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cette double constatation est limité par la loi internationale à l'inspection des papiers de bord. C'est à cette source, et seulement à cette source, qu'il doit puiser les informations nécessaires pour résoudre les deux questions; sauf un très petit nombre d'exceptions, tous les traités sont unanimes sur ce point.

« Pendant les hostilités, le commerce des peuples pacifiques entre eux n'est soumis à aucune restriction; leur liberté et leur indépendance sont pleines et absolues. Leurs relations ne peuvent subir l'influence de l'état violent survenu entre deux nations étrangères; aucun nouveau devoir n'est venu peser sur eux; aucun nouveau droit n'est venu s'ajouter à ceux qui existaient en faveur des belligérants. Les peuples pacifiques peuvent donc continuer à commercer entre eux de la même manière et avec la même liberté qu'ils le faisaient avant la guerre, sans que les belligérants puissent jamais intervenir dans ce négoce ou y apporter aucune entrave.

« Pendant la paix, toutes les nations peuvent trafiquer librement entre elles de toute espèce de denrées sans aucune exception; il n'y a pas de contrebande internationale, si je puis m'exprimer ainsi, c'est-à-dire contre le droit international, et du moment que deux peuples, neutres tous les deux, sont d'accord sur la vente et l'achat de denrées quelconques, nul autre ne peut s'en offenser et mettre obstacle à la consommation du contrat. Cette liberté absolue, qui pendant la paix existe entre tous les peuples sans exception, existe également tout entière entre les peuples restés spectateurs paisibles de la lutte lorsque la guerre est déclarée. Ils peuvent donc faire entre eux toute espèce de commerce, même celui d'armes et de munitions de guerre. A leur égard, le droit de la paix existe entier et sans aucune modification.

« De ce principe il résulte qu'un navire neutre rencontré à la mer et visité par un bâtiment belligérant, lorsqu'il justifie sa nationalité et sa destination pour un port neutre, n'est pas tenu de soumettre au croiseur les pièces relatives à son chargement; qu'il peut n'avoir aucun papier de cette nature, ou en avoir d'incomplets, d'irréguliers, sans que le belligérant puisse en tirer aucune induction contre lui. La visite de ces papiers n'a en effet pour but que de vérifier si le neutre ne viole pas son devoir en portant chez l'ennemi des objets de contrebande de guerre. Cette violation du devoir de la neutralité ne peut donc avoir lieu dans les relations de neutre à neutre; d'où il suit que le belligérant n'a aucun intérêt, aucun droit de s'enquérir de la nature du chargement du navire neutre destiné pour un autre port neutre, soit que le port appartienne à la même puis

Martens.

Lampredi.

Azuni.
Ortolan.

Gessner.
Halleck,

Étendue du droit de vi

site:

Hautefeuille.

Hubner.

sance que le navire, soit qu'il se trouve sous l'obéissance d'une autre nation également pacifique. Supposons en effet que la cargaison d'un bâtiment neutre en destination pour un port neutre soit composée en partie ou même complètement d'armes et de munitions, de marchandises de contrebande; le propriétaire du navire ne serait coupable d'aucune violation de ses devoirs ; le belligérant n'aurait pas le droit d'arrêter le navire; il n'aurait pas même celui de se plaindre. »

D'autres publicistes, tels que Martens, Lampredi, Azuni, Ortolan, Gessner et Halleck, proclament la parfaite légitimité du droit dont nous nous occupons ici et le reconnaissent comme un de ceux qui sont inhérents à la qualité de belligérant

§ 2952. La même uniformité de vues n'existe pas quant aux limites dans lesquelles doit se renfermer l'exercice du droit de visite.

Hautefeuille, par exemple, faisant dériver le caractère illicite des marchandises de la destination du navire qui les porte, limite la visite à l'inspection des papiers de bord; et il est d'avis que lorsque ces papiers réguliers établissent que le navire est réellement neutre, appartient à la nation dont il porte le pavillon, et est destiné pour un autre port neutre, ou lorsque, expédié pour un port ennemi du visiteur, il ne porte aucune marchandise prohibée, le croiseur doit se retirer immédiatement et laisser le neutre libre de continuer sa course. » Selon lui encore, la visite, n'étant qu'un mode d'exercice du droit de la guerre, peut avoir lieu seulement pendant la guerre et dans le seul cas où le bâtiment rencontré est destiné pour un port ennemi.

Hubner conteste que le droit de visite puisse aller jusqu'à faire

Grotius, Le droit, liv. II, ch. 1, § 5; Bynkershoek, Quæst., lib. I, cap. XIV; Vattel, Le droit, liv. III, § 114; Hubner, t. I, pte. 2, ch. 1, § 3; Kent, Com., V. I, pp. 154 et seq.; Wheaton, Elém., pte. 4, ch. 1, § 29; Bornemann, pp. 215 et seq.; Pohls, t. IV, pp. 527 et seq.; Galiani, p.458; Hautefeuille, Des droits, t. III, pp. 30 et seq.; Martens, Précis, § 321 ; Lampredi, p. 185; Azuni, Système, t. II, ch. III, art. 4; Ortolan, Règles, t. II, pp. 250 et seq.; Gessner, pp. 280 et seq.; Halleck, ch xxv, §§ 11, 12; Massé, t. I, §§ 306, 307; Heffter, § 167; Bluntschli, § 819; Fiore, t. II, pp. 464 et seq.; Valin, Traité, ch. Iv, sec. 1, § 6; Jouffroy, pp. 213 et seq.; Rayneval, Inst., p. 260; De la liberté, t. I, chs. XVI, XXVIII; Bello, pte. 2, cap. vii, § 10; Pando, p. 549; Manning, pp. 350 et seq.; Wildman, p. 119; Vergé, Précis de Martens, t. II, pp. 337, 338; Robinson, Adm. reports, v. I, p. 340; Wheaton, Reports, v. II, p. 327; Desjardins, Les derniers progrès du droit international, Revue des Deux-Mondes, 15 janvier 1882, p. 353; Nys, La guerre maritime, p. 73; Dudley-Field, Projet de Code, p. 636.

des perquisitions à bord du navire. Or, il peut arriver que le navire n'ait que l'apparence de la neutralité et soit en réalité un bâtiment ennemi; dans ce cas, l'exercice du droit de visite doit évidemment comporter en fait une étendue beaucoup plus vaste que la théorie de Hautefeuille ne semble l'admettre; aussi plusieurs publicistes reconnaissent-ils la légitimité des perquisitions dans le cas où les documents exhibés seraient irréguliers ou incomplets, ou bien, comme l'indique Bluntschli, s'il résultait de certaines cir- Bluntschli. constances qu'il y a fraude de la part du navire neutre; ou cncore, selon Gessner, si la conduite de l'équipage autorisait à des

soupçons.

Ces réserves, ces distinctions nous paraissent plus subtiles que justes et faire trop bon marché de la réalité des choses; car, à moins de se contenter dans tous les cas de la simple affirmation des capitaines intéressés, nous ne voyons pas trop comment en dehors d'une véritable visite on pourrait s'assurer de la sincérité du pavillon ou de la régularité des pièces de bord.

Généralement le droit de visite ne peut être exercé que par les belligérants, non par des navires de commerce, mais exclusivement par des bâtiments de guerre, ou par des corsaires ou des navires commissionnés par l'autorité de l'Etat auquel ils appartiennent.

Selon Perels, l'étendue du droit de visite cst déterminée par le but que l'on poursuit. Dans les mers qui sont éloignées du théâtre réel de la guerre, on ne doit l'exercer que s'il y a un soupçon fondé de violation de neutralité.

Gessner.

Perels.

Décret italien du 20 juin

Cette opinion est conforme à l'article 10 du décret italien du 20 juin 1866 : « Bien qu'il n'y ait pas de limites à l'exercice du 1866. droit de visite en temps de guerre, je vous (commandants de navires) recommande que dans les lieux et les circonstances qui vous autoriseront à croire que la visite aura pour conséquence la saisie du navire *. »

Lieux où doit s'exercer

visile.

§ 2953. Quant aux lieux où doit s'exercer le droit de visite, quelques auteurs, notamment Rayneval, le circonscrivent dans les le droit de plus étroites limites et soutiennent qu'il ne peut s'exercer que sur les côtes appartenant aux nations belligérantes; mais la plupart admettent que le belligérant peut visiter les navires portant pavillon neutre sur son propre territoire, sur le territoire de l'ennemi, c'està-dire dans les rades, les ports et les mers ennemis, sans exception

* Perels, pp. 313, 314.

Durée du droit

de visite.

Règles consacrées pour

droit de visite.

même des fleuves, sur la haute mer; en un mot, dans les lieux où il y a intérêt à connaître le navire rencontré et où il est permis d'exercer des actes d'hostilité. Mais la visite ne peut se faire dans les lieux où les hostilités sont interdites, dans les eaux territoriales, les ports, les havres des neutres, ni dans ceux des puissances alliées ou amies sans leur consentement exprès ou tacite; car alors elle constituerait une violation de la souveraineté de ces Etats.

§ 2954. En ce qui concerne le temps où le belligérant a le droit de visite, il est borné à la durée de l'état de guerre par rapport aux nations neutres, depuis le moment où cet état est régulièrement notifié jusqu'à la cessation des hostilités. Hautefeuille est d'opinion que la simple suspension des hostilités, lorsqu'elle est générale, c'est-à-dire lorsqu'elle embrasse tout le territoire, toutes les armées des belligérants, toutes les opérations de la guerre, suspend le droit de visite avec d'autant plus de raison que les belligérants euxmêmes peuvent naviguer librement et sans craindre aucun trouble de la part de leur ennemi*.

§ 2955. Comme les traités qui ont servi de base aux neutralités l'exercice du armées de 1780 et de 1800, ainsi que la déclaration de Paris de 1856, n'ont pas réglementé en détail l'exercice du droit de visite, il faut nécessairement s'en tenir aux usages que la pratique des temps anciens a sanctionnés, lesquels peuvent se résumer ainsi :

Le belligérant doit manifester son intention de procéder à la visite en hissant son pavillon et en tirant un coup de canon à poudre dit de semonce, ou en se servant du porte-voix. Aussitôt après que l'un ou l'autre signal a été fait, le navire neutre est tenu de s'arrêter ou de mettre en panne, s'il ne veut s'exposer à être semoncé à boulets. Dès que le neutre a mis en travers, le croiseur détache un de ses canots armés, placé sous le commandement d'un officier, pour procéder à la visite. On procède quelquefois dans le sens inverse, c'est-à-dire que le capitaine visité est tenu de se rendre lui-même avec ses papiers à bord du croiseur qui l'a semoncé.

Parmi les papiers de bord quelques-uns ont une importance par

*Hautefeuille, Des droits, t. III, pp. 86 et seq.; Rayneval, De la liberté, t. I, ch. xvi et seq.; Hubner, t. I, pte. 2, ch. 111; Phillimore, vol. III, p. 530: Heffter, § 158; Bluntschli, § 820; Vergé, Notes sur Martens, liv. VIII, ch. vII; Funck Brentano et Sorel, p. 417; Rolin Jaequemyns, Revue de droit int., 1875, p. 613; Gessner, p. 311; Dudley-Field, Projet de Code, p. 636.

ticulière; aussi sont-ils désignés spécialement dans la plupart des traités comme ceux dont l'exhibition est prescrite avant tout ce sont les passeports, les certificats d'origine du navire et de la cargaison, les connaissements, les chartes parties, le rôle de l'équipage et le journal de bord.

Selon la pratique française, l'absence de tel ou tel document requis en pareille circonstance n'entraîne pas nécessairement des conséquences fâcheuses lorsque les autres pièces de bord présentées sont reconnues être en bonne et due forme et semblent suffisantes pour dissiper tout doute sur la nationalité du navire et le caractère licite de sa cargaison.

L'Angleterre, bien loin de suivre cet exemple, s'en tient à ses sévères errements des siècles passés, et exige une régularité absolue dans tous les documents soumis à l'examen de ses croiscurs. Quand leur contenu ou la conduite des personnes à bord donne lieu au moindre soupçon, elle impose la visite minutieuse du navire et de son chargement.

publicistes: Perels.

§ 2956. Perels critique vivement les dispositions des traités Opinion des qui ont fixé la distance à laquelle doit se tenir le croiseur, soit à portée de canon, au minimum à portée de canon, hors de portée de canon, à demi-portée de canon. Dans la plupart des cas, dit-il, il serait impossible d'observer rigoureusement et l'on voit bien que ce ne sont pas des marins qui les ont faites. La portée de canon est aujourd'hui d'environ huit milles marins. Etablir une communication à pareille distance au moyen d'une embarcation, est très souvent impossible, pour peu que la mer soit grosse. Aussi les traités récents portent-ils avec raison qu'on se dirigera suivant les circonstances, c'est-à-dire suivant l'état de la mer.

Limites du droit de vi

§ 2957. Le principe qui interdit absolument toute capture dans l'étendue des eaux neutres ou amies s'applique à fortiori à la visite site. des navires, laquelle, à moins d'autorisations expresses ou tacites consenties par le souverain territorial, ne peut légalement s'exercer qu'en pleine mer ou dans la zone maritime appartenant en propre à l'Etat belligérant.

Rayneval et Hautefeuille accordent bien dans tous les cas, même Rayneval. en pleine mer, le droit d'arrêter un bâtiment dans sa course pour Hautefeuille. constater son caractère par l'examen de ses papiers de bord; mais ils distinguent cette arrestation de la visite ou de la recherche, qui consiste à fouiller le bâtiment et sa cargaison, à interroger son équipage pour découvrir les preuves de fraude. Autant la simple arrestation, limitée à une reconnaissance du navire et de son char

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