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des nations civilisées ont adhéré, et ce principe n'est nulle part reconnu plus complètement que dans notre pays, quoique nous n'ayons point pris part à cette déclaration.

« Quel était donc le blocus des Etats rebelles? La proclamation du président du 19 avril 1862 déclarait l'intention du gouvernement « d'établir un blocus des ports de ces Etats en postant des forces suffisantes pour empêcher l'entrée et la sortie des navires ». Et, pour expliquer cette proclamation, les gouvernements étrangers étaient informés « qu'on avait l'intention de bloquer toute la côte depuis la baie de Chesapeake jusqu'au Rio-Grande. »

En déterminant la question de savoir si ce blocus était destiné à comprendre l'embouchure du Rio-Grande, le traité avec le Mexique relativement à ce fleuve doit être pris en considération. Il est stipulé à l'article 5 que la ligne frontière entre les Etats-Unis et le Mexique doit commencer dans le golfe à trois lieues de la terre en face de l'embouchure du Rio-Grande et suivre dans la direction du nord le milieu du fleuve. Il est de plus stipulé à l'article 7 que la navigation du fleuve doit être libre et commune aux citoyens des deux pays, sans interruption de la part de l'un d'eux sans le consentement de l'autre, fùt-ce même dans le but d'améliorer la navigation.

L'embouchure du Rio-Grande est par conséquent, pour la moitié de sa largeur, sur le territoire mexicain; et au point de vue de la navigation, il est tout aussi mexicain qu'américain. II est donc clair qu'il ne faudrait rien de moins qu'une déclaration expresse de l'exécutif pour nous autoriser à attribuer au gouvernement une intention de bloquer ce fleuve en temps de paix entre les deux républiques.

On suppose qu'une telle déclaration est contenue dans la proclamation du président du 18 février 1864, laquelle rappelle que le port de Brownsville avait été bloqué, mais déclare le relâchement du blocus. On donne pour raison que Brownsville est situé sur la rive texienne du Rio-Grande vis-à-vis de Matamoros, et que le rappel dans la proclamation du fait que Brownsville avait été bloqué doit donc être regardé comme équivalant à l'assertion que l'embouchure du Rio-Grande était comprise dans le blocus de la côte. Il serait difficile d'éviter cette conclusion, si Brownsville pouvait être bloqué seulement par le blocus du fleuve; mais cette ville peut être bloquée aussi par le blocus du port de Brazos-Santiago et de la Boca-Chica, qui étaient sans conteste compris dans le blocus de la côtc. A la vérité, jusqu'à un an avant la proclamation, le port d'entrée pour le

district n'était pas Brownsville, mais Point-Isabel, qui à proprement parler en est le port, et dans la pratique habituelle les marchandises destinées à Brownsville étaient débarquées à Point-Isabel, d'où on les transportait par terre sur un court parcours à leur destination.

§ 2862. Nous ne connaissons pas de précédents judiciaires qui justifient l'extension des blocus par interprétation, tandis qu'il existe des précédents d'une grande autorité dans le sens contraire. Nous allons en citer un.

« La Frau Ilsabe avec son chargement fut capturée en 1799 comme ayant violé le blocus de la Hollande par l'Angleterre. Le voyage était indiqué de Hambourg à Anvers, et, naturellement dans sa dernière partie, en amont de l'Escaut. On demanda la condamnation du chargement en faisant valoir que l'Escaut était bloqué par le blocus de la Hollande. Mais Sir W. Scott dit : « Anvers ne fait certainement pas partie de la Hollande; quant à l'Escaut, il n'est pas situé sur le territoire hollandais c'est plutôt un fleuve formant une frontière commune et séparant la Hollande du pays contigu. » Ce cas est d'autant plus remarquable qu'Anvers est sur la rive droite du fleuve, ainsi que tout le territoire de la Hollande; et, quoique aucune partie de ce dernier pays ne fit partie de la Flandre, qui était alors, en même temps que la Hollande, unie à la France dans une guerre contre l'Angleterre, Sir William Scott admettait qu'il «< eût été aussi juste que légitime de bloquer le port de la Flandre aussi bien que ceux de la Hollande », et qu'il était possible que l'Escaut cût été compris dans le blocus, mais le même juge ne voulait pas, en l'absence d'une déclaration expresse, soutenir qu'il l'était nécessairement. Ce cas paraît être concluant.

« Donc, en l'absence d'une déclaration expresse à cet effet, il est impossible de dire que le gouvernement avait cu l'intention de bloquer l'embouchure du Rio-Grande. Et nous sommes d'autant moins inclinés à le dire que nous ne connaissons aucun cas où un belligérant ait tenté de bloquer l'embouchure d'un fleuve ou l'entrée d'un port occupé d'un côté par des neutres, ni aucun cas ou un blocus de ce genre ait été reconnu comme valable par un tribunal jugeant conformément au droit des gens.

§ 2863. « Le seul cas qui prête un appui, apparent du moins, à une pareille doctrine, c'est celui de la Maria, jugé par Sir W. Scott en 1805. Le chargement en litige avait été transporté de Brême par le Weser à Varel, près de l'embouchure de l'Iahde, et

Précédents

judiciaires. Cas de la

Frau Isabe.

1799.

Cas

de la Maria.

1805.

Cas du

Zelden Rust

Conclusion:

préme dans

là transbordé pour l'Amérique. L'embouchure du Weser était alors bloquée, et Sir W. Scott soutint que le commerce de Brême, quoique neutre, ne pouvait se faire par le Weser : c'était, il le reconnaissait, un grave inconvénient pour la ville neutre, qui n'avait pas d'autre débouché sur la mer; mais cela dépendait de sa position et de l'état de guerre. Il arriva dans ce cas qu'un relâchement du blocus en faveur de Brême autorisa la restitution des marchandises saisies; autrement il n'est pas douteux que le chargement n'eût été condamné, quoique avec répugnance.

<< Mais c'est une erreur de supposer que ce cas puisse servir d'autorité pour justifier un blocus américain du Rio-Grande affectant le commerce de Matamoros. L'avocat, dans l'affaire de la Maria, s'était trompé en se figurant qu'une seule des rives du Weser était bloquée par les Français et que Brême était située sur l'autre. Ce cas serait concluant, si les deux rives du Rio-Grande avaient été occupées par les rebelles.

§ 2864. Le cas du Zelden Rust, cité à la barre, est encore moins applicable au procès. Il ne s'agissait pas du tout d'une violation de blocus, mais d'un transport de contrebande dépendant de la destination. Le Zelden Rust, navire neutre, était entré dans la baie ou rivière de Bétancos, sur l'une des rives de laquelle est situé Ferrol et sur l'autre la Corogne. L'avocat avait émis la supposition que Ferrol était un port belligérant et la Corogne un port neutre, tandis que l'un et l'autre étaient des ports belligérants; or le chargement fut condamné, parce que sa destination réelle ou probable était Ferrol, qui était un port d'équipement naval, quoique sa destination nominale fùt la Corogne, qui était également un port d'équipement naval, mais moins important que Ferrol; cependant ni la baie ou la rivière, ni l'une ou l'autre des villes n'étaient bloquées.

« Il est inutile d'examiner les autres cas mentionnés par l'avocat. La Cour su Il suffit de dire qu'aucun n'appuie la doctrine qu'un belligérant l'affaire du puisse bloquer l'embouchure d'une rivière occupée sur une de ses rives par des neutres ayant des droits complets de navigation.

Peterhoff.

Peut-on

bloquer tout

une

<< Nous n'hésitons donc pas à soutenir que l'embouchure du RioGrande n'était pas comprise dans le blocus des ports des Etats rebelles et que le commerce neutre avec Matamoros, excepté pour la contrebande, était entièrement libre. >>

§ 2865. Nous allons examiner maintenant si l'on peut bloquer étendue non pas seulement un point isolé, déterminé, mais tout une étende côtes ? due de côtes ennemies; si le blocus peut s'étendre à la fois à tous

les ports, à toutes les villes, à tous les territoires de l'ennemi. Cette question a donné lieu à des débats prolongés, qui avaient leur origine dans la diversité des aspects sous lesquels on l'a envisagée.

Si, rigoureusement parlant, le droit qu'a le belligérant de nuire à son adversaire n'est pas contestable, les droits des neutres ne sont pas moins dignes de respect, et, suivant le point de vue auquel on se place, on peut arriver à des conclusions diamétralement opposées. En effet, posée exclusivement sur le terrain des droits du belligérant et des exigences stratégiques, la question pourrait conduire de déduction en déduction à justifier le célèbre blocus continental; tandis que si l'on se préoccupe de préférence de l'intérêt des neutres, nous avons vu combien laisse à désirer la doctrine restrictive professée par Luchesi-Palli *.

publicistes:

§ 2866. Comme on doit s'y attendre, les publicistes anglais Opinion des n'admettent point d'autre limite à l'étendue des côtes à laquelle le blocus puisse s'appliquer que la limite naturelle de forces suffisantes pour maintenir le blocus réel et effectif; mais on sait ce que les auteurs anglais, d'accord en cela avec leur gouvernement, entendent par forces suffisantes, par lesquelles ils comprennent notamment de simples croisières.

Les publicistes français sont plus rigoureux : ils reconnaissent, il est vrai, le droit d'étendre le blocus autant qu'on le veut, mais à condition de le maintenir à l'aide de vaisseaux de guerre stationnés en permanence et en nombre suffisant.

Hautefeuille pose en principe que « tous les lieux possédés à titre Hautefeuille. de souveraineté par un belligérant, tous les lieux susceptibles d'être conquis par l'ennemi peuvent être soumis au blocus »; de sorte que « un peuple, dont les forces navales seraient assez considérables pour entourer les côtes ennemies d'un cercle de bâtiments de guerre assez rapprochés pour que le feu de leur artillerie se croisât, pourrait, en exécutant réellement cet investissement, soumettre au blocus tous les rivages de son adversaire. »>

Aux yeux d'Ortolan, « rien ne s'oppose à la légitimité du blocus effectif d'une grande étendue de côtes ennemies, si la puissance bloquante est réellement maîtresse de la mer territoriale environnante, si, au moyen d'un nombre suffisant de croiseurs, elle a réellement

• Cauchy, t. II, pp. 424, 425; Ortolan, Régles, t. II, p. 332; Massé, t. I, § 297; Hautefeuille, Des droits, t. II, pp. 208 et seq.; Gessner, p. 195; Twiss, War, § 217; Riquelme, lib. I, tit. 2, cap. xvIII; Fauchille, Blocus maritime, p. 182.

Ortolan.

Massé.

Gessner.

Fauchille.

la possibilité d'écarter de la côte tout navire qui tenterait d'y aborder. >>

Massé ne voit aucune raison de refuser aux belligérants d'établir e blocus sur tout une étendue de côtes, « en supposant ce blocus établi d'une manière exacte et réelle ». « Celui qui a le droit de bloquer un port, dit-il, a le droit d'en bloquer vingt, si le besoin de l'attaque ou de la défense rend l'emploi de ce moyen nécessaire... Mais ce blocus pour être efficace doit être tout aussi réel que celui d'un seul port, c'est-à-dire que tout le rivage bloqué doit être réellement occupé par des forces maritimes permanentes et occupant à la fois tous les points défendus, de manière qu'il y ait en même temps et sur tous les points impossibilité de passer sans danger d'être pris... ». « Il est évident, ajoute-t-il plus loin, que l'envoi de croiseurs dans les mers voisines d'une côte alors qu'il n'y a aucunes forces permanentes à portée des côtes comprises dans la déclaration de blocus ne peut constituer qu'un blocus n'ayant aucune réalité, un blocus sur le papier...

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On peut donc regarder comme purement théorique la doctrine que nous venons d'exposer; car il n'a pas encore été démontré qu'aucune puissance ait les moyens nécessaires pour la mettre en pratique. Aussi Gessner, considère-t-il comme superflu, sinon dangereux même, de proclamer en théorie un pareil droit, et il se croit «< autorisé à mettre en doute ou du moins à passer sous silence la légitimité d'un blocus mis sur une côte entière, jusqu'à ce que l'expérience ait démontré qu'un tel blocus est réellement possible. »

Fauchille n'est pas du même avis. Il pense que si dans l'état actuel des choses la plus grande puissance maritime de l'univers, l'Angleterre, n'a pas assez de vaisseaux pour bloquer tout le littoral d'un grand Etat, elle en a suffisamment pour isoler complètement un Etat dont le territoire maritime serait peu étendu.

« Le blocus étant, dit-il, un moyen de réduire son adversaire par la famine, il va de soi que ce but sera atteint d'autant mieux que le blocus sera plus étendu. L'investissement d'une côte est donc conforme à l'idée même du blocus.

α

<< Mais un blocus n'est légitime qu'autant qu'il est effectif, c'est-àdire maintenu par un nombre suffisant de vaisseaux pour intercepter toute communication avec un lieu bloqué. Le blocus de tout une côte étant un blocus au même titre que le blocus d'un port déterminé, il faut par suite le soumettre à ce principe et ne l'auto

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