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Wheaton.

mais par les papiers mêmes trouvés à bord, que le navire est ami.) Il fait observer que ces paroles, que, selon lui, le chancelier Kent, dans des temps plus rapprochés de nous, se serait appropriées en les développant, s'appliquent au droit de visiter un navire contre lequel s'élèvent de violents soupçons de pirateric. A nos yeux, Phillimore se méprend sur la portée véritable du texte qu'il invoque, lequel dans son sens littéral se borne à proclamer comme un fait que le pavillon seul étant souvent un signe insuffisant et fallacieux de la nationalité, un navire peut légitimement être arrêté dans sa route afin qu'il justifie son caractère neutre par la production de ses papiers de bord. Son erreur n'est pas moins grande en ce qui concerne la conformité des vues de Kent, qui n'a nulle part exprimé les idées qu'il lui prête pour les besoins de la circonstance. Il y a plus: quand on examine à fond les motifs que Phillimore fait valoir à l'appui de sa thèse, on découvre sans peine combien son argumentation laisse à désirer; car il détruit lui-même ses prémisses, en avouant que le droit de visite ne constitue qu'une partie secondaire du droit de guerre. Ce qu'il y a de certain, c'est que pour justifier de pareilles conclusions une simple affirmation ne suffit pas; il faut encore des preuves convaincantes basées sur des autorités respectables ou sur la pratique des nations. Or sur ce point le célèbre jurisconsulte anglais est également privé des unes et des autres.

Les publicistes allemands, français et nord-américains combattent énergiquement les prétentions que l'Angleterre a soutenues avec tant de persistance. Wheaton défie, avec raison, les avocats de l'amirauté britannique de citer un seul auteur, une seule sentence d'un tribunal de prises quelconque, qui légitime et admette ce droit qu'ils revendiquent; il montre que les expressions techniques de visite et de recherche de pavillon, employées, dans le Royaume-Uni, sont absolument synonymes de celle, usitée par les jurisconsultes des autres nations, de droit de visite, droit qui ne saurait à aucun titre être confondu avec la faculté tout exceptionnelle de capturer en pleine mer les navires qui violent les lois municipales auxquelles ils sont assujettis.

Discutant plus en détail les exigences du gouvernement anglais à l'égard des navires de la République nord-américaine, Wheaton s'exprime en ces termes:

<< Lord Aberdeen, dans sa lettre du 13 octobre 1841 à M. Everett, l'envoyé des États-Unis, a défini la nature et l'étendue du droit de visite réclamé par l'Angleterre contre les bâtiments américains

soupçonnés d'être employés à la traite : « Dans de certaines latitudes, dit-il, et pour un objet spécial, les bâtiments en question sont visités, non pas comme américains, mais comme des bâtiments anglais employés à un commerce prohibé et munis du pavillon américain dans une intention criminelle, ou comme des bâtiments appartenant aux États qui ont accordé à l'Angleterre le droit de visite par des traités, et cherchant à échapper à l'exercice de ce droit en usurpant le pavillon de l'Union; ou enfin ils sont visités comme des pirates (piratical outlaws), mis hors la loi et n'ayant aucun droit de pavillon ou de nationalité... » Le ministre anglais prétend qu'aucune de ces classes de bâtiments ne peut être exemptée de l'exercice du droit de visite réclamé par l'Angleterre. Il ajoute que si la visite du croiseur anglais « fournit des preuves que le bâtiment est d'origine américaine, il sera immédiatement relâché, quand même il aurait à bord un chargement d'esclaves...

<< Mais nous demandons quel serait le résultat, si, d'après le jugement de l'officier anglais, fondé sur un examen des papiers de bord et d'autres preuves, le bâtiment était gravement soupçonné d'appartenir à des propriétaires anglais, dont la véritable nationalité est déguisée par le pavillon et des documents américains, ou à des sujets de quelqu'un des Etats qui ont accordé le droit de visite à l'Angleterre par des traités, ou enfin à des pirates mis hors la loi des nations. Quelles mesures doit-on prendre dans un de ces cas? Il est évident, suivant nous, qu'il ne peut y avoir qu'une réponse à ces questions, c'est-à-dire qu'il faut amener le bâtiment dans un port de quelque pays pour y être jugé par quelque tribunal... Si la saisie est faite en temps de guerre, il faut que le bâtiment soit amené dans un port du capteur pour y être jugé par le tribunal du pays; mais si la saisie est faite en temps de paix, le bâtiment, s'il appartient à des sujets anglais et cst soupçonné d'être employé dans un commerce prohibé par les lois anglaises, doit être jugé par les tribunaux anglais. Or supposons que le résultat de la procédure prouve que le bâtiment est américain, mais employé à la traite, ou bien qu'il est américain, mais non coupable, que doit-on faire dans ces cas? S'il y avait eu, d'après le jugement du tribunal d'amirauté, des motifs raisonnables de suspicion tels qu'ils pourraient autoriser la saisie, les propriétaires du bâtiment capturé ne seraient pas fondés à demander une réparation et des dommages et intérêts de la part du capteur ou de son gouvernement pour la détention et les pertes qu'elle aurait pu entraîner... Il serait très facile de démontrer les embarras multipliés que doit susciter cette tentative d'exécuter

les lois d'un État au delà de sa juridiction territoriale et sur les mers en temps de paix à l'égard des bâtiments soupçonnés d'appartenir à ses sujets et d'avoir frauduleusement usurpé le pavillon d'un autre pays. En temps de guerre de tels bâtiments peuvent être saisis et jugés en vertu du droit correspondant au droit de capture. Une fois amenés devant le tribunal d'amirauté, ces bâtiments peuvent être condamnés d'après le principe adopté par ce tribunal, qu'un sujet n'a pas de persona standi in judicio (ne peut tester en justice) pour réclamer des choses saisies en flagrant délit de violation des lois de son propre pays, tandis que la réclamation du citoyen des États-Unis, en sa qualité de neutre, serait repoussée comme entachée de fraude et soutenue par la fausseté. Il est évident que le tribunal d'amirauté ne peut pas juger d'après ces règles en temps de paix... Il paraît donc que le droit réclamé par l'Angleterre, quant aux bâtiments anglais naviguant sous le pavillon d'un autre pays, est un droit de saisir aux risques et périls du capteur, sous peine de faire une réparation sous la forme de dommages et intérêts, s'il est prouvé que le bâtiment appartient à des citoyens américains et qu'il n'existait pas de motifs raisonnables de suspicion pour justifier la saisie. Comme il n'y a ni traités ni lois publiques applicables au cas, contre qui peut-on décréter les dommages et intérêts qui doivent indemniser le propriétaire du bâtiment saisi? Qui doit les payer? Le capteur, ou son gouvernement? Par les traités spéciaux conclus entre l'Angleterre et d'autres puissances maritimes pour la suppression de la traite par l'exercice du droit de visite, il est stipulé que le bâtiment doit être jugé par les tribunaux du pays auquel il est constaté primâ facie supposer appartenir d'après son pavillon, et les dommages et intérêts décrétés par ces tribunaux doivent être payés par le gouvernement du capteur. Si, au contraire, le bâtiment saisi appartient à un des États qui ont accordé à l'Angleterre le droit de visite, il doit être jugé devant les tribunaux du pays auquel il appartient, ou devant une commission mixte, suivant les diverses stipulations des conventions pour la suppression de la traite. Il est évident que ni l'un ni l'autre de ces tribunaux ne peut exercer sa juridiction sur les bâtiments d'une nation qui n'est pas partie contractante des traités. Supposons qu'un navire soupçonné d'avoir frauduleusement usurpé le pavillon américain soit, d'après les traités de 1831 (1) et de

(1) De Clercq, t. IV, p. 157; Hertslet, v. IV, p. 109; Savoie, t. V, p. 1; Martens, Nouv. recueil, t. IX, p. 545; Bulletin des lois, no 245; Lesur, 1833, app., p. 2.

1832 (1) conclus avec l'Angleterre ou celui du 20 décembre 1841 (2) entre les cinq grandes puissances de l'Europe, envoyé pour être jugé devant le tribunal du pays auquel il est présumé appartenir; supposons encore que le bâtiment en question soit constaté par la procédure être américain, contre qui devront être décrétés les dommages et intérêts pour la réparation des pertes éprouvées par le véritable propriétaire? On ne peut les décréter contre le capteur anglais, puisque le tribunal n'a pas de juridiction sur lui, excepté dans le cas de la saisie d'un bâtiment appartenant aux nations qui sont parties contractantes des traités, ni contre son gouvernement, puisque les États-Unis ne sont point parties contractantes des traités et que leurs citoyens n'ont pas de droits à réclamer de leurs stipulations. Il paraît donc que dans le cas supposé d'une tentative d'exécuter les traités contre les navires d'une nation qui n'est pas une des parties contractantes des traités, cette nation serait placée dans une position plus désavantageuse que si elle avait accédé aux traitės. Au lieu de rester sous la protection tutélaire du droit des gens, qui exempte ses bâtiments sur mer de la juridiction des autres nations et de toute visite et détention en temps de paix, elle serait involontairement exposée à l'exercice du droit par des traités, et cela sans les garantics contre des abus stipulées par les

conventions.

« Quant à la troisième classe des bâtiments supposés par le ministre anglais être justement sujets à être visités en temps de paix, c'est-à-dire les pirates mis hors la loi, nous voulons seulement faire observer que si, par cette expression, on veut désigner ceux qui sont coupables du crime de piraterie tel que le définit le droit des gens, la Cour suprême des États-Unis a établi en principe que le véritable caractère des bâtiments naviguant sur l'Océan et soupçonnés de piraterie doit être déterminé par d'autres moyens que l'exercice du droit de visite ordinaire, et que parmi ces moyens est interdit l'emploi de toute violence ou voie de fait, dont les conséquences doivent tomber entièrement sous la responsabilité du commandant qui l'ordonne. En effet, le caractère des pirates proprement dits n'est pas difficile à reconnaître. Ces ennemis du genre humain. n'attendent pas la visite des croiseurs qui les approchent; ils prennent la fuite ou livrent le combat avec ceux qui cherchent à les

(1) De Clercq, t. IV, p. 226; Hertslet, v. IV, pp. 115; Savoie, t. IV, p. 12; Martens, Nouv. recueil, t. IX, p. 549; Lesur, 1833, app., p. 3.

(2) Hertslet, v. VI, p. 2; Neumann, v. IV, p. 473; State papers, v. XXX, pp. 269; Martens-Murhard, t. II, pp. 392-508; Lesur, 1842, app., p. 177.

Story.

reconnaître. La police maritime établie par l'usage général des nations a suffi jusqu'ici pour protéger les navigateurs paisibles contre les écumeurs de mer, et il n'y a pas plus de raison d'admettre l'exercice d'un droit de visite en temps de paix sur les bâtiments traversant l'Océan pour découvrir, arrêter et punir les pirates, qu'il n'y en aurait de soumettre tous les voyageurs par terre à être examinés et recherchés pour arrêter les voleurs de grand chemin. Le crime de piraterie est extrêmement rare sur toutes les mers, et les États-Unis n'ont éprouvé aucune difficulté à le supprimer dans les guerres d'Amérique sans avoir recours à l'exercice d'un droit de visite général.

<«< Mais si en se servant de l'expression de pirates mis hors la loi on veut parler des personnes exerçant la traite des noirs, commerce prohibé par les lois de toutes les nations civilisées, dénoncé comme crime de piraterie et comme tel puni de mort par les lois de quelques États, il faut remarquer qu'il ne s'ensuit pas que ce commerce doive être considéré comme crime de piraterie d'après le droit des gens et comme tel justiciable des tribunaux de toutes les nations. La tentative d'introduire une nouvelle loi publique pour dénoncer la traite comme crime de piraterie d'après le droit des gens a échoué dans les délibérations du congrès de Vérone; elle a échoué dans les négociations de 1823-1824 entre le gouvernement américain et le gouvernement anglais, malgré le vif désir du premier de la prendre comme base d'un concert général entre les États de l'Europe et de l'Amérique, elle a échoué dans les négociations plus récentes entre les cinq grandes puissances de l'Europe qui ont signé le traité du 20 décembre 1841 (1). C'est donc un abus de langage que de désigner les traitants comme pirates mis hors la loi et n'ayant aucun droit de pavillon ou de nationalité, et d'affirmer que pour les arrêter et les punir comme coupables d'un délit contre le droit des gens on peut usurper en temps de paix un droit de visite qui n'est pas reconnu par le Code international... »

En rendant compte de la sentence rendue par la Cour suprême de Washington dans l'affaire de la Mariana Flora, Story dit que le droit de recherche du pavillon n'appartient en temps de paix qu'aux bâtiments de la marine militaire, et il soutient que la visite est essentiellement une conséquence de l'état de guerre,

(1) Neumann, t. IV, p. 473; Hertslet, v. VI, p. 2; Martens-Murhard, t. II, pp. 392-508; State papers, v. XXX, p. 269; Lesur, 1842, app., p. 177.

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