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simple trève. Une guerre nouvelle ne peut être provoquée que par des causes nouvelles.

En règle générale, les traités de paix mettent fin à toute espèce de désaccord et de réclamations d'Etat à Etat, sauf sur les points découlant de faits accomplis pendant la guerre et pouvant prêter à des règlements particuliers. De ce nombre sont, par exemple, les débats sur les intérêts privés, les affaires contentieuses, les obligations souscrites par les prisonniers pour leur subsistance, les frais d'entretien des troupes, les réquisitions, etc.

Ces mêmes traités renferment toujours une clause générale d'oubli, c'est-à-dire une déclaration portant que les belligérants regardent leurs inimitiés comme entièrement apaisées et promettent réciproquement de ne plus en faire un sujet de guerre. La stipulation est forcément complétée par une amnistie en faveur des personnes et le pardon de tous les délits de trahison dont les sujets des Etats belligérants ont pu se rendre coupables. Lorsque cette clause n'est pas expressément énoncée, elle est virtuellement sous-entendue, car l'amnistie est un des éléments essentiels de la Bluntschli. paix. << Si l'on permettait, dit Bluntschli, de continuer la lutte devant les tribunaux, on pourrait toujours craindre que les parties n'eussent de nouveau recours aux armes et que la guerre ne recommençât avec toutes ses horreurs. Les demandes seraient, il est vrai, dirigées contre certaines personnes, qu'on accuserait d'avoir causé un préjudice pécuniaire ou commis un délit ; mais derrière ces personnes se trouverait toujours l'Etat pour lequel elles ont combattu. >>

Geffcken,

territoire, et

«S'il était permis, dit Geffcken, de suivre par voie de juridiction civile ou criminelle les contestations relatives à des dommages soufferts pendant la guerre, celle-ci ne prendrait jamais fin. Ceux qui ont agi au nom de l'Etat ne peuvent non plus être rendus personnellement responsables et quand ils ont outrepassé leur mission, ils ne doivent compte de leur conduite qu'à leur gouvernement, dont le droit pénal n'est naturellement pas atteint par l'amnistie *. »

Cession de § 3138. L'état de possession au moment de la conclusion de la rectification paix est considéré, à moins de dispositions contraires, comme la

de frontières.

Grotius, Le droit, liv. III, ch. xx, §§ 16, 18, 19; Vattel, Le droit, liv. IV, §§ 19-21; Wheaton, Elém., pte. 4, ch. Iv, § 3; Heffter-Geffcken, § 180; Martens, Précis, § 333; Klüber, Droit, § 324; Kent, Com., v. I, p. 171; Bluntschli, §§ 708 et seq.; Halleck, ch. XXXIV, §§ 8 et seq.; Pando, p. 580; Bello, pte. 2, cap. Ix, § 6; Riquelme, lib. I, tit. 1, cap. XIII.

base du nouvel ordre public créé par la paix : chacun conserve la souveraineté du territoire qu'il occupe. Le traité peut cependant établir la paix sur d'autres bases que l'état de possession ou rétablir souvent les choses telles qu'elles existaient avant la guerre. Lorsque le vaincu ne peut obtenir la paix qu'au prix d'une portion de son territoire, cette cession fait partie intégrante du traité de paix ou d'un acte spécial y annexé, dans lequel les contrées cédées sont énumérées, les nouvelles frontières entre les Etats contractants délimitées, etc. La paix seule donne la sanction du droit à la conquête ou à l'annexion violente.

Nous avons précédemment (1) expliqué les effets de la cession ou de la conquête, les changements qu'elle produit dans la situation. respective des Etats, les modifications qu'elle apporte aux droits et aux intérêts du souverain et des habitants des pays qui passent ainsi sous une dénomination étrangère. Nous nous bornerons ici à dire que la cession ou la prise de possession par suite de la conquête n'est considérée comme définitive et valable qu'autant qu'elle est consacrée par le traité de paix, qui contient ordinairement une renonciation formelle de l'ancien souverain au territoire que lui arrache le sort des armes. En un mot, la paix est la consécration nécessaire et définitive de l'acte de cession; car elle seule donne la sanction du droit à la conquête, voire même à l'annexion violente. Le traité de paix ne règle pas seulement la question de possession; il pose en outre les bases des nouvelles relations que les modifications territoriales établissent entre les différentes parties intéressées. Souvent les traités de paix portant cession de territoire renferment une clause par laquelle des commissaires sont nommés de part et d'autre à l'effet de rectifier les frontières, et généralement une autre clause accorde aux habitants des pays qui doivent changer de souverain un délai plus ou moins long pour disposer, s'ils le jugent convenable, des biens qu'ils y possèdent ou pour se retirer dans tel autre pays qu'il leur plaît de choisir. Nous trouvons des dispositions analogues dans le traité de paix signé à Paris le 30 mai 1814 (2) entre la France, l'Autriche, la Russie, la Grande-Bretagne et la Prusse.

§ 3139. Le traité du 10 mai 1871 (3), ayant converti en un traité

(1) Voir pte. 2, liv. VIII.

(2) De Clercq, t. II, p. 414; Neumann, t. II, p. 462; Savoie, t. IV, p. 1; Russie, t. I, p. 3; Martens, Nouv. recueil, t. II, p. 1; State papers, v. I, p. 151; Bulletin des lois, 1814, n° 16; Angeberg, Congrés, p. 161. (3) De Clercq, t. X.

Traité du

10 mai 1871 entre la France et l'Allemagne.

Convention

additionnelle

bre 1871.

de paix définitif les préliminaires signés à Versailles le 26 février précédent (1), en vertu desquels la France cédait à l'Allemagne plusieurs départements de l'Est, il a été introduit dans le traité définitif des stipulations à l'effet de sauvegarder les intérêts et de régler la situation des habitants des territoires annexés à l'Allemagne. Voici la teneur de l'article 2: « Les sujets français, originaires du territoire cédé, domiciliés actuellement sur ce territoire, qui entendront conserver la nationalité française, jouiront jusqu'au 1er octobre 1872, moyennant une déclaration préalable faite à l'autorité compétente, de la faculté de transporter leur domicile en France et de s'y fixer, sans que ce droit puisse être altéré par les lois sur le service militaire, auquel cas la qualité de citoyen français leur sera maintenue. Ils seront libres de conserver leurs immeubles situés sur le territoire réuni à l'Allemagne. >>

Par une convention additionnelle au traité de paix signée du 11 décem à Francfort le 11 décembre 1871 (2), le terme fixé pour l'option entre la nationalité française et la nationalité allemande a été étendu jusqu'au 1er octobre 1872 (3) pour les individus originaires des territoires cédés qui résident hors d'Europe *.

Légitimité des cessions

Opinion des

publicistes: Fiore.

§ 3140. Quant à la question de la légitimité des cessions de de territoire. territoire imposées comme condition de paix, Fiore pense que, si elles ne peuvent être considérées comme le but que le vainqueur se propose en faisant la guerre, si elles ne sont pas non plus un droit inhérent au droit de guerre, néanmoins on ne peut dans tous les cas blâmer le vainqueur qui pose une semblable condition de paix. D'après Fiore, cette exigence extrême n'est légitime que si la cession de territoire est rendue indispensable pour prévenir de nouvelles causes de guerre dans l'avenir. D'où il conclut la règle suivante « La conquête d'un territoire ne peut pas être par ellemême une condition suffisante pour exiger la cession du territoire conquis quand le droit du vainqueur n'existe pas. Le vainqueur pourra imposer cette cession, quand elle sera justifiée par des con

(1) De Clercq, t. X.

(2) De Clercq, t. X.
(3) De Clercq, t. X.

Vattel, Le droit, liv. 1, ch. xx, § 244; liv. IV, §§ 11, 12; Wheaton, Élém., pte. 4, ch. iv, § 2; Heffter, § 182; Bluntschli, §§ 706, 707, 715; Fiore, t. II, pp. 4 et seq.; Morin, Les lois, t. II, p. 546; Kent, Com., v. I, p. 169; Halleck, ch. xxxiv, §5; Pando, p. 584; Bello, pte. 2, cap. IX, § 6; Pinheiro Ferreira, Vattel, note sur le § 11; Pradier-Fodéré, Vattel, t. III, pp. 177-181.

ditions évidentes de moralité et par un intérêt général d'assurer la paix. >>

Geffcken n'admet pas, comme Fiore, que d'après le droit international moderne la cession de territoire soit juste ou injuste suivant qu'elle est conforme ou contraire aux tendances des habitants. Il n'admet pas non plus la condition que pose Bluntschli: «< la reconnaissance de la cession par les personnes qui, habitant le territoire cédé et y jouissant de leurs droits politiques, passent au nouvel Etat. » Pour lui, l'assentiment de la population n'est que désirable, « la puissance qui dans sa souveraineté politique et législative fait la cession, voilà l'unité dont l'assentiment est seul nécessaire ; exiger la sanction spéciale de la partie cédée, ce serait dans la plupart des cas demander que le vaincu sorte de la guerre la plus injuste qu'il a commencée lui-même sans éprouver aucune perte de territoire » *.

§ 3141. Quant à nous, nous abondons dans le sens de Bluntschli et de Fiore, et nous admettons dans la même mesure que ce dernier la nécessité de la sanction donnée par la population conquise.

Ce serait assurément un non-sens que de prétendre entacher rétroactivement d'illégitimité toutes les annexions de territoire qui ont été accomplies contrairement à la volonté des populations annexées il faut le reconnaître, le droit de conquête est un des facteurs qui ont joué le plus grand rôle dans les révolutions de l'histoire.

Cependant, avec le développement actuel des idées, avec les principes universellement reconnus de l'indépendance des nations, de la souveraineté des peuples, il y a de notre temps quelque chose qui blesse les esprits libéraux à voir des populations entières soumises par le fait seul de la force à un gouvernement qu'au fond du cœur elles ne reconnaissent pas comme le leur. A une époque où la liberté de conscience est inscrite en tête de tous les Codes, ne voit-on pas l'inconséquence qu'il y a à faire ainsi violence aux sentiments sacrés de dévouement à l'Etat, de fidélité au souverain, en un mot, à la religion du patriotisme? Agir de cette façon, c'est obscurcir chez les opprimés la notion nette de leur devoir, c'est les pousser à des trahisons qui seront des actes de fidélité, c'est faire des criminels qui seront des martyrs. Mais n'y a-t-il pas une inconséquence plus frappante encore à

Fiore, § 1696; Heffter-Geffcken, pp. 438, 439; Bluntschli, § 286.

Geffcken

et

Bluntschli,

Opinion de l'auteur,

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annuler le libre arbitre d'un peuple en lui imposant une nationalité qu'il renie alors que d'un autre côté on lui octroie le suffrage universel. C'est donner d'une main pour reprendre de l'autre ; c'est établir en principe ce qu'on détruit en fait.

Le droit seul de la force est impuissant à satisfaire là-dessus la conscience publique, aussi voit-on les gouvernements qui font de semblables annexions chercher à les étayer de prétendus droits dérivés de l'histoire, de circonstances ethnographiques, nécessités stratégiques, etc. Ce sont là des arguments qui peuvent n'être pas sans valeur pour les érudits, mais ne convainquent pas les peuples; des arguments qu'on pourrait bien avancer pour appuyer les vœux et les revendications d'opprimés, mais qui, à nos yeux, ne sauraient être mis en balance avec des considérations d'une importance si manifestement supérieure.

§ 3142. Toutes les pratiques, tous les actes violents de la guerre cessent avec la signature de la paix. Les lois de la guerre ne sont plus applicables, et les lois en vigueur en temps de paix reprennent leur cours régulier. Le vainqueur perd donc tout droit de percevoir les impôts, d'ordonner des réquisitions, de lever des contributions de guerre sur le territoire ennemi encore occupé ou d'exiger les arrérages de celles qu'il n'a pas eu le temps d'encaisser pendant le cours de la guerre, quand même elles auraient été ordonnées régulièrement, conformément aux usages. Il est des traités qui contiennent une disposition spéciale à cet égard: nous mentionnerons entre autres ceux de Hubertsbourg de 1763 (article II), et de Francfort du 16 mai 1871 (article VIII). Dès que la paix est conclue, les caisses publiques ne peuvent plus être saisies par l'occupant; elles doivent être remises sans retard aux autorités régulières.

Mais lorsque l'armée se trouve en pays ennemi au moment de la conclusion de la paix, le retrait des troupes exige un certain temps; il y a donc des mesures transitoires à prendre pour la sécurité de ces troupes jusqu'à ce que l'évacuation du pays occupé soit définitivement consommée; ces mesures ne doivent en aucun cas conserver le caractère arbitraire de la guerre : tous les actes d'hostilité commis après la paix doivent être réprimés et punis, et des dédommagements alloués aux personnes qui en sont victimes *.

§ 3143. Cependant la conclusion de la paix ne met pas toujours

* Vattel, Le droit, liv. IV, §§ 24, 29; Heffter, § 180; Bluntschli, § 717.

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