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LE

DROIT INTERNATIONAL

THÉORIQUE ET PRATIQUE

LIVRE IV

DE LA CONTREBANDE DE GUERRE

§ 2708. On désigne en général sous la dénomination de contrebande de guerre les choses qui sont d'un usage particulier pour la guerre, pouvant servir directement à l'attaque ou à la défense, et dont, par conséquent, le transport à l'un des belligérants par les neutres est considéré comme un acte illicite. Nous verrons plus loin la nomenclature des objets qu'on fait communément entrer dans cette catégorie.

Le mot contrebande, dans son sens primitif, indique quelque chose de défendu par édit ou ban.

La législation romaine infligeait le dernier supplice à ceux qui vendaient des armes aux barbares, et au temps des croisades, les papes interdisaient aux chrétiens, en les menaçant de proscription (bannum), de fournir aux Sarrasins des armes, du fer ou des bois de construction; ils décidèrent même que les coupables pourraient être réduits en esclavage entre les mains de ceux qui les auraient surpris en flagrant délit. C'est de là que quelques auteurs ont fait dériver le mot contrebande des mots contra et bandum, corruption de bannum. Il y a lieu de croire cependant que le terme est d'origine italienne, contrabbando, attendu que le plus ancien document dans lequel on le trouve est une charte italienne datéc de 1445,

Définition et origine.

où le mot latin équivalent, contrabannum, cst employé au sujet d'un commerce prohibé par l'autorité souveraine d'un Etat à ses citoyens en temps de paix.

La notion de contrebande de guerre ne commença à se répandre et à se déterminer avec quelque précision qu'au moment où commença en Europe la formation des grandes nationalités. La Ligue hanséatique dans quelques circonstances défendit aux neutres de commercer avec ses ennemis, et dans d'autres elle maintint contre les belligérants la liberté la plus absolue dans les transactions commerciales, en l'étendant jusqu'aux articles considérés comme prohibés en temps de guerre.

Le mot de contrebande n'est pas employé par Grotius, dont l'ouvrage sur le Droit de la guerre et de la paix a eu sa première édition publiée en 1625; mais on le rencontre dans un traité d'alliance offensive et défensive conclu la même année (17 septembre) à Southampton entre le roi Charles Ier d'Angleterre et les ProvincesUnies des Pays-Bas.

Du texte de ce traité, il semble résulter que le mot contrebande avait à cette époque une acception reconnue par les nations commer désignant une branche de commerce maritime qui était défendue aux marchands en temps de guerre; on lit en effet à l'article 20: << Toutes marchandises de contrebande, comme sont munitions de bouche et de guerre, navires, armes, voiles, cordages, or, argent, cuivre, fer, plomb et semblables, de quelque port qu'on les voudra porter en Espagne et autres pays de l'obéissance dudit roi d'Espagne et dits adhérents, seront de bonne prise avec les navires et les hommes qu'ils porteront *. »

Cauchy, t. I, pp. 54, 55, 159, 355-358; t. II, pp. 63, 64, 80, 87, 88, 183, 184, 188, 189, 272, 291; Gessner, pp. 70 et seq.; Heffter, §§ 158, 159; Hautefeuille, Des droits, t. II, pp. 69 et seq.; Hautefeuille, Hist., tit. 1, p. 68; Grotius, Le droit, liv. III, ch. 1, § 5; Vattel, Le droit, liv. III, ch. vII, § 112; Bynkershoek, Quæst., lib. I, cap. x; Wheaton, Elém., pte. 4, ch. III, § 24; Kent, Com., v. I, p. 138; Phillimore, Com., v. III, § 228; Twiss, War, §§ 121 et seq.; Martens, Précis, § 315; Klüber, Droit, § 288; Bluntschli, § 801; Ortolan, Règles, t. II, pp. 175, 176; Massé, t. I, § 195; Pistoye et Duverdy, Traité, liv. I, tit. 6, ch. II, sect. 3; Fiore, t. II, p. 43o; Manning, p. 281; Wildman, v. II, p. 210; Halleck, ch. XXIV, § 1; Jouffroy, pp. 102 et seq.; Lampredi, pte. 1, §7; Pando, p. 486; Bello, pte. 2, cap. VIII, § 4; Riquelme, lib. I, tit. 2, cap. xv; Garden, Traité, t. II, pp. 438 et seq.; Steck, Essais, pp. 68 et seq.; Nau, Volkerseerecht, §§ 153 et seq.; Vergé, Précis de Martens, t. II, pp. 321-323; Boeck, Propriété privée, §§ 606 et seq.; Hall, International law, §§ 236 et seq.; Pevels, Droit maritime, pp. 271 et seq.; Testa, Droit maritime, pp. 201 et seq.

Opinion des publicistes an

§ 2709. Le développement de cette partie du droit international s'est opéré si lentement que les publicistes du dix-septième ciens et mosiècle n'ont établi que des principes généraux d'une portée assez limitée.

Hautefeuille divise en trois classes les publicistes qui ont écrit sur la contrebande de guerre, savoir: 1° ceux qui se sont guidés d'après les principes du droit naturel; 2o ceux qui ont plus ou moins étendu ces principes; 3. enfin ceux qui admettent des marchandises douteuses et susceptibles suivant les circonstances, de devenir contrebande de guerre. Cette classification a été adoptée par Pradier-Fodéré dans son édition de Grotius. Sans méconnaître les fondements rationnels sur lesquels il s'appuie, nous préférons suivre la méthode chronologique, qui a surtout l'avantage de montrer comment les publicistes ont successivement précisé et mieux défini la notion de la contrebande de guerre.

Gentilis, dans son livre De jure belli, qu'il publia en 1583, dit Est æquo æquius et favorabili favorabilius et utili utilius. Lucrum hi commerciorum sibi perire nolunt. Illi nolunt quid fieri quod contra salutem suam est. Jus commerciorum æquum est, ac hoc æquius tuendæ salutis; est illud gentium jus, hoc naturæ est ; est illud privatorum, hoc regnorum. (Il est quelque chose de plus équitable que ce qui est équitable, qui mérite plus d'être favorisé que ce qui le mérite, et de plus utile que ce qui est utile. Ceux-ci ne veulent pas perdre le gain du commerce; ceux-là ne veulent pas qu'on fasse quelque chose qui soit contre leur salut. Le droit du commerce est équitable; mais le droit de défendre son salut l'est davantage; le premier est un droit des gens, le second, un droit de nature; l'un est un droit des particuliers, l'autre un droit des Etats.) Ces paroles offrent une contradiction évidente entre le droit naturel et le droit des gens. D'un autre côté, voir dans le commerce de la contrebande de guerre, comme le fait sentir Gentilis, un droit appartenant exclusivement aux combattants, c'est, en définitive, sanctionner les actes arbitraires les plus exorbitants et les abus les plus inqualifiables.

La doctrine soutenue par Grotius n'a pas été moins défavorable au commerce neutre; elle divise les articles qui peuvent ètre l'objet de ce genre de trafic en trois groupes : le premier comprend ceux qui servent directement et immédiatement à la guerre, tels que les armes; le second ceux qui ne peuvent pas être employés à cet usage; et le troisième, ceux d'une nature douteuse ou mixte, c'est-à-dire dont l'utilité et l'emploi dépendent de la volonté

dernes.

Gentilis.

Grotius.

Bynkershock.

Heineccius.

de leur possesseur, tels que l'argent, les vivres, les navires, etc. Les deux premiers groupes ne sauraient soulever de doute et ne comportent dès lors aucune discussion; en effet, les articles compris dans le premier constituent forcément la contrebande aussitôt que les hostilités sont déclarées, tandis que ceux qu'embrasse le second n'en font pas partie, puisqu'on les désigne dès le principe comme n'ayant aucune utilité pour la lutte. Mais la question est plus délicate quant aux articles qui forment le troisième groupe; pour la résoudre, il faut se guider d'après l'état de guerre. « Si, dit Grotius, je ne puis me défendre qu'en interceptant les choses envoyées à mon ennemi, la nécessité me donnera le droit de le faire, mais sous la charge de restitution, à moins qu'une autre cause ne survienne. »

Cette doctrine a été vivement critiquée par Gessner et par Hautefeuille; ce dernier lui reproche de n'avoir pour fondement qu'une prétendue loi de la nécessité qui ne justific rien et de confondre arbitrairement les règles de la contrebande de guerre et celles du blocus. Halleck trouve que la doctrine et la classification de Grotius, au licu d'écarter les difficultés en créent de nouvelles, puisqu'elles ne déterminent avec précision ni les effets qui appartiennent à chacun des trois groupes, ni les circonstances qui les rendent passibles de saisie et de confiscation.

Bynkershoek a réfuté la classification adoptée par Grotius, en posant comme principe général, déduit des stipulations conventionnelles conclues par les Pays-Bas, que les armes et les munitions de guerre constituent seules la véritable contrebande, et que les édits en sens contraire étaient en si petit nombre qu'il ne fallait y voir qu'une exception confirmant la règle. Cependant par une de ces contradictions si fréquentes chez les écrivains de son temps, le même auteur trouvait tout naturel que les Etats Généraux, dans le but de nuire à la Suède, eussent prohibé le trafic d'articles ne pouvant servir directement à la guerre et assimilé à la contrebande les munitions navales toutes les fois qu'il y avait lieu de supposer l'ennemi dans un dénuement tel qu'il eût un pressant besoin de renouveler ses approvisionnements pour pouvoir continuer la guerre.

Heineccius, un des contemporains de Bynkershock, veut que la prohibition tant discutée ne porte que sur les canons, les armes de toute espèce, la poudre, les cordages, les voiles, les apparaux maritimes, les céréales, le sel, le vin, l'huile et toutes les provisions de bouche.

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