Page images
PDF
EPUB

du caractère pénal des questions sur lesquelles ils sont appelés à prononcer, car elles ont un caractère essentiellement pénal; il faut donc que les conditions nécessaires pour une condamnation pénale soient remplies. Pour qu'un navire neutre soit déclaré coupable il faut qu'il ait commis une faute réellement punissable, c'est-à-dire une culpa lata, mais il n'est responsable ni de la culpa levis ni de ce qui est arrivé par accident. Ce principe, adopté par la jurisprudence anglaise, a trouvé un interprète fidèle dans Sir W. Scott, Sir W.Scott. qui dit dans une de ses décisions :

« Les événements inévitables, les cas de force majeure et ceux dans lesquels la partie ne pouvait agir différemment ne peuvent être traités dans ces questions comme dans d'autres. Le tribunal ne croit donc pas devoir s'écarter de son devoir en interprétant les lois avec modération et sans oublier les circonstances *. »

du jugement

tion.

§ 3065. Sauf pour les pays et dans les cas où la loi municipale Portée ouvre le recours en appel, les jugements de prises sont définitifs en de condamnace qui concerne la validité de la capture et l'attribution de la propriété de la prise à celui qui s'en est emparé; ils mettent fin à toute controverse, à toute procédure judiciaire entre le capteur et le capturé; mais ils réservent à celui-ci tous ses droits dans son propre pays, et constituent même un commencement de preuve par écrit pour les actions accessoires ou connexes, telles que celles qui découlent des polices d'assurances contre les risques de guerre. § 3066. Dans un jugement relatif à l'assurance d'une propriété Cas pratique, qui avait été condamnée en France à raison de la violation d'un traité entre la France et les États-Unis, Lord Ellenborough disait : « La sentence de condamnation ne s'appuie-t-elle pas sur le fait que le navire n'était porteur des papiers dont, selon le tribunal français, il doit être muni en vertu du traité? Je ne prétends pas dire que l'interprétation de ce traité donnée par les juges soit correcte; mais, quelque injuste qu'elle soit, comme les juges étaient compétents pour interpréter ce traité, ce qu'ils ont effectivement fait, le respect et le sentiment de courtoisie que les nations civilisées se doivent entre elles nous obligent à nous en rapporter à leur appréciation. Qu'on allègue ce qu'on voudra, qu'on prétende que le tribunal français en condamnant le navire a commis une infraction au traité, laquelle porte atteinte aux garanties de la neutralité,

Gessner, pp. 390 et seq.; Hautefeuille, Des droits, t. III, pp. 344, 345; Phillimore, Com., v. III, § 436; Rutherforth, Inst., b. 2, ch. vi, §9; Bulmerincq, Rapport, pp. 265, 282.

Législation nord-améri

ou nous devons contester sa juridiction, ou nous devons nous en tenir à sa décision. »

§ 3067. Les États-Unis ont pris pour règle que la décision d'un caine. tribunal étranger transfère la propriété de la chose condamnée, quand même la loi sur laquelle cette décision s'appuie scrait injuste, contraire au droit des gens, dérogatoire aux immunités des neutres et déclarée telle par le président et le congrès de la république. C'est en conformité de cette règle que le gouvernement fédéral proclama que les propriétaires nord-américains n'avaient pas le droit de revendiquer devant les autorités judiciaires de leur pays les biens condamnés par les tribunaux français en vertu du célèbre décret rendu à Milan le 17 décembre 1807 (1) *.

Règles et formes de pro

crées en ma

ses.

[ocr errors]

§ 3068. Ainsi que nous l'avons déjà indiqué, les questions de cédure consa- prises ont un double aspect, l'un politique et l'autre juridique. tière de pri- Envisagées sous le premier point de vue, elles dépendent directement du gouvernement, de sorte qu'on peut admettre jusqu'à un certain point, comme l'a dit Dana, que les captures soient prima facie la propriété de l'Etat. Il ne faut cependant pas, comme certaines puissances se sont donné le tort de le faire, accorder à cet élément une importance telle qu'il affaiblisse ou détruise complètement le côté juridique de la question. C'est pour n'avoir pas tenu suffisamment compte de cette distinction qu'on a vu trop souvent la politique empiéter sur le domaine de la justice et promulguer des lois arbitraires et d'exception qui ont jusqu'ici empêché d'arriver à un système de procédure uniforme. Sur quelques points toutefois, il existe aujourd'hui une pratique qui diffère assez peu d'un pays à l'autre. Ainsi l'usage a prévalu partout d'adopter comme base de procédure une instruction sommaire confiée à l'autorité judiciaire ou administrative du port où la prise a été conduite, et dont les résultats écrits sont ensuite adressés au tribunal appelé à statuer sur la prise.

Voici généralement comment on procède à cette instruction. Le capteur, dès qu'il arrive au mouillage, est tenu de remettre à l'autorité chargée de faire l'instruction l'ensemble des documents qu'il a en sa possession, tels que procès-verbal de capture,

in

(1) De Clercq, t. II, p. 242; State papers, v. VIII, p. 482; Martens, Nouv. recueil, t. I, p. 452 ; Bulletin des lois, 1807, no 169.

[ocr errors]

Heffter, § 172; Bluntschli, §§ 850, 858; Hautefeuille, Des droits, t. III, p. 358, 359; Bello, pte. 2, cap. v, § 4; Chitty, v. III, ch. XII, p. 609; Wildman, v. II, pp. 375 et seq.; Dalloz, Répertoire, v. Prises marit., sect. 7 ; Bulmerincq, Rapport, p. 184.

ventaire de prise, papiers de bord, plis cachetés, interrogatoire des capturés, enfin la confirmation sous serment des déclarations consignées dans ses rapports de mer. Ces premières formalités remplies, un délégué spécial se rend à bord de la prise, lève les scellés, dresse en présence des intéressés un inventaire détaillé tant du navire que de la cargaison, ordonne, s'il y a lieu, la vente des marchandises périssables ct fait emmagasiner à terre celles qui doivent être conservées. Aussitôt qu'il se trouve muni du dossier résumant cette instruction préliminaire et des pièces ou mémoires que les capturés ont pu de leur côté faire dresser pour la défense de leurs droits, le tribunal procède au jugement sur la validité ou l'illégitimité de la capture.

Ne pouvant exposer ici en détail la marche que suivent à cet égard les diverses puissances maritimes du globe, nous nous bornerons à résumer les principes consacrés en France, en Angleterre et aux Etats-Unis *.

§ 3069. Pistoye et Duverdy analysent la législation française dans les termes suivants :

le

« Il n'y a de nécessaire pour le jugement d'une prise que rapport du capitaine corsaire ou du chef de la prise, attesté par deux des principaux de son équipage; le procès-verbal de transport à bord des officiers de l'amirauté; l'interrogatoire du capitaine pris et de deux de ses gens (ou de l'otage en cas de rançon), et les pièces trouvées dans le vaisseau pris, avec les traductions de celles qu'on a jugé à propos de faire translater. C'est ce qu'il faut essentiellement envoyer au conseil des prises, savoir les papiers en original avec traductions, et des expéditions en forme de la procédure, dont les minutes doivent rester au greffe.

«De toutes ces pièces il est dressé un état, en forme de bref inventaire, par le greffier, et l'envoi doit en être fait sans différer, et dans le mois au plus tard, au sccrétaire général de la marine; et lorsqu'il y a eu des raisons pour retarder cet envoi, il faut les déclarer. Sur tout cela, on peut voir l'instruction du 6 juin 1672, le règlement du 21 octobre 1688, ceux du 16 août 1692 et du 9 mars 1695, avec les jugements de M. l'amiral du 8 février 1696 et du 18 avril 1697.

« Le greffier doit aussi joindre au dossier un état ou mémoire

Gessner, pp. 399 et seq.; Hautefeuille, Des droits, t. III, pp. 348 et seq.; Pistoye et Duverdy, t. II, tit. 8; Dana, Elem. by Wheaton, note 186; Bluntschli, §§ 848, 849; Heffter, § 173; Bulmerincq, Rapport, p. 266; Pe. rels, p. 344; Boeck, Propriété privée, §§ 378, 381.

Législation en vigueur en France.

Pistoye et
Duverdy.

navire la

ciété.

des frais de justice faits jusque-là, suivant la lettre de M. l'amiral du 27 mai 1708 et du 20 août 1710.

« Si un même corsaire amenait ou envoyait plusieurs prises dans le même port et toutes à la fois, il faudrait faire séparément l'instruction de chaque prise, à cela près que si c'était lui qui les amenât, il n'aurait qu'un rapport à faire pour toutes. (Instruction du 16 août 1692.)

« Quant aux papiers trouvés sur la prise, ce n'est point aux officiers de l'amirauté à en faire le triage pour n'envoyer que ceux qui leur paraîtraient nécessaires ou utiles; il faut qu'ils les envoient tous, sans en retenir un seul, quelque inutile qu'il puisse être. (Jugement de M. l'amiral du 25 avril 1997.)

«< Toutes ces règles sont encore applicables de nos jours. Les officiers d'administration de la marine dans nos ports et dans ceux de nos colonies, et nos consuls dans les ports étrangers doivent suivre exactement les prescriptions des arrêtés du 6 germinal an VIII et du 2 prairial an XI. La nécessité de cette instruction locale est telle qu'à défaut de représentation des pièces de cette instruction le capteur ne peut obtenir la déclaration de validité de la prise. C'est ce qu'a jugé le conseil d'Etat le 26 mars 1817. Par contre, le défaut de présentation des pièces de l'instruction tourne au profit du capturé; car le capteur doit toujours être en mesure de justifier la capture, et faute de preuve la prise doit être relàchée. C'est ce que le conseil d'Etat a reconnu par décision du 2 mai 1816 dans le fait du corsaire la Réussite contre le SaintBonaventure. »

Capture du § 3070. En 1817, M. Frédéric Legris saisit le conseil d'Etat d'une Bonne-So- demande tendant à faire déclarer la validité de la prise du navire russe la Bonne-Société, qu'il annonçait avoir été faite par son corsaire l'Heureux-Tonton en octobre 1813 en vue du port de Dantzig. Le demandeur ne produisait ni le jugement prononcé à l'égard de cette prise par l'administration de la marine du port de Dantzig, ni les pièces de l'instruction qui avait dù précéder le jugement, ni même aucune des pièces de bord de la prise, qu'il prétendait avoir été détruits sur place par ordre des autorités. Le comité du contentieux fut d'avis de suppléer à l'absence des pièces requises par des preuves d'une autre nature; et, sur la proposition du garde des 'sceaux, une ordonnance royale prescrivit l'ouverture d'une enquête sur le fait et sur les circonstances de la prise de la Bonne-Société. Ainsi mis en mesure de justifier sa réclamation, le capteur produisit un certificat délivré le 25 novembre

par le général Rapp, gouverneur de Dantzig, qui constatait que le corsaire l'Heureux-Tonton no 3, armé par M. Legris, avait fait entrer en octobre 1813 un navire russe appelé la Bonne-Société, qui avait été déclaré de bonne prise et dont le chargement, consistant en graines de lin, en suifs et en sirops de raisin, avait été mis en réquisition pour le service de la place. Le capteur et le ministre de la marine établirent en outre que toutes les opérations qui avaient eu lieu à Dantzig concernant les prises avaient été faites pendant le siège de la place par l'autorité militaire sans l'intervention du consulat, dont le titulaire se trouvait absent. Le sieur Legris soutint enfin qu'en principe le défaut d'instruction ou de procédure sur une prise ne pouvait nuire aux droits des capteurs; qu'on devait supposer qu'aucune instruction préliminaire n'avait eu lieu au sujet de la capture de la Bonne-Société, puisqu'il n'en existait pas de trace au ministère de la marine; que les difficultés inhérentes au siège de Dantzig avaient forcément dû empêcher le consul d'y exercer ses fonctions, et que l'inaccomplissement de ces formalités, quels qu'en fussent l'auteur et la cause, ne devait pas rejaillir sur l'armateur, le capitaine et les matelots de l'Heureux-Tonton. Suivant lui, l'instruction de la prise n'est et ne peut en aucun cas être mise à la charge des capteurs, puisque les règlements en imposent l'obligation formelle aux consuls, avec injonction expresse d'en faire l'envoi au ministère de la marine, sans qu'elle passe ou doive passer par les mains des armateurs.

Voici quelle fut sur cette affaire l'arrêt du conseil d'État :

«< Vu la requête à nous présentée par le sieur Legris et enregistrée le 28 septembre 1816, tendant à ce qu'il nous plaise déclarer bonne et valable la prise, que ledit sieur Legris expose avoir été faite en octobre 1813 devant le port de Dantzig pendant le siège de cette place, d'un navire russe dit la Bonne-Société par le corsaire français l'Heureux-Tonton, dont il était armateur, en conséquence lui adjuger ladite prise, ainsi qu'aux marins formant l'équipage dudit corsaire ;

«Vu les certificats du lieutenant général comte Rapp et du contre-amiral commandant sur l'état de la prise, en date du 25 novembre 1815 et du 19 juin 1816;

Vu les lettres y relatives de nos ministres de la guerre et de la marine, adressées au ministère de la justice le 19 novembre 1816 et le 1er janvier 1817;

« Vu l'ordonnance de notre garde des sceaux, ministre secrétaire d'État au département de la justice, rendue en date du 5 février 1817

Arrêt du conseil d'Etat

« PreviousContinue »