succéder exclusivement aux biens qu'il aurait acquis depuis. Les deux sections viendraient concurremment à la succession de la mère.

Le Premier Consul dit qu'on pourrait, dans l'article en discussion, passer sous silence les effets de la mort civile par rapport au mariage, en se bornant à exprimer qu'elle le dissout dans les cas déterminés par la loi criminelle.

Le citoyen Tronchet propose de renvoyer au titre du mariage et au titre des successions les effets que la mort civile opère par rapport au mariage et à l'ordre de succéder.

Le Ministre de la Justice attaque l'article en discussion, dans la disposition qui déclare le mort civilement incapable de contracter mariage. Les droits naturels de l'homme, dit le ministre, demeurent au condamné, et de ce nombre est le droit de se marier. Cependant, si son mariage n'est pas avoué par la loi, si ce n'est qu'un concubinage, s'il peut quitter arbitrairement son épouse et changer comme il lui plaît de lien, les mœurs et la justice seront également blessées.

Le citoyen Boulay dit que ce serait anéantir entièrement la mort civile, que de reconnaître un tel mariage; la loi ne pourrait l'avouer sans admettre la stipulation de communauté, les conventions matrimoniales et une grande partie des droits dont la mort civile prive le condamné.

Le citoyen Portalis dit qu'autant l'épouse qui n'abandonne pas son mari condamné mérite de faveur, autant en mérite peu la femme qui ne répugne pas à épouser un homme flétri par la justice.

Il ajoute que toutes les difficultés qui embarrassent la discussion viennent de ce qu'on emploie le mot équivoque de mort civile, au lieu de spécifier la privation plus ou moins étendue des effets civils qu'on veut faire résulter de la condamnation aux diverses peines. On pourrait donc s'exprimer ainsi : « Les effets civils dont sont privés les « condamnés à telle ou telle peine sout, etc. »

Le consul Cambacérès dit que cette forme de rédaction pourrait laisser des incertitudes, ou donner lieu à des omissions qui tourneraient à l'avantage du condamné. Le mot mort civile est universellement entendu; il a passé dans le langage des lois et des jurisconsultes.

Au surplus, les questions qui ont été agitées sont prématurées. On n'a pas encore de bases pour asseoir une division, puisqu'on ignore quelles condamnations emporteront la mort civile. Cette discussion doit donc être rattachée à celle du Code criminelle.

Le Premier Consul dit que cette proposition ne peut être adoptée, si l'on ne rapporte l'article 18.

Le rapport de l'article 18 est mis aux voix et adopté.

Le Conseil y substitue l'article suivant: « Le Code criminel détermine les peines qui « emportent la mort civile. »

On reprend la discussion de l'article 19.

Le Premier Consul dit que ce serait peutêtre ici le lieu de régler hypothétiquement l'état des déportés en supposant qu'ils seront réunis dans une vaste étendue de terrain où ils formeront une colonie. On pourrait leur ôter la vie civile hors du lieu de leur déportation, et la leur rendre dans la contrée où ils seraient déportés. On pourrait alors admettre la distinction établie par le citoyen Portalis. On laisserait, au surplus, la loi criminelle prononcer sur les questions relatives au mariage du condamné, et l'on dirait, dans le Code civil, que la mort civile rompt le mariage dans les cas déterminés par la loi criminelle.

Le citoyen Lacuée dit qu'il n'y a de difficulté que dans les mots. On la lèverait si, distinguant celui qui mérite la peine de mort de celui qui a encouru une peine moins grave, on variait les effets de la mort civile suivant que le condamné se trouverait dans l'un ou dans l'autre cas.

Le citoyen Bigot-Préameneu pense qu'il faudrait distinguer les effets que la mort civile du père doit opérer par rapport aux intérêts pécuniaires des enfants nés depuis qu'elle est encourue, de ceux qu'elle opérera par rapport à leur légitimité. Rien ne s'opposerait alors à ce qu'on les reconuût pour légitimes; et cette disposition serait dans l'intérêt des mœurs.

Le citoyen Cretet dit que la distinction proposée est connue en Angleterre.

Le citoyen Tronchet dit qu'il ne sera pas possible de déclarer les déportés morts civilement, partout ailleurs que dans le lieu de leur déportation, si ce lieu est placé en France. Autrefois le bannissement à perpétuité hors du territoire fran- · çais emportait la mort civile, parce qu'il retranchait effectivement le banni de la soci té; le bannissement hors d'une province n'ôtait pas la vie civile, parce qu'il ne pouvait effacer la qualité de Français. Il en sera de mème de la déportation elle ne sera qu'un exil, si elle n'a d'autre effet que de reléguer le condamné dans une contrée déterminée de la France.

:

Le Premier Consul dit que si la condamnation à une prison perpétuelle emporte la mort civile, la déportation dans un lieu déterminé doit donc l'emporter aussi, parce qu'il n'y a de différence entre ces deux peines, qu'en ce que la déportation donne au condamné une prison plus vaste et plus commode.

Le citoyen Tronchet demande comment succéderaient les enfants que le déporté aurait eus depuis sa mort civile, s'il laissait également des biens dans le lieu de la déportation et dans

d'autres parties de la République, et que la loi ne leur donnât pas la même successibilité partout.

Le citoyen Réal observe que le lieu affecté à la déportation appartenant au territoire de la République, il est possible que des Français non déportés aillent s'y établir; il est également possible que ces deux espèces d'habitants contractent entre eux des alliances. Alors, comment régler les effets du mariage, si un individu qui a des biens et la vie civile hors du lieu de la déportation, épouse un individu qui n'a de droits civils que dans ce lieu?

Le Premier Consul répond qu'on pourrait faire un Gode particulier pour les déportés. Il suffirait même de dire que, hors du lieu de la déportation, les enfants n'auront aucun droit du chef de leur père déporté.

Le citoyen Tronchet dit qu'il y aura toujours de grandes difficultés pour les successions collatérales qui s'ouvriraient au profit de ces enfants, hors du lieu de la déportation.

Le Premier Consul dit qu'on pent les prévenir. La loi décidera positivement s'ils viennent ou s'ils ne viennent pas à ces sortes de successions.

Le Premier Consul annonce qu'il va mettre aux voix la question de savoir si oǹ fera une nation particulière des déportés.

Le citoyen Réal observe que cette décision contredirait la nouvelle rédaction de l'article 18, en préjugeant que la peine de déportation sera admise par la loi criminelle.

Le Premier Consul dit qu'il est impossible qu'elle ne soit pas admise, puisqu'elle est tout ensemble humaine et utile. Les lois criminelles et les lois civiles ayant entre elles des rapports, il est indispensable de les combiner les unes avec les autres; on peut donc déterminer ici les effets qu'aura la déportation hors de France.

Le citoyen Tronchet dit que, pour rendre la délibération plus claire, il convient d'écarter le mot équivoque de mort civile, mot inventé par les jurisconsultes, et de se servir de l'expression proposée par le citoyen Portalis; on pourrait donc rédiger ainsi :

Il y a des peines qui emportent la privation « absolue de tous les droits civils; ces peines constituent la mort civile proprement dite. Il y a des peines qui n'emportent la privation que « d'une partie des droits civils; ces peines consti«tuent la mort civile imparfaite.» Ou mettrait la déportation au rang des peines de la seconde classe, et on en déterminerait les effets.

Le consul Cambacérès dit qu'il importe de conserver l'expression mort civile, laquelle est généralement usitée, et porte avec elle une idée dont l'effet est utile à la société.

Le Premier Consul dit qu'on pourrait distinguer les peines qui emportent la mort civile de celles qui n'entraînent que la privation des droits civils.

Cette distinction est mise aux voix et adoptée. On continue la discussion de l'article 19.

Le consul Cambacérès attaque la disposition qui autorise le mort civilement à nommer un curateur pour le représenter en justice. La demande d'aliments est la seule qu'il puisse former: autrefois elle était présentée par le ministère public.

Le citoyen Tronchet dit qu'on pourrait faire toujours nommer ce curateur par le juge, sur la requête que le mort civilement lui présenterait.

Le Ministre de la Justice attaque la disposition qui déclare le mort civilement absoluinent incapable de rendre témoignage. Il peut se trouver

des circonstances où il devienne témoin nécessaire; et alors la justice doit pouvoir l'entendre, sauf à n'avoir en sa déposition que la confiance qu'elle peut mériter: quelquefois elle interroge même les choses muettes. Il faudrait donc restreindre la disposition au cas où la loi exige la présence de témoins pour la validité d'actes civils.

Le citoyen Boulay dit qu'il répugne qu'un homme, flétri par une condamnation, soit entendu pour en faire condamner un autre.

Le citoyen Regnier dit que le mort civilement peut être entendu, mais qu'il est reprochable.

Le citoyen Réal répond qu'on ne pourrait admettre en témoignage le mort civilement que parce qu'on le considérerait comme témoin nécessaire mais il est déjà des cas où le juge est obligé de refuser d'entendre même le témoin nécessaire; par exemple, le fils contre le père. Ce que la piété filiale défend en ce cas, la morale publique doit le défendre, quand il s'agit du mort civilement; et le témoignage, même nécessaire, d'un homme ainsi flétri, doit être écarté.

Le citoyen Cretet observe que, dans le fait, le mort civilement ne peut jamais être entendu : s'il est déporté, il est absent; s'il est évadé ou contumax, il ne se présentera pas.

Le Ministre de la Justice répond qu'il peut arriver qu'un crime commis dans une prison n'ait eu pour témoins que des individus morts civilement.

Le citoyen Regnier dit que si l'on entend les morts civilement dans ce cas, il faut décider aussi qu'ils ne pourront être reprochés.

Le citoyen Roederer dit que jamais la récusation n'atteint le témoin jugé nécessaire.

Le citoyen Regnauld (de Saint-Jean-d'Angély) rappelle qu'autrefois on recevait la déposition d'un individu mort civilement, quand elle était jugée nécessaire; mais qu'on ne l'assignait pas en confrontation on pourrait aujourd'hui imiter cet ordre, en faisant entendre les individus morts civilement par le magistrat de sûreté, dont le ministère consiste à recueillir tous les renseignements, et en ne les faisant pas comparaître devant le jury.

Le Ministre de la Justice dit que l'ancien usage était fondé sur ce qu'alors on admettait les témoignages écrits; qu'aujourd'hui l'on admet que les preuves orales dans le débat.

Le citoyen Réal observe qu'on écarte même la déposition du dénonciateur, quoiqu'il soit déclaré témoin nécessaire, lorsqu'il doit profiter de la condamnation.

Le citoyen Roederer partage l'opinion du ministre de la justice; il voudrait cependant que le principe de l'article fût consacré, afin qu'on n'admit pas indistinctement le mort civilement comme témoin; mais il faut une exception dans la loi, pour le cas où il devient témoin nécessaire. La place naturelle de cette exception est dans le Code criminel.

Le Premier Consul demande pourquoi l'on s'est servi, dans l'article, de cette expression le contrat civil du mariage.

Le citoyen Boulay répond qu'on s'est exprimé ainsi, parce que la loi ne voit dans le mariage qu'un contrat civil. L'expression qu'on a employée a paru d'ailleurs la plus propre à faire taire les scrupules des consciences.

Le Premier Consul dit qu'elle semble supposer qu'aux yeux de la loi, il reste encore quelque chose après la dissolution du contrat civil,

et qu'elle paraît préjuger la question de la légi-
timité des enfants.

Le citoyen Roederer dit qu'il reste le contrat
naturel et le lien religieux.

Le citoyen Defermon observe qu'on peut ne pas s'expliquer sur la dissolution du mariage; qu'il suffit d'énoncer en détail les effets que la mort civile opère à l'égard de cet engagement.

Le citoyen Roederer adopte la locution employée par la section. Elle préviendra les méprises des consciences, puisqu'il est universellement reconnu que le juge peut rompre le contrat civil du mariage; elle prouve qu'on ne veut offenser aucun culte, et qu'on les respecte tous également. Chez les Romains, le mariage n'était qu'un contrat civil; et néanmoins la loi ne contrariait pas l'opinion qu'il est indissoluble.

Le citoyen Réal ajoute à ces observations que, la loi étant faite pour un peuple chez lequel existent déjà diverses opinions formées, et admettant les divers cultes, il faut qu'elle parle de manière à n'en choquer aucun.

L'article est adopté.

Le citoyen Tronchet propose de placer ici l'article 35.

Cette proposition et l'article sont adoptés.

Le citoyen Tronchet demande qu'avant de discuter les articles 20, 21, 22, 23 et 24, on traite la question générale de savoir si la mort civile est suspendue jusqu'après l'expiration du délai accordé pour purger la contumace, ou si elle est encourue provisoirement, sauf la résolution avec effet rétroactif lorsque le condamné se présente dans le délai prescrit.

Il observe que tous les tribunaux adoptent cette dernière opinion.

Le citoyen Boulay dit que la section, d'après la théorie adoptée par le conseil sur la mort civile, se borne à proposer l'interdiction du contumax.

L'opinion qui le fait mourir civilement avant le délai que la loi lui accorde pour se présenter est injuste, parce que, dans une procédure par contumace, l'accusé ne peut ni se défendre ni être défendu; qu'on entend à peine quelques témoins; qu'on ne leur permet pas de se corriger; que tous les doutes sont interprétés contre le contumax; qu'enfin une procédure traitée avec tant de légèreté n'est que de forme, et ne doit pas dès lors avoir des effets aussi graves qu'une procédure solennelle. H est même possible qu'un absent qui ignore qu'il est accusé se trouve cependant condamné par contumace; il se peut aussi qu'ayant des ennemis puissants ou des préventions à craindre, il fuie une instruction où il ne peut avoir une confiance entière dans la justice de sa cause.

D'un autre côté, il est contre les principes d'appliquer à ce qui concerne la vie l'usage des clauses résolutoires que l'essence des choses ne permet d'employer que dans certains contrats. Il est contre toute vraisemblance de ressusciter civilement celui qui meurt naturellement dans un délai de cinq ans.

Enfin le système du citoyen Tronchet porterait le trouble dans les familles. En effet, les héritiers d'un condamné sont saisis de ses biens du moment où il encourt la mort civile; il faudra donc anéantir peut-être une longue suite de transmissions, si, en se faisant absoudre, il reprend rétroactivement ses droits civils. Dans le système de la section, au contraire, la propriété ne repose irrévocablement sur la tête de ses héritiers qu'au moment où il en est dépouillé sans retour: ce système, au surplus, ne lui conserve ses droits

qué passivement; il suspend la mort civile pendant un délai suffisant pour que le condamné fasse valoir son innocence, mais pas assez longtemps pour prolonger trop l'incertitude de sa propriété.

Le citoyen Tronchet répond que, pour bien faire entendre la question, il se voit forcé de tracer d'abord l'histoire des progrès de la législation, et surtout de comparer l'ordonnance de 1670 avec le Code pénal du 3 brumaire de l'an IV.

Il observe que c'est à la mort civile parfaite que la section ne veut pas donner les mêmes effets lorsqu'elle est encourue par un contumax, que lorsqu'elle l'est par un individu condamné contradictoirement.

On a doute autrefois, continue le citoyen Tronchet, si la peine capitale, et surtout la peine de mort, devait être prononcée contre le contumax. Les Romains ne le condamnaient pas à mort; mais aussi sursoyaient-ils à toute condamnation. 11 leur paraissait absurde d'infliger à un coupable, parce qu'il a fui, une peine plus douce qu'à un coupable mis en présence de la justice. Les capitulaires de Charlemagne prouvent que ce système. a été suivi en France.

Depuis, on en a senti les inconvénients; et les établissements de Louis IX ont autorisé la condamination d'un accusé absent. Ce changement était fondé sur les raisons les plus solides. La punition d'un coupable a pour objet l'intérêt public et l'intérêt de la partie civile la justice due à la partie civile ne permet pas d'éloigner la réparation qui lui appartient, parce que celui qui l'a offensée s'est dérobé à la vengeance des lois; l'intérêt public exige que l'exemple du châtiment infligé au coupable retienne les pervers qui pourraient se porter à le suivre dans la carrière du crime. C'est pour cette fin, et pour cette fin seulement, que les peines sont établies. Certes, s'il existait d'autres moyens de retrancher, sans retour de la société l'homme corrompu qui l'a troublée, et de la garantir de ses attentats, il faudrait abolir la peine de mort et les peines perpétuelles.

Mais l'exemple ne produit pas le même effet, si la punition ne vient que longtemps après le crime. Voilà pourquoi l'on ne diffère plus ni le jugement ni l'exécution des coupables.

Cependant il serait contre la justice et contre l'humanité de donner la même force au jugement rendu contre un accusé absent, qu'au jugement rendu contre un accusé qui a pu se défendre. A cet égard, on a distingué entre la peine capitale d'où résulte la mort civile, et les peines purement pécuniaires. La faveur de l'innocence a fait admettre le condamné à se représenter en tout temps pouvait provoquer un jugement nouveau, même pour se faire absoudre de la peine capitale. Il après avoir prescrit la peine. Cependant cette faveur n'était que pour le condamné qui se présentait volontairement. Le contumax saisi était exécuté sans nouvelle procédure la formule du jugement l'énonçait. On était plus sévère par raptout dans la privation des biens au profit du fisc, port aux peines pécuniaires, qui consistaient surpresque dans toutes les provinces, et au profit des héritiers seulement, dans quatre où la confiscation n'avait pas lieu.L'ordonnance de Moulins, de 1563, en substituant un délai de cinq ans au délai d'un an qui, jusque-là, avait était accordé au condamné pour se représenter, maintint néancas d'absolution, ni les biens qu'avaient recueillis moins le droit alors existant; elle ne rendit, en soit le fisc, soit les héritiers, ni les restitutions ou dommages-intérêts que la partie civile avait tou

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