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est réellement perpétuelle, si clle ne permet pas de réveiller jamais la même guerre en reprenant les armes pour la cause qui l'avait allumée. »

Un traité de paix peut se rompre de deux manières soit par une conduite contraire à l'essence de tout pacte pacifique, comme, par exemple, la reprise des hostilités sans motif plausible après le délai convenu pour la fin de la lutte ou en invoquant de nouveau la cause qui a motivé la guerre; soit par l'infraction à quelqu'une des clauses du traité, chacune de ces clauses devant, selon la doctrine de Grotius, être considérée comme solidaire des autres.

Les stipulations relatives aux prises, aux blocus, aux prisonniers et à la contrebande de guerre ne peuvent être annulées qu'en vertu de nouvelles conventions; mais les obligations des traités, même de ceux qui sont perpétuels, expirent toujours lorsqu'une des parties contractantes cesse d'être indépendante ou éprouve dans son état une modification incompatible avec la lettre et l'esprit de ces traités *.

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V Vattel, Le droit, liv. II, §§ 183 et seq.; Wheaton, Elém., pte. 3, ch. II, $$ 9, 10; Martens, Précis, § 58; Heffter, §§ 98, 99; Ortolan, Règles, t. I, p. 101; Kent, Com., v. I, pp. 175 et seq; Halleck, ch. xxxvi, §7; Wildman, v. I, p. 176; Schmalz, liv. II, ch. vIII.

LIVRE II

DU DROIT DE POSTLIMINIE ET DU DROIT DE REPRISE

Définition

du droit de postliminie.

§ 3169. Sur certains points, au sujet desquels le traité de paix garde le silence ou ne renferme aucune disposition expresse ou implicite concernant les droits ou les propriétés qui ont subi un changement de facto pendant les vicissitudes de la guerre, il y a lieu d'appliquer quelques règles de justice, lorsque la guerre est terminée, afin d'établir la condition de ces droits ou de ces biens, qu'ils appartiennent à une nation ou à une personne privée. Ces règles constituent ce qu'on appelle le droit de postliminie.

Le droit de postliminie (jus postliminii) est une fiction juridique (1) en vertu de laquelle les choses ou les personnes qui sont tombées au pouvoir de l'ennemi recouvrent leur état primitif lorsqu'elles rentrent sous la puissance de la nation à laquelle elles appartenaient avant la guerre, et que dans ce cas elles sont censées n'avoir jamais quittée. L'acte de la capture se confondant en quelque sorte avec celui de la reprise ou de la réintégration dans l'ancien status, on suppose que les individus ou les objets saisis

(1) Dans son commentaire sur le Droit des gens moderne de l'Europe par G.-F. de Martens, Pinheiro Ferreira fait un reproche à cet auteur d'avoir employé le mot fiction pour définir le principe de postliminie. Mar tens, comme tous les publicistes qui ont agi de même, n'a fait en cela qu'interpréter le texte latin qui consacre l'existence du droit en question. On lit dans les Institutes (1, 12, 5): Postliminium fingit eum qui captus est in civitate semper fuisse. (La postliminie FEINT ou suppose que celui qui a été fait prisonnier a toujours été dans la ville.) Nous nous croyons donc suffisamment autorisé à nous servir de l'expression adoptée par les auteurs qui nous ont précédé.

n'ont perdu un seul instant ni leur caractère national ni leurs qualités civiles, non plus par conséquent les droits qui y étaient attachés et dont l'exercice n'aurait ainsi été que suspendu pendant la

guerre.

Bluntschli définit la postliminie « le rétablissement de l'ordre de choses renversé par la guerre ».

L'expression de postliminie vient du droit romain; la législation internationale moderne ne lui a cependant pas conservé la signification circonscrite que lui donnaient les lois romaines, qui, s'inspirant des conditions historiques et du régime particulier consacré pour la constitution de la société et de la famille, avaient attribué au droit de Postliminie un caractère privé plutôt que public. C'est pour ne s'être pas arrêté à cette considération que Hallam a été amené à penser que le droit de postliminie est tellement subordonné aux fictions des jurisconsultes romains qu'on ne saurait l'admettre comme faisant partie du droit des gens universel et que son application, même par analogie, est sans portée dans les temps modernes. Ce qui de nos jours distingue principalement le droit de postliminie de ce qu'il était dans les temps anciens, c'est que, tout en conservant sa portée dans le droit privé, il a un caractère essentiellement public; il n'est point limité aux membres d'une seule nation, mais s'étend à ceux de toutes les nations et se retrouve par conséquent dans les relations des nations entre elles *.

§ 3170. Quelques auteurs ont prétendu que le droit de Postliminie est fondé sur le devoir imposé aux États de protéger la personne et les biens de leurs sujets contre les opérations de l'ennemi. Cette raison peut bien entrer pour quelque chose dans la constitution de ce droit; mais elle ne saurait lui servir de base, attendu qu'elle a un caractère purement individuel. Le droit dont il s'agit repose sur une base plus large, sur un principe supéricur, qui en explique le caractère à la fois privé et public ou international. Ce principe, c'est la souveraineté des nations, raison suprême qui domine et résout ce genre de questions; car, comme Heffter le dit avec raison, « il y

Grotius, Le droit, liv. III, ch. IX, § 1; Vattel, Le droit, liv. III, § 204; Wheaton, Elém., pte. 4, ch. 1, § 17; Heffter, § 187; Phillimore, Com., v. III, $$ 403, 809; Kent, Com., v. I, p. 114; Bynkershoek, Quæst., lib. I, cap. XVI; Martens, Précis, § 283; Klüber, Droit, § 257; Bluntschli, § 727; Fiore, t. II, pp. 348 et seq.; Cauchy, t. I, pp. 187 et seq.; Garden, Traité, t. II, p. 392; Rayneval, Inst., liv. III, ch. xvIII, § 1; Bello, pte. 2, cap. iv, § 8; Pando, pp. 404 et seq.; Hallam, Hist., t. III, p. 309; Ompteda, Lit., § 328, Kamptz, Neue lit., § 313; Pradier-Fodéré, Grotius, t. III, pp. 197 et seq.; Hall, Int. law, pte. 3, cap. v, § 162.

Fondement de ce droit.

Son étendue.

Immeubles.

a des droits légitimes qui ne peuvent se perdre par le seul fait de la guerre. >>

<<< Les droits dûment acquis, ajoute Phillimore, ne peuvent être éliminés d'une façon permanente, soit par l'action d'un particulier, soit par celle d'un État ennemi, sans le consentement de l'Etat auquel appartient le propriétaire primitif *. »

Le droit de propriété, dit Fiore, est sacré et inviolable durant la guerre comme durant la paix, et si la possession, en ce qui concerne le propriétaire légitime, était interrompue par un fait de guerre, et si la chose retournait ensuite au propriétaire primitif, avant que le belligérant ne l'eut confisquée légalement, ce propriétaire rentrerait dans la jouissance de ses droits, non par suite d'une fiction juridique, mais en vertu du droit réel indestructible qui leur appartient sur la chose, tant qu'il n'y a pas volontairement renoncé, on n'en a pas été légalement exproprié, dans le cas et dans les formes établis par la loi **. »

§ 3171. L'étendue de ce droit n'est point absolue; elle se modifie naturellement selon la nature particulière des événements auxquels il se rapporte. La loi de l'ancienne Rome l'appliquait indistinctement aux objets mobiliers et aux immeubles.

§ 3172. Depuis le moyen âge le respect de la propriété privée, que les progrès de la civilisation ont imposé aux belligérants, rend assez rare l'application de la règle du Postliminium, qui s'applique en général uniquement aux immeubles; mais le principe n'en subsiste pas moins, et toutes les fois que des biens immobiliers appartenant à des particuliers et séquestrés par l'ennemi rentrent dans le domaine éminent de la nation de laquelle les propriétaires dépendent, ces biens bénéficient du droit de retour. Ainsi, lors de la conclusion de la paix entre la France et l'Allemagne, les compagnies de chemins de fer français ont non seulement repris la libre et complète exploitation de leurs lignes respectives; mais encore les autorités allemandes ont consenti à leur restituer le matériel roulant qu'elles avaient approprié à l'usage des armées d'occupation et même transporté en partie en Allemagne.

L'application du droit de Postliminie aux biens immeubles fait naître des questions d'une grande importance à cause des aliéna

* Vattel, Le droit, liv. III, § 205; Heffter, § 187; Bluntschli, § 727; Fiore, t. II, p. 351; Martens, Précis, § 283; Klüber, Droit, §§ 258, 259; Phillimore, Com., v. III, §§ 538, 539; Halleck, ch. xxxv, § 2; Bello, pte. 2, cap. iv, § 8; Pfeiffer, Das Recht, pp. 40 et seq.

Fiore, § 1707.

tions qui peuvent avoir été opérées plus ou moins injustement pendant le cours d'une occupation militaire. Nous ne pouvons que nous en référer à ce que nous avons dit à ce sujet à propos des conséquences de la guerre (1).

La règle peut se résumer ainsi : les biens immeubles dont l'ennemi s'était emparé retournent à leurs propriétaires légitimes d'avant la guerre, si l'ennemi vient à être repoussé; et si celui-ci, pendant qu'il les occupait, les a aliénés, pareille aliénation est considérée comme nulle et n'infirme pas la revendication des propriétaires dépossédés. Cependant le traité de paix peut stipuler des dispositions spéciales, voire même contraires, à cet égard.

§ 3173. En ce qui concerne les choses mobilières, le caractère distinct que les législations modernes leur attribuent ne permet plus de les assujettir à l'exercice du droit de postliminie; on en excepte du moins les objets qui, d'après les usages généraux ou les lois intérieures, sont devenus propriétés ennemies à titre de butin de guerre.

« Il n'y a, dit Vattel, aucune raison intrinsèque d'en excepter les biens mobiliers. Mais la difficulté de reconnaître les biens de cette nature et les différends sans nombre qui naîtraient de leur revendication ont fait établir généralement un usage contraire. Joignez à cela que le peu d'espérance qui reste de recouvrer des effets pris par l'ennemi et une fois conduits en lieu de sûreté fait raisonnablement présumer qu'ils sont abandonnés par les anciens propriétaires. C'est donc avec raison qu'on excepte du droit de postliminie les choses mobilières ou le butin, à moins qu'il ne soit repris tout de suite à l'ennemi qui venait de s'en saisir: auquel cas il n'est ni difficile à reconnaître, ni présumé abandonné par le propriétaire. Or, la coutume étant une fois reçue et bien établie, il serait injuste d'y donner atteinte. >>

Cependant quelques publicistes admettent le droit de postliminie à l'égard de toutes les choses mobilières, prétendant que les lois intérieures ou les conventions publiques peuvent seules déroger à cette règle.

Quoi qu'il en soit, on ne saurait nier à un propriétaire le droit de chercher à reprendre les objets que l'ennemi lui a enlevés, surtout si la spoliation a eu lieu contrairement aux lois de la guerre. Il n'y a pas là, il est vrai, à proprement parler, application du droit

(1) Voir pte. 2, liv. VI, sect. 1.

Meubles.

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