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§ 2731. Le 13 mars, M. Jules Ferry rétorquait ainsi l'argumcntation de la note anglaise :

Réfutation des arguments

note

de la anglaise par

13 Mars.

«Notre résolution de traiter le riz comme contrebande de guerre M. Ferry. n'a rien que de conforme aux doctrines soutenues par les hommes d'Etat du Royaume-Uni jusque dans ces dernières années. Il en ressort, en même temps, cette conclusion que, dans les conditions actuelles de notre conflit avec la Chine, la détermination à laquelle nous nous sommes arrêtés est moins préjudiciable au commerce neutre que d'autres mesures auxquelles nous aurions pu recourir légitimement.

« A ces considérations on peut en ajouter une autre qui rentre dans l'ordre d'idées où Lord Granville s'est placé dans sa communication du 27 février. Le gouvernement de Sa Majesté est d'avis que, pour attribuer aux provisions le caractère de contrebande de guerre, le point essentiel est de savoir s'il existe des circonstances qui démontrent que ces articles ne sont pas seulement destinés à l'usage ordinaire de la vie, mais qu'ils doivent être affectés à un usage militaire. A ce point de vue même, vous rappellerez que le plus grand nombre des chargements de riz exportés des ports chinois du Sud vers le Nord, ceux-là mêmes dont le départ imminent de Shanghaï nous était signalé par l'amiral Courbet il y a quelques semaines, représentent le montant de l'impôt en nature, ou tribut, que les gouverneurs de province envoient chaque année à la Cour de Pékin. On sait, d'autre part, que les soldats des armées impériales chinoises reçoivent une partie de leur solde en versements de riz et que le tribut des provinces est précisément affecté à cet emploi. On peut dire, par suite, que les circonstances prévues dans la communication de Lord Granville se trouvent réunics, et que les cargaisons de riz expédiées des ports du Sud sont destinées à un usage militaire, outre qu'elles peuvent être considérées comme propriété de l'Etat ennemi et susceptibles de capture à ce titre. Dans ces conditions, tout au moins, le gouvernement de la Reine admettra que rien ne s'oppose à ce que le riz soit traité comme contrebande de guerre, et il ne fera pas non plus difficulté de reconnaître que le soin d'apprécier, d'après les circonstances, la légitimité et les conséquences des saisies qui viendraient à être opérées, appartient exclusivement au Conseil des prises (1). »

Lettre du comte

§ 2732. Le 21 mars, le comte Granville, principal secrétaire d'Etat de Sa Majesté Britannique pour les affaires étrangères, écri- Granville

(1) Livre jaune, affaire de Chine, p. 41.

de

A

M. Wadding

ton.
21 Mars.

Résumé.

Législation espagnole.

vait à M. Waddington, ambassadeur de la République française à Londres, que c'était une « idée erronée» que de croire que le gouvernement de Sa Majesté s'opposerait de vive force à la saisic des cargaisons de riz; mais « qu'il devait aviser le gouvernement chinois que la légalité de toute saisie de cargaisons de riz serait jugée par la Cour française des prises, sous réserve d'une action diplomatique ultérieure, et qu'en attendant, le gouvernement de Sa Majesté ne pouvait intervenir, bien qu'il se fût cru obligé de protester en vue de sauvegarder ses droits ».

Le ministre anglais faisait savoir en outre que le commandant des forces navales britanniques dans l'extrême Orient, Sir Harry Parkes, avait prescrit aux consuls de Sa Majesté de prévenir les sujets anglais, notamment les armateurs, qui avaient demandé s'ils seraient protégés au cas de saisie de chargements de riz, que << toute saisie est soumise à la loi des prises, et que les propriétaires doivent avoir soin de ne pas l'enfreindre »>.

En dernier lieu, on apprenait que l'intervention de Sir Harry Parkes auprès des autorités chinoises dans cette affaire avait arrêté des embarquements considérables de riz et probablement prévenu ainsi la saisie de plusieurs bâtiments anglais.

§ 2733. En résumé, on avait donc obtempéré à la demande de la France; du reste, aucune saisie de navires y contrevenant n'a été mentionnée dans le cours de la guerre.

Quoi qu'il en soit, et quand bien même la France pût justifier la décision qu'elle avait adoptée par des antécédents, par des pratiques en usage chez d'autres puissances, le fait ne s'en est pas moins produit qu'une puissance qui avait pris l'initiative des mesures les plus libérales à l'égard des neutres, et y était demeurée fidèle jusque dans ces derniers temps, qui s'était constamment et fermement opposée aux abus commis par les autres nations, et dont les auteurs ont le plus énergiquement combattu les prétentions exagérées et arbitraires des belligérants, que cette puissance, disons-nous, s'est dans des conjonctures récentes, exceptionnelles, nous l'admettons laissé entraîner à une pratique rien moins que généreuse, qui déroge à son passé et donne un exemple d'autant plus fâcheux qu'il vient d'elle c'est ce que nous avons tenu à mention

ner.

§ 2734. Le règlement espagnol sur la course qualifie de contrebande les armes, le salpêtre et tous les ustensiles préparés pour la guerre. Les vivres n'y sont assimilés aux articles prohibés que lorsqu'ils doivent être débarqués dans un port bloqué; à toute

autre destination ils sont déclarés libres, à moins que l'ennemi ne leur refuse ce caractère.

prussienne.

§ 2735. Jusqu'au moment où elle se rallia à la neutralité armée Législation de 1780, la Prusse ne possédait aucune loi spéciale sur cette matière, bien qu'elle n'eùt jamais dissimulé les vues qui l'animaient. Ainsi en 1744, un nombre considérable de ses navires ayant été capturés par les croiseurs anglais et condamnés par les tribunaux d'amirauté pour avoir transporté des munitions navales en France, Frédéric II réclama énergiquement auprès du cabinet de Londres afin de faire indemniser ses sujets. Ses réclamations étant demeurées sans résultat et toute satisfaction lui étant refuséc, le roi de Prusse, par voie de rétorsion, s'empara du capital et des intérêts de l'emprunt anglais hypothéqué sur les revenus de la Silésic, et parvint ainsi à se faire rendre justice par la Grande-Bretagne.

Législation nord améri

§ 2736. D'une manière générale, on peut dire que les EtatsUnis rangent les armes et les munitions de guerre parmi les arti- caine. cles de commerce illicite, et que, lorsqu'ils prennent eux-mêmes part aux hostilités, ils attribuent le même caractère à d'autres objets d'un usage douteux.

Jugements

des Cours de

§ 2737. En présence des nombreuses divergences qu'offre la législation des principaux Etats maritimes et de l'incertitude non prises. moins grande en matière de contrebande qui règne dans les doctrines des auteurs et dans les stipulations conventionnelles, il est facile de s'expliquer que les Cours de prises elles-mêmes, trop souvent influencées par les considérations politiques du moment, se soient également trouvées hors d'état de consacrer une jurisprudence fixe et uniforme sur ce point particulier du droit international. Les contradictions qui ressortent de leurs sentences, rendues souvent par les mêmes juges ct dans des cas absolument identiques, sont telles que nous renonçons à citer ici aucune des espèces qui se rapportent à la matière *.

§ 2738. Il est d'usage général qu'au commencement d'une guerre, les belligérants et les neutres déclarent les marchandises qu'ils considèrent comme constituant la contrebande de guerre.

Hautefeuille, Des droits, t. II, pp. 102-114; Pistoye et Duverdy, Traité, t. I, pp. 392-406; Ortolan, Règles, t. II, pp. 243, 244; Bynkershoek, Quæst., lib. I, cap. x; Valin, Com., liv. III, tit. 9; Lampredi, pte. 2; Abreu, Tratudo, pte. 1. cap. x; Lebeau, Code des prises, t. I, p. 17; Wheaton, Elém., pte. 4, ch. 1, § 24; Wheaton, Hist., t. I, pp. 173, 178; Twiss, Wur, §§ 123, 124, 142, 144; Halleck, ch. XXIV, §§ 17, 18; Manning, p. 299; Gessner, pp. 117, 118; Riquelme, lib. I, tit. 2, cap. xv; Boeck, Propriété privée, §§ 646 et seq.

Règle généralement admise.

Ainsi, lorsque éclata la guerre de la sécession aux Etats-Unis d'Amérique, le gouvernement publia à la date du 30 juin 1861 une déclaration par laquelle il rangeait parmi la contrebande de guerre tous les objets travaillés d'avance qui, eu égard aux moyens de guerre de l'époque, peuvent être utilisés immédiatement pour faire la guerre »; et le 16 février 1864, un règlement, après l'énumération d'une certaine série d'articles prohibės, réputait contrebande de guerre « tous les objets immédiatement propres aux usages de la guerre ».

Le 3 mars 1864, le gouvernement austro-hongrois rendait une ordonnance rédigée dans le même sens que le règlement danois, sauf qu'elle excepte de la contrebande la quantité nécessaire à la défense de l'équipage du navire.

Un règlement prussien publié vers la même époque excepte les provisions « à l'usage du navire même ». Nous devons d'ailleurs faire observer ici qu'il est généralement admis que les armes et les munitions que le navire neutre transporte pour ses propres besoins ne sont pas regardées comme contrebande de guerre.

Une instruction italienne du 20 juin 1866 (article 8) ajoute à l'énumération des objets de contrebande les dépêches et la correspondance officielle, « généralement tout ce qui sans manipulation peut servir à l'armement immédiat sur mer ou sur terre » ; et par un traité conclu avec les Etats-Unis le 26 février 1871, l'Italie prohibe comme contrebande de guerre « toute espèce d'armes et d'instruments en fer, en acier et en cuivre, et tous autres matériaux manufacturés, préparés et faits expressément pour la guerre

sur terre ou sur mer ».

D'après le règlement russe de 1869, on entend par contrebande les objets à désigner d'avance à l'ennemi, propres à le combattre immédiatement; il faut ajouter la correspondance officielle de l'Etat ennemi, les troupes transportées sur les navires neutres et destinées à l'ennemi; et un ukase du 15 mai 1877 résume l'énumération des objets de contrebande par ces mots : « en général tous les objets destinés aux troupes de terre ou de

mer ».

L'instruction française du 25 juillet 1870 comprend dans la contrebande une certaine liste d'objets et tous instruments quelconques fabriqués à l'usage de la guerre; elle ordonne d'arrêter les bâtiments marchands français, ainsi que les neutres, transportant pour le compte de l'ennemi des objets de contre

bande, des dépêches officielles des troupes de terre ou de mer*.

absolue, et

convention

§ 2739. De ce qui précède, on peut conclure qu'il existe deux Contrebande sortes de contrebande de guerre la contrebande absolue, c'est-à- contrebande dire généralement reconnue en principe comme telle par l'accord nelle. public ou tacite des puissances, partout établie sur des bases à peu près immuables et dans des limites constantes, et la contrebande conventionnelle ou celle qui est dénoncée par des conventions ou des déclarations particulières, des règlements spéciaux, variables par conséquent suivant les circonstances, les besoins, les engagements mutuels des partics.

Cette distinction a été sanctionnée par la pratique et par des traités entre différentes nations; nous mentionnerons notamment le premier traité de commerce conclu entre l'Angleterre et les EtatsUnis, lequel remonte au 4 novembre 1786.

La liste de la contrebande absoluc comprise dans ce traité offre cela de remarquable qu'elle s'est maintenue depuis presque sans aucune variante, et nous la retrouvons à peu près dans les mêmes termes dans le traité de commerce du 17 août 1827 entre l'Angleterre et le Brésil, dont l'article 18 est ainsi conçu :

« Afin de régulariser ce qui doit être à l'avenir réputé contrebande de guerre, il est convenu que sous ladite dénomination seront compris toutes les armes et les instruments servant aux fins de la guerre par terre ou par mer, tels que canons, mousquets, mortiers, pétards, bombes, grenades, gargousses, saucissons, affùts de canon, appuis de mousquets, bandoulières, poudre, mèches, salpêtre, boulets, piques, épées, casques, cuirasses, hauberts, lances, javelots, harnais de chevaux, fourreaux, ceinturons, et en général tous autres accessoires de guerre, ainsi que bois pour construction de navires, goudron ou résine, cuivre en feuilles, voiles, chanvre et cordages, et généralement tout ce qui peut servir directement à l'équipement de navires, le fer non forgé et les planches de sapin étant seuls exceptés; tous les articles ci-dessus sont par les présents déclarés être objets de contrebande toutes les fois qu'on tente de les porter à un ennemi. » Le changement qu'il y a à signaler entre ce traité et celui de 1796 avec les Etats-Unis consiste dans la substitution des mots : « tout ce qui peut servir directement à l'équipement de navires de guerre », au lieu des mots : << tout ce qui peut servir directement à l'équipement de navires ».

*Funck Brentano et Sorel, Précis, p. 417; Bulmerincq, Revue de droit int., 1879, p. 612; Bluntschli, § 804.

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