Page images
PDF
EPUB

amené son pavillon d'où l'on peut conclure que c'est la présence de l'un et de l'autre corsaire qui a empêché le capitaine de songer à s'enfuir ou à se défendre, quoiqu'il fût armé et eût un équipage nombreux; que le capitaine du corsaire le Génie, premier capteur, pour favoriser son système d'exclusion, se trouve en contradiction flagrante avec les vigies et les rapports de ses deux concurrents et les déclarations mêmes des capturés sur l'heure où la chasse avait commencé, sur le moment de l'amarinage et sur l'intervalle qui s'était écoulé entre ce moment et celui auquel le corsaire la Fortune avait mis du monde à bord de la prise; qu'on ne peut se défendre d'un violent soupçon d'intelligence entre le capitaine du corsaire le Génie et le capitaine de l'Aurora, lorsqu'on voit que celui-ci, sur la demande s'il y avait plusieurs corsaires en vue au moment de la prise, a répondu évasivement qu'il n'en existait pas à sa connaissance, et que d'ailleurs le feu du corsaire le Génie l'empêchait d'y faire attention, tandis que c'était en plein jour qu'il avait été chassé par les trois corsaires, et qu'il demeurait avéré qu'il n'était pas éloigné de plus d'une demi-lieue, et que ce soupçon était confirmé par le contenu d'une lettre du capitaine de l'Aurora au capitaine ou armateur du corsaire le Génie, de laquelle il résultait assez clairement qu'il avait été fait des promesses pécuniaires au capitaine suédois avant son interrogatoire, sans doute pour qu'il se déclarât, comme il l'avait fait, en faveur du corsaire le Génie, et que si ces promesses ne se réalisaient pas, il pourrait changer de langage; qu'il faut conclure de cette lettre que s'il fût resté étranger à toute espèce de suggestion, le capitaine capturé et son équipage seraient convenus tous à la fois de la présence du corsaire la Fortune et de la part qu'a eue ce corsaire dans sa reddition, et qu'au surplus, dans le doute sur le véritable motif qui avait engagé le capturé à dissimuler la vérité, l'interprétation devait tourner contre le corsaire le Génie, qui avait eu recours à des moyens illicites, à des suppositions intéressées pour tàcher de s'approprier à lui seul la prise : que quoique la Princesse-de-Bologne fût en vue et que ce corsaire eût chassé aussi bien que les autres deux corsaires, la grande distance à laquelle il était de la prise, l'espace de temps qu'il a mis à l'aborder ne permettent pas de croire qu'il ait pu contribuer en rien à déterminer le capitaine suédois à se rendre, lorsqu'il était poursuivi de plus près par deux autres corsaires. Par ces motifs, sans s'arrêter à la demande en partage de l'armateur du corsaire la Princesse-de-Bologne, le conseil adjuge le navire suédois l'Aurora au profit des armateurs

et des équipages des corsaires le Génie et la Fortune, pour le produit net de ladite prise être réparti entre les armateurs et les équipages desdits corsaires dans la proportion fixée par les règle

ments. »

Les uns et les autres ayant refusé de se conformer à ce jugement, on en appela au conseil d'Etat, qui confirma la décision du conseil des prises.

§ 3108. Dans un autre appel interjeté sur une décision du conseil des prises à l'occasion de la capture du navire anglais le Chard, le conseil d'Etat rendit l'arrêt suivant (1er mai 1816):

Vu la requête à nous présentée au nom des armateurs et des équipages des corsaires le Marsouin, la Dorade, la Félicité, les Deux-Fanny et l'Actif, tendant à l'annulation d'une décision du conseil des prises du 14 septembre 1814, en conséquence à ce qu'il soit ordonné que la prise anglaise le Chard sera partagée entre eux et les corsaires le Théophile et le Lucifer; vu la décision susdite du conseil des prises du 14 septembre 1814, laquelle, entre autres dispositions, déclare bonne et valable la prise faite le 30 janvier 1814 par les corsaires français le Théophile et le Lucifer du navire anglais le Chard, et qui, sans avoir égard aux réclamations à fin de partage élevées par les corsaires la Dorade, l'Actif, le Marsouin, les Deux-Fanny et la péniche la Félicité, dont ils sont déboutés, adjuge aux seuls corsaires le Théophile et le Lucifer le produit de la vente dudit navire le Chard et de sa cargaison, sauf prélèvement, en faveur des armateurs et de l'équipage du corsaire le Marsouin, de l'indemnité due audit corsaire pour la remorque qu'il a donnée à la prise;

« Considérant, sur la compétence, que le droit de juger de la validité des prises comprend celui de déterminer quel est le capteur;

<< Considérant, sur le fond, qu'attendu l'état de détresse où se trouvait le navire le Chard et l'impossibilité où il était d'opposer aucune résistance, la capture ne pouvait consister que dans la simple occupation de cette prise et dans sa conduite dans les ports de France;

<<< Que les corsaires le Théophile et le Lucifer, qui sont d'accord sur le partage de ladite prise, l'ont seuls amarinée et amenée à Dinan; que le corsaire la Dorade, qui s'est approché de la prise même avant le Lucifer, mais qui ne l'a pas occupée, n'a pas influé utilement par sa seule présence sur la capture du bâtiment, qui ne voulait ni ne pouvait résister: que les corsaires l'Actif, le Marsouin,

Le Chard.

La Verlu.

les Deux-Fanny et la péniche la Félicité, qui étaient plus éloignés que la Dorade, sont encore moins fondés à prétendre qu'ils ont coopéré utilement à la capture; qu'aux termes du règlement du 27 janvier 1706, aucun ne peut être admis au partage des prises, s'il n'a contribué à les arrêter;

« La requête des armateurs, des capitaines et des équipages des corsaires le Marsouin, la Dorade, les Deux-Fanny et la Félicité, et celle de l'armateur du corsaire l'Actif sont rejetées. »

De cet arrêt il ressort que « lorsqu'un navire qui ne pouvait offrir aucune résistance est amariné par un croiseur en présence de plusieurs autres croiseurs, la prise doit être adjugée à celui qui l'a le premier occupée ».

La décision du conseil des prises (29 messidor an IX) règle le partage de la prise dans le cas où elle a été faite concurremment par deux corsaires dont l'un est étranger, et alors même que celuici ne réclame pas le partage ou est resté inconnu.

§ 3109. Le navire anglais la Vertu fut capturé le 7 floréal an IX sur les côtes d'Afrique, non loin du cap des Moulins. Cette capture donna lieu à un litige devant la Cour des prises. Le commissaire du gouvernement présenta ses conclusions:

« Il résulte du procès-verbal dressé par le corsaire français le Brutus, ainsi que de l'interrogatoire subi par le capitaine anglais, qu'un chebeck espagnol, dont le nom est d'ailleurs ignoré, contribua par ses manoeuvres et par le feu de ses canons à la reddition de la Vertu, avec tant d'évidence que la prise fut amarinée sous le commandement commun d'un officier français et d'un officier espagnol. A la vérité, le capteur espagnol ne paraît avoir cherché par aucune démarche postérieure à faire valoir ses droits au partage de la prise; mais, d'un autre côté, le capteur français ne les conteste point, et le silence de ces deux corsaires est comme un hommage rendu à la justice du conseil, sur lequel ils se reposent entièrement ;

« Le chebeck espagnol a combattu, et l'on ne peut douter que ses efforts et sa présence n'aient intimidé l'ennemi, surtout lorsqu'on considère que le premier il avait osé diriger sa marche contre le brick capturé, manœuvre qui suppose du moins en lui le sentiment de la supériorité de ses forces;

« Par ces considérations je conclus à ce que le conseil, en prononçant la validité de la prise, ordonne que le produit en sera partagé entre le corsaire français et le chebeck espagnol. >>

Le conseil se prononça dans le sens des conclusions du commissaire du gouvernement.

Mais quand deux corsaires, sans avoir formé de société, donnent la chasse à plusieurs bâtiments, l'un d'eux qui a fait une prise ne doit pas être obligé de la partager avec l'autre, si ce dernier n'a pas contribué à cette prise : c'est ainsi qu'a jugé le conseil des prises le 23 germinal an IX.

§ 3110. Le navire espagnol armé en course l'Espérance et le corsaire français la Jeune-Abeille rencontrèrent en même temps quatre navires, dont trois étaient anglais et un américain. Les corsaires qui n'avaient fait aucune société entre eux poursuivirent ces navires en se dirigeant principalement contre l'Aigle et l'Anne. Ce dernier navire anglais fut enfin capturé par le corsaire français sans le concours de l'espagnol. Par décision du 23 prairial an IX, le conseil des prises adjugea la prise à la Jeune-Abeille. Le corsaire espagnol, qui n'avait pas été partie à cette décision, saisit le conseil de la question de savoir s'il ne devait pas être admis au partage de la prise de l'Anne; il s'appuyait sur l'article 5 du règlement du 27 janvier 1700, qui porte que lorsque plusieurs corsaires, sans être unis par aucune société, auront donné en même temps dans une flotte ennemie, ils partageront le produit de tous les bâtiments qui auront été pris. Le conseil rendit la décision sui

vante :

« Le conseil, au moyen de ce qu'il résulte principalement des pièces que le corsaire espagnol l'Espérance n'a en aucune manière contribué à la prise de l'Anne; que l'on ne peut regarder comme une flotte quatre petits navires, marchant à de grandes distances les uns des autres, dont trois étaient anglais et le quatrième américain; qu'ainsi ce n'est point de la part du corsaire l'Espérance avoir donné dans une flotte ennemie que de s'être avancé pour se saisir des papiers du navire l'Aigle, au moment où le corsaire français la Jeune-Abeille le fit mettre en travers et envoya son canot pour l'amariner ce qui ne le forçait pas d'abandonner cette prise pour courir sur le navire l'Anne, déclare les armateurs et l'équipage du corsaire espagnol l'Espérance mal fondés dans leur demande en partage de la prise du navire anglais l'Anne, adjugé aux armateurs et à l'équipage de la Jeune-Abeille par décision du 23 prairial an IX, laquelle continuera d'être exécutée selon sa forme

et teneur. »

Le navire l'Anne.

§ 3111. Le conseil des prises se prononça dans le même sens Le Vaillant. (17 ventôse an IX) à propos de la contestation élevée entre les corsaires la Favorite et les Bouches-du-Rhône afin de partage du navire anglais le Vaillant, dont le caractère ennemi était constant et

L'Entreprise.

dont la prise était par conséquent valide. La prise fut adjugé à la Favorite comme ayant seule opéré la capture.

§ 3112. Une autre décision du même tribunal en date du 13 nivôse an IX résout une question très importante. C'est l'assimilation du signal fait, lors de la rencontre de l'ennemi, à un autre corsaire, qui y répond, à la formation avec ce dernier d'un contrat de société impliquant partage de la prise; mais le partage ne doit pas avoir lieu, si le corsaire invité à prendre part au combat sc borne à rester spectateur de la lutte. Les corsaires français l'Espérance et l'Adolphe et le corsaire espagnol Saint-François-Xavier avaient rencontré le navire anglais l'Entreprise, qui fut capturé en définitive par l'Espérance; l'Adolphe n'en réclama pas moins sa part de prise. Le conseil des prises repoussa cette réclamation pour ces motifs : « Vu les pièces, desquelles il résulte principalement: d'abord que la validité de la capture du navire l'Entreprise par le corsaire français l'Espérance n'offre pas le moindre doute, puisqu'elle a été faite sous pavillon anglais et que le capitaine et les hommes de l'équipage, tous Anglais ou Portugais, ne s'étant rendus qu'après combat, ont déclaré le navire et le chargement propriété anglaise. Ensuite, sur la question de savoir si ladite prise anglaise appartiendra en entier au corsaire français l'Espérance et s'il doit la partager avec l'autre corsaire français l'Adolphe et le corsaire espagnol Saint-François-Xavier; qu'à l'égard du corsaire français l'Adolphe il y eut primitivement une espèce de convention formée par le signal que donna l'Espérance à l'Adolphe, qui en y répondant à la distance d'une demi-lieue contractait l'obligation de concourir de tous ses moyens à l'attaque et à la défaite de l'ennemi commun; mais que, loin d'avoir rempli cette obligation, il est démontré, tant par le procès-verbal de capture des parties que par leurs aveux mutuels, et indépendamment des dépositions divergentes et contradictoires des témoins:

« 1° Que le corsaire l'Adolphe n'appareilla et ne mit à la voile que quelque temps après le signal qui lui fut donné par l'Espé

rance;

«< 2° Que sa marche fut lente et tardive, et qu'arrivé au fort du combat qui s'était engagé vivement entre l'Anglais et l'Espérance, au lieu de faire usage de sa grosse artillerie, il ne tira pas alors un seul coup de canon et laissa froidement le corsaire l'Espérance exposé aux forces supérieures de l'ennemi, qui l'avait déjà désemparé et serait parvenu à le couler bas, si le capitaine français et son intrépide équipage n'eussent trouvé tout à la fois leur salut et la vic

« PreviousContinue »