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Twiss.

Fiore.

rantoni.

Kaltenborn.

Heffter.

cependant s'empêcher de faire remarquer que ces tribunaux n'ont pas toujours indemnisé les propriétaires condamnés arbitrairement par eux.

Ces scrupules paraissent partagés par le publiciste anglais Sir Travers Twiss, lorsqu'il dit : « S'il faut reconnaître que les formes judiciaires offrent aux neutres prima facie une meilleure garantie que leur propriété ne sera confisquée qu'autant qu'ils auront manifestement violé le droit des gens, ces mêmes formes judiciaires peuvent servir à violer l'exercice oppressif du droit de belligérant, si les juges ne comprennent pas le danger de laisser la méthode de leur droit municipal s'insinuer dans l'enquête sur un sujet qui n'est pas régi par les lois locales. »

Le publiciste italien Fiore fait aussi des réserves: il reconnaît que dans le cas où le navire capturé est conduit dans un port du belligérant au nom duquel la saisie a été opérée, il doit être jugé par le tribunal que le belligérant a établi; mais si le capturé se croit lésé, il doit s'adresser à son gouvernement, qui a l'obligation de le défendre. D'où il s'ensuit que le souverain du capteur n'a de juridiction ni sur le navire du capturé ni sur l'équipage, mais bien sur ses propres délégués, dont il a le droit d'examiner et de juger la conduite.

Le professeur Pierantoni pousse cette conclusion encore plus loin dans un mémorandum concernant un différend survenu en 1858 entre la Sardaigne et le roi de Naples à l'occasion de l'expédition Safri, il dit : « La juridiction du souverain qui commissionne des croiseurs, reconnue par le droit des gens, est acquise par la force; mais elle ne saurait être en aucun cas considérée comme une juridiction complète. »>

Les publicistes allemands ne sont pas d'accord entre eux sur la question de compétence.

Si Kaltenborn admet comme juste la pratique ordinaire d'après laquelle le belligérant exerce la juridiction, Heffter, par contre, tient cette juridiction pour suspecte et imparfaite, n'étant à l'abri de contestation que lorsqu'elle est consacrée par des traités formels ; autrement la déclaration de prise, selon lui, est au fond une mesure essentiellement politique, en faveur de laquelle ou pourrait légalement invoquer tout au plus l'analogie du forum arresti sive deprehensionis (le tribunal du lieu de l'arrestation ou de la prise), bien entendu dans les cas seulement où le neutre a violé réellement ses devoirs envers le belligérant. Enfin il conteste la valeur des jugements rendus par les tribunaux de prises, auxquels il n'accorde

l'autorité de la chose jugée que dans le territoire où ils sont rendus, et que les juges étrangers ne sont aucunement tenus de respecter. Martens regarde pareillement comme une affaire d'usage et de traités plutôt que de droit absolu et de saine justice l'attribution de la juridiction dans les disputes qui s'élèvent à l'égard des prises entre le capteur et les réclamants au seul souverain du capteur, lors même que celui-ci se serait vu forcé de conduire sa prise dans le port d'une tierce puissance; aussi constate-t-il que les procédures et les décisions de ces tribunaux offrent un vaste champ de plaintes aux puissances neutres.

Klüber, posant en principe qu'en vertu de leur indépendance politique les États ne reconnaissent aucun juge commun et aucun d'eux surtout la juridiction de l'autre sur les siens, déduit de là que d'après le droit des gens naturel aucun tribunal n'est compétent dans les causes de prises, si le navire a été arrêté en pleine

mer.

Martens.

Klüber.

Nau.

Nau désapprouve que l'État du capteur ou celui du capturé ait le droit exclusif de la juridiction; alors Oppenheim voudrait qu'à côté Oppenheim, du tribunal des prises du belligérant on établit un tribunal neutre, par la raison, invoquée par Klüber, qu'un État ne soumet jamais ses actes à la juridiction d'un autre. Posée sur un semblable terrain, la question nous paraît assez difficile à trancher; car il peut arriver qu'un gouvernement condamne ce qu'un autre trouve licite, et dans ces conditions il devient impossible de s'arrêter à aucune solution nette, précise et générale.

Boeck est d'avis que c'est le tribunal du capteur seul qui est compétent pour trancher la question de la validité des prises, même lorsque la prise est amenée dans un port neutre, ou qu'elle a été opérée dans les eaux territoriales. Il n'admet d'autre exception que le droit, pour le neutre, de constater si le capteur est un pirate.

Selon Perels, la seule question de la compétence du neutre, est l'examen du point de savoir si la capture a été réellement faite sur son territoire maritime; il ne lui appartient pas de juger, pour le reste, la validité de la prise.

Boeek.

Perels.

Prise con

duite dans un

§ 3042. Lorsque celui qui a fait une prise la conduit dans un port neutre, il faut distinguer si ce port appartient au souverain port neutre. du navire capturé ou à un État tiers. Dans ce dernier cas, la question ne peut soulever de doute, et peu d'auteurs ont essayé de défendre la compétence judiciaire d'un État dont le navire capturé ne porte pas le pavillon. Azuni, qui est de ce nombre, n'invoque à l'appui Azuni,

Prise con

duite dans un

du capturé.

de son opinion que deux traités conclus en 1787 par la Russie, l'un avec la France le 11 janvier (1), l'autre avec les Deux-Siciles le 17 janvier (2), et qui contiennent tous les deux une disposition dans le sens dont il s'agit. A nos yeux, ce sont là des exceptions que des circonstances de temps et de lieu peuvent expliquer, mais qui ne suffisent pas pour fonder et légitimer une nouvelle pratique internationale. La France, l'Angleterre et les États-Unis ont invariablement reconnu en cette matière la compétence des tribunaux du capteur. La jurisprudence espagnole ne s'est écartée de cette règle que dans le cas où la moitié au moins du chargement appartient à des sujets de l'Espagne; alors, dit le règlement du 14 juin 1797, les prises neutres amenées par le capteur dans un port espagnol seront jugées par les tribunaux espagnols.

L'auteur italien que nous venons de citer affirme que la compétence du souverain neutre est la conséquence immédiate des principes généraux du droit ; il s'efforce de justifier son assertion en prétendant que de nombreux traités ont stipulé que le souverain du capteur doit être saisi du jugement des prises conduites dans un port neutre étranger, et il en conclut que la compétence du tribunal neutre est de droit commun international. Cet argument se réfute de lui-même; car envisager les choses ainsi conduit à la conséquence absurde que toutes les dispositions contenues dans un traité, telles par exemple que les prohibitions relatives à la contrebande et au blocus, sont contraires au droit

commun.

§ 3043. La question n'est pas aussi facile à résoudre lorsqu'il port de l'Etat s'agit d'une prise conduite dans un port de la nation dont le navire capturé porte le pavillon. Les opinions sont essentiellement divisées sur ce point les uns accordent la compétence aux tribunaux du capteur, les autres à ceux du capturé. Au nombre de ces derniers on compte Meno Pohls, Kaltenborn, Martens, Jouffroy, Hautefeuille, Ortolan et Massé.

Meno Pohls.

Jouffroy.

Meno Pohls accorde la compétence au souverain au nom duquel se fait la prise; mais dans le cas où le capteur conduit sa prise dans un port appartenant à la nation sur laquelle il l'a faite, c'est au souverain de cette nation à prononcer le jugement.

Voici les raisons que Jouffroy développe à l'appui de cette opi

(1) De Clercq, t. I, p. 171; Martens, 1re édit., t. III, p. 1; 2a édit., t. IV, p. 196. (2) Martens, 1re édit., t. III, p. 36; 2o édit., t. IV, p. 229.

nion Rien n'empêche le souverain ncutre, ce me semble, de prendre connaissance du fait. Le corps du délit est sur son territoire; l'accusé s'y trouve également; il est de plus son sujet. Le gouvernement peut donc évoquer cette cause, obliger le croiseur à intenter son procès par-devant les tribunaux ordinaires, sinon instruire la cause d'office et prononcer. >>

Hautefeuille modifie quelque peu cette doctrine, en ce sens que Hautefeuille. lorsque le navire neutre saisi a été conduit dans un port soumis à sen propre souverain, celui-ci, ayant à la fois autorité sur le port et sur le navire, a le droit évident d'examiner les causes de la saisie et de statuer sur le sort de ses propres sujets sur le sol de ses États. S'il les trouve innocents, il doit leur rendre la liberté et la pleine disposition de leurs biens; si, au contraire, ils ont commis une infraction aux lois internationales, son devoir est de les abandonner à celui qu'ils ont offensé et de leur refuser la protection dont ils se sont rendus indignes par leur conduite. »

C'est aussi l'opinion d'Ortolan. « L'État neutre, dit-il, n'exerce pas en cela une véritable juridiction des prises; il ne prétend pas s'ériger en juge entre les belligérants et décider si leurs actes, quant à ce qui les concerne respectivement, sont légitimes ou illégitimes. Une violation de sa propre autorité, une lésion de ses propres intérêts qu'il juge illégale a eu lieu; les circonstances mettent en son pouvoir le moyen de se faire justice, et il le fait, toujours d'après le même principe que, n'ayant pas de juge supérieur dont il soit forcé de reconnaître le pouvoir, il est autorisé à maintenir et à apprécier lui-même son droit. »

Les auteurs anglais et américains en général ne partagent pas ces idées, non plus que Pistoye et Duverdy, qui sont d'avis que « la puissance neutre ne peut pas, parce qu'elle donne asile au capteur et au capturé qui est sien, usurper le droit de juger de la validité de la prise, ce droit appartenant exclusivement en vertu du droit de guerre au gouvernement au nom duquel la capture a été faite. » La puissance neutre peut demander une compensation pour l'asile donné, tout au plus exiger la relaxation du navire, mais non la juridiction en matière de prises. »

C'est dans ce sens qu'ils expliquent et légitiment l'ordonnance française de 1681, et leur opinion est appuyée par Phillimore. Wheaton objecte que cette condition ne peut être sous-entendue; qu'elle n'est pas impliquée dans une simple permission générale d'entrer dans les ports neutres; qu'il faut que l'autorité dont elle émane la fasse connaître chaque fois qu'elle donne asile : ce qu'elle peut ac

Ortolan.

Pistoye et

Daverdy.

Phillimore,

Wheaton.

Perels.

Résumé.

Caractère

spécial des

prises.

corder ou refuser à son gré, pourvu qu'elle le fasse d'une manière impartiale à tous les belligérants.

D'après Perels, « l'État neutre n'a le droit d'évoquer les affaires de prises devant les juridictions établies par lui que dans les cas où l'exercice du droit de capture par le belligérant a porté atteinte aux prérogatives de sa souveraineté. La seule question de sa compétence est l'examen du point de savoir si la capture a été réellement faite sur son territoire maritime: il ne lui appartient pas de juger pour le reste la légalité de la prise *. »

§ 3044. En résumé et d'après les diverses idées émises sur cette matière, il demeure établi pour nous que le souverain du capteur a le droit de résoudre le différend dans tous les cas où la prise a lieu en pleine mer, pourvu qu'elle ait été faite par un navire dùment autorisé et sans préjudice pour les personnes qui sont restées étrangères aux hostilités; si, au contraire, la capture s'est faite dans les eaux d'une puissance neutre, celle-ci, dont la souveraineté est ainsi violée, a le droit d'exiger l'abandon de la prise.

§ 3045. Il existe une différence très notable entre les tribunaux tribunaux de ordinaires appelés à procéder conformément aux lois civiles ou criminelles de l'Etat qui les a institués, et les tribunaux ou Cours de prises établis par l'autorité souveraine pour appliquer les règles du droit des gens à la fois aux étrangers et aux natio

Opinion des publicistes: Wheaton.

naux.

§ 3046. « Les tribunaux civils ordinaires, dit Wheaton, acquièrent la juridiction sur la personne ou la propriété d'un étranger par son consentement exprès, s'il intente volontairement une poursuite, ou implicite, s'il transporte par le fait sa personne ou sa propriété sur le territoire. Mais quand les Cours de prises exercent leur juridic

Gessner, pp. 364 et seq.; Hautefeuille, Des droits, t. III, p. 306; Lampredi, Du commerce des peuples neutres en temps de guerre; Galiani, Des devoirs des princes neutres ; Azuni, t. II, ch. Iv, art. 3, § 8; Jouffroy, p. 296; Kaltenborn, t. II, p. 489; Martens, Essai, § 36; Vergé, Précis, t. II, § 322; Massé, t. I, § 411; Ortolan, Règles, t. II, p. 307; Pistoye et Duverdy, t. II, p. 186; Cauchy, Droit murit. int., t. II, p. 65; Phillimore, Com., § 377; t. III, pp. 572-579; Manning, Droit des nations, p. 473; Wildman, Instituts de droit international, t. II, p. 352; Burge, ibid., p. 180; Twiss, War, p. 344; Discours à l'Association pour la réforme du droit des gens, Anvers, 1877; Meno Pohls, Droit maritime, t. IV, p. 1220; Oppenheim, Droit des gens, p. 268; Nau, Principes du droit maritime international; Klüber, Droit des gens européen, § 296; Fiore, Nouv. droit int. public, t. II, p. 525; Heffter, § 172; Bulmerincq, Revue de droit int., t. XI, 1879, p. 167; Wheaton, Elém., pte. 4, ch. 11, § 14; Kent, Droit int., p. 274; Boeck, Propriété privée ennemie, § 357; Perels, p. 338.

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