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un terme à l'occupation du territoire de l'un des belligérants par l'autre. C'est ce qui a lieu lorsque, par les préliminaires ou le traité de paix, a été stipulé le paiement d'unc indemnité de guerre d'une telle importance que ce paiement ne peut s'effectuer intégralement que dans un certain délai et par des acomptes successifs, dont la quotité et les époques sont déterminées dans les conventions relatives à la paix. En garantie de l'exécution de ces arrangements et jusqu'à l'acquittement total de l'indemnité stipulée, les troupes victorieuses continuent d'occuper une partie du territoire ennemi, qu'elles doivent évacuer ou entièrement à la fois lors du paiement intégral, ou progressivement à mesure du versement des acomptes. C'est ce dernier mode d'occupation et d'évacuation que nous voyons réglementé par l'article 3 des préliminaires de paix du 26 février 1871 (1) et l'article 7 du traité du 10 mai suivant (2).

L'article 4 des préliminaires mettait à la charge du gouvernement français l'alimentation des troupes allemandes qui devaient rester en France jusqu'au 31 décembre de l'année courante. Le gouvernement français devait fournir à l'intendance militaire allemande, pour 500,000 rations de vivres et 150,000 rations de fourrages par jour, une indemnité fixée à 14 gros (1 fr. 75) pour chaque ration de vivres et à 20 gros (2 fr. 50) pour chaque ration de fourrages, le chiffre des rations devant diminuer à mesure que s'effectuerait le paiement des acomptes des frais de guerre. De plus, le gouvernement français était tenu de mettre à la disposition des troupes allemandes, dans chaque ville ou village occupé au moins par un bataillon, un escadron ou une batterie d'artillerie, tous les établissements militaires dont elles avaient besoin, avec les ameublements nécessaires, leur chauffage et leur éclairage, d'après les prescriptions des règlements prussiens (3). Mais était interdite expressément aux troupes d'occupation toute réquisition en argent ou en nature dans les départements occupés.

L'article 8 du traité de paix n'est pas moins explicite à cet égard. Il prescrit aux troupes allemandes de s'abstenir de réquisitions en nature et en argent dans les départements français qu'elles occuperont; toutefois, pour le cas où le gouvernement français serait en retard d'exécuter les obligations contractées par lui pour leur

(1) De Clercq, t. X.

(2) De Clercq, t. X.

(3) Villefort, Traités relatifs à la paix avec l'Allemagne, t. I, pp. 40 et seq.

Différence entre l'ocen

la paix et celle

pendant guerre.

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entretien, il leur reconnaît le droit de se procurer ce qui sera nécessaire à leurs besoins en levant des impôts et des réquisitions dans les départements occupés, et même en dehors de ceux-ci, si leurs ressources n'étaient pas suffisantes (1).

§ 3144. MM. Funck Brentano et Sorel font ressortir avec raison pation après la distinction essentielle qui existe entre l'occupation après la paix et l'occupation pendant la guerre. Tant que duraient les hostilités, l'Etat occupant était envahisseur; il n'avait aucun droit ni sur le territoire si sur les habitants; son pouvoir ne reposait que sur la force; cette occupation se réglait d'après les coutumes de la guerre et en subissait les nécessités. L'occupation qui a lieu en temps de paix résulte d'un traité et par conséquent repose sur un droit; l'occupant est un étranger et non un ennemi; son pouvoir est limité et déterminé par une convention; il se règle non d'après le régime de la guerre, qui repose sur la nécessité, mais d'après le régime du droit des gens en temps de paix, qui repose sur le respect des devoirs, des droits et des intérêts respectifs des États *.

Amnistie.

§ 3145. La cessation des poursuites et des actes de répression, qui est une des conséquences de la conclusion de la paix, n'est pas à proprement dire une amnistie. Ce mot en effet implique l'idée de pardon accordé par l'autorité souveraine pour des crimes punis par les lois de l'État; or pendant la guerre le souverain étranger au nom duquel se pratiquent les poursuites ou la répression n'a aucune autorité légitime sur les sujets de l'autre Etat, qui d'ailleurs ne sauraient commettre des crimes contre les lois d'un Etat dont ils ne dépendent pas. Il n'y a entre ces individus et le souverain étranger que des relations de fait, et le traité ne peut que constater la cessation de ces relations et des conséquences qu'elles entraînaient.

puisqu'on a conservé le terme -

L'amnistie spécifiée ou impliquée par le traité de paix comprend exclusivement les actes coupables qui ont été commis durant la guerre et qui n'ont pas éte réprimés conformément aux lois militaires avant la cessation des hostilités. Toutefois le bénéfice n'en est pas applicable à ceux des actes que ne tolèrent ou n'excusent point les usages de la guerre, lorsque l'Etat duquel dépendent les coupables considère ces actes

(1) Villefort, t. I, p. 69.

Funck Brentano et Sorel, p. 326; Hall, International law, p. 482; Bluntschli, $$ 705, 716.

comme des crimes de droit commun et autorise les poursuites contre ses sujets. L'amnistie ne s'étend pas non plus aux délits commis pendant la guerre sur un territoire neutre par les sujets de l'un des belligérants au préjudice de ceux de l'autre, l'Etat neutre ne perdant en aucune circonstance le droit de réprimer ou de punir les atteintes portées à l'ordre public daus les limites de sa juridiction. Il est superflu d'ajouter que l'amnistie s'applique encore moins aux dommages et aux délits antérieurs à la guerre ou étrangers à la cause de la guerre. Dans tous les cas, les peines prononcées par les conseils de guerre ne sont pas supprimées par la conclusion de la paix.

Comme nous l'avons déjà dit, la clause d'amnistie est souscntendue dans certains traités, et formulée en termes exprès dans d'autres.

§ 3146. Ainsi l'acte final du congrès de Vienne en date du 9 juin 1815 (1), après avoir partagé le duché de Varsovie entre la Russie et la Prusse et cédé à cette dernière une partie des possessions du roi de Saxe, stipule par rapport aux Polonais, article 9: « Il y aura amnistie pleine, générale et particulière en faveur de tous les individus de quelque rang, sexe ou condition qu'ils puissent être. >> Article 12: « Par suite de l'article précédent, personne ne pourra à l'avenir être recherché ou inquiété en aucune manière pour cause quelconque de participation directe ou indirecte, à quelque époque que ce soit, aux événements politiques, civils ou militaires en Pologne. Tous les procès, poursuites ou recherches seront regardés comme non avenus; les séquestres ou les confiscations provisoires seront levés, et il ne sera donné suite à aucun acte provenant d'une cause semblable. » Article 13: « Sont exceptés de ces dispositions générales à l'égard des confiscations tous les cas où les édits et les sentences prononcés en dernier ressort auraient déjà reçu leur entière exécution et n'auraient pas été annulés par des événements subséquents. » En ce qui concerne les Saxons, l'article 22 porte: «< Aucun individu, domicilié dans les provinces qui se trouvent sous la domination de S. M. le roi de Saxe, ne pourra, non plus qu'aucun individu domicilié dans celles qui passent par le présent traité sous la domination de S. M. le roi de Prusse, être frappé dans sa personne, dans ses biens, rentes, pensions et revenus de tout genre, dans son rang et ses dignités, ni poursuivi ni recherché

(1) De Clercq, t. II, p. 567; Russie, t. I, p. 165; Martens, Nouv. recueil, t. II, p. 379.

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en aucune façon quelconque, pour aucune part qu'il ait pu, politiquement ou militairement, prendre aux événements qui ont eu lieu depuis le commencement de la guerre terminée par la paix conclue à Paris le 30 mai 1814 (1). Cet article s'étend également à ceux qui, sans être domiciliés dans l'une ou dans l'autre partie de la Saxe, y auraient des biens-fonds, rentes, pensions ou revenus de quelque nature qu'ils soient. »

Nous trouvons une disposition analogue dans le traité de Prague intervenu entre la Prusse et l'Autriche le 23 août 1866 (2), par lequel la première de ces puissances s'incorpore définitivement les duchés détachés du Danemark à la suite de la guerre de 1864; l'article 10 porte: « Aucun habitant des duchés de Holstein et de Sleswig et aucun sujet de Leurs Majestés l'empereur d'Autriche et le roi de Prusse ne seront poursuivis, inquiétés ou repris dans leur personne et leurs biens pour leur conduite politique pendant les derniers événements et pendant la guerre. »

Enfin, dans le traité signé à Francfort-sur-le-Mein le 10 mai 1871 (3), qui enlève l'Alsace et la Lorraine à la France, il est dit à l'article 2«< Aucun habitant des territoires cédés ne pourra être poursuivi, inquiété ou recherché dans sa personne ou dans ses biens à raison de ses actes politiques ou militaires pendant la guerre . » § 3147. Une des conséquences nécessaires et logiques de l'amnistie, c'est que, dès que la paix est signée, les prisonniers doivent être remis en liberté (4). Cette libération est de droit; seulement, comme il pourrait y avoir des inconvénients et même des dangers à relâcher les prisonniers, surtout lorsqu'ils sont en grand nombre, sans les astreindre à une certaine discipline, il est d'usage de les reconduire dans leur pays sous la surveillance des autorités militaires. Quant au remboursement des frais occasionnés par l'entre

(1) De Clercq, t. II, p. 414; Neumann, t. II, p. 462; Savoie, t. IV, p. 1; Russie, t. I, p. 3; Martens, Nouv. recueil, t. II, p. 1; State papers, v. 1, p. 151; Bulletin des lois, 1814, no 16; Angeberg, Congrés, p. 161.

(2) Archives dipl., 1866, t. III, p. 197; Moniteur, 1866, p. 1084.
(3) De Clercq, t. X.

Vattel, Le droit, liv. IV, §§ 20 et seq.; Grotius, Le droit, liv. III, ch. xx, § 15; Wheaton, Elém., pte. 4, ch. Iv, § 3; Kent, Com., v. I, p. 171; Heffter, § 180; Bluntschli, §§ 710 et seq.; Martens, Précis, § 333; Klüber, Droit, § 324; Halleck, ch. xxxiv, § 9; Pando, p. 582; Bello, pte. 2, cap. IX, § 6; Riquelme, lib. I, tit. 1, cap. xIII; Ompteda, Lit., § 327; Kamptz, Neue lit., § 329; Moser, Versuch, t. X, pte. 2, ch. II, p. 522; Steck, De amnestia, no 13; Pinheiro Ferreira, Vattel, note sur le § 20; Funck Brentano et Sorel, p. 316.

(4) Voir pte. 5, liv. V, sect. 1.

tien des prisonniers durant leur captivité et par leur transport jusqu'à la frontière, il peut faire l'objet d'arrangements particuliers entre les Etats contractants; mais, que cé remboursement soit exigé ou non, la discussion de cette question ne saurait entraver le rapatriement des prisonniers.

§ 3148. Dans sa dernière guerre avec la France, la Prusse a mis certaine restriction à la libération des prisonniers : elle a retenu en captivité, malgré la signature de la paix, ceux qui, pour infraction à la discipline que leur imposait l'autorité du lieu où ils étaient prisonniers, avaient été condamnés à l'emprisonnement par la juridiction militaire locale. L'Allemagne, à ce qu'il paraît, considère ces infractions comme équivalentes à des délits communs, et tous les prisonniers français condamnés ont été retenus jusqu'à ce que l'empereur d'Allemagne ait daigné leur faire grâce; encore ne l'a-t-il fait qu'à condition que la plupart achèveraient le terme de leur détention dans les prisons de leur pays. La France n'a pas, que nous sachions, usé de réciprocité sur ce point; aucune réserve n'a été mise au rapatriement des prisonniers allemands. Quant à nous, les hostilités ayant cessé et les prisonniers devant être par conséquent réintégrés dans leur état d'avant la guerre, il nous semble juste et logique que les infractions disciplinaires soient réputées. non avenues, quand même il y aurait déjà condamnation; car ces infractions sont en quelque sorte le résultat de l'état de captivité, et les conséquences doivent n'en plus subsister du moment que cesse

cet état.

Dans le traité de paix du 31 mai 1871 (1), la rentrée des prisonniers en France est entourée de garanties exceptionnelles, motivées par leur grand nombre; l'article 10 dit en effet : « Le gouvernement allemand continuera à faire rentrer les prisonniers de guerre, en s'entendant avec le gouvernement français. Le gouvernement français renverra dans leurs foyers ceux de ses prisonniers qui sont libérables. Quant à ceux qui n'ont point achevé leur temps de service, ils se retireront derrière la Loire... Vingt mille prisonniers seront dirigés sans délai sur Lyon, à condition qu'ils seront expédiés immédiatement en Algérie, après leur organisation, pour être employés dans cette colonie *. >>

§ 3149. Le traité de paix n'invalide pas les engagements con

(1) De Clercq, t. X.

Heffter, § 181; Bluntschli, § 716; Morin, Les lois, t. II, pp. 549, 550; Hall, International law, p. 482; Bluntschli, § 717.

Guerre franco-allemande en 1870-1871.

Portée du

traité quant aux contrats et aux obligations;

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