Page images
PDF
EPUB

d'un État différent, ne sont forcées de se soumettre à la sentence du premier qu'autant qu'elle est d'accord avec le droit des gens ou avec les traités particuliers, parce qu'il n'a pas de juridiction sur elles relativement à leurs personnes ou aux choses qui font l'objet de la controverse.

les

« Après la confirmation du jugement du tribunal inférieur, réclamants étrangers peuvent s'adresser à leur gouvernement pour obtenir réparation, s'ils se croient lésés; mais le droit des gens ne leur accorde de réparation qu'autant qu'ils ont été réellement lésés. Quand la chose est poussée à ce point, les deux États deviennent parties dans la controverse, ct comme le droit naturel, qu'il s'applique aux individus ou aux sociétés civiles, a horreur de l'emploi de la force tant qu'il n'est pas devenu indispensable, le gouvernement de l'État neutre, avant d'en venir à une guerre ouverte ou à des représailles, doit s'adresser au gouvernement de l'autre État pour se convaincre qu'il a été bien informé, et en même temps pour aviser aux moyens de régler la controverse par un accord amiable *. >> § 3038. La théorie qui exclut toute autre juridiction que celle des tribunaux du capteur pour décider de la validité des prises général. faites en temps de guerre sous l'autorité de son gouvernement admet toutefois deux exceptions: 1° lorsque la capture a été faite dans les limites d'un territoire neutre; 2° lorsqu'elle a été opéréc par des bâtiments de guerre armés en pays neutre. Dans ces deux cas, les tribunaux de l'État neutre ont qualité et juridiction pour statuer sur la validité des captures et affirmer la neutralité de leur gouvernement en ordonnant, s'il y a lieu, la restitution à qui de droit de la propriété saisie. Ces exceptions ont même été étendues par les règlements administratifs de certains États à la restitution illimitée et sans réserve des propriétés injustement capturées au préjudice de leurs sujets et fortuitement amenées dans leurs ports **.

Gessner, pp. 358, 359; Pohls, pp. 1226, 1227; Busch, ch. vi, § 6; Rutherforth, Inst., b. 2, ch. Ix, § 19; Manning, pp. 379, 380; Diaz Covarrubias, Bluntschli, § 860; Bulmerincq, Rapport, pp. 311, 323.

Hautefeuille, Des droits, t. III, pp. 327, 328; Massé, t. I, § 410; Pistoye et Duverdy, t. II, p. 185; Gessner, pp. 368, 369; Wheaton, Élém., pte. 4, ch. 11, § 14; Phillimore, Com., v. III, § 372; Halleck, ch. xxxi, § 3; Merlin, Répertoire, v. Prises, § 7, art. 1, no 3; Dalloz, Répertoire, v. Prises marit., sect. 6, art. 1, §§ 252 et seq.; Bynkershoek, Quæst., lib. I, cap. vIII; Loccenius, De jure, lib. II, cap. Iv, § 6; Azuni, t. I, ch. 11, art. 7, t. II, ch. IV, art. 3, § 12; Galiani, cap. Ix, § 8; Heffter, § 172; Pando, p. 471; Manning, pp. 385, 386; Wheaton, Reports, v. IV, p. 298; v. VII, p. 283; Bulmerincq, Rapport, pp. 259, 311; Perels, p. 345; Boeck, Propriété privée, pp. 356, 357.

Dérogation au principe

Jurisprudence nordaméricaine.

Cas du navire espagnol

§ 3039. La Cour suprême des États-Unis a fait sur cette matière une remarquable déclaration de principe. « Une nation neutre, a-t-elle dit, qui a le sentiment de ses devoirs, ne s'interpose point entre des belligérants de manière à les entraver dans l'exercice de leur droit incontestable de juger par l'entremise de leurs propres tribunaux la validité de toutes les captures opérées en vertu des commissions respectivement délivrées par eux, et de décider toutes les questions de droit relatives aux prises qui peuvent surgir dans le cours d'une telle discussion. Mais on ne manque pas à cette obligation dans le cas où un navire capturé est amené ou vient volontairement intrà præsidia; la nation neutre pousse son enquête jusqu'à rechercher si une atteinte a été portée à sa neutralité par le bâtiment qui a opéré la capture. Tant qu'une nation n'intervient pas dans la guerre, mais qu'elle observe une parfaite impartialité entre les deux parties, c'est son devoir comme son droit du reste sa sûreté, sa bonne foi et son honneur l'exigent de veiller à ce qu'on n'usurpe pas sa neutralité dans un but hostile contre l'un ou l'autre de ces belligérants... On doit supposer que tous les belligérants ont un égal intérêt à l'accomplissement de ce devoir; et l'oubli ou la négligence de le remplir exposerait inévitablement une nation neutre à une accusation de manque de sincérité, ainsi qu'au mécontentement et aux justes plaintes du belligérant aux sujets duquel dans ces circonstances leur propriété ne serait pas restituée. »>

§ 3040. Les principes sur lesquels se fonde cette doctrine sont La Amistad clairement exposés par le juge Story dans une décision rendue au corsaire ve nom de la Cour suprême des États-Unis.

de Rues et du

nézuélien La Guerrière.

Observations du

juge Story.

Pendant la guerre de l'Espagne contre ses colonies de l'Amérique du Sud, un navire espagnol, la Amistad de Rues, pris en haute mer par un corsaire vénézuélien, la Guerrière, avait été amené dans le port de la Nouvelle-Orléans. Les propriétaires du navire espagnol provoquèrent une enquête, par laquelle il fut établi que le corsaire était venu, pendant sa croisière et avant la capture, renforcer son équipage aux Etats-Unis en violation de la neutralité de ce pays; la Cour de district de la Nouvelle-Orléans ordonna la restitution du navire et le paiement de dommages par le capteur.

Sur appel la Cour suprême des Etats-Unis cassa la décision de la Cour de district relative à ces dommages. En rendant son jugement, le juge Story développa les observations suivantes :

La doctrine affirmée jusqu'à présent par la Cour est que toutes

les fois qu'une capture est faite par un belligérant en violation de notre ncutralité, si la prise est amenée volontairement dans notre juridiction, elle doit être restituée à ses propriétaires. Cette pratique est basée sur le droit général des gens, et la doctrine en est pleinement reconnue par l'acte du congrès de 1794. Mais la Cour n'a jamais entendu étendre sa juridiction aux cas de violation de la neutralité au delà du pouvoir de décréter la restitution de la propriété spécifique, avec frais et dépens pendant la durée des procédures judiciaires.

Or nous sommes requis d'accorder des dommages généraux pour pillage, et si les circonstances particulières d'un cas le demandent par la suite, nous pouvons être requis d'infliger des dommages exemplaires dans la même étendue que dans des cas ordinaires de préjudices maritimes. Nous répudions entièrement tout droit à infliger ces dommages, et nous considérons qu'il ne fait pas partie des devoirs d'une nation neutre de s'interposer, sur la seule base du droit des gens, pour régler tous les droits et les torts qui peuvent provenir d'une capture entre belligérants. Rigoureusement parlant, il n'existe rien de semblable à des préjudices maritimes entre ennemis. Chacun a le droit incontestable d'exercer tous les droits de la guerre contre l'autre ; et l'on ne peut faire un sujet de plainte judiciaire de ce que ces droits soient exercés avec rigueur, lors même que les parties outrepassent les règles que les lois usitées de la guerre justifient. Du moins ces droits. n'ont jamais été soumis à la compétence des tribunaux de prises. des nations neutres. Les capteurs sont justiciables exclusivement de leur gouvernement pour tous excès ou toute irrégularité dans leur conduite, et une nation neutre ne doit intervenir que pour empêcher les capteurs d'obtenir des avantages injustes par une violation de sa juridiction neutre. Une nation neutre peut en effet infliger des pénalités pécuniaires ou autres aux parties pour une pareille violation; mais elle le fait ouvertement pour défendre ses propres droits, et non par voie de réparation en faveur du navire capturé.

« Quand une nation neutre est requise par l'un des belligérants d'agir en pareil cas, tout ce que la justice semble exiger, c'est qu'elle exécute loyalement ses propres lois et ne donne pas asile à la propriété injustement capturée. Elle est donc tenue de restituer la propriété, si elle se trouve dans ses ports; mais à part cela elle n'est pas obligée de s'interposer entre les belligérants. En effet, s'il en était autrement, il n'y aurait pas de fin aux difficultés

Opinion des publicistes:

Lampredi.

Galiani.

Cauchy.

Hautefeuille.

et aux embarras des tribunaux de prises neutres. Ils seraient forcés de se prononcer sous toute espèce de formes sur les transgressions maritimes in rem et in personam entre belligérants, sans avoir les moyens suffisants de constater les faits réels ou de contraindre les témoins à comparaître; ainsi ils feraient rentrer dans leur juridiction presque tous les incidents de prise. Une semblable ligne de conduite ferait naître nécessairement des irritations et des animosités, et entraînerait bientôt les nations neutres dans toutes les controverses et les hostilités des parties en lutte. Des considérations politiques viennent donc en aide à ce que nous regardons comme le droit des gens à ce sujet*. »

§ 3041. La plupart des publicistes sont d'accord pour ne reconnaître comme compétents en matière de prises que les tribunaux du pays des capteurs; cependant, plusieurs ne le font pas sans réserves ni restrictions. Afin de mieux élucider les nombreuses et délicates questions internationales qui peuvent surgir de l'application de ce principe de compétence, il nous paraît nécessaire d'entrer encore ici dans quelques développements sur le point de droit que nous examinons.

Etant posée l'éventualité de la saisie d'un navire neutre par un belligérant pour infraction aux devoirs de la neutralité, Lampredi, se fondant sur ce que ces infractions retombent sous l'empire du droit de nature, admet que le navire coupable doit être jugé par le tribunal des prises du capteur.

Galiani soutient, au contraire, que le souverain neutre doit seul être compétent pour juger les prises neutres.

Cauchy fait découler la compétence de l'Etat du capteur relativement à l'ennemi du droit de la guerre, « qui oblige les vaincus à subir la juridiction du vainqueur »; et il étend l'exercice de ce droit, partant la même compétence, aux neutres qui notamment transportent de la contrebande de guerre ou tentent de violer un blocus, parce qu'alors ils commettent des actes hostiles, qui les font rentrer dans la catégorie des ennemis.

C'est aussi l'opinion de Hautefcuille. Pour lui, le sujet neutre qui a manqué à ses devoirs en créant une cause légitime de capture s'est de fait isolé de sa nation et par là volontairement rangé dans la classe des belligérants; le considérant dès lors comme devant être abandonné par son gouvernement et assimilé à l'ennemi, il soutient que le coupable ne saurait être jugé que par

Halleck, ch. XXXI, § 3; Twiss, War, § 235.

les tribunaux du peuple entre les mains duquel il est tombé et auquel il a implicitement fait la guerre en favorisant son adversaire.

La compétence des tribunaux belligérants, dit-il, pour juger les navires neutres saisis et conduits dans les ports du saisissant s'appuic donc principalement sur la non-solidarité des souverains neutres avec leurs sujets coupables de violation de leurs devoirs, sur le caractère hostile que l'infraction imprime à celui qui la commet, et sur l'espèce d'abandon fait par la nation du coupable, dont elle ne veut pas soutenir la conduite. Elle s'étend à tous les citoyens neutres coupables d'avoir violé les devoirs imposés par la loi primitive, par la loi sccondaire, c'est-à-dire par les règles qu'ont posées les traités et adoptées toutes les nations, enfin par la loi spéciale aux deux nations intéressées, par les traités existant entre elles et encore en vigueur. Mais elle est limitée; elle s'arrête aux actes de violation des lois ayant un caractère international non contesté; elle ne peut jamais s'étendre à des infractions autres, parce qu'alors les bases sur lesquelles elle repose n'existent plus. »

D

Selon Massé, «< il ne saurait y avoir d'autres juges de la validité des prises que l'Etat ou le souverain du capteur lui-même, qui seul peut prononcer sur la légitimité ou la convenance des actes. hostiles commis par ses délégués. »

Les auteurs anglais et américains admettent pareillement la compétence de l'Etat du capteur: tel est l'avis de Manning, de Wildman, de Burge et de Phillimore; ce dernier, comme nous l'avons fait observer, étend même cette compétence aux tribunaux de prises des gouvernements alliés des belligérants: opinion fort contestable, à laquelle le jurisconsulte américain Kent apporte la rectification suivante:

La question de savoir si la prise est légale ou non, dit-il, appartient exclusivement aux tribunaux du pays du capteur. Le tribunal du capteur peut siéger sur le territoire de son allié; mais c'est une règle incontestée que le tribunal des prises d'un allié ne peut pas condamner et qu'aucun tribunal des prises ne peut légalement fonctionner dans un pays neutre. »

Masse.

Manning,

Wildman. Burge. Phillimore.

Kent.

Wheaton, bien qu'admettant la compétence actuelle des tri- Wheaton. bunaux de prises, la considère comme illégitime à l'égard des neutres; mais il voit une garantie contre les actes de violence et de partialité qu'ils pourraient commettre dans la responsabilité dont le gouvernement du capteur couvre ses tribunaux ; il ne peut

« PreviousContinue »