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Boeck.

Pratique suivie par quel

France.

Espagne.

Prusse.

établis par le pays neutre, siégeaient dans le pays neutre et jugeaient toujours conformément au droit international commun à chacun d'eux, on sait fort bien cependant que dans la pratique ces tribunaux prennent pour guide les ordonnances sur les prises et les instructions émanées du souverain belligérant sans s'inquiéter si elles s'accordent avec la règle suprême. Si donc les sentences définitives de ces tribunaux devaient être regardées comme absolument concluantes au point d'écarter toute enquête sur leur mérite, la conséquence évidente serait d'investir l'État belligérant du pouvoir législatif sur les droits des neutres et d'empêcher ces derniers de montrer que les ordonnances et les instructions d'après lesquelles les sentences ont été prononcées sont contraires à cette loi par laquelle les étrangers seuls sont liés *.

Suivant Boeck enfin, les tribunaux des prises doivent se guider à la fois par des considérations juridiques, les affaires de prises ayant avant tout le caractère de questions de droit; mais à côté de ces questions, et préalablement à elles, il existe une question purement politique qu'on peut appeler question d'opportunité. Enfin les tribunaux des prises sont des tribunaux internationaux non par leur composition, mais par la mission dont ils sont investis.

§ 3062. La France est la première puissance qui ait placé la juques nations. risprudence en matière de prises sur le terrain international, par ses ordonnances de 1543 et de 1584, dont ses règlements postérieurs n'ont fait qu'étendre et fortifier l'esprit. L'Espagne a obéi aux mêmes inspirations dans ses ordonnances de 1702 et de 1718 et dans son règlement de prises de 1779. En Prusse, la loi dispose que les droits des capteurs seront déterminés à chaque guerre suivant les circonstances du moment. Le règlement promulgué en 1864 à l'occasion de la guerre du Schleswig n'était obligatoire pour les tribunaux de prises qu'autant qu'il n'était pas en opposition Autriche. avec des clauses formelles du droit des gens. L'Autriche et le DaDanemark. nemark ont dans la même guerre suivi une conduite analogue. Le Etats-Unis. gouvernement des États-Unis, au commencement de la lutte avec les sécessionnistes du Sud, se borna à déclarer le 25 avril 1861 qu'il se conformerait aux principes de la déclaration du congrès de Paris de 1856.

Angleterre.

Le cabinet de Londres ne s'en est pas écarté théoriquement; mais dans la pratique, les décisions de ses tribunaux maritimes

Heffter, § 173; Wheaton, Élém., pte. 4, ch. II, § 16; Boeck, Propriété privée, §§ 335, 337.

n'ont pas été invariablement d'accord avec ces principes, basées qu'elles étaient sur des ordres du conseil privé en contradiction sous plus d'un point de vue avec le droit international.

des juges an

§ 3063. Malgré cela les juges anglais les plus distingués proclament Déclarations que les sentences en matière de prises doivent être conformes aux glais. règles internationales. A l'appui de cette assertion nous rapportons ici les paroles prononcées par Sir W. Scott (Lord Stowell) dans Lord Stowell. la fameuse cause du convoi de navires suédois condamnés au mé

pris du droit des gens :

<< En formant mon jugement j'ai la conscience de m'être constamment souvenu et préoccupé de ce que les devoirs de ma position exigent de moi, c'est-à-dire de ne pas émettre d'opinion passagère et équivoque pour obéir dans le moment à des considérations d'un intérêt national particulier, mais d'administrer avec impartialité cette justice que le droit des gens dispense sans distinction aux États indépendants, que les uns soient neutres et les autres belligérants; au point de vue du territoire, selon le droit et l'usage admis chez les nations, le siège de l'autorité judiciaire est sans doute ici, dans le pays belligérant; mais la loi même ne se localise pas. Il est donc du devoir de celui qui siège ici de résoudre la question pendante comme s'il siégeait à Stockholm et était appelé à se prononcer sur la même affaire, de ne point accueillir de la part de la Grande-Bretagne des prétentions qu'il n'accueillerait pas de la part de la Suède dans les mêmes circonstances, et de ne point imposer à la Suède, comme pays neutre, des devoirs qu'il ne se reconnaîtrait pas le droit d'imposer à la Grande-Bretagne, si elle se trouvait investie du même caractère neutre. »

Le même jurisconsulte dans une autre sentence rendue en 1810 soutient la validité des ordres en conseil dont nous avons déjà parlé, par la raison qu'étant qualifiés de représailles, ils ne sont pas par cela même en contradiction avec le droit international, auquel ils ne deviendraient contraires que s'ils étaient dépouillés de ce caractère. Voici son argumentation :

« C'est plutôt pour corriger toute méprise possible à ce sujet que poussé par le sentiment d'une obligation que m'impose la présente discussion, que je fais observer que cette Cour est tenue d'appliquer le droit des gens aux sujets des autres pays dans les différentes relations qu'ils peuvent avoir avec notre pays et son gouvernement. C'est ce que les autres nations ont le droit de revendiquer pour leurs sujets, et elles ont le droit de se plaindre, si on ne le leur accorde pas. Telle est la loi non écrite de cette Cour, confirmée

par ses décisions successives et sanctionnée par l'usage général des États civilisés. Il est strictement vrai en même temps que, aux termes de la constitution de notre pays, le roi en son conseil possède des droits législatifs supérieurs à ceux de cette Cour, et qu'il a la faculté de publier des ordonnances et des instructions qu'elle est tenue d'observer et de faire observer: c'est ce qui constitue la loi écrite de cette Cour.

« Ces deux propositions: que la Cour est tenue d'appliquer les règles du droit des gens, et qu'elle est aussi tenue d'exécuter les ordres du roi pris en conseil, ne sont pas en contradiction l'une avec l'autre. On doit présumer en effet que ces ordres et ces instructions se conforment dans les circonstances données aux principes de la loi non écrite de la Cour, ou bien ce sont des applications de ces principes aux cas qui y sont indiqués, cas qui, avec tous les faits et les circonstances s'y rattachant et en constituant le caractère légal, ne pourront être qu'imparfaitement connus de la Cour elle-même; ou ce sont des règlements positifs, d'accord avec ces principes, et s'appliquant à des matières qui exigent des règles plus précises et mieux définies que les principes généraux n'en peuvent fournir.

« La constitution de cette Cour relativement au pouvoir législatif du roi en son conseil est analogue à celui du parlement du royaume. Ces Cours ont leur loi non écrite, qui consiste dans les principes admis de la raison et de la justice naturelles; elles ont également leur loi écrite ou leur droit coutumier dans les actes du parlement, qui sont des applications directes des mêmes principes à des sujets particuliers, ou des règlements positifs d'accord avec ces principes et relatifs à des matières qui ne seraient pas suffisamment élucidées, si les Cours se bornaient aux informations incomplètes que pourraient leur procurer de simples conjectures générales. Quel serait le devoir des présidents de ces Cours, s'ils étaient tenus de faire observer un acte du parlement qui serait en contradiction avec ces principes? C'est là une question qui, je le présume, ne saurait être posée a priori, parce qu'on ne saurait admettre a priori la supposition qu'un pareil cas se présente. De même cette Cour ne se livrera pas à des conjectures sur la question de savoir quel serait son devoir en pareille occurrence; car elle ne saurait, sans irrévérence extrême, présumer qu'une semblable occurrence puisse survenir, et elle est d'autant moins disposée à se laisser aller à de telles conjectures que son expérience et l'examen qu'elle en a fait l'ont mise à même de reconnaître qu'en gé

néral ces ordres et ces instructions sont conformes aux principes de la loi non écrite. »>

Selon Gessner, Lord Stowell commet ici la faute de comparer les ordres du conseil privé, auxquels la constitution anglaise ne reconnaît pas force de loi, avec les actes du parlement, qui sont véritablement des lois et qui par conséquent doivent avoir pour le magistrat une portée toute différente.

Dans l'affaire du navire nord-américain Minerve, capturé pour s'être livré au commerce avec les colonies anglaises au mépris d'une ordonnance royale de 1803, Sir John Mackintosh prononça Mackintosh. une sentence plus précise et plus concluante. Examinant si le juge des prises est tenu d'observer des ordonnances royales contraires au droit des gens, il exprime l'avis que l'observation de ces ordonnances n'est absolument obligatoire que pour les officiers de la marine royale, dont elles doivent régler les captures, mais que les juges des prises conservent leur indépendance; et il conclut qu'il est indubitable que dans des cas pareils le devoir du juge est de ne tenir aucun compte des « instructions » contraires à la législation internationale, et de ne consulter que cette lo universelle qui régit tous les princes et tous les États civilisés et au-dessus de laquelle aucun d'eux ne saurait prétendre avoir d'autorité. Nous pourrions citer encore un grand nombre de déclarations Décision du analogues de juges anglais; mais nous nous bornerons à reproduire le passage d'une décision de la commission judiciaire du conseil privé prononcé le 27 mars 1855 à propos de la question de savoir si un croiseur pouvait être exempté du paiement des frais de procédure en cas de capture illégale d'un navire neutre :

« Le conseil privé exposa que le droit qu'il était appelé à définir ne concerne pas seulement la marine britannique, mais qu'il s'étend aux croiseurs de toutes les nations; qu'on ne peut permettre à aucun État de prendre des mesures exceptionnelles à son profit exclusif ou à celui de quelques-uns de ses sujets; que les décisions des tribunaux étrangers ont la même importance en droit que celles des tribunaux nationaux, et que les tribunaux maritimes anglais ne doivent admettre comme propre à excuser ou à justifier la conduite d'un officier de la marine anglaise que ce qui pourrait être admis au même titre par tous les autres pays. »

Conseil privé.

Rutherforth établit ainsi la suprématie du droit international Rutherforth. dans la matière qui nous occupe :

« L'État auquel appartiennent ceux qui font des captures, en examinant la conduite de ses sujets et en décidant si les navires et

Devoirs des

juges de tri

bunaux prises

les objets qu'ils ont saisis l'ont été loyalement ou non, décide une question entre ses sujets et les étrangers qui réclament la propriété, et cette controverse ne s'élève pas dans les limites de son territoire, mais sur l'immensité de l'Océan. Donc le droit qu'il exerce n'est pas une juridiction civile, et le droit civil particulier à son territoire n'est pas la loi qui doit régler sa conduite. Ni le lieu où s'est élevée la controverse, ni les parties qui y sont intéressées ne sont soumis à cette loi. La seule loi qui puisse régir cette controverse est le droit naturel appliqué aux corps collectifs des sociétés civiles, c'est-à-dire le droit des gens, à moins qu'il n'ait été conclu ent les deux États auxquels appartiennent ceux qui ont fait la capture et les autres réclamants quelque traité particulier qui les oblige mutuellement à se départir des droits qu'autrement ils auraient fondés sur le droit des gens. Quand il existe de pareils traités, ils sont dans tout ce qu'ils contiennent une loi pour les deux États et pour tous leurs sujets dans les relations des uns avec les autres. L'État auquel appartiennent ceux qui font une capture doit donc, en déterminant ce qui peut ou ce qui ne peut pas être pris légalement, juger conformément à ces traités particuliers et au droit des gens tout à la fois... »

§ 3064. Considérant que les tribunaux de prises doivent régler de leur ligne de conduite sur les prescriptions du droit international, Hautefeuille dit :

Hautefeuille.

<< Il est un principe que les juges chargés de prononcer la prise des navires neutres ne doivent jamais perdre de vue c'est qu'ils sont de véritables jurés pour l'appréciation du fait, en même temps que, comme magistrats, ils prononcent l'application de la loi; c'est que l'équité est la seule règle qui doive les diriger comme jurés; que les traités et, en l'absence de traités, la loi primitive, forment les seules lois qu'ils peuvent, qu'ils doivent appliquer. La loi générale des nations est l'indépendance absolue de toutes et de chacune d'elles à l'égard de toutes et de chacune des autres; les devoirs d'impartialité et d'abstention d'hostilité de la part des neutres sont des exceptions à ce principe général; ils doivent être renfermés dans les limites posées par la loi qui les a créés; ils ne peuvent jamais être étendus ni aggravés. Le jugement des prises est un acte d'équité; les juges doivent donc se garder avec le plus grand soin de se laisser séduire par l'intérêt de leur propre pays intérêt qui trop souvent est d'accord, en apparence du moins, avec celui des armateurs. >>

Le devoir qui est prescrit ici aux juges des prises résulte encore

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