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Jugement en appel de la commission remplaçant le Conseil des prises.

Conclusions:

tion de la dé

droit rigoureux sans doute, mais dont l'exercice cst prévu par les lois de la guerre et recommandé par les instructions dont ils étaient porteurs.

Les propriétaires des deux navires, ainsi que les consignataires et les chargeurs de leurs cargaisons, interjetèrent appel de cette décision devant le conseil d'Etat. Les premiers contestaient la légitimité de la capture et, par suite, de la destruction du navire, et demandaient que la valeur leur en fût restituée. De leur côté, les consignataires et les chargeurs de la cargaison, se prévalant de leur qualité de sujets neutres, invoquaient l'article 3 de la déclaration du congrès de Paris du 16 avril 1856, lequel affranchit de la confiscation la marchandise neutre à bord d'un navire ennemi, et revendiquaient le prix de leur propriété détruite.

La commission provisoire chargée de remplacer le conseil d'Etat par décret du 16 mars 1872 rejeta le recours des uns et des autres, en se basant sur les motifs suivants :

<< Considérant que si, aux termes de la déclaration du congrès de Paris du 16 avril 1856, la marchandise neutre n'est pas saisissable à bord d'un navire ennemi, il suit de là seulement que le neutre qui a embarqué ses marchandises sur ce navire a droit à la restitution de ses marchandises, ou, en cas de vente, au paiement du prix; mais qu'on ne peut induire de cette déclaration qu'il peut réclamer une indemnité à raison des préjudices qu'a pu lui causer soit la capture du navire lorsque cette capture a été reconnue valable, soit les faits de guerre qui ont accompagné ou suivi cette capture;

« Considérant qu'il résulte de l'instruction que la prise du Ludwig et du Vorwærts a été jugée valable, et que la destruction des navires avec leurs cargaisons a eu lieu sur l'ordre du commandant du bâtiment capteur, par le motif que la sécurité de ce bâtiment ne permettrait pas, à raison du grand nombre de prisonniers à bord, de détacher une partie des hommes de l'équipage pour conduire les prises dans un port de France;

Que dans ces circonstances la destruction de ces prises constituait un fait de guerre dont les propriétaires des cargaisons ne peuvent être admis à discuter l'opportunité, et qui ne peut donner ouverture à leur profit à un droit à indemnité... »

§ 3034. L'interprétation que les appelants entendaient donner à Interpréta la déclaration du congrès de Paris était, selon nous, trop large et claration du trop absolue; nous croyons que l'article qu'ils en invoquaient n'a pas d'autre portée que celle que lui attribue le décret de la com

congrès de Paris.

mission. Nous ne présumons pas en effet que les puissances contractantes aient jamais entendu subordonner les droits des belligérants aux intérêts des neutres dans tous les cas, même dans les cas de force majeure dominés par les nécessités de la guerre.

Que porte en substance l'article 3 que l'on invoque ? Il dit textuellement « La marchandise neutre, à l'exception de la contrebande de guerre, n'est pas saisissable sous pavillon ennemi. >> Or de ce que la marchandise neutre n'est pas saisissable ou plutôt n'est pas confiscable, il ne s'ensuit pas absolument qu'elle soit inviolable.

Par son article 3 la déclaration du congrès de Paris a cu pour but uniquement de soustraire à l'exercice du droit de conquête la marchandise neutre chargée sur un navire ennemi; elle a enlevé au belligérant le droit de se l'approprier; mais elle n'est pas allée et elle ne saurait raisonnablemeut aller plus loin. Elle ne pouvait en effet prévoir les actes de force, les moyens hostiles dirigés par le belligérant contre le navire ennemi, par suite desquels la propriété neutre peut être endommagée ou détruite ; et les eût-elle prévus, avait-elle le pouvoir d'y mettre obstacle et d'entraver sous ce rapport l'exercice des droits incontestables de la guerre ?

Dans l'état actuel du droit des gens, on ne saurait contester que l'acte de capturer un vaisseau ennemi ne soit un fait de guerre licite, et que par conséquent la destruction du bâtiment dans certaines circonstances ne soit également licite; il s'ensuit nécessairement que la responsabilité du belligérant à l'égard des neutres est dégagée dans l'un comme dans l'autre cas. A un point de vue général, on peut dire que le respect de la marchandise neutre sous pavillon ennemi n'est que le côté accessoire de la question de neutralité. S'il était admis que le neutre dût être indemnisé de sa marchandise détruite avec le navire ennemi, l'acte de couler ou d'incendier une prise devrait être interdit toutes les fois qu'il se trouve à bord un chargement neutre; car dans bien des cas, l'obligation de payer la valeur de la marchandise imposerait au capteur des charges que ne compenserait pas la destruction du navire ennemi.

Maintenant, si nous raisonnons par analogie avec les usages de la guerre sur terre, nous voyons que là le principe du respect de la propriété privée revêt un caractère bien plus absolu, puisqu'il s'étend non pas seulement à la propriété du neutre, mais à celle de tout individu inoffensif ou ne prenant pas une part active à la lutte. Cependant quelles atteintes ne reçoivent pas ces propriétés

par les actes que le belligérant accomplit dans l'exercice rigoureux de son droit? et l'histoire nous apprend que ces atteintes ne donnent lieu à aucune réclamation fondée, ou du moins à aucune allocation d'indemnité, ni même à aucune ingérence des gouvernements desquels dépendent les parties lésées.

Pour n'en citer qu'un exemple, d'une enquête faite à la suite du bombardement de Valparaiso par la flotte espagnole il résulte que le commerce neutre avait eu à souffrir plus que celui du Chili; pourtant aucune indemnité n'a été accordée aux neutres, en faveur desquels leurs gouvernements respectifs, notamment l'Angleterre, les États-Unis, la France, l'Allemagne et la Belgique, ont refusé d'intervenir auprès du gouvernement de l'Espagne.

En droit strict, quelque interprétation que l'on donne à la déclaration du congrès de Paris, le droit du capteur demeure intact en présence de circonstances de force majeure ou de certaines nécessités de la guerre. Le seul point qui pourrait faire naître quelques discussions, qui demande même, à notre avis, une réforme de la loi internationale, c'est l'appréciation de ces circonstances et de ces nécessités; il y aurait lieu en effet de se montrer plus sévère dans le jugement des motifs qui ont déterminé la destruction de la prise. Il faut que la force majeure ou la nécessité à laquelle le capteur a dù obéir soit constatée par des preuves au-dessus de tout doute et de toute critique sérieuse, par des preuves de nature à justifier pleinement sa conduite; il faut, en un mot, qu'il soit démontré qu'il n'a pu agir autrement qu'il ne l'a fait *.

Tribunaux spéciaux pour

SECTION II. DU JUGEMENT DES PRISES

§ 3035. Ainsi que nous l'avons déjà fait observer, la prise ou juger les pri- la saisie n'est qu'une mesure provisoire, ne conférant qu'un droit

ses.

provisoire sur la chose capturée ; mais pour que ce droit devienne définitif, il faut qu'il soit consacré par la sentence d'un juge. En d'autres termes, par la saisie le capteur acquiert seulement la pos

Twiss, War, § 167; Lushington, Manual of naval prize law, no 101; Montague Bernard, Historical account, p. 419; Kent, Com., vol. I, p. 110; Bluntschli, § 672; Valin, Traité, p. 125; Pistoye et Duverdy, t. II, tit. 8; Hall, International law, part. 2, ch. 1, § 150; Boeck, Propriété privée ennemie, §§ 146, 269, 273, 280; Perels, p. 333.

session, mais non la propriété; il n'obtient la propriété qu'en vertu d'un jugement, qui prononce à son profit l'adjudication de la chose prise, mais qui peut également en décider la restitution au propriétaire primitif.

Les captures sont jugées et les prises déterminées par des tribunaux spéciaux appelés Cours d'amirauté, tribunaux ou conseils des prises, institués depuis longtemps dans les pays civilisés et commissionnés par les autorités souveraines de ces pays pour prendre connaissance de la plupart des affaires maritimes, notamment de toutes les questions concernant la légitimité des captures, le droit et le mode de disposer des prises et les réclamations qui s'y rattachent.

Chaque État organise ses tribunaux de prises et en règle la jurisprudence selon ses intérêts, ses traditions, sa constitution politique. D'après cette jurisprudence, les tribunaux de prise décident si la capture est conforme à la coutume, si la cargaison constitue en tout ou en partie de la contrebande de guerre, de la marchandise ennemie ou de la marchandise neutre ; à qui et dans quelles proportions doit revenir la propriété de la prise *.

§ 3036. Le jugement des prises maritimes appartient aux tribunaux du pays de celui qui a fait la capture. L'exercice du droit de prise étant un acte connexe à l'état de guerre et une délégation de la puissance souveraine, le droit des gens en fait naturellement et exclusivement peser la responsabilité sur le gouvernement du capteur; or cette responsabilité cesserait d'être effective, le redressement des injustices commises deviendrait impossible, si les tribunaux d'un pays étranger étaient appelés à juger des faits dont la légitimité intrinsèque leur échappe, et à rendre des sentences dont ils seraient hors d'état d'assurer l'exécution.

Quoique Phillimore soutienne l'opinion contraire, il est également admis en principe que les tribunaux de prises d'un pays allié sont incompétents pour statuer sur la validité des prises du co-belligérant. Le gouvernement du capteur est bien responsable envers les autres États des actes de ses propres sujets; mais il ne l'est jamais de ceux de ses alliés.

A plus forte raison le tribunal d'un pays neutre ne peut-il prononcer la validité ou la condamnation des captures que les belli

Bulmerincq, Revue de droit int., 1879, t. XI, p. 353; Rapport, pp. 222, 437; Creasy, First platform of int. law, p. 555; Funck Brentano et Sorel, Précis, p. 423; Boeck, Propriété privée, § 338; Perels, p. 343.

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Clauses conventionnelles sur la matière.

gérants auraient amenées dans ses limites juridictionnelles. Admettre une pareille compétence serait susciter les plus graves complications, exposer le neutre à devenir juge dans sa propre cause ou à sc placer dans une situation hostile soit à l'égard de l'une ou de l'autre des parties belligérantes, soit à l'égard d'États tiers, dont les sujets pourraient ainsi voir confisquer leur propriété pour violation de devoirs dont l'appréciation varie d'un pays à l'autre *.

§ 3037. La règle que nous venons d'exposer est tacitement ou explicitement formulée dans un grand nombre de traités; elle n'a été mise en question par aucun de ceux sur lesquels repose le droit public moderne. On cite, il est vrai, deux conventions par lesquelles la compétence dans des cas de ce genre a été réservée au souverain neutre ; mais ces actes remontent au dix-septième siècle, ils ont été conclus par la Grande-Bretagne, le premier, en 1661 avec l'Espagne, le second, le 11 juillet 1670 (1) avec le Danemark. On lit à l'article 3 de ce dernier : « Si les sujets de l'un ou l'autre prince osaient contrevenir aux présentes, alors le roi dont les sujets en auront agi ainsi sera obligé de faire procéder contre eux avec toute sévérité comme contre des séditieux et infracteurs de l'alliance. »

Les plaintes et les difficultés auxquelles cette marche a quelquefois donné lieu, ne doivent pas être considérées comme une preuve que le principe en lui-même soit injuste, mais seulement qu'une application abusive en a été faite à des cas particuliers. C'est ce que Rutherforth explique en ces termes dans ses Institutes of natural law : « La décision appartient au souverain belligérant, qui seul a le droit de surveiller ses bâtiments de guerre et ses corsaires. Cette décision oblige d'une manière absolue ses sujets, parce qu'il a sur leurs personnes une juridiction complète ; mais elle n'oblige qu'eux; les autres parties en cause, étant membres

Cauchy, t. I, pp. 66, 67; Hautefeuille, Des droits, t. III, pp. 300 et seq.; Massé, t. I, §§ 406 et seq.; Pistoye et Duverdy, t. II, tit. 8, ch. 1; Gessner, pp. 357 et seq.; Heffter, §§ 138, 172; Bluntschli, § 842; Martens, Précis, § 322; Klüber, Droit, § 296; Steck, Essais, pp. 82 et seq.; Fiore, t. II, pp. 521 et seq.; Hubner, t. II, pte. 1, ch. I, II; Dalloz, Répertoire, v. Prises maritimes, sect. 6, §§ 251 et seq.; Phillimore, Com., v. III, §§ 365 et seq.; Kent, Com., v. I, pp. 109, 110; Wheaton, Elém., pte. 4, ch. 11, §§ 13 et seq.; Rutherforth, Inst., b. 2, ch. Ix, § 19; Halleck, ch. xxxi, §2; Manning, pp. 379 et seq.; Wildman, v. II, p. 352; Bello, pte. 2, cap. v, § 4; Pando, pp. 432 et seq.; Lawrence, Elem. by Wheaton, note 201; Boeck, Propriété privée ennemie, § 331; Perels, p. 337; Bulmerincq, Rapport, pp. 259, 281, 437.

(1) Hertslet, v. I, p. 186; Dumont, v. VIII, pte. 1, p. 132.

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