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Législation française.

Ordonnance

du

feuille et Gessner, ne sont cependant pas encore entrées dans les usages et les règles du droit des gens *.

§ 3188. Le principe consacré en France est que le navire capturé par un ennemi et repris par un armateur français avant d'ètre resté vingt-quatre heures au pouvoir du capteur doit, ainsi que sa cargaison, être restitué aux propriétaires, sauf le tiers de la valeur, qui est retenu au profit de celui qui a fait la recousse. L'ancienne législation française n'établissait point de distinction entre la reprise faite par un navire de guerre et celle opérée par un corsaire. Sous le règne de Louis XIV on accordait la restitution, alors même qu'il s'était écoulé un plus long délai, moyennant le paiement d'une gratification à ceux qui avaient opéré la reprise.

Ce mode de procéder fut confirmé par l'ordonnance du 15 juin 15 juin 1779. 1779, laquelle disait : « En ce qui concerne les reprises faites par les vaisseaux, frégates et autres bâtiments de S. M., le tiers sera adjugé à leur profit pour droit de recousse, si elle a été faite dans les vingt-quatre heures: et après ce délai la reprise sera adjugée en entier à S. M., comme par le passé. »

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Depuis il s'est opéré une réaction dans le sens favorable aux droits du propriétaire. L'arrêté du 2 prairial an XI, qui règle encore aujourd'hui la matière, a modifié les dispositions des ordonnances royales précédentes en ce qui concerne les reprises faites par les vaisseaux de guerre; mais sur les autres points il a en général laissé subsister les anciens règlements. L'article 54 est ainsi conçu : « Si un navire français ou allié est repris par des corsaires sur les ennemis de l'Etat après qu'il aura été vingt-quatre heures entre les mains de ces derniers, il appartiendra en totalité auxdits corsaires; mais dans le cas où la reprisc aura été faite avant les vingt-quatre heures, le droit de recousse ne sera que du tiers de la valeur du navire recous et de sa cargaison.

« Lorsque la reprise sera faite par un bâtiment de l'Etat, elle sera restituée aux propriétaires, mais sous la condition qu'ils paieront aux équipages repreneurs le trentième de la valeur de la reprise, si elle a été faite avant les vingt-quatre heures, et le dixième, si la reprise a eu licu après les vingt-quatre heures ; tous les frais relatifs à cette reprise restituée seront à la charge des propriétaires. >>

* Gessner, pp. 344 et seq.; Grotius, Le droit, liv. III, ch. vi, § 3; ch. IX, § 14; Bynkerskoek, Quæst, lib. I, cap. v; Martens, Essai, § 45; Massé, t. I, § 424; Hautefeuille, Des droits, t. III, pp. 385 et seq.; Boeck, Propriété privée ennemie, § 311; Bluntschli, §§ 741, 859-862.

Les armateurs conservent dans toute son étendue leur droit de recousse, qui demeure fixé au tiers de la valeur dans le premier cas, et à la totalité du navire et de sa cargaison dans le second *.

§ 3189. La jurisprudence anglaise n'est pas aussi restrictive. Il a été pendant longtemps d'usage en Angleterre de restituer au propriétaire toutes les reprises faites par les vaisseaux de guerre moyennant le paiement d'un droit de recousse, dont le montant n'était pas fixé d'une manière précise, mais variait selon les circonstances qui avaient accompagné la reprise. Le même principe était appliqué aux reprises faites par des corsaires, à moins qu'elles n'eussent été opérées intra præsidia; la restitution se faisait dans ce cas pleine et entière. Cet usage subsista jusqu'à la fin du dix-septième siècle, époque à laquelle il fut remplacé par la législation qui est encore en vigueur aujourd'hui.

Attachant désormais peu d'importance à la question de temps, qui jusque-là avait été prise en si haute considération, la première loi promulguée sur la matière allouait au vaisseau de guerre qui faisait une reprise un huitième de la valeur du navire et de la cargaison, sans égard au délai, dont il n'était plus tenu compte que pour les reprises faites par des armateurs, qui avaient également droit à un huitième, si le navire pris était resté moins de vingt-quatre heures au pouvoir de l'ennemi; à un cinquième, s'il y était demeuré plus de vingt-quatre heures et moins de quarantehuit; à un tiers, s'il s'était écoulé plus de quarante-huit heures, mais moins de quatre-vingt-seize entre la prise et la reprise; enfin à la moitié pour un intervalle dépassant quatre-vingt-seize heures. Cette règle a reçu de fréquentes applications et a été confirmée par de nombreux actes du Parlement, notamment par celui de 1740.

Au commencement de la guerre avec ses colonies d'Amérique, la Grande-Bretagne, ne regardant pas ses sujets révoltés comme de

Hautefeuille, Des droits, t. III, pp. 379, 380; Pistoye et Duverdy, t. II, pp. 104 et seq.; Massé, t. I, § 423; Dalloz, Répertoire, v. Prises marit., sect. 3, art. 3, § 193 et seq.; Gessner, pp. 348 et seq.; Wheaton, Elém., pte. 4, ch. 11, § 12; Phillimore, § 411; Twiss, War, § 175; Manning, pp. 141, 142; Grotius, Le droit, liv. III, ch. vi, § 3; Loccenius, De jure marit., lib. II, cap. IV, nos 4, 8; Valin, Com., liv. III, tit. 9, art. 8; Valin, Traité, ch. vi, sect. 1, §§ 8 et seq.; Pothier, De la propriété, nos 97, 99, 100; Emerigon, Traité des assurances, t. I, pp. 497, 499, 504, 505; Azuni, Système, pte. 2, ch. Iv, §§ 8, 9, 11; Halleck, ch. xxxv, § 17; Bello, pte. 2, cap. v, § 6; Dana, Elem. by Wheaton, note 178; Martens, Essai, § 60, p. 161.

Législation

anglaise.

Reprise du navire portu

Cruz.

Opinion de

véritables ennemis, promulgua deux actes qui déclaraient que tous les bâtiments anglais pris sur les rebelles, quels que fussent les capteurs, seraient restitués aux propriétaires, sauf déduction du huitième de la valeur pour droit de recousse. Par la suite, cette disposition fut étendue à tous les bâtiments pris par les croiseurs des puissances qui prirent part aux hostilités.

§ 3190. A l'occasion de la reprise du navire portugais Santagais Santa Cruz par un croiseur anglais en 1796, Sir William Scott, en l'absence d'un principe général à invoquer quant au titre juridique de Sir W. Scott. cette sorte de propriété, s'exprime ainsi : « Il serait bon qu'il y eût à ce sujet quelque règle : que ce fût la règle de la possession de nuit et des vingt-quatre heures, ou celle du transport intra præsidia ou la demande d'une sentence réelle de condamnation; l'une ou l'autre alternative suffirait à la pratique générale, quoique en théorie l'une paraisse peut-être plus juste que l'autre; mais le fait est qu'en pratique il n'existe pas de semblable règle. A la vérité, les nations s'accordent en principe à reconnaître comme titre sérieux la possession ferme et assurée; mais ces règles d'évidence à l'égard de cette possession sont si peu d'accord et conduisent à des conclusions si opposées que la simple unité de principe n'établit pas de règle uniforme pour constituer la pratique générale. L'opinion publique de tous les États de l'Europe fût-elle plus distinctement d'accord sur un principe quelconque propre à établir la règle du droit des gens sur ce sujet, il ne s'ensuivrait en aucune manière qu'un État fùt obligé de l'observer. Cette obligation ne pourrait résulter que d'une réciprocité de pratique chez les autres nations; car par le fait même de la prédominance d'une règle différente chez les autres nations, il deviendrait non seulement légal, mais nécessaire pour cette nation isolée de suivre une conduite différente. Par exemple, si les autres nations faisaient prévaloir une règle en vertu de laquelle la possession immédiate et le simple acte de la capture suffiraient pour dépouiller de son droit le propriétaire originaire, il serait absurde de la part de l'Angleterre d'agir envers ces nations d'après un principe plus large et de poser comme règle générale qu'emmener la capture intra præsidia (quoique ce soit probablement la vraie règle) serait dans tous les cas de reprise jugé nécessaire pour dépouiller le propriétaire originaire de son droit. Suivre la même marche causerait un tort grave aux sujets anglais; car une règle dont l'application pratique doit entraîner une réelle injustice ne peut jamais être la véritable base du droit entre les nations indépendantes...

Si l'on me demande, en présence de la diversité connue de la pratique à ce sujet, quelle est la règle qu'il convient à un État d'appliquer à la propriété de ses alliés qui a été reprise, je répondrai que le procédé libéral et rationnel serait d'appliquer en premier lieu la règle du pays auquel la propriété reprise appartient. J'admets que ce n'est pas là la pratique des nations; mais je pense qu'une pareille règle serait à la fois juste et libérale. Pour le propriétaire du navire repris, elle lui présente son consentement implicitement contenu dans la sagesse législative de son propre pays; pour celui qui opère la reprise, cette règle ne peut être considérée comme préjudiciable, lorsque la règle du pays du propriétaire dont le bâtiment a été repris porterait condamnation, tandis que la règle qui prévaut parmi les concitoyens de celui qui a opéré la reprise ordonnerait la restitution de la capture. Cette règle lui offre un avantage manifeste, et même dans le cas de restitution immédiate, d'après les règles du pays du vaisseau repris, le pays de celui qui opère la reprise pourrait être sûr en toute confiance de recevoir une justice réciproque à son tour. On peut dire : Qu'arrivera-t-il si cette confiance est déçue? On doit alors chercher réparation dans les représailles... Mais il est bien plus important d'examiner quelle est la règle positive du droit maritime de l'Angleterre sur cette matière. Je crois que voici clairement en quoi elle consiste la loi maritime de l'Angleterre, ayant adopté une règle très libérale quant à la restitution ou au sauvetage des propriétés reprises de ses sujets, fait partager le bénéfice de cette règle à ses alliés tant qu'il n'apparaît pas que ceux-ci agissent à l'égard des propriétés anglaises d'après un principe moins libéral; dans le cas contraire, elle adopte leur règle et les traite suivant la mesure de leur justice. Je regarde ceci comme étant la véritable disposition de la loi anglaise sur ce point. C'est ainsi qu'elle fut clairement reconnue dans le cas du San-Yago, qui ne fut pas jugé dans des circonstances particulières, comme on l'a insinué, ni d'après des principes nouveaux, mais d'après des principes d'usage établi et en autorité dans la jurisprudence du pays... »

Deux actes postérieurs rendus sous Georges III, en 1803 et 1805, disposent que tous vaisseaux et leurs cargaisons, appartenant à des sujets anglais, pris par l'ennemi, seront rendus aux premiers propriétaires, sur le paiement, pour droit de recousse, du huitième de leur valeur, s'ils sont repris par les navires de Sa Majesté et du sixième, s'ils sont repris par un corsaire.

En 1864, le Prize Act permanent a établi, comme règle per

Actes de 1803 et 1805.

Acte

de 1864.

Opinion de
Boeck.

Législation espagnole.

Législation portugaise.

manente, que le navire anglais, repris sur l'ennemi, est rendu à son propriétaire par décision de la Cour de prises, sous déduction du huitième de la valeur ou d'une fraction plus forte et arbitrée par la Cour, mais ne pouvant excéder un quart si la recousse a été opérée dans des circonstances particulièrement difficiles et dangereuses cette restitution sera prononcée, quel que soit le temps que la prise ait passé entre les mains de l'ennemi; bien plus, quand même elle aurait été déclarée de bonne prise par une Cour de prises ennemie.

<< Cette application à outrance du jus postliminii, dit Boeck, peut paraître singulière elle n'en est pas moins constante : Le vaisseau repris reviendra à ses propriétaires anglais, s'il tombe par recousse aux mains d'un croiseur anglais, eût-il été condamné par le tribunal de prises ennemi et vendu après cette condamnation à un tiers acquéreur de bonne foi (1). »>

En résumé, on peut dire que la jurisprudence anglaise reconnaît en principe général que les reprises doivent être restituées au propriétaire primitif, moyennant paiement par lui d'un droit de recousse, et cela quand même les navires recous auraient été déclarés de bonne prise par un tribunal du pays ennemi *.

§ 3191. La législation espagnole est entièrement conforme à la jurisprudence française quant aux prises faites par les corsaires. Pour celles qu'opèrent les bâtiments de guerre, la restitution complète et sans retenue est prescrite en termes formels par l'ordonnance royale de 1633, à moins que la prise n'ait été en la possession de l'ennemi durant vingt-quatre heures **.

§ 3192. Le Portugal avait adopté les lois de la France et de l'Espagne dans ses ordonnances de 1704 et de 1796; mais un an plus tard, après la capture du Santa-Cruz et avant même que l'amirauté britannique eût statué sur l'affaire, ce pays abrogea la règle des vingt-quatre heures et autorisa après l'expiration de ce délai la

(1) Boeck, §§ 299 et 300.

Phillimore, Com., v. III, § 418; Twiss, War, § 174; Manning, pp. 142, 143; Wheaton, Elém., pte. 4, ch. 1, § 12; Kent, Com., v. I, p. 117; Halleck, ch. xxxv, § 15; Hautefeuille, Des droits, t. III, pp. 381 et seq.; Gessner, pp. 347, 348; Massé, t. I, § 423; Dana, Elem. by Wheaton, note 176; Marshall, On insurance, b. 1, ch. XII, §8; Martens, Erzählungen, t. I, p. 292; Robinson, Adm. reports, v. I, p. 50.

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Abreu y Bertodano, Coleccion, pte. 2, p. 371; Negrin, Estudios, pp.187 et seq.; Gessner, p. 350; Hautefeuille, Des droits, t. III, pp. 380, 381; Wheaton, Elem., pte. 4. ch. 1, § 12; Phillimore, Com., v. III, § 412; Twiss, War, § 175; Halleck, ch. xxxv, § 17; Massé, t. I, § 423; Martens, Essai, § 62, p. 169; Dana, Elem. by Wheaton, note 179.

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