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tion sur des navires capturés en mer, la propriété des étrangers est amenée de force dans le territoire de l'Etat qui a constitué ces tribunaux. Suivant le droit naturel, les tribunaux du pays de celui qui a fait la capture ne sont pas plus les juges directs exclusifs des captures de guerre faites en pleine mer sous le pavillon neutre que ne le sont les tribunaux du pays neutre. L'égalité des nations semblerait en principe défendre l'exercice d'une juridiction ainsi acquise par force et par violence et administrée par des tribunaux qui ne peuvent être impartiaux entre les parties en cause, parce qu'ils sont créés par le souverain de l'une pour juger l'autre ; telle est cependant la constitution actuelle des tribunaux investis par le droit positif international de la juridiction exclusive des prises capturées en guerre. »

De la distinction établie entre les deux classes de tribunaux il découle comme conséquence naturelle qu'aucun tribunal ne possède de compétence en matière de prises qu'autant qu'une décision formelle de l'autorité souveraine de la nation à laquelle il appartient l'a érigé en Cour ou conseil de prises. Quant à l'organisation de ce tribunal et à la manière d'exercer sa juridiction, elles dépendent du droit public interne et des lois particulières de chaque nation.

La nécessité de confier à des tribunaux spéciaux le jugement des prises se fonde, suivant Dana, sur ce que le plus grand nombre des captures faites en temps de guerre appartient aux neutres, et que les questions touchant à la relaxation aussi bien qu'à la confiscation des navires étrangers ou de leurs cargaisons soulèvent des conflits et des doutes qui ne trouvent pas toujours leur solution dans les règles du droit civil. On peut dire enfin que l'origine de ces tribunaux repose sur la responsabilité que les actes de ses croiseurs imposent au belligérant à l'égard des neutres, et qui implique forcément le droit de s'enquérir si la prise est légitime ou non. C'est à l'aide de ce raisonnement que Dana résout le problème que Wheaton s'était borné à poser.

Plusieurs publicistes persistent à considérer les tribunaux de prises comme de simples commissions administratives appelées à prononcer en conséquence, mais n'ayant point, à proprement parler, à exercer une juridiction.

« Le tribunal des prises, dit Klüber, doit être considéré comme une commission spéciale du gouvernement. Il ne forme pas partie intégrante de l'organisation judiciaire. C'est une institution juridicopolitique, une autorité spéciale, un tribunal exceptionnel, qui a

Dana.

Klüber.

Oppenheim.

Meno Pohls.

Hautefeuille.

Gessner.

pour mission de juger entre nationaux et étrangers par voie administrative de la validité des prises. Il n'est donc pas tenu aux formalités des tribunaux ordinaires. >>

Oppenheim est également d'avis qu'un tribunal de prises n'est pas un véritable tribunal; ses décisions ne sont pas des sentences de juges obligatoires pour chaque partie; elles n'obligent juridiquement que le capteur, qui y est soumis en sa qualité de sujet de l'Etat et qui n'est responsable de ses actes qu'envers son souverain. A l'égard du navire capturé, la prise et le jugement doivent être considérés comme des actes politiques contre lesquels, si l'on trouve la sentence injuste et illégale, il n'y a pas d'appel; mais la partic lésée peut recourir à la rétorsion et aux représailles.

« A la rigueur, le tribunal de prises n'est donc qu'une institution politique, une commission spéciale à la fois politique et judiciaire, avec des influences internationales, semblable d'ailleurs aux autres actes de la guerre, qui influent sur plus d'Etats qu'il n'y en a de belligérants. Les tribunaux de prises (improprement appelés tribunaux) sont en réalité des institutions juridiques de droit international, contre lesquelles le dernier recours est la force. »

Pour démontrer que les tribunaux de prises ne sont pas des tribunaux à proprement parler, mais des commissions spéciales instituées dans un but spécial, Meno Pohls fait ressortir qu'elles n'ont de durée que celle de la guerre, et que parfois, au lieu de les créer, on confie à un tribunal déjà existant la connaissance des causes de prises.

« Il est indubitable, ajoute-t-il, que si l'on accorde aux puissances belligérantes la connaissance des affaires de prises, c'est aussi à elles qu'il appartient de fixer le genre de procédure; qu'il est tout à fait indifférent en quelle forme se fait l'instruction; et si c'est par la voie juridique, ce n'est là qu'une forme qui facilite l'instruction et qui, en permettant au capteur de se justifier, empèche des injustices. »

Hautefeuille refuse le nom de juridiction à l'autorité du tribunal des prises, parce que ce tribunal, selon lui, ne peut prononcer contre le neutre des peines personnelles, et qu'il doit se borner à statuer sur un fait ct empècher ce fait qui est nuisible et contraire aux devoirs naturels.

Gessner soutient, au contraire, que le tribunal de prises, est appelé à punir le neutre, sinon dans sa personne, au moins dans sa propriété; dès lors la manière de voir de Hautefeuille est sans fondement.

Selon Pistoye, il y a dans les questions de prises neutres deux faces à considérer une face politique et une face juridique. On peut mettre en question l'opportunité de la prise, dont le ministre seul est juge. Si la réponse à cette question est négative, le relâchement s'effectuera sans sentence judiciaire. Dans le cas contraire, l'affaire entre dans la période juridique.

« Les prises maritimes, dit-il, soulèvent deux questions distinctes l'une politique et gouvernementale, l'autre purement contentieuse..... Le droit de l'équipage capteur, bâtiment de la marine royale ou corsaire, ne naît qu'au moment où le gouvernement a retenu la prise et où elle a été déclarée valable; jusque-là l'Etat, souverain arbitre du droit de paix et de guerre, conserve toute liberté pour la restitution d'une prise, qu'il peut juger injuste ou impolitique... Il ne reste donc pas de motif réel de refuser la garantie d'une juridiction propre à cette matière, dont le caractère contentieux ne peut être méconnu, et où les droits privés ont d'autant plus besoin de protection qu'ils luttent d'ordinaire contre l'empire de la force..... Les tribunaux de prises sont donc des tribunaux dans toute la force du terme; mais ce sont des tribunaux internationaux. »

Pistove.

Le célèbre juge des prises anglais Lord Stowell dit : « Le tribunal Lord Stowell, des prises est un tribunal international, siégeant sous l'autorité du

roi de la Grande-Bretagne. »

Dans cet ordre d'idées, Sheldon Amos détermine ainsi le caractère des tribunaux de prises:

« Un publiciste américain a qualifié le tribunal des prises de tribunal d'enquête. Ce n'est pas essentiellement ou primordialement un tribunal ayant pour mission de constater les droits et les devoirs des parties, c'est-à-dire les droits et les devoirs des belligérants et des neutres par rapport les uns aux autres; mais c'est un tribunal désigné pour vérifier si les capteurs se sont conformés au droit international. »

Suivant Boeck, les tribunaux des prises sont des Cours spéciales, car les causes qu'ils ont à juger exigent des connaissances spéciales, les juges les mieux qualifiés pour y siéger, sont ceux qui sont versés dans la connaissance du droit international maritime. Les tribunaux des prises doivent être exclusivement composés de jurisconsultes. Enfin ce sont des tribunaux internationaux non point par leur composition, mais leur mission.

En principe, dit Perels, chaque puissance belligérante est seule

Sheldon

Amos.

Boeck,

Perels.

Bulmerineq.

Mode pour

constituer les

compétente, pour juger, par l'organe de ses tribunaux, de la légalité des prises faites par des croiseurs ou des corsaires.

Il ne s'est rencontré jusqu'à présent aucun Etat qui ait cru pouvoir, sans abdiquer sa souveraineté et son indépendance, remettre à des tribunaux affranchis de son contrôle et de son autorité, le droit de juger la conduite de ses propres agents.

Bulmerincq limite aux deux points suivants, qui ont surtout une importance internationale, la tâche du tribunal de prises: 1o le jugement de la question préliminaire de la légalité de la prise ou de la saisie opérée; 2o la détermination de la propriété de la prise ou de la chose saisie. Mais le tribunal de prises n'a pas de juridiction criminelle: il n'a ni Code pénal ni procédure criminelle.

La procédure jusqu'ici administrative ou judiciaire doit être exclusivement judiciaire, puisqu'il s'agit de questions de droit *.

§ 3047. En Angleterre depuis 1740, la compétence en matière de tribunaux de prises est déléguée, au commencement et pour la durée de chaque guerre, à la Cour d'amirauté par un mandat spécial revêtu du grand sceau royal.

prises.

En Angleterre.

En France.

Les avocats qui plaident devant les Cours de prises constituent une classe distincte de la corporation des avocats admis à la barre des tribunaux civils et des Cours d'équité. Ils forment un collège particulier, dans lequel se recrutent les principaux conseillers de la Couronne pour les questions de droit international.

Les appels des jugements de la Cour d'amirauté sont portés devant une commission judiciaire composée des jurisconsultes les plus éminents du Royaume-Uni, qui font en même temps partie du conseil privé de la Couronne. Les décisions de cette seconde Cour sont définitives **.

§ 3048. En France, les plus anciennes ordonnances attribuaient

* Wheaton, Élém., pte. 4. ch. 11, § 16; Dana, Elem. by Wheaton, note 186; Kent, Com., v. I, pp. 109, 110; Halleck, ch. XXXI, § 6; Fiore, t. II, pp. 527, 528; Hautefeuille, Des droits, t. III, pp. 346-348; Massé, t. I, § 414; Pistoye et Duverdy, t. II, pp. 140-193; Gessner, pp. 370 et seq.: Phillimore, Com., v. VII, §§ 437-439; Twiss, War, § 169; Wildman, v. 11, pp. 359, 360; Oppenheim, Droit des gens, p. 368; Klüber, § 295; Meno Pohls, Droit maritime; Sheldon Amos, p. 98; Bulmerincq, Revue de droit intern., t. XI, 1879, pp. 212, 353; Boeck, Propriété privée, § 336; Bulmerincq, Rapport, p. 220.

V.

** Phillimore, Com., v. III, § 439; Wildman, v. II, pp. 359 et seq.; Twiss, War, § 169; Kent, Com., I, p. 377; Gessner, p. 370; Halleck, ch. XXXI, §7; Massé, t. I, § 414; Steck, Essais, p. 89; Bulmerincq, Rapport, p. 266; Perels, p. 337; Boeck, § 338.

le jugement des prises aux officiers de l'amirauté, qui jugeaient en cette manière comme dans les autres affaires de leur ressort au nom de l'amiral, sauf, ainsi que le spécifie l'article 24 de l'ordonnance de 1400, renvoi devant l'amiral des matières dites de grand prix. Leurs décisions étaient sujettes à l'appel soit à la Table de marbre (1), soit au Parlement.

Plus tard, les attributions des amirautés furent limitées aux procédures d'instruction, et le jugement fut réservé à l'amiral en personne (déclaration du 1er février 1650); enfin par lettres patentes du 20 décembre 1659 l'amiral se trouva dessaisi au profit d'une commission composée de conseillers d'État et de maîtres des requêtes, établie successivement sous le nom de Conseil des prises, Conseil d'Etat du roi et Conseil royal des finances. Ce dernier conseil, dont la composition et les attributions subirent diverses modifications par les règlements du 9 mars 1695, du 12 mai 1702, du 12 février 1719, du 3 novembre 1733, du 23 avril 1744 et du 19 juillet 1778, fut définitivement supprimé sous la première République, qui transféra sa juridiction aux tribunaux de commerce (loi du 3 brumaire an IV), avec appel devant les tribunaux de département (loi du 8 floréal an IV).

Quatre ans plus tard, un arrêté du gouvernement consulaire, en date du 8 germinal an VIII institua à Paris un conseil des prises et créa dans chaque port de France, des colonies et des pays neutres des tribunaux spéciaux, auxquels fut attribuée une juridiction restreinte et dont un des membres était chargé de faire l'instruction des prises.

A la paix générale, le conseil des prises n'ayant plus qu'une utilité secondaire et momentanée, une ordonnance royale datée du 23 août 1815 lui substitua le comité du contentieux du conseil d'Etat, qui conserva cette attribution sous la monarchie de juillet et sous la seconde République.

Lors de la guerre d'Orient, un décret impérial en date du 18 juillet 1854 rétablit le conseil des prises à titre permanent comme juridiction de première instance et rendit au conseil d'Etat son véritable rôle en cette matière, celui de Cour d'appel. Ce régime subsiste encore; il a fonctionné sans modification quant aux attri

(1) Nom donné à trois juridictions qui siégeaient au Palais de Justice de Paris 1o la Cour établie Maréchaussée de France; 2o l'Amirauté ; 3o la Réformation générale des eaux et forêts. Ces trois juridictions conservèrent leur nom jusqu'en 1790.

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