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ses sujets qui agissent dans l'ignorance de la conclusion de la paix. Telle a été la jurisprudence adoptée dans l'affaire du Mentor, navire nord-américain capturé et détruit par des Anglais, en dehors de la baie de Delaware, postérieurement à la cessation des hostilités entre les États-Unis et la Grande-Bretagne en 1783.

Capture

du Mentor.

Délai fixé

pour la cessa

tilités.

§ 3156. Il peut arriver qu'un délai ait été fixé par le traité de paix pour la cessation des hostilités à un endroit spécifié et qu'avant tion des hosl'expiration de ce délai, mais avec connaissance de la paix, une prise ait été faite. En pareil cas, la prise est-elle légitime? Les juristes ont émis des opinions différentes à ce sujet.

publicistes: Emerigon,

Kent.

§ 3157. Le juge des États-Unis Kent partage l'opinion d'Emerigon Opinion des que la prise serait illégitime, par la raison que si la connaissance de la paix par interprétation après l'époque limitée dans les différentes parties du monde rend la prise nulle, la connaissance positive de la paix doit d'autant plus produire cet effet. Phillimore approuve ce raisonnement, qu'il recommande à la pra- Phillimore. tique des États.

Wheaton, tout en partageant cette manière d'envisager la question, émet le doute qu'en pareil cas il ne faille pour soumettre le capteur aux conséquences légales de la connaissance positive rien de moins que la notification officielle de son gouvernement.

§ 3158. C'est par suite de l'absence d'un document de cette nature que le conseil des prises en France rendit le 22 avril 1803 une décision favorable au corsaire français la Bellone contre le navire anglais le Swineherd, qu'il avait capturé avant l'expiration du délai fixé par le traité préliminaire de paix signé le 1er octobre 1801 entre la France et l'Angleterre. Cette décision était fondée sur la double circonstance que le capitaine de la Bellone n'avait été informé de l'existence des préliminaires de paix par aucun document revêtu d'un caractère authentique, attendu que la proclamation du roi d'Angleterre à cet effet, dont il avait eu, il est vrai, connaissance, n'était accompagnée d'aucune attestation d'autorités françaises, et qu'au surplus la Bellone s'était emparée du Swineherd lorsque le délai pour la cessation des hostilités indiqué par la proclamation royale pour la zone dans laquelle la prise avait été faite, avait encore quatorze jours à courir à la date de la capture (24 février).

L'exposé de la loi concernant le défaut de connaissance suffisante de la cessation de toute hostilité », fait dans cette affaire par l'avocat général Collet Descotils, mérite d'être rapporté :

« J'en reviens, dit-il, à l'opinion d'Émerigon et de Valin je

Wheaton.

Capture du navire anglais Swineherd français

par le corsaire

Bellone.

la

Exposé dé défaut de con

la loi sur le

naissance de la cessation des hostilités.

pense comme eux qu'un corsaire, qui a une connaissance positive de la paix avant de rencontrer un bâtiment qui auparavant était ennemi, n'a pas le droit de l'arrêter, hors toutefois le cas d'une légitime défense, encore bien que les délais pour la validité des prises ne soient pas encore expirés.

<< Mais qu'entend-on par connaissance positive de la paix ? Ces auteurs en parlent; mais aucun ne la définit. Je vais tâcher de le faire d'après les principes de la raison et de suppléer par là au silence qu'ils gardent sur ce point.

<< La connaissance dont il s'agit doit être certaine, assurée, indubitable; elle doit émaner médiatement, ou immédiatement de la puissance à laquelle appartient l'armateur, et, si l'on veut, de l'une ou de l'autre des deux puissances contractantes.

Cette connaissance doit être telle qu'elle prévienne ou dissipe tous les doutes, toutes les incertitudes, toutes les craintes, tous les dangers que pourrait courir le corsaire; elle doit, en même temps qu'elle paralyse les lettres de marque, qu'elle impose au corsaire le devoir de s'abstenir de toutes les hostilités, le mettre luimême à l'abri de la capture; elle doit enfin être transmise par des pièces authentiques et légales qui prémunissent les corsaires contre le danger, en se retirant dans un des ports de leur nation, d'être pris par quelque navire cnnemi non encore informé de la conclusion de la paix.

Il s'en faut donc de beaucoup que je sois de l'opinion qu'une ignorance absolue de la paix soit nécessaire pour qu'une saisie faite avant l'expiration des délais soit valable; l'admettre, c'est supposer qu'un bruit incertain, qu'une nouvelle douteuse, qu'un rapport dont aucune pièce authentique ne garantit la vérité soient suffisants pour mettre un corsaire dans l'obligation indispensable de cesser sa croisière et de rentrer dans le port de son armement, tout en demeurant exposé au danger d'être capturé pendant le temps de sa retraite.

« Je ne saurais convenir, avec le capitaine Black, que dans le cas d'une simple annonce de paix non valablement justifiée le corsaire n'ait le droit d'arrêter que provisoirement, sauf à relâcher le navire, sans être susceptible de dommages et intérêts, si la nouvelle se trouve vraie, ou à en poursuivre la confiscation, si elle se trouve fausse.

« Au moment même de l'arrestation, la saisie est bonne, ou elle est nulle, selon que le corsaire n'a point ou qu'il a la connaissance. positive de la paix. S'il l'a, le navire doit être relâché avec dom

mages et intérêts; s'il ne l'a point, la saisie est valable et la confiscation doit être prononcée. »

Capture de la Nymphe

Renommée.

§ 3159. Une décision tout à fait différente fut rendue quelques jours après, le 25 avril 1803, par le même conseil des prises dans par la Petitel'affaire du navire anglais la Nymphe, capturé par le corsaire français la Petite-Renommée, parce qu'il fut prouvé que, bien que la prise eût été faite avant l'expiration des délais fixés par le traité préliminaire de paix, le capteur avait eu connaissance suffisante de l'existence de la paix; car « les délais ne sont convenus par les puissances contractantes que pour fixer un terme après lequel aucune prise ne saurait être faite et déclarée valable et pour prévenir de cette sorte les plaintes et les réclamations, mais nullement pour décider à l'avance la légalité des prises faites injustement et en connaissance parfaite de l'état de paix avant l'expiration des délais fixés. »

Voici en effet quelle était la position respective du bâtiment capteur et du bâtiment capturé par rapport à la connaissance de la signature des préliminaires de paix entre la France et l'Angleterre le 1er octobre 1801:

La Petite-Renommée, chaloupe armée de deux pierriers, partie le 23 novembre 1801 du port de la Liberté de la Guadeloupe pour se rendre à la Terre-Ferme, s'était emparée dans la nuit du 30 du même mois du navire anglais la Nymphe, parti de Corté en Irlande le 17 octobre, sept jours après la publication officielle de l'échange fait le 10 du même mois des ratifications du traité de paix, et mouillé à la Basse-Terre de Saint-Christophe, où il devait se croire à l'abri de toute hostilité, puisque la nouvelle officielle de la paix avait été publiée depuis longtemps à Saint-Christophe et dans toutes les Antilles.

De son côté, la Petite-Renommée avait quitté le port de la Liberté près de deux mois après la conclusion de la paix, qu'il était censé d'autant moins ignorer alors que plusieurs jours avant son départ la nouvelle en avait été apportée à la Guadeloupe par une frégate anglaise et par un parlementaire du gouverneur de la Dominique, auquel le gouverneur militaire de la Guadeloupe avait répondu le 15 novembre que « par ce double message les deux villes principales de la colonie avaient été instruites à la même heure d'une nouvelle si importante. » Malgré l'existence de cette lettre, le 20 novembre, c'est-à-dire cinq jours après la date, une commission en course avait été délivrée à la Petite-Renommée, qui avait quitté le port de la Liberté huit jours après l'aveu fait par l'autorité dominant à la Guadeloupe de la connaissance de la paix.

traités de paix.

Devant le tribunal appelé à prononcer sur la légalité de la prise, le capteur prétendit qu'on ne pouvait reconnaître pour information officielle de la paix conclue que celle donnée par le gouvernement même du pays, qu'autrement on serait exposé à devenir victime de la confiance qu'on aurait eue dans une fausse nouvelle venue de l'ennemi; or dans l'espèce la nouvelle émanait uniquement d'autorités anglaises. Le tribunal n'admit pas cette défense, considérant qu'une fausse nouvelle de paix donnée officiellement par des commandants militaires d'une nation avec laquelle on se trouvait en guerre serait sans doute un acte de perfidie sans précédent et qu'il n'y avait pas lieu d'invoquer dans le cas dont il s'agissait. La prise fut donc déclarée nulle, illégale et contraire au droit des gens *.

Étendue de § 3160. Les traités de paix sont également valables, qu'ils se la force obligatoire des concluent avec les autorités qui ont déclaré la guerre ou avec un autre gouvernement de facto nouvellement établi. Il est de principe en effet que les nations n'ont ni à s'immiscer dans les affaires intéricures d'aucune autre, ni à se préoccuper des titres du parti qui possède l'autorité souveraine. Elles ne doivent tenir compte que du fait de la possession de cette autorité et des pouvoirs dont ceux qui la possèdent sont investis par la forme de gouvernement existant ou par les lois fondamentales en vigueur au moment de la négociation du traité. Lors donc qu'un traité de paix a été régulièrement conclu par les personnes compétentes, il est obligatoire pour la nation entière, et partant pour tous les gouvernements qui se succèdent au pouvoir; en d'autres termes, les puissances contractantes et leurs sujets sont tenus d'en exécuter fidèlement les stipulations.

Il va sans dire que quand ces traités renferment des clauses, telles que des engagements financiers ou des cessions de territoire, qui pour être réalisées ont besoin de la sanction préalable du pouvoir législatif, ces clauses sont assimilées à une obligation conditionnelle et ne sont pas exécutoires de plein droit ; néanmoins, la foi publique se trouvant engagée, on peut affirmer qu'à moins de considérations

* Vattel, Le droit, liv. IV, § 24; Grotius, Le droit, liv. III, ch. xx, § 20; Heffter, § 183; Phillimore, Com., v. III, §§ 518-521; Wheaton, Elém., pte. 4, ch. IV, § 5; Kent, Com., v. I, pp. 172, 173; Bluntschli, § 709; Wildman, v. I, pp. 158 et seq.; Halleck, ch. XXXIV, §§ 15, 16; Bello, pte. 2, cap. IX, § 6; Pando, p. 583; Riquelme, lib. I, tit. 1, cap. XII; Pistoye et Duverdy, t. I, p. 141; Azuni, Système, t. II, p. 227; Robinson, Adm. reports, v. I, p. 121; de Cussy, liv. II, ch. xix, §§ 2, 3; Hall, International law, p. 487; Boeck, Propriété privée ennemie, § 242.

d'un ordre majeur le refus de sanction de la part de la législature équivaut à un outrage international.

Quelquefois encore certaines clauses des traités de paix rendent nécessaires des arrangements ultérieurs ou complémentaires; les parties s'entendent à cet effet par des conventions additionnelles spéciales, ou bien elles nomment des commissions chargées d'aviser et de veiller au mode d'exécution. Ainsi le traité principal intervenu entre l'Allemagne et la France le 10 mai 1871 (1) a été suivi de plusieurs conventions de ce genre, au nombre desquelles nous citerons celle qui a été signée à Francfort le 11 décembre 1871 (2) et qui a trait notamment à la compétence judiciaire, aux mines, aux routes, aux canaux, aux forêts, aux propriétés domaniales, départementales et communales, aux chemins de fer dans les territoires cédés *.

§ 3161. Quand il existe des alliances entre un des belligérants et d'autres nations, il est évident que ces dernières doivent être comprises dans le traité de paix conclu par le premier : c'est ce qui a eu lieu à Nimègue en 1678 et en 1679 (3), à Ryswick en 1697 (4), à Utrecht en 1713 (5), à Paris en 1814 (6) et en 1856 (7).

Vattel dit que si un des alliés insiste pour constituer la guerre après que le but de l'alliance a été atteint, les autres alliés ont le droit de traiter seuls et par eux-mêmes. Il est toutefois assez difficile de préciser les circonstances dans lesquelles une semblable éventualité peut se présenter; car on doit avant tout s'en tenir à l'esprit et à la lettre des stipulations convenues (8) **.

(1) De Clercq, t. X.

(2) De Clercq, t. X.

Vattel, Le droit, liv. IV, §§ 35, 36; Kent, Com., v. I, pp. 168, 169; Heffter, § 184; Morin, Les lois, t. II, pp. 156 et seq.; Bello, pte. 2, cap. ix, § 6; Pando, p. 582; Riquelme, lib. I, tit. 1, cap. XIII; Halleck, new ed. Baker, ch. IX, § 13.

(3) Dumont, t. VII, pte. 1, pp. 350, 357, 365, 376, 389, 399, 432, 437; Léonard, t. III, IV, V.

(4) Dumont, t. VII, pte. 2, pp. 381, 399, 408, 422.

(5) De Clercq, t. I, p. 1; Calvo, t. II, pp. 109, 115; Savoie, t. II, pp. 281, 325; Castro, t. II, p. 243; Cantillo, p. 87; Dumont, t. VIII, pte. 1, pp. 336, 339, 353, 356, 362, 393, 401; State papers, v. XXXV, p. 815.

(6) De Clercq, t. II, p. 414; Neumann, t. II, p. 462; Savoie, t. IV, p. 1; Russie, t. I, p. 3; Martens, Nouv. recueil, t. II, p. 1; State papers, v. I, p. 151; Bulletin des lois, 1814, no 16; Angeberg, Congrés, p. 161.

(7) De Clercq, t. VII, p. 59; Neumann, t. VI, p. 274; Savoie, t. VIII, p. 380; Martens-Samwer, t. II, p. 770; Bulletin des lois, 1856, no 381; Ann. des Deux-Mondes, 1855-1856, p. 901; Lesur, 1856, app., p. 7. (8) Voir Alliances, pte. 2, liv. III.

Vattel, Le droit, liv. IV, SS 15, 16; Kent, Com., v. I, pp. 170, 171;

En cas d'alliance.

Vattel,

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