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Ortolan.

Canchy.

il peut défendre aux étrangers de faire le commerce en général ou certain commerce spécial dans ses anciens Etats. Il peut donc non seulement promulguer la prohibition, mais encore décréter la peine applicable à ceux qui voudraient enfreindre cette loi, parce que le lieu dans lequel se passe le fait est soumis à sa juridiction. Le droit de blocus a donc sa source dans la loi primitive ou divine; mais, comme on le sait, son origine est complètement différente de celle de la première restriction à la liberté du commerce neutre. La contrebande de guerre dérive en effet d'un devoir naturel des peuples neutres; le blocus découle d'un droit du belligérant. »

Ortolan soutient la même doctrine, sans arriver toutefois jusqu'à cette dernière conclusion. « L'intention, dit-il, ou la possibilité de réduire la place par la famine n'est pas nécessaire pour faire un devoir aux États neutres de respecter le blocus. Ces États sont dans l'obligation de se soumettre à la prohibition de toute communication avec le lieu bloqué, s'il plaît à la puissance bloquante, quels que soient ses desseins, de faire une telle prohibition, parce que si le blocus est réel, cette puissance est réellement maîtresse des eaux territoriales environnantes. Il y a lieu alors d'appliquer à l'égard du territoire maritime, par analogie avec ce qui se passe dans les guerres sur terre à l'égard du territoire continental lors de l'occupation d'une province ennemie, le principe que l'occupant prend la place du souverain du lieu dans l'exercice de la souveraineté. Cette substitution d'une souveraineté à l'autre sur les eaux littorales est la base principale des droits des belligérants en cas de blocus. Il n'est pas nécessaire de recourir à la fiction d'après laquelle le lieu bloqué doit être regardé comme étant au pouvoir de la puissance qui le cerne. >>

On a objecté contre cette doctrine que le droit international positif admet sans doute l'appropriation des mers comme résultat accessoire de celle qui s'applique à la terre, mais que si l'on force le principe d'où dérive cette appropriation, on arrivera logiquement de conséquence en conséquence à nier la liberté des mers et celle de la navigation neutre. C'est ce que Cauchy fait ressortir quand il dit: « Qu'on me permette de laisser de côté cette fiction de la science moderne qui ferait dériver les effets du blocus d'un prétendu droit de conquête appliqué aux mers territoriales de l'ennemi, comme si la conquête d'une portion de mer territoriale pouvait se comprendre sans la conquête préalable du territoire même qui l'avoisine. Dès que vous séparez par la pensée cette mer de son rivage, qui seul la rendait susceptible de recevoir un maître, qu'est

elle, si ce n'est une partie aliquote de la vaste mer, sur laquelle

aucun domaine permanent ne peut s'exercer? »

Bluntschli se prononce dans le même sens : il dit que la base du Bluntschli, droit de blocus ne réside pas dans la souveraineté, mais uniquement dans le droit de la guerre.

Heffter se place à un point de vue un peu différent : il considère le droit de blocus en haute mer comme une sorte de « prévention », et combat expressément la manière de voir d'Ortolan, qui fait du blocus la substitution d'une souveraineté à une autre, par la raison qu'il ne peut être question de souveraineté en haute

mer.

Testa assimile le droit de blocus au droit d'occupation. Pour lui, «< la substitution d'une souveraineté à une autre dans les eaux territoriales, et le transfert de l'exercice de cette souveraineté aux belligérants qui occupent les eaux, est le fondement du droit de blo

cus. >>>

Heffter.

Testa.

A. Desjardins voit aussi l'origine du droit de blocus dans le droit A.Desjardins. d'occupation. « Une partie de la mer, dit-il, peut être occupée. momentanément par un certain nombre de vaisseaux, ceux-ci, tant que les forces de l'ennemi ne les chassent pas, peuvent se maintenir dans l'espace nécessaire à leur mouillage, ces eaux sont réputées conquises, des bâtiments de guerre ou de commerce ne peuvent dès lors venir se placer dans les mêmes eaux sans s'exposer à être repoussés par la voie de la force, enfin si les approches d'un port sont ainsi bloquées, l'occupant peut les interdire à tous. Tel est le fondement du droit de blocus (1). »

Fauchille, au contraire, soutient que c'est du devoir des neutres de ne pas prendre part à la guerre, et non du droit des belligérants que dérive le droit de blocus. « L'interdiction des relations commerciales avec les lieux bloqués n'est point imposée aux neutres par les belligérants, elle est une conséquence même de cet état de neutralité qui oblige les peuples pacifiques à s'abstenir de prendre part aux actes d'hostilité.

« D'autre part, envisagé dans les rapports des belligérants entre eux, le blocus est un moyen assurément plus légitime que les autres moyens en usage dans les guerres et qui sont cependant autorisés par tout le monde. Le blocus est, en effet, un moyen de forcer l'ennemi à se rendre sans le détruire, il n'entraîne comme conséquences immédiates, ni l'effusion du sang, ni aucune de ces terribles catas

(1) A. Desjardins, Droit comm. marit., t. I, p. 49.

Fauchille.

nécessité.

Gessner.

trophes qui accompagnent inévitablement les batailles navales *. » Théorie de la § 2838. Les difficultés que soulève la doctrine des auteurs précités a conduit quelques publicistes à proclamer le principe ou la loi de la nécessité comme base suprême du blocus. Voici comment Gessner s'exprime à cet égard : « Le droit de blocus ne pouvant, comme le fait très bien remarquer Hautefeuille, se déduire des devoirs des neutres, nous sommes forcés, malgré l'opposition ardente de cet auteur, d'en chercher la cause dans la nécessité. Il nous suffit que cette nécessité ne soit pas seulement prétendue, surtout qu'elle ne soit pas prétendue par une scule nation, comme cela a été le cas pour beaucoup de mesures prises à l'égard des neutres pendant les guerres maritimes. La nécessité d'interdire aux neutres le commerce avec les ports bloqués, si l'on ne veut pas faire perdre toute son efficacité au blocus, au moyen le plus important d'arriver par la guerre maritime à des résultats et d'accélérer le rétablissement de la paix, cette nécessité a toujours été reconnue par toutes les puissances, et cette nécessité n'a fait naître d'aucun côté des réclamations de quelque importance. La nécessité d'accorder aux belligérants un pareil droit est donc suffisamment constatée; ce fait et la sanction historique qu'il a reçue suffisent pour donner au droit de blocus une base solide. Toutes les autres théories sont dépourvues de fondement; le point de vue que nous venons d'exposer, et qui a été celui de plusieurs anciens auteurs, Grotius, Bynkershoek, Vattel, et de Cauchy parmi les modernes, est le seul défendable **. D

Considéra

tions sur les

§ 2839. Malgré leur apparente contradiction, les opinions que doctrines qui nous venons de résumer constituent au fond une seule et même précèdent. doctrine, puisqu'elles conduisent à des conclusions identiques. En effet, ceux qui défendent la théorie de la conquête ou de l'occupation de fait des caux territoriales, comme ceux qui invoquent la loi de la nécessité, arrivent également à reconnaître que le blocus est un droit sanctionné par les lois de la guerre, et dont on ne saurait à aucun titre contester l'exercice aux belligérants; or, une fois que l'accord existe sur ce point, il peut sembler quelque peu puéril d'appeler à son aide des sophismes ou des arguties d'un autre âge pour

Hautefeuille, Des droits, t. II, pp. 189 et seq.; Ortolan, Règles, t. II, pp. 328, 329; Cauchy, t. II, pp. 419, 420; Massé, t. I, §§ 289, 290; Gessner, p. 168; Bluntschli, § 827; Testa, p. 222; Fauchille, pp. 21 et seq.

Gessner, pp. 149, 151; Bluntschli, § 827; Fiore, t. II, p. 450; Desjardins, Droit comm. maritime, t. I, § 22.

étayer la base d'un droit dont l'absence rendrait les guerres maritimes presque impossibles ou beaucoup moins efficaces.

Le blocus doit être effec

§ 2840. Pour que le blocus puisse produire ses effets, pour qu'il soit obligatoire à l'égard des neutres, il est nécessaire qu'il soit tif. effectif ou réel, c'est-à-dire que le belligérant qui veut déclarer le blocus ait une force suffisante pour le faire respecter et dispose ses forces de mer à l'entrée du détroit ou du port bloqué de manière à devenir le maître de la mer territoriale qu'il occupe et à pouvoir en interdire l'accès à tout navire étranger. La raison est ici d'accord avec le droit conventionnel: tous les traités exigent une force suffisante pour interdire l'entrée d'un lieu.

Étant donc admis comme condition indispensable de la validité du blocus qu'il soit effectif, il reste à examiner quelles sont les circonstances qui peuvent lui faire attribuer ce caractère.

La première neutralité armée de 1780, ainsi que les traités subséquents (1) qui en ont sanctionné les principes, déterminent dans les termes suivants ce qui caractérise un port bloqué :

« On n'accordera cette dénomination qu'à celui où il y a, par les dispositions de la puissance qui l'attaque avec des vaisseaux arrêtés et suffisamment proches, danger évident d'entrer. >>

L'article 3 de la convention maritime du Nord du 16 décembre 1800 (2), qui constitua la seconde neutralité armée, explique que « un port ne peut être regardé comme bloqué que si son entrée est évidemment dangereuse par suite des dispositions prises par une des puissances belligérantes au moyen de vaisseaux placés à sa proximité. >>

Enfin la déclaration du congrès de Paris du 16 avril 1856 (3), à laquelle toutes les puissances de l'Europe, l'Espagne exceptée, ont donné leur adhésion, porte que « les blocus pour être obligatoires doivent être effectifs, c'est-à-dire maintenus par une force suffisante pour interdire réellement l'accès du littoral de l'ennemi*. »

(1) Martens, 1e édit., t. II, pp. 74, 103, 110, 117, 130; t. IV, pp. 357, 375; 20 édit., t. III, pp. 158, 189, 198, 215, 245.

(2) Martens, 1re édit., t. VII, p. 516; Suppl., t. II, pp. 389, 399; 2o édit., t VII, pp. 172, 181.

(3) De Clercq, t. VII, p. 91; Savoie, t. VIII, p. 405; Martens-Samwer, t. II, p. 791; Archives dipl., 1862, t. I, p. 146; Bulletin des lois, 1856, no 381; Lesur, 1856, app., p. 19.

* Ortolan, Règles, t. II, pp. 330, 331, 485, 486; Hautefeuille, Des droits, t. II, pp. 199-202; Cauchy, t. II, pp. 261, 262, 346, 422, 423; Gessner, pp. 160, 161, 167, 169 et seq.; Massé, t. I, §§ 283, 291; Morin, Les lois, t. II,

Opinion des publicistes:

Ortolan.

Bluntschli.

Massé.

Phillimore.

§ 2841. Mais, demandera-t-on maintenant, quelle doit être cette force suffisante? Consiste-t-elle, par exemple, dans un nombre déterminé de navires, comme l'ont stipulé plusieurs traités ? Nous partageons l'avis d'Ortolan, qu'une pareille stipulation va trop loin; « car elle ne saurait faire règle positive dans tous les cas, même entre les seules parties contractantes, puisque le nombre de bâtiments nécessaire pour un investissement complet dépend évidemment de la nature du lieu bloqué. »

Pour que le blocus d'un port soit effectif, Bluntschli établit qu'il faut que l'entrée et la sortie en soient interceptées soit par des navires de guerre stationnés devant le port, soit par des batteries dressées sur la côte. « On n'exige pas, dit-il, un chiffre minimum de navires de guerre ou de canons dans les batteries construites sur terre; mais il faut que l'ennemi possède sur les lieux des forces suffisantes pour pouvoir intercepter le commerce régulier des navires marchands. >>

Massé pose la réalité du blocus comme condition unique de son existence pour lui, le blocus n'est réel qu'autant qu'il est appuyé de forces suffisantes pour occuper réellement tous les passages défendus; il ajoute que, « tant que le blocus dure, les vaisseaux doivent rester en permanence dans les eaux qu'ils ont mission d'occuper. >>

Phillimore pense qu'un port ne saurait être considéré comme bloqué, «< si l'on néglige de cerner un seul des points qui peuvent en faciliter l'accès. » Voici d'ailleurs en quels termes il définit le blocus :

« Un blocus de facto doit être effectué en faisant stationner un certain nombre de vaisseaux et en formant, pour ainsi dire, un arc de circonvallation autour de l'entrée du port prohibé, où, si l'arc est défectueux, ne fût-ce que sur un point, le blocus même est tout à fait défectueux telle est la définition générale et exacte d'un blocus. (A blockade de facto should be effected by stationing a number of ships and forming as it were an arch of circumvallation round the mouth of the prohibited port, where, if the arch fails in any one part, the blockade itself fails altogether. This is the general and safe definition of a blockade.) »

pp. 117 et seq.; Pistoye et Duverdy, Traité, t. I, pp. 366 et seq.; Heffter, §155; Klüber, Droit, § 297; Bluntschli, § 829; Wheaton, Élém., pte. 4, ch. III, § 28; Phillimore, Com., v. III, § 293; Twiss, War, §§ 102, 103; Kent, Com., v. I, pp. 146, 147; Duer, v. I, lect. 7, § 24; Halleck, ch. xxi, §§ 4, 9; Wildman, v. II, p. 179; Manning, pp. 322, 323; Hautefeuille, Quæst., pp. 241, 242; Fiore, t. II, pp. 450-452; Pradier-Fodéré, Principes, pp. 564, 565; Riquelme, lib. I, tit. 2, cap. XVIII; Hall, International law, p. 619; Desjardins, Les derniers progrès du Droit international, Revue des Deux-Mondes, 15 janvier 1882, p. 348; Fauchille, p. 74.

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