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la famine et que cette circonstance avait motivé l'assimilation des vivres aux articles de contrebande; elle invoquait en outre le droit de capture qui lui avait été conventionnellement reconnu, à charge de payer un profit marchand raisonnable au propriétaire, ainsi que le fret et une indemnité pour la détention du navire ; enfin elle faisait valoir que la mesure était suffisamment justifiée par la rareté des vivres en Angleterrre, et citait à l'appui de ses prétentions le passage suivant de Vattel:

« Les choses qui sont d'un usage particulier pour la guerre et dont on empêche le transport chez l'ennemi s'appellent marchandises de contrebande. Tels sont les armes, les munitions de guerre, les bois et tout ce qui sert à la construction et à l'armement des vaisseaux de guerre, les chevaux, et les vivres même en certaines occasions où l'on espère de réduire l'ennemi par la faim. »

Les Américains, intéressés à combattre cette théorie, prétendirent que son caractère général était indéfini et équivoque, que l'espoir de réduire l'ennemi par la faim devait être évident, et que si le droit international admettait semblable extrémité dans les sièges ou les blocus, il ne l'avait jamais étendu à une nation tout entière.

Pour réfuter ces arguments on eut alors recours à l'autorité de Grotius, combattue à son tour par Bynkershoek, et l'on arriva en fin de compte à constater que l'ordre en conseil qui faisait le sujet du débat, était contraire aux doctrines soutenues par la majorité des publicistes et aussi illogique qu'arbitraire. En effet, si le simple espoir, quelque fondé qu'il fût en apparence, de vaincre un adversaire autorisait l'interruption du commerce, les belligérants ne se feraient jamais faute d'opposer cette raison de force majeure, qui échappe à toute restriction comme à toute critique, pour se dispenser de recourir à des sièges ou à des blocus et pour entraver les opérations les plus inoffensives; à la suite du trafic des vivres l'idée viendrait de gêner aussi celui des articles de simple commodité, et peu à peu la porte se trouverait fermée à toute espèce de transaction mercantile avec l'ennemi: ce qui n'est évidemment pas admissible.

A l'argument tiré du manque de vivre en Angleterre, les Américains répondirent, non sans raison, que le fait avait besoin d'être démontré par des preuves irrécusables; qu'il resterait encore à établir que la péremption était devenue une nécessité d'ordre public, à laquelle il ne pouvait être suppléé par aucun autre moyen ; enfin, que le doute sur ce point était tout au moins permis, puisque

Législation

péciale sor

ontrebande.

les céréales se vendaient dans le Royaume-Uni moins cher que dans les ports de France.

Cette discussion à la fois théorique et pratique entre les EtatsUnis et l'Angleterre eut pour résultat de faire allouer une indemnité équitable aux propriétaires dépossédés des navires et des cargaisons *.

§ 2717. Comme on vient de le voir, le droit conventionnel la question de n'offre pas plus que les dissertations des publicistes d'élément suffisamment précis pour dégager d'une manière claire et nette la notion vraie de la contrebande de guerre. Il faut donc avoir recours au seul terrain qu'il nous reste à aborder, celui des lois ou des ordonnances intérieures qui régissent la matière chez les différentes nations maritimes, et des sentences de leurs tribunaux de prises.

Édits hollandais.

Législation anglaise.

§ 2718. Dans la seconde moitié du dix-septième siècle, la Hollande, alors en guerre avec le Portugal, promulgua un édit qui classait parmi les articles prohibés les bois, les fers, le goudron, le chanvre et tous les matériaux nécessaires à la construction, au carénage et à l'armement des navires. Le décret de 1689 étendit encore davantage la liste de ces objets, en y comprenant les grains, les farines, les viandes et en général toutes les céréales et les substances alimentaires; mais vers la fin du siècle suivant, les Provinces-Unies abandonnèrent cette politique et soutinrent que la prohibition ne devait atteindre que les armes et les munitions de

guerre.

§ 2719. Depuis deux siècles, l'Angleterre, chaque fois qu'elle a entrepris une guerre, a adopté l'usage de publier, sous le nom d'ordres en conseil, des ordonnances spéciales dont le but est de régulariser le commerce des neutres.

En 1689, lors de sa lutte contre la France et la Hollande, elle prohiba le commerce des vivres et des munitions navales étendant

*Hautefeuille, Des droits, t. II, pp. 84 et seq.; Ortolan, Règles, t. II, pp. 192 et seq.; Wheaton, Elém., pte. 4, ch. tit, § 24; Wheaton, Hist., t. I, pp. 115, 126, 134, 375-401; t. II, pp. 40 et seq.; Phillimore, Com., v. III, §§ 279 et seq.; Twiss, War, §§ 130 et seq.; Kent, Com., v. I, p. 140; Massé, t. I, § 210; Klüber, Droit, § 288, noted; Heffter, § 160; Pistoye et Duverdy, Traité, t. I, pp. 395 et seq.; Duer, v. 1, pp. 639, 640; Halleck, ch. xxiv, §§ 16, 17; Fiore, t. II, pp. 440-442; Vattel, Le droit, liv. III, ch. vII, § 112; Grotius, Le droit, liv. III, ch. 1, § 5; Bynkershoek, Quæst., lib. I, cap. x; Lampredi, pte. 1, §§ 8, 9; Valin, Com., liv. III, tit. 9; Bello, ptc. 2, cap. vIII, § 4; Riquelme, lib. I, tit. 2, cap. xv; Wildman, v. II, pp. 222 et seq.; Manning, pp. 301 et seq.

peu à peu, à l'aide du blocus fictif des ports français, cette restriction à l'ensemble des transactions commerciales avec ses ennemis. Dans le courant de l'année 1744, elle comprit au nombre des objets illicites les bois de construction; et cn 1793 elle qualifia de la même manière les blés, les farines et les autres denrées alimentaires, exagération qui par représailles devint le point de départ du funeste système continental imaginé par la France.

Moseley, dans un travail spécial publié sur cette matière (1) en 1661, résume ainsi les maximes adoptées par son pays: La production naturelle et la nationalité rendent les marchandises libres; en d'autres termes, les produits naturels d'un pays neutre, manufacturés ou non et embarqués par un sujet du pays, ne peuvent être confisqués par les belligérants.

« Les marchandises douteuses provenant d'un pays douteux et destinées à un port douteux sont libres; mais ces mêmes marchandises deviennent articles de contrebande quand elles sont destinées à un port militaire ennemi.

« Les armes et les munitions ou tous objets exclusivement et directement applicables à la guerre sont de contrebande quand ils sont destinés au service de l'ennemi.

« Les navires neutres au service de l'ennemi deviennent eux-mêmes des ennemis.

« Les navires et les matériaux qui les composent sont, au point de vue de la contrebande de guerre, considérés comme une seule et même chose.

L'argent et ce qui en tient lieu peuvent être considérés comme étant de commerce illicite.

« Les provisions de bouche destinées au ravitaillement des armées ou des flottes ennemies sont de bonne prise.

« Tous les articles, de quelque sorte qu'ils soient, susceptibles d'être appropriés aux usages de la guerre, peuvent être saisis moyennant remboursement de leur valeur.

« Tout neutre qui a recours à la fraude perd ses droits au bénéfice de sa neutralité.

<< Tout chargement composé en partie de marchandises libres et en partie d'articles prohibés est confiscable en totalité, s'il appartient au même propriétaire. >>

§ 2720. La savante discussion à laquelle a donné lieu, au sein du Rectification

(1) What is contraband of war and what is not. London, 1861. (Ce qui est contrebande de guerre et ce qui ne l'est pas. Londres, 1861.)

du résumé de Moseley.

Parlement anglais, dans le courant des mois d'août et de septembre 1870, la nouvelle loi de neutralité dite foreign enlistment act, nous oblige à rectifier sur certains points le résumé de Moseley. Des déclarations formelles faites par l'attorney général, il résulte tout d'abord que, pour l'Angleterre, la qualification des articles de contrebande de guerre n'est pas du ressort du droit des gens, quand elle n'a pas été expressément énoncée dans des stipulations conventionnelles.

Rattachant la question exclusivement au domaine de la loi municipale ou interne, le gouvernement britannique se guide d'après des principes absolument différents, suivant qu'il reste neutre ou qu'il est lui-même engagé dans la lutte. Dans le premier cas, il réserve à chaque belligérant le droit de prohiber l'importation sur le territoire ennemi des articles qu'il lui a plu de ranger parmi ceux dits de contrebande; mais comme à ses yeux, et en raison de sa neutralité, le droit commun du Royaume-Uni est placé hors des atteintes de toute prescription émanant d'un souverain étranger, il soutient que ses sujets conservent en temps de guerre la liberté illimitée, qu'ils possèdent en temps de paix, de fabriquer et de vendre à tout le monde, même aux belligérants, des armes, des munitions et de la houille. La seule réserve qu'il admette à cet égard, c'est que l'opération se fait aux risques et périls de ceux qui l'entreprennent, et qu'en cas de capture les intéressés perdent tout recours à la voie diplomatique pour la restitution de leurs marchandises ou pour l'obtention d'une indemnité. Lorsqu'au contraire il prend lui-même part aux hostilités soit directement, soit comme allié de l'un des belligérants, le gouvernement anglais prétend devoir ne tenir compte que de ses lois municipales et avoir la faculté d'édicter telles prohibitions qu'il juge utile pour atteindre le but de la guerre, et d'étendre ou de restreindre à son gré la liste des articles compris sous le nom général de contrebande de guerre. Ce n'est pas là une simple théorie imaginée pour les besoins de la discussion du foreign enlistment act; car nous avons vu le cabinet de Londres s'en prévaloir dans la pratique, aussi bien pour repousser les plaintes des Etats-Unis à propos des livraisons d'armes faites aux sécessionnistes du Sud, que pour combattre les réclamations analogues formulées par la Confédération de l'Allemagne du Nord lors de sa guerre contre la France en 1870 (1).

(1) Voir le Times du 4 août 1870. Commentaire sur la discussion du foreign enlistment act; memorandum du comte de Bernstorff à lord Granville le ler sèptembre 1870, et réponse de lord Granville du 15 du même mois.

Cas du navire Inter

§ 2721. Pendant cette guerre, il s'est présenté un cas d'une nature toute particulière, qui a été tranché par la jurisprudence an- national. glaise d'après les principes que nous venons d'exposer.

Le navire International, qui portait un câble télégraphique, en partie sous-marin, en partie d'atterrissement, destiné à relier entre eux divers points de la côte française de Dunkerque à Royan, fut saisi le 21 décembre 1870 par les employés de la douane anglaise et détenu le 27 en vertu d'un warrant délivré par le secrétaire d'État pour les affaires étrangères. Les propriétaires du vaisseau et de sa cargaison s'adressèrent à la Cour de l'amirauté pour obtenir le relâchement immédiat du navire et de son chargement, ainsi que des dommages et intérêts à leur payer par le gouverne

ment.

Jugement de Sir Robert

§ 2722. Sir Robert Phillimore, dans le jugement qu'il fut appelé à prononcer le 17 janvier 1871, après avoir reconnu qu'il y avait en Phillimore. apparence un contrat de bonne foi entre des sujets anglais et un gouvernement en relations amicales avec l'Angleterre, écarta comme étrangère à la loi municipale la discussion de la question de savoir si l'objet à transporter avait, ou non, le caractère de contrebande de guerre, attendu que la punition de la contrebande de guerre appartient au belligérant, qui a le droit de capture; il reconnut toutefois que des circonstances particulières peuvent donner à un article ancipitis usus le caractère de contrebande, et qu'il y avait peut-être lieu de considérer la cargaison de l'International, inoffensive en temps ordinaire, comme empruntant aux circonstances de la guerre une destination propre au service militaire ou naval de la France, et que dans ce cas, la distinction technique usuelle entre la télégraphie militaire et la télégraphie civile postale n'empêche pas celle-ci de tomber sous le coup du statut (foreign enlistment act de 1870), lorsqu'il est démontré qu'elle a été exclusivement ou généralement employé pour le service militaire de l'Etat. Mais comme pareille preuve n'était pas fournie et que les termes du contrat n'impliquaient point une destination militaire, bien qu'il fût probable que, dans les circonstances, la ligne télégraphique de Dunkerque à Verdun-sur-Garonne devait être employée en partie comme moyen de communication entre le gouvernement français et ses troupes, probabilité insuffisante pour enlever à la ligne télégraphique son caractère primitivement et principalement commercial, le juge anglais ordonna le relâchement du navire. Cependant il n'adjugea point de dommages et intérêts, parce que les autorités anglaises avaient eu une cause raisonnable pour retenir le navire et sa cargaison et mettre

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