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M. de Tracy. Sans doute.

M. Duvergier de Hauranne. Je puis attester qu'on a menacé des imprimeurs de leur faire perdre leurs brevets s'ils imprimaient des listes.

M. de Tracy. Je ne monte à la tribune que pour donner connaissance d'un fait. Dans un département que je connais, mais qu'il est inutile de citer, un imprimeur, qui avait un grand nombre d'exemplaires de listes en grand in-folio, destinés à être affichés, sollicita la permission de les vendre à des électeurs qui lui en demandaient; elle lui fut refusée. La communication dans les mairies, dans les préfectures, est souvent entravée par une foule de difficultés que vous devinez très bien, et la publication des listes livrée à l'industrie privée y suppléerait. (Appuyé, appuyé !)

(L'article additionnel proposé par M. de Tracy est mis aux voix et adopté sans changement. Il deviendra l'article 27.)

M. le Président. M. Caumartin a présenté un autre article additionnel ainsi conçu:

"Des cartes individuelles seront, à la diligence « des préfets, sous-préfets et maires, adressées « au domicile de chaque électeur trois jours au « moins avant l'ouverture du collège. >>>

M. Caumartin. C'est une chose assez digne de remarque, en ce moment, que la défaveur avec laquelle sont accueillis les amendements à la loi électorale. Dans la discussion des premiers articles de cette loi, la Chambre a montré une juste défiance, une prudence quelquefois rigoureuse, et admis avec empressement tous les moyens de prévenir les abus; mais à mesure que nous nous sommes approchés du terme de la délibération, cette défiance, cette prudence, cette sévérité, sé sont amorties, et nous semblons presque disposés à nous en rapporter désormais aux agents de l'administration. Cependant je ne vois pas que la situation soit changée; quant au régime, il est le même, et nous ne sommes pas délivrés de la redoutable influence qui menaçait nos plus chers intérêts.

Quant au personnel, qui n'offre jamais que des garanties précaires, il est rassurant, sans doute, si l'on arrête ses regards sur le banc des ministres de Sa Majesté. Mais si on les porte sur les autres degrés de la hiérarchie administrative, on n'y trouve pas les mêmes gages de sécurité. Le déplacement de quelques préfets (c'est-à-dire seulement le changement de place) ne suffit pas pour prévenir le retour des abus dent ils ont été les instruments. Ce qu'ils ont fait d'un côté, ils pourront le faire d'un autre.

Messieurs, en matière de législation, la prévision de l'avenir, aidée de l'expérience du passé, constituent notre sagesse et notre science.

La mesure que je propose m'a été indiquée non par une vague théorie, mais par cette expérience qui est si bonne conseillère, et j'espère que vous ne refuserez pas plus que moi le bénéfice de cette leçon.

Pour avoir le droit de voter il faut être âgé de trente ans, payer 300 francs de contributions; il faut, de plus, justifier qu'on remplit ces conditions et se faire inscrire sur la liste. Telles sont les formalités légales: elles ne suffiraient point pour entrer au collège, si l'on ne présentait une carte délivrée par le préfet. Or, cette carte, l'électeur rural l'attend à son domicile; s'il ne la reçoit pas, il ne peut partir, et commé aucun terme n'est

prescrit au préfet pour l'accomplissement de cette formalité, l'électeur, même envers lequel on ne négligera pas de la remplir, pourra très bien ne la recevoir qu'au dernier moment. Il n'assistera point à la formation du bureau provisoire, et du bureau provisoire dépend souvent le résultat de l'élection.

Ainsi, dans un arrondissement de mon département, le préfet, qui n'a pas servi les candidats anti-ministériels, mais qui, je me plais à le reconnaître, ne s'est prêté à aucune entreprise contre l'exercice du droit électoral, avait envoyé le 11 au sous-préfet les cartes électorales; elles furent distribuées le 13 aux électeurs ministériels, et ce ne fut que la veille de l'ouverture du collège, au soir, que les autres électeurs, après des sollicitations et des menaces réitérées, obtinrent enfin leur titre.

On leur donnait pour raison du refus que la loi n'exigeait la délivrance qu'avant l'ouverture du collège, et qu'on était encore à temps.

Plairait-il, Messieurs, à aucun de vous qu'un sous-préfet, un maire d'une opinion contraire à la vôtre, entravât par ce moyen prétendu légal votre départ pour le collège et l'exercice de votre droit? Non, sans doute. Vous devez donc, pour assurer le maintien de votre droit au moment de l'exercer, adopter cet amendement.

M. Humblot-Conté. Je viens demander une explication sur une contradiction qui me paraît exister entre l'article 19 et l'article 27 du projet de loi. L'article 19 statue ainsi : « Le recours «< contre toute décision qui aura rayé un individu « de la liste aura un effet suspensif. » D'après cette disposition tout électeur rayé de la liste, aussi longtemps qu'il n'aura pas laissé périmer le droit de recours, pourra l'exercer, et, par conséquent, conserver son droit de voter. Cependant l'article 27 porte: « Qu'il ne pourra être fait « d'autre changement dans la liste rectifiée qu'en « exécution d'arrêts rendus par la cour royale. » D'où il résulterait qu'un électeur ne pourrait voter qu'autant qu'il y aurait un arrêt de la cour royale qui ordonnerait son rétablissement sur la liste. Ainsi, d'une part, d'après l'article 19, il a le droit de voter aussi longtemps qu'il a le droit de former son recours, et cependant, d'autre part, il sera rayé provisoirement de la liste; et si la cour royale n'a pas prononcé, il ne votera pas. Je demande qu'on explique comment il se fait qu'un recours suspensif ne suspende rien?

M. de Martignac, ministre de l'intérieur. La difficulté qui vient de vous être proposée ne me paraît pas sérieuse. Il est très facile de concilier les deux dispositions des articles 19 et 27, qui n'ont rien de contradictoire. Aux termes de l'article 19, le recours contre toute décision qui aura rayé un individu de la liste doit avoir un effet suspensif; mais il n'est pas exact de dire que le droit de recours équivaille au recours lui-même, et conserve à l'électeur rayé de la liste le droit de voter. En effet, le recours constitue un litige, et tant qu'il y a litige vous ne pouvez être privé de votre droit; mais si le litige n'est pas élevé, la présomption de droit s'attache à la décision du préfet. Que dit maintenant l'article 27? qu'on ne pourra être réintégré sur la liste qu'en vertu d'un arrêt de la cour royale. Ainsi, je vois, d'une part, que la décision du préfet ne pourra être annulée que par un arrêt; de l'autre, que le droit de voter se conserve au moyen du recours: rien ne me paraît plus clair et plus simple. L'électeur rayé

de la liste formera un recours, le notifiera au préfet, invoquera l'article 19 de la loi : son droit de voter, jusqu'à ce qu'un arrêt intervienne, ne pourra lui être contésté, et la carte d'électeur devra lui être remise.

M. Benjamin Constant. Un fait qui s'est présenté aujourd'hui même, à l'occasion d'une vérification de pouvoirs dans le bureau dont je fais partie, fait dont j'ai eu l'honneur de donner connaissance à M. le ministre de l'intérieur, me met en mesure de prouver que la difficulté n'est pas aussi légère qu'on paraît le croire, et que le pourvoi suspensif peut être éludé si on ne prend dans la loi des mesures positives à cet égard. Pour ne pas vous fatiguer par de longues explications du procès-verbal d'élection d'un collège qu'il est inutile de nommer, en voici le passage qui se ratta he à la question actuelle:

<< A deux heures et demie s'est présenté un électeur qui a déposé sur le bureau diverses pièces constatant que le sieur..... avait été porté sur la liste arrêtée au mois de septembre dernier, et que, par une assignation donnée à M. le préfet, il s'était pourvu contre la décision par laquelle le conseil de préfecture avait ordonné qu'il serait rayé de cette liste, et il a demandé que le sieur...., dont le pourvoi était suspensif, et qui attendait à la porte la décision du bureau, fût admis dans le collège comme électeur.

«Le bureau, après en avoir délibéré, a reconuu qu'aux termes de l'article 11 de la loi du 5 février 1817, il n'était appelé qu'à juger les difficultés qui s'élèvent sur les opérations du collège, et que l'admission d'un individu comme électeur ne pouvait pas faire partie de ses opérations; qu'aux termes de l'article 5 de l'ordonnance royale du 11 octobre 1820, faite en exécution de l'article 21 de ladite loi du 3 février 1817, nul ne peut être admis dans le collège s'il n'est inscrit sur la liste définitive remise au président; que le sieur..... n'est pas inscrit sur la liste qui a été remise à M. le président pour les opérations du collège; qu'ainsi il ne doit pas être admis; que, d'un autre côté, l'article 9 de la même ordonnance a prohibé au bureau de s'occuper des réclamations qui ont pour objet le droit de voter, et que ce serait s'en Occuper que d'examiner si cet individu est ou n'est pas recevable à voter; qu'à la vérité, l'article 6 de la loi du 2 mai 1827 à déclaré le pourvoi de l'électeur suspensif, mais qu'il n'appartient au bureau ni d'examiner s'il y a pourvoi, ni d'examiner si le pourvoi est régulier; qu'il ne peut admettre à voter un électeur rayé de la liste qu'autant que M. le préfet l'y aurait rétabli, sauf la responsabilité personnelle de ce dernier, et a décidé à l'unanimité que M..... ne serait pas admis au collège.»

Je demande maintenant comment le pourvoi est suspensif, et d'après un tel précédent voici ce qui peut arriver: On porte un électeur sur la liste, il est ensuite rayé, il forme un pourvoi, et le notifie au préfet; le préfet ne le rétablit pas sur la liste cependant son recours devrait être suspensif. A qui peut-il se présenter pour faire val bir son droit ? 'au préfet qui ne répon 1 pas ou qui n'a pas voulu le réintégrer; au président, qui lui dit, conformément à la loi je ne puis Vous admettre à voter. Vous le voyez, si ou ne prend d'autres mesures, la faculté du pourvoi suspensif restera complétement illusoire. M. le ministre de l'intérieur n'a pas abordé la véritable difficulté.

M. de Martignac, ministre de l'intérieur. Il est difficile de m'aider dans une discussion générale, des faits particuliers qui viennent se jeter au travers de la délibération et agissent sur la l'esprit de la Chambre avant même qu'il ait été possible de les éclaircir. Un orateur nous demandait comment s'exécutera la loi que nous faisons? n'y a-t-il pas contradiction contre tel ou tel article? et pour éclaircir cette difficulté on vient s'occuper de savoir comment ont été exécutés les dispositions d'une loi précédente. Je n'ai aucune connaissance du fait lui-même que par la lettre que M. Benjamin Constant, comme président d'un bureau, m'a fait l'honneur de m'écrire; tout ce que j'y vois de positif, c'est que le président du collège a procédé légalement.

M. Benjamin Constant. Je ne dis pas le contraire.

M. de Martignac, ministre de l'intérieur. Il n'avait pas à vérifier lui-même l'exactitude des listes; i devait seulement admettre à voter ceux qui y étaient inscrits. Que nous dit-on maintenant? qu'il paraît qu'un recours avait été formé contre la décision du préfet et que toutefois le préfet n'avait pas rétabli sur la liste l'électeur rayé. Il y a là plusieurs choses à éclaircir l'électeur avait-il réellement formé son pourvoi? l'avait-il formé en temps utile? Ni vous ni moi n'avons à cet égard des renseignements suffisants. Ce sont des faits que j'éclaircirai. Si le recours devait être admis, le préfet a eu tort; mais il n'en résulte pas de contradiction entre les articles 19 et 27 de la loi. L'article 19 établit le recours suspensif: l'électeur supprimé de la liste le notifiera au préfet; et quand la loi actuelle sera admise, aucun préfet, j'en suis certain, ne refusera de le maintenir provisoirement sur la liste.

M. Mechin. Notre honorable collègue a été bien loin de faire des reproches au président et au bureau du collège; il a été bien éloigné aussi de faire des reproches à M. le préfet; il s'est borné à exprimer un fait, il a voulu constater un inconvénient et a demandé s'il n'y aurait pas moyen de l'éviter dans la loi nouvelle.

M. le Président. L'amendement est-il appuyé ? (Non; non! Oui!)

M. le ministre de l'intérieur demande la parole.

Voix diverses: C'est inutile!

M. de Martignac, ministre de l'intérieur. J'ai l'exemple que les amendements ont besoin d'être combattus. M. Caumartin propose une disposition additionnelle portant: « Des cartes individuelles «seront, à la diligence des préfets, sous-préfets « et maires, adressées au domicile de chaque élec«teur, trois jours au moins avant l'ouverture du collège.» Je réponds que nous faisons une loi sur les listes électorales, et non sur la tenue des collèges électoraux, et qu'il n'y a aucune connexité entre l'amendement et la loi que nous discutons.

M. Caumartin. L'objection de M. le ministre de l'intérieur me semble recevoir une réponse très facile; la disposition que je propose se rencontre presque textuellement, mais d'une ma

nière moins complète, dans une ordonnance qui a pour objet la publication et l'affiche des listes électorales. L'article 4 de cette ordonnance porte: Des cartes individuelles seront, à la diligence des préfets et des maires, adressées avant l'ou« verture du collège au domicile de chaque élec«teur; elles porteront le jour et le lieu de la « réunion. »

Il me semble que le titre de cette ordonnance, dont le but est le même que celui de notre loi, et l'objet de cet article 4, qui est précisément celui que je propose, devaient prévenir l'objection de M. le ministre de l'intérieur. Si le gouvernement a pensé que cette disposition dût trouver place dans une ordonnance sur la publication et l'affiche des listes électorales, je crois que nous pouvons l'introduire dans la loi actuelle. La rédaction que je propose est plus précise; j'indique un terme de trois jours avant l'ouverture du Collège, tandis que l'ordonnance disait d'une manière vague avant, ce qui permettait au préfet d'attendre jusqu'à la dernière minute.

M. Favard de Langlade, rapporteur. Je crois que ce que vient de dire notre honorable collègue suffit pour écarter la proposition. Il l'a trouvée dans une ordonnance royale: c'est donc qu'une ordonnance royale devait régler cet objet. Dois-je le répéter? vous faites une loi sur la formation des listes électorales, et vous ne devez y introduire que des dispositions qui s'y rapportent. Du reste, la commission s'est déjà expliquée sur ce que demande l'orateur; elle a cru de son devoir de faire remarquer au ministre que les dispositions règlementaires actuelles étaient insuffisantes, soit pour la formation; des bureaux provisoires, soit pour assurer le secret des votes, etc.; elle a ajouté qu'une loi règlementaire sur ces différents points serait un bienfait. Les vœux de la commission ont eté entendus avec intérêt par le ministre; elle en a reçu l'assurance que dans une loi particulière on complèterait ce qui n'appartient pas à la loi actuelle, et qui peut êire relatif à la tenue des collèges. Cette observation répond à la proposition de M. Caumartin, ainsi qu'à plusieurs autres qui ne sont pas plus qu'elle afférentes à la loi qui nous occupe.

M. le Président. M. de Rambuteau a propos la disposition suivante:

« Le bureau provisoire sera composé, pour les « quatre scrutateurs,des deux plus imposés et des « deux plusâgés du collège, par rang d'inscription « sur une liste décuple dans chaque catégorie, "affichée en même temps que les tableaux de " rectification.

« Le secrétaire sera le plus ancien des notaires « membres du collège électoral. »

M. de Rambuteau. Il me faut le sentiment d'une utilité évidente et d'une amélioration nécessaire, pour que je vienne réclamer l'attention de la Chambre dejà si fatiguée d'une longue discussion.

Les bureaux provisoires et le secret des votes sont toute l'élection. Il n'est personne d'entre nous qui, en partant de son département n'ait reçu les instances les plus pressantes sur ce double objet. Deja le rapporteur de la commission nous a annoncé que M. le ministre de l'intérieur était disposé à accueillir nos vœux. Bien convaincu de ses bonnes intentions, persuadé que tant qu'il sera en place les abus dont nous avons gémi ne se renouvelleront pas, je suis prêt à

abandonner ma proposition, si l'on nous donne l'assurance qu'il y sera pourvu par une loi spéciale. J'attends de lui l'annonce formelle de ce qu'il a promis à la commission.

Voix à droite: Non I non!

M. de Rambuteau. Ma proposition a pour but de prévenir un grand danger. On dira que cette proposition n'est pas dans le sens de la loi; mais déjà un orateur célèbre de cette Chambre vous a signalé dans la loi plusieurs lacunes et la Chambre n'a pas pensé quelle dût renoncer à faire une loi meilleure.....

(Le bruit qui s'élève au milieu de l'Assemblée ne permet plus d'entendre l'orateur; l'honorable membre ne pouvant obtenir l'attention de la Chambre, quitte la tribune et déclare qu'il retire sa proposition.)

M. de Rambuteau avait présenté une seconde disposition relative au secret des votes, elle portait:

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Chaque électeur recevra des mains du président un bulletin sur lequel il écrira, ou fera << écrire par un électeur de son choix, secrète«ment son vote. A cet effet, il sera disposé en « arrière du bureau une table couverte à cet « usage. Il remettra son bulletin au président, qui le déposera dans l'urne du scrutin. » Cette proposition n'étant qu'une conséquence de la précédente, est également retirée. Il en est de même de celle de M. Humblot-Conté, qui était ainsi conçue:

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"

«Les présidents des collèges électoraux seront «tenus de faire mentionner au procès-verbal les « réclamations qui leur seront adressées par les électeurs, verbalement ou par écrit. Dans le cas « où ces réclamations seraient présentées par « écrit, ils devront joindre la pièce au procès« verbal pour être envoyée à la Chambre des « députés.

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M. Mauguin est appelé à la tribune pour développer un article additionnel par lui proposé, et dont voici le texte :

« Tout refus de donner communication des «listes ou de recevoir la production d'un récla<< mant et d'en donner récépissé;

« Comme aussi tout refus par un préfet de pro« noncer sur une réclamation dans les délais << prescrits aux titres III et IV de la présente loi, « ou d'exécuter immédiatement un arrêt définitif

« ordonnant soit une inscription, soit une recti«fication, soit une radiation sur les listes;

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Eafin, tout obstacle apporté également par « un préfet à la libre entrée des électeurs dans « le collège,

«Sera puni d'une amende qui ne pourra être « au-dessus de 500 francs, ni au-dessous de « 50 francs.

« L'action pourra être poursuivie par la partie intéressée, sans qu'il soit besoin d'aucune au«torisation administrative ou judiciaire. Elle sera

portée devant le tribunal civil du domicile du « contrevenant; et néanmoins, lorsqu'il s'agira « d'un préfet, elle sera portée directement de"vant la cour royale, qui jugera en premier et << dernier ressort, deux chambres réunies. Dans « ce dernier cas, le réclamant qui succombera « pourra être condamné à une amende qui ne « sera également ni au-dessus de 500 francs, ni << au-dessous de 50 francs. >>

M. Mauguin. Je viens proposer d'ajouter à la loi la disposition dont vous venez d'entendre la

lecture. Je n'ignore pas que l'opinion de la Chambre, en général, y est peu favorable; quelques membres la regardent comme nuisible ou même comme injurieuse au pouvoir; et, sans doute, il y a dans cette dernière objection une gravité qui m'échappe, car je la vois arriver des opinions les plus contraires. Ce n'est donc pas sans avoir longtemps hésité, sans avoir craint de prolonger une discussion qui a déjà pris beaucoup trop de séances, que je me hasarde à venir défendre ma proposition; mais j'obéis à une conviction profonde je dirai plus, dans ma pensée j'accomplis un devoir, et cependant votre lassitude, la défaveur qui s'attache à tout amendement individuel, la presque certitude de non-succès, j'ai contre moi tout ce qui décourage. (On rit.) Il me reste, ce qui seul peut me soutenir, votre bienveillante attention.

Il y a une science d'étudier les lois, il y en a une autre de les faire. Une loi est une chose grave, elle régit l'avenir; et une loi politique surtout comprend dans son sein les destinées de tout un pays. Deux principes doivent être suivis dans la confection des lois l'un, pour qu'elles ne puissent jamais être éludées; l'autre, pour que chacun soit tenu de leur obéir. Une loi, en effet, n'est pas un précepte de morale, une instruction administrative; c'est un ordre auquel chacun est tenu de déférer sous une peine qui lui serait imposée : c'est pour cela que dans chaque loi se trouve une sanction, il y en a une dans la vôtre; et quand je viens parler sur la pénalité, ce n'est pas parce qu'une peine manquerait à celui qui aurait enfreint cette loi. La loi sur les listes électorales est une loi spéciale: elle est interprétée par la loi générale, et d'après l'article 114 du Code pénal, toute atteinte aux droits civile, à la Charte, est frappé d'une peine grave. Ainsi donc, si l'on s'en référait au Code pénal, il faudrait appliquer à chacune des infractions de la loi actuelle des dispositions de l'article 114. Mais d'abord cette peine est trop grave, c'est une peine infamante : la dégradation civique. En second lieu, un fonctionnaire ne peut être poursuivi qu'avec l'autorisation du conseil d'Etat; dès lors la loi générale est illusoire à leur égard.

Je viens proposer un autre système de pénalité. Je ne m'occupe en aucune manière de l'inscription fausse, de la radiation ou de l'omission des électeurs sur la liste: le recours est ouvert par vous devant la cour royale; le préfet n'est juge qu'en premier ressort; la décision sera annulée, s'il y a lieu, par le juge souverain. Je propose seulement de déclarer punissable tout ce qui dans votre loi n'a pas de sanction le refus de communication des listes, le refus de recevoir les pièces, le refus d'exécuter un arrêt, enfin l'acte par lequel un préfet empêcherait l'entrée dans un collège, en refusant, par exemple, la carte d'électeur. Quant à la peine, je propose de la réduire. Suivant Montesquieu, les peines pécuniaires sont préférables je propose donc une amende de 50 à 500 francs; je propose de plus de laisser à la partie lésée seulement le droit de poursuivre; je propose de changer la juridiction, et au lieu de la juridiction correctionnelle, d'envoyer les affaires de ce genre à la juridiction civile; s'il s'agit d'un préfet, comme c'est un magistrat qui doit conserver sa considération dans le pays, je propose qu'il soit traduit devant la cour royale, et jugé par deux chambres réunies; enfin, si le réclamant succombe, je propose de le faire condamner lui-même à une amende pareille.

Voilà mon système : ce n'est pas une pénalité si douce qui éprouvera des obstacles, ce n'est pas non plus le changement de juridiction: ce qui fait la véritable résistance, c'est la liberté d'exercer l'action sans l'autorisation administrative; c'est l'article 95 de la Constitution de l'an VIII, qui vient ici comme obstacle; c'est cet article qu'il faut discuter.

Je ne dirai pas que depuis longtemps mon opiopinion est que la Constitution de l'an VIII, article 75 comme tous les autres, est abrogée: vous concevez, en effet, que deux constitutions ne peuvent pas régir ensemble un pays. En 1828, il est absurde d'invoquer une constitution de 1800, un constitution qui prohibait le roi et établissait un autre régime. Une constitution n'est autre chose que l'organisation d'un système des pouvoirs. Si donc le pouvoir est absolu, s'il n'y a d'autre règle que la domination du maître, il faut que l'agent inférieur ait une garantie contre l'action des particuliers: son seul crime alors sera de désobéir au maître et non à la loi. Dans un systême de gouvernement libre, au contraire, on n'obéit qu'à la loi; par conséquent, toutes les infractions à la loi doivent être déférées à l'autorité. Ainsi, plus d'administration qui juge, car c'est le pouvoir qui se juge lui-même. De là on peut conclure que la constitution de l'an VIII est abrogée, et que, dès à présent, quand un fonctionnaire est coupable, il y aurait lieu d'ordonner la poursuite sans autorisation.

Mais prenons la question sous un autre point de vue. L'histoire et le raisonnement indiquent qu'il y a dans une nation deux intérêts toujours identiques celui du trône et celui du pays, toujours marchant d'accord; le trône n'ayant qu'un intérêt, la prospérité des peuples; les peuples, qu'un intérêt, la stabilité du trône, qui garantit leur existence. Et cependant nous voyons par l'histoire que le trône et le peuple ont souvent été divisés. Quelle en est la cause? c'est un problème à résoudre, et sa solution importe au bonheur social. C'est que les souverains ne peuvent jamais administrer par eux-mêmes; qu'ils sont obligés de déléguer le pouvoir, et que trop souvent les délégués du pouvoir en abusent. Voyez chez nous la guerre du bien public, la Fronde; voyez chez tous les peuples des guerres civiles occasionnées par les abus du pouvoir. Il s'est toujours agi de savoir comment on éviterait un pareil obstacle au bonheur général; qui donnerait des conseillers au trône, ou les intérêts de la cour, ou les privilégiés, ou le plus grand nombre des citoyens. Une forme admirable de gouvernement s'est trouvée, qui a concilié tous les intérêts, et cette forme adinirable remonte au berceau de la monarchie : elle consiste en des représentants nommés dans l'intérêt de la majorité du pays, qui indiquent au souverain, non pas ses choix personnels, mais les doctrines qu'ils désirent voir mettre en application.

Le souverain choisit conformément à ces doctrines: de là, toutes les conséquences du gouvernement représentatif; de là, la plus grave de toutes, l'inviolabilité du souverain, non pas seulement en principe, mais en fait. De quoi serait-il responsable? a-t-il été entièrement libre de choisir l'administration? Si elle a malversé, c'étaient aux Chambres à lui retirer leur majorité, et le souverain, averti, aurait satisfait aux vœux du pays.

La seconde conséquence, qui peut-être n'a pas été assez aperçue, c'est qu'il s'introduit entre le le trône et le pays un tiers pouvoir, qui vient jouer un rôle important et peut troubler l'un et l'autre. Ce tiers pouvoir est celui de l'adminis

tration. L'administration a une sorte d'indépen- |
dance propre elle ne peut pas être révoquée par
le souverain sans les Chambres, ni par les Chambres
sans le souverain; je parle du système et non des
personnes. Or, l'administration se trouve avoir
un intérêt particulier. Quelle sera donc la garantie
du trône et du pays contre l'abus qu'elle peut
faire de sa puissance? C'est à elle qu'est remis
l'emploi de toute la force publique; c'est elle qui
dispose des places, des faveurs or, chez elle peut
s'organiser la trahison: elle n'est point à l'abri
des erreurs et des passions humaines; et plus d'une
fois elle a usé, contre les citoyens, du pouvoir qui
lui avait été confié pour les défendre. Il a donc
fallu au gouvernement une action contre l'admi-
nistration elle-même; sa forme l'a déterminée :
c'est le renouvellement des Chambres, c'est l'appel
au pays pour avoir son avis sur l'administration.
Voilà une garantie contre tout ce qu'elle peut
avoir de dangereux. Mais il résulte de là une
chose importante: c'est que dans toute élection
l'administration est jugée et reçoit l'approbation
ou la désapprobation du pays. Encore une consé-
quence c'est que toute loi d'élection est une loi
de garantie, une loi de défense contre l'adminis-
tration. Dès lors, la direction des élections ne devrait
jamais être confiée à l'administration, qui peut
avoir un intérêt distinct de celui du pays.

C'est d'après ces doctrines que nous devions envisager le projet qui nous a été soumis; mais il fallait se renfermer dans les principes de la loi. Toutefois, l'administration reste sous l'empire d'une défiance qui n'est que prudence. Défiance et confiance s'excluent: il s'agit donc de savoir si quand vous êtes obligés, par suite du principe de défiance, de punir l'administration qui viole les lois, vous lui laisserez décider à elle-même si la peine doit lui être appliquée. Or, la Constitution de l'an VIII lui donne précisément cette faculté: elle établit donc un régime menteur qui n'est plus dans nos principes, dans notre gouvernement, dans nos lois: un régime que vous ne pouvez conserver. L'administration peut se mettre en lutte contre le trône ou contre le pays; c'est un danger que votre sagesse ne doit pas laisser après la loi qui vous occupe.

Le principe général veut que toute loi ait une sanction; le principe particulier, qu'une loi d'élection en ait une plus que toute autre: en conséquence, l'administration ne doit pas rester juge de savoir si elle sera ou non poursuivie. L'intérêt du pays exige que vous admettiez une sanction pénale; j'ajouterai même vos précédents. Le budget passera bientôt sous vos yeux; vous y verrez qu'en matière de finances tout individu qui prélèverait un impôt illégal serait poursuivi sans qu'il fût nécessaire d'autorisation. Je demande que vous appliquiez aux élections ce que Vous appliquiez à l'impôt. Le fonctionnaire qui détourne quelques mille francs est moins coupable envers l'Etat que celui qui vous enverrait d'indignes députés par qui seraient compromises à la fois et vos finances et vos libertés!

Cependant des objections sont faites; je vais les examiner. On dit: Le soupçon est une injure. Comment supposer que l'administration contreviendra à la loi? Ne vous en rapportez-vous pas à la conscience des fonctionnaires? Ne craindront-ils pas la destitution?

Le soupçon est une injure ! Mais les lois ne se font pas par complaisance et par politesse; nous ne sommes pas ici à conférer dans un salón. Le législateur voit les choses de plus haut: il voit l'humanité avec ses vices et ses faiblesses; il la

juge capable de toutes les vertus et de toutes les infractions. Le Code ne prévoit-il pas la forfaiture, les complots, la trahison des fontionnaires?

Mais, ajoute-t-on, rapportez-vous-en à la conscience des fonctionnaires. Oui, je le sais, en France les hommes valeut mieux que les institutions aussi sur un grand nombre d'administrateurs quelques-uns seulement ont abusé de leurs pouvoirs. Mais ici la conscience est une conscience politique; elle a des règles différentes : elle croit avant tout se devoir au triomphe du parti. L'homme le plus vertueux, quand en matière politique il s'éloigne de la loi, croit encore n'avoir qu'à se louer de sa conduite.

Mais les destitutions. Les destitutions! Si l'administration est bonne, vous n'avez pas besoin de la loi; si elle est mauvaise, au lieu de destitituer elle récompensera.

Ainsi ces objections sont impuissantes contre le principe. Mais il est une autre objection plus réelle et plus importante. On dit : C'est désarmer le pouvoir; c'est plus: maintenant en France il y a une démocratie trop turbulente, des élections trop libres qui pourraient compromettre le principe monarchique.

Examinons franchement jusqu'à quel point cette objection est fondée. C'est désarmer le pouvoir! Mais qui lui a imposé quelques limites? ont-elles donc nui au pouvoir royal? n'est-il pas plus étendu, plus fort, plus énergique qu'autrefois? avec des parlements qui embarrassaient, on ne pouvait avoir ni finances, ni armée. Est-il d'ailleurs nécessaire, dans l'intérêt des souverains eux-mêmes, que le pouvoir soit sans limites? S'il en était ainsi, le pouvoir absolu serait le plus utile... Jetez les yeux sur ces terres où le despotisme est comme naturel; demandez au trône des czars, au trône des sultans. Voyez ce qui se passe dans ces pays, où un seul homme est tout; demandez au tombeau des rois combien y sont descendus avant l'heure fixée par la nature. Vous parlez d'un pouvoir sans limites; et sa chute n'a-t-elle pas agité l'Europe entière? Cet empire prodigieux que vous avez vu s'élever devant vous, comment est-il tombé? Est-ce faute de pouvoir? Il est tombé par ses erreurs : le pouvoir sans bornes l'égare; il est saisi d'un vertige qui l'entraîne: en butte à toutes les passions humaines, il en est la victime comme tous ceux qui s'y abandonnent.

Mais le principe monarchique pourrait être compromis; et si les élections étaient trop libres, peut-être verrions-nous la démocratie s'emparer du pouvoir! Examinons ce que c'est en France que la démocratie. (Rumeurs à droite.) Tout notre système électoral donne le droit á 80,000 électeurs de choisir les députés; peuvent-ils se nommer eux-mêmes? Non, ils sont obligés de choisir parmi 7 à 8,000 éligibles. Mais tous ne peuvent pas être nommés; il faut que certaines conditious de fortune, d'éducation, leur permettent d'accepter: c'est donc tout au plus à 4 ou 5,000 personnes à qui l'accès de la Chambre est permis. Voilà ce que c'est que notre démocratie.

On a craint que l'administration ne pût être chaque jour traduite devant les tribunaux : c'est pour prevenir cet inconvénient que je propose de décider qu'il y aura une amende contre celui qui succomberail. Il y a, sans doute, des hommes tracassiers et méchants qui ne craindraient pas d'exciter un scandale, mais personne ne veut

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