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contribué à la résistance de manière à pouvoir en assumer toute la responsabilité. Tout au plus peut-on admettre qu'il y a eu une intention non réalisée de résister.

La Cour suprême des Etats-Unis a d'ailleurs reconnu, pendant la guerre de l'indépendance, que le neutre a le droit de charger ses biens à bord d'un navire belligérant armé.

Le ministre des Etats-Unis près la cour de Copenhague, qui était chargé de régler cette affaire, fit également valoir que l'absence de toute clause conventionnelle sur la matière et le silence gardé à cet égard par les publicistes les plus autorisés étaient la preuve manifeste que la prétendue exception à la liberté absolue de la navigation des neutres n'existait ni en théorie ni en pratiquc. Et si l'on ne peut nier, d'une part, que la propriété amie trouvée dans une place forte cnnemie échappe à toute confiscation, et, d'autre part, que le propriétaire des marchandises trouvées à bord d'un navire armé ou non ne saurait être rendu responsable des suites de la résistance opposée par son capitaine, comment l'armateur et le chargeur d'un navire neutre n'échapperaient-ils pas à la responsabilité des actes du convoyeur chargé de les protéger, alors que le fait s'est produit non en vertu d'ordres directs donnés par eux, mais par l'initiative et la scule inspiration du capitaine agissant à l'insu et sans instructions de ses commettants?

Si, comme le Danemark l'a toujours prétendu, le neutre a le droit de s'armer contre tous les belligérants, et si, une fois placé dans son propre pays sous le convoi de bâtiments de guerre, il peut repousser par la force celui qui chercherait à le visiter et à opérer des perquisitions à son bord, les citoyens des Etats-Unis, que la nécessité a contraints de se réfugier à l'abri des forteresses flottantes des ennemis du Danemark non pour résister à l'exercice des droits de cette nation, mais pour se soustraire aux violences de ceux qui, sans égard pour leur neutralité, se seraient inévitablement emparés de leurs biens, étaient pleinement fondés à agir comme ils l'ont fait. Si, ce qui eût fort bien pu arriver, ces navires avaient été convoyés par un bâtiment de la marine militaire des Etats-Unis, n'est-il pas évident que les croiseurs danois, d'après la législation de leur pays, auraient été obligés de se contenter de la parole du chef du convoi et d'une déclaration basée uniquement sur la production de papiers de bord délivrés par le gouvernement fédéral en vue de preuves dignes de foi fournies par les parties intéressées elles-mêmes?

Or si ces documents sont faux dans un cas, ils peuvent l'être

aussi dans l'autre ; et en dernière analyse les autorités danoises se trouveraient également dans les deux cas dans l'impossibilité matérielle d'en vérifier la sincérité soit par le fait de leur propre et volontaire acquiescement à la réponse du commandant de l'escadre de convoi, soit à cause de la présence d'une force ennemie supérieure qui s'opposerait à ce que les croiseurs du Danemark pussent exercer leur droit de visite et de recherche. Ces réflexions s'appliquaient naturellement à l'hypothèse que les navires dont il s'agit seraient parvenus à se soustraire à la capture, seul cas où il fùt permis au Danemark de se croire lésé comme puissance belligérante. Mais, dans l'espèce, la prise avait été effectuée sans être accompagnée d'aucun conflit hostile, et la question se réduisait à savoir s'il y avait lieu à confiscation en raison du fait d'avoir navigué sous la protection d'un convoi ennemi.

Du reste, en supposant même que les armateurs des navires. saisis ne se fussent incorporés à l'escadre anglaise que pour échapper aux croiseurs danois et français, il est certain qu'ils n'avaient pas mis leur intention à exécution, et l'on est dès lors fondé à se demander à quels droits du Danemark atteinte avait été portée par une tentative non suivie d'effet. Si l'on prétend que c'est au droit de visite et de recherche, on peut répondre que ce droit ne constitue pas un pouvoir matériel et souverain dont les belligérants soient investis par la loi des nations pour porter arbitrairement préjudice au commerce des neutres. En réalité, ce droit dérive de celui de capturer la propriété ennemie et de saisir la contrebande de guerre; son exercice est un moyen d'atteindre ce but, et aucune résistance ne lui ayant été opposée, il n'en pouvait résulter ni dommage ni offense. Peut-être objectera-t-on que la résistance aurait eu lieu sans une circonstance fortuite qui sépara les navires américains des forces ennemies chargées de les escorter. Cette objection est sans valeur, puisque le fait de la dispersion du convoi ne saurait intrinsèquement constituer une offense. Du moment qu'il a été établi que la propriété était véritablement neutre et le voyage licite et de tout point régulier, quel dommage l'absence de la visite pouvait-elle occasionner ? D'un autre côté, si la propriété avait été ennemie, sa conservation aurait été due à la supériorité des forces qui la protégeaient ce qui, quoique étant une perte, ne pouvait être une injure dont le Danemark eût pu avoir un droit légitime de se plaindre.

Réplique des autorités

Le cabinet de Copenhague répliqua que le seul point à discuter était de savoir si les navires neutres s'étaient placés volontairement danoises.

Traité entre

le Danemark

Unis.

sous la protection d'un convoi ennemi, et que ce fait ne pouvant être contesté, il maintenait la légalité de la confiscation prononcée. Le débat sur cette affaire se prolongea entre le Danemark et et les Etats- les États-Unis jusqu'au 28 mars 1830 (1), époque à laquelle le gouvernement danois consentit de guerre lasse à transiger moyennant une indemnité pécuniaire au profit des armateurs lésés, mais en stipulant en même temps que l'arrangement conclu ne pourrait jamais être invoqué comme un précédent ou une règle pour l'avenir *.

Opinion d'Ortolan et

sur la

ques

tion des convois ennemis.

§ 2985. Ortolan dit que le fait de naviguer sous convoi ennemi de Gessner peut être considéré comme irrégulier, même comme illicite, et qu'en général il ne met pas à l'abri de l'exercice du droit de visite. Mais il ajoute que « si le neutre se joint en pleine mer à un ou à plusieurs navires de guerre belligérants et navigue de conserve avec eux sans prétendre à aucune protection de leur part, dans la seule espérance de pouvoir échapper pacifiquement et par la fuite à la visite, à la faveur d'une rencontre et d'un combat possible entre les seuls belligérants, c'est là de sa part une ruse innocente qui ne peut lui être imputée à délit et qui ne peut pas à elle seule entraîner la confiscation ».

Gessner se montre plus rigoureux: il soutient que le fait de se mettre sous la protection d'un belligérant équivaut relativement à une infraction de la neutralité. « Wheaton, dit-il, ne considère pas le convoi sous son vrai point de vue : il fait du convoi un moyen de violer le droit de visite. Le but du convoi est tout différent ; il consiste à remplacer la garantie matérielle de la visite par la garantie morale de la surveillance du souverain neutre et de la parole d'honneur de son représentant... Le droit de visite lui-même est non point un but, mais un moyen; il n'est accordé que pour assurer aux belligérants l'accomplissement de certains devoirs. D'après la pratique internationale reconnue, à l'exception de l'Angleterre, par tout le monde civilisé, la même assurance est donnée par la visite opérée par l'État neutre avant le départ du vaisseau et par la parole d'honneur donnée par le commandant du convoi. »

(1) Elliot, v. I, p. 453; State papers, v. XVII, p. 958; Martens, Nouv. recueil, t. VIII, p. 350.

* Wheaton, Élém., pte. 4, ch. III, § 32; Hautefeuille, Des droits, t. III, pp. 161 et seq.; Ortolan, Règles, t. II, pp. 275 et seq.; Gessner, pp. 312 et seq.; Kent, Com., v. I, p. 157; Duer, v. I, lect. 8, § 14; Manning, pp. 369, 370; Halleck, ch. xxv, § 22; Wildman, v. II, pp. 125 et seq.; Riquelme, lib. I, tit. 2, cap. XIV; Cranch, Reports, v. IX, p. 442 ; DudleyField, Projet de Code, p. 635.

Développant davantage cette opinion et continuant sa réfutation, Gessner ajoute : « Le neutre qui se met sous la protection d'un belligérant viole réellement le droit de visite. L'autre belligérant n'a aucune garantie que les vaisseaux marchands qui se sont fait escorter de la sorte par son ennemi ne portent pas de contrebande à bord ou n'ont pas l'intention de violer d'autre manière leurs devoirs de neutres. Une telle intention doit plutôt être présumée; car sans cela le neutre n'emploierait pas un tel moyen pour se soustraire à la visite. Kaltenborn estime qu'il y a dans le simple fait une participation directe ou indirecte à une manœuvre ennemie, de telle sorte que le règlement de 1810 n'était pas nécessaire pour justifier le procédé des Danois.

« On ne peut pas non plus comparer le neutre qui se fait convoyer par un belligérant à celui qui va chercher un asile dans un port du belligérant. Il y a ici deux cas à distinguer le port belligérant peut être ou ne pas être la destination du navire neutre. Suivant les règles internationales, le navire qui a atteint sa destination ne peut plus être puni pour les infractions qu'il s'est permises. Dans la première éventualité, on ne peut plus le châtier pour s'être soustrait à la visite, quand même il l'aurait fait par violence. S'il est prouvé au contraire que le navire est entré, pour se soustraire à la visite, dans un port qui n'était pas sa destination, et si ce navire quitte son asile avant la fin de la guerre, il s'entend de soi qu'il portera la peine de son acte en tant que cet acte était punissable d'après les principes que nous développerons au chapitre suivant.

<< Le seul argument notable apporté par M. Wheaton est le fait que les navires américains ne se sont mis sous la protection des vaisseaux anglais que pour se soustraire aux vexations des Français. Si l'on peut prouver que le neutre ne s'est fait convoyer par un belligérant que pour se mettre à l'abri des violences d'un tiers, si l'on peut prouver en outre que le but du voyage et la cargaison étaient irréprochables, rien ne s'oppose à ce que les navires ne soient remis en liberté. Seulement la præsumptio juris ne se borne pas, comme le pense Wheaton, à la nationalité des navires, mais encore à leur intention de se soustraire à la visite. Ils doivent donc prouver, pour être relâchés, que les deux suppositions ne sont pas conformes à la réalité. Dans tous les autres cas, ils restent sujets aux pénalités établies par les règles internationales contre les violateurs du droit de visite *. »

Ortolan, Règles, t. II, pp. 278, 279; Gessner, pp. 311, 314, 315.

Garanties

assurées à

sous convoi.

§ 2986. Mais quelles conséquences résulteront pour les neutres la navigation de la navigation sous convoi ? Tout en posant la question en ces termes, nous n'entendons parler que de l'attitude à prendre par les belligérants à l'égard de l'ensemble du convoi, et non des résultats qu'une navigation de cette espèce peut avoir pour les navires escortés relativement au gouvernement de leurs pays; car la question envisagée à ce point de vue rentre dans le domaine du droit public interne.

Législation nord améri

La législation des États-Unis ne fournit à cet égard aucune solucaine et an- tion précise; celle de l'Angleterre tranche la question dans un sens glaise. favorable au convoi, en déclarant que le recours par des navires marchands non ennemis à l'escorte d'un navire de guerre de leur pays ne saurait par lui-même impliquer la moindre infraction aux devoirs de la neutralité *.

Soustraction

de papiers.

Jet à la mer de pièces de

§ 2987. « L'acte de cacher les papiers de bord, dit Bello, autorise la détention du navire, et bien que cet acte ne suffise pas pour entraîner la condamnation sans plus ample examen, il ferme la porte à toute réclamation de dommage. »

Ceux des publicistes qui soutiennent que le droit de visite se borne à l'examen de certaines pièces de bord, telles que le passeport, considèrent partant comme licite le détournement de papiers. ayant une moindre importance.

Les auteurs anglais et nord-américains, se conformant en cela aux décisions des tribunaux de prises de leur pays, repoussent cette doctrine. Kent, par exemple, estime que « l'acte de cacher des papiers essentiels pour la conservation du caractère neutre justifie la capture du navire et son entraînement dans un port pour être jugé, mais n'exige pas absolument une condamnation

§ 2988. Jeter à la mer des pièces de bord, les détruire ou les bord. rendre illisibles sont autant de circonstances aggravantes au plus haut degré.

Règlement

français.

1778.

L'article 3 du règlement français de 1778 porte que «< tous vaisseaux pris, de quelque nation qu'ils soient, neutres ou alliés, desquels il sera constaté qu'il y a eu des papiers jetés à la mer ou autrement supprimés ou distraits, seront déclarés de bonne prise

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Bello, pte. 2, cap. VIII, § 11; Hautefeuille, Des droits, t. III, pp. 248 et seq.; Pistoye et Duverdy, t. II, pp. 416 et seq.; Gessner, p. 329; Cussy, Phases, t. II, p. 113; Kent, Com., v. I, p. 161; Duer, v. I, lect. 8, § 17; Halleck, ch. xxv, § 26; Valin, Traité, ch. v, sect. 3; Martens, Essai, ch. 11, § 2.

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