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pacifique et naturel; en effet, il n'entraîne comme conséquences immédiates ni effusion de sang ni aucune de ces terribles catastrophes qui accompagnent inévitablement les batailles et les bombardements de villes : c'est, selon la judicieuse remarque de Cauchy, « un moyen de forcer l'ennemi à se rendre sans le détruire ».

Mais la question change d'aspect, si on l'envisage au point de vue commercial: alors l'auteur que nous venons de citer considère le blocus comme « la plus grave atteinte qui puisse être portée par la guerre au droit des neutres >>.

« Les autres modes de guerre, fait-il observer, pèsent quelquefois exclusivement, mais toujours principalement et directement, sur l'ennemi; quant au blocus, on peut dire qu'il pèse presque autant sur les neutres que sur le belligérant bloqué; car dans la prohibition de commerce qui en résulte, le navire neutre, chargé de marchandises neutres et in offensives, est mis, quand il viole le blocus, absolument sur la même ligne que le navire ennemi ou le navire chargé de contrebande de guerre pour le compte de l'ennemi... La contrebande de guerre ne frappe que certaines natures de marchandises, dont la liste tend toujours à se restreindre... La prohibition résultant d'un blocus s'applique aux marchandises comme aux denrées de toute provenance et de toute

nature. »

C'est ce que Fiore explique dans des termes à peu près identiques. « Le blocus, dit-il, est odieux et contraire à l'indépendance naturelle des peuples neutres, parce qu'il n'empêche pas seulement le commerce de certaines matières déterminées, comme la contrebande de guerre; mais il détruit toute espèce de commerce de quelque nature que ce soit avec les lieux assiégés et bloqués.

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Quant à Boeck, il voit dans le blocus uniquement un fait de guerre qui s'adresse avant tout à l'Etat ennemi. Il n'est point incompatible avec l'idée d'après laquelle la guerre est une relation d'Etat à Etat. Les neutres n'ont point le droit de l'entraver, car, ce faisant, ils s'immisceraient dans les hostilités.

Si, dit avec raison Fauchille, il fallait prohiber le blocus par cette raison qu'il nuit aux neutres, il faudrait aller bien plus loin encore; on devrait logiquement déclarer les guerres illégitimes. La guerre entraîne l'appel sous les drapeaux d'une partie de la population, l'occupation par l'ennemi de certains territoires et la destruction de certaines voies de communication. Elle ralentit ainsi le

Cauchy.

Fiore.

Boeck.

Fauchille.

Distinction

entre le siège

commerce des belligérants, et ce ralentissement a forcément son contre-coup sur le commerce des neutres*.

>>

§ 2832. Le siège et le blocus se confondent jusqu'à un certain et le blocus. point, et sont régis par les mêmes lois et les mêmes principes; en réalité pourtant ils ont par leur tendance une signification distincte.

Duer.

Interruption des relations.

Grotius.

Ainsi le blocus a surtout pour objet d'entraver le commerce ennemi, sans s'attaquer à la ville qui en est le centre, tandis que le siège tend à amener la reddition d'une place forte en associant plus ou moins à la lutte ceux qui l'habitent et revêtent ainsi un certain caractère militaire.

« L'objet du blocus, dit Duer, est uniquement de réduire l'ennemi en interceptant son commerce avec les Etats neutres. En général, il n'a pas pour but la reddition ou la destruction du port bloqué; il n'implique pas non plus des actes d'hostilité contre les habitants de la place; l'objet du siège est, au contraire, de contraindre la place à capituler ou de la faire tomber par un autre moyen au pouvoir des assiégeants. C'est par l'emploi direct de la force qu'on cherche à atteindre ce but, et ce n'est qu'en y opposant également la force que l'adversaire peut l'empêcher. >>>

Quoi qu'il en soit, le blocus n'exclut pas le siège et réciproquement; il peut arriver en effet qu'une ville soit en même temps bloquée et assiégée, ou bien que ses communications soient interceptées par mer et demeurent ouvertes du côté de la terre, et vice

versa

§ 2833. Bien qu'en règle générale les neutres aient la faculté de continuer leur commerce et leurs autres relations avec les belligérants, il existe à cette règle certaines exceptions établies par le droit des gens, au nombre desquelles figure en première ligne l'interdiction aux neutres d'entretenir des communications ou de faire du commerce avec une place assiégée ou bloquée.

Grotius considère le transport des provisions à une ville assiégée Bynkershoek. ou à un port bloqué comme une offense grave et injuste. Bynkershock et Vattel sont d'avis qu'on doit punir comme un ennemi public celui qui s'en rend coupable.

Vattel.

L'opinion de ces anciens auteurs à cet égard est entièrement par

Cauchy, t. II, p. 196; Fiore, t. II, p. 446; Twiss, War, § 99. Garden, Traité, t. II, p. 397; Duer, v. I, lect. 7, § 32; Halleck, ch. XXIII, § 3; Klüber, Droit, § 297; Boeck, § 675; Fauchille, p. 15.

tagée par les publicistes modernes, ainsi que par les tribunaux de prises de tous les pays.

Massé.

Selon Phillimore, les exportations aussi bien que les importations, Phillimore. en un mot toutes communications de commerce doivent être interceptées avec la place bloquée. Massé est plus explicite : il interdit toute communication avec la place assiégée ou bloquée, sans qu'il y ait lieu de distinguer entre les communications purement pacifiques et celles qui auraient un but hostile.

De l'application des principes de neutralité, qui font aux puissances étrangères à la guerre une loi de ne point entraver les opérations militaires actuellement existantes d'un belligérant contre un autre, Ortolan déduit logiquement que, si un blocus est entrepris dans le but d'amener une place à reddition ou à composition par le défaut de munitions ou de subsistances, les neutres manqueraient essentiellement aux devoirs de la neutralité en introduisant dans cette place des secours qui la mettraient à même de tenir plus longtemps; il assimile sous ce rapport les blocus par mer aux sièges en règle des places fortes qui ont lieu dans les guerres sur terre. Cependant, malgré l'analogie des situations, nous ferons observer qu'il n'est pas d'usage d'appliquer les mêmes principes à une ville qui, assiégée par terre, conserverait matériellement la liberté de ses communications du côté de la mer. Que cela tienne à la différence essentielle du mode d'investissement ou aux règles toutes spéciales qui dominent dans les opérations purement militaires, toujours est-il que le trafic terrestre avec un port bloqué reste licite; ainsi on ne viole pas, selon Wheaton, un blocus maritime en envoyant des marchandises dans le port bloqué ou en en exportant par un canal intérieur de navigation ou par tout autre moyen de transport par terre, attendu que « un blocus maritime effectué par des forces qui n'opèrent que par mer ne peut avoir d'effet sur la communication intérieure du port ; et si la place n'est pas investie par terre, ses communications intérieures avec les autres ports ne peuvent être coupées»; tandis que toute opération maritime avec une ville investie par terre constitue un délit et fait perdre à celui qui s'y livre le bénéfice de la neutralité; aussi toute personne qui tenterait de fournir aux habitants d'une place assiégée des denrées alimentaires ou des objets nécessaires à leur défense serait-elle considérée comme s'associant aux opérations militaires et s'exposerait à la saisie et à la confiscation de sa propriété *.

Grotius, Le droit, liv. III, ch. 1, § 5; Bynkershoek, Quæst., lib.I,

Ortolan,

Wheaton.

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§ 2834. En droit, l'accès et la sortie d'un port bloqué sont interdits aussi bien aux bâtiments de guerre qu'aux navires de com

merce.

<< Un bâtiment de guerre, dit Wheaton, n'a pas le droit d'entrer dans un port bloqué ni d'en sortir, à moins qu'il n'y fût déjà à l'époque où a commencé le blocus. »

Cependant les belligérants, en considération tant des égards qu'ils doivent aux autres gouvernements que du caractère dont sont revêtus les bâtiments de guerre et des privilèges dont ils jouissent, laissent souvent, toutes les fois que cette concession peut se concilier avec l'objet de la guerre, l'entrée et la sortie des ports qu'ils bloquent libres aux navires de guerre neutres.

Ortolan justifie ainsi cette immunité : « En effet, dit-il, le but principal d'un blocus étant d'interdire tout commerce par mer avec le lieu bloqué, le moyen d'atteindre ce but reste tout entier, si la prohibition d'entrer et de sortir n'est appliquée qu'aux navires marchands *. >>

§ 2835. Il existe certains cas particuliers dans lesquels l'accès d'un port bloqué devient absolument licite aux navires marchands: par exemple, lorsqu'il a été l'objet d'une autorisation spéciale donnée par l'Etat bloquant. Nous disons spéciale, parce qu'on ne saurait reconnaître la validité d'une permission de trafiquer générale, vague et indéterminée. Il va sans dire que ceux qui obtiennent de semblables faveurs sont tenus d'observer une grande circonspection et de se soumettre à toutes les formalités ou à toutes les restrictions qu'il plaît au belligérant de leur imposer **.

§ 2836. La théorie aussi bien que la pratique sont d'accord pour reconnaître que les belligérants ont le droit d'empêcher les individus qui demeurent étrangers à la lutte de trafiquer avec les places et les villes bloquées. Mais alors quel est le fondement de ce droit? Comment se légitime-t-il, puisqu'il est en contradiction, du moins apparente, avec le droit des neutres ? Quels sont les arguments invoqués par les auteurs qui font dériver la neutralité d'un pouvoir

cap. xI; Vattel, Le droit, liv. III, § 117; Phillimore, Com., v. III, § 287 ; Massé, t. II, § 292; Ortolan, Règles. t. II, p. 330; Wheaton, Elém., pte. 4, ch. III, § 28; Duer, v. I, lect. 7, § 32; Halleck, ch. xxIII, §§ 1, 15; Fauchille, pp. 233, 241, 244.

Ortolan, Règles, t. II, p. 329.

Duer, v. I, lect. 7, § 50; Twiss, War, § 111; Phillimore, Com., v. III, § 387; Wildman, v. II, pp. 202, 203; Halleck, ch. XXIII, § 32; Fauchille, p. 238.

inhérent aux tiers qui en assument le rôlc, et non aux parties contendantes?

Les publicistes anglais placent cette question sur le terrain du droit municipal interne, sans lui donner d'autre fondement que celui de la législation de leur pays. Mais si les écrivains du RoyaumeUni évitent de se prononcer sur la théorie relative à cet objet et sc contentent d'élever à la hauteur d'un principe la pratique observée par leur gouvernement, il n'en est pas de même des Français et des Allemands, qui donnent comme base légale aux sièges et aux blocus, les uns le droit de conquête, les autres la nécessité. Hautefeuille et Ortolan sont les plus fidèles représentants de la première école, et Gessner de la seconde *.

Théorie du droit de con

Hautefeuille.

§ 2837. Hautefeuille dit que « pour atteindre le but unique de la guerre, c'est-à-dire réduire l'ennemi à accepter la paix, le moyen quête: le plus efficace est la conquête du territoire ennemi. Pour arriver à ce résultat, il faut nécessairement s'emparer des villes, des forteresses, des ports, et le plus souvent il faut battre les murailles avec le canon et enlever la place de vive force, ou réduire ses défenseurs par la famine, c'est-à-dire faire le siège ou le blocus. Le droit du belligérant à employer ces moyens est parfait et absolu: c'est un droit essentiel de la guerre ».

Pour assiéger, investir ou bloquer ainsi une ville ou une forteresse, le belligérant réunit autour du lieu dont il veut s'emparer des forces plus ou moins considérables, qui occupent une partie du territoire ennemi, le possèdent de fait et lui donnent le droit incontestable d'y exercer la même juridiction que dans son propre pays, notamment la faculté d'y interdire aux étrangers tout séjour et tout trafic avec les habitants du pays.

« Si nous faisons l'application de ces principes au blocus maritime, nous voyons, continue Hautefeuille, que, du moment qu'un belligérant a bloqué un port de son adversaire, il a fait la conquête de cette partie du domaine ennemi que nous avons appelée mer territoriale, et il a le droit de donner à cette conquête les lois qu'il trouve les plus propres à favoriser ses projets... Pour le belligérant, ce droit est aussi complet que celui en vertu duquel

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Cauchy, t. II, pp. 197 et seq.; Hautefeuille, Des droits, t. II, pp. 189 et seq.; Ortolan, Règles, t. II, pp. 326 et seq.; Massé, t. I, §§ 287 et seq.; Gessner, pp. 145 et seq.; Bluntschli, § 827; Heffter, § 154; Martens, Précis, § 320; Phillimore, Com., v. III, p. 385; Duer, v. I, lect. 7, § 19; Manning, p. 319; Fiore, t. II, pp. 446 et seq.; Hubner, t I, ch. vii, § 6; Fauchille, pp. 13 et seq.; Boeck, § 672-5.

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