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Reprise d'un navire

équipage.

l'occupation ennemie un port de mer appartenant à son pays, le même principe d'équité veut qu'une armée alliée coopérant avec des troupes nationales ne puisse y avoir droit *.

§ 3208. Il peut également se faire que la reprise soit opérée par par son ancien les hommes de l'équipage du navire capturé qui sont restés à bord, soit qu'ils se révoltent, soit qu'ils profitent d'un accident favorable. La jurisprudence anglaise accorde à ces marins le bénéfice de la recousse.

Cas de l'Emily-SaintPierre.

Les annales judiciaires de la Grande-Bretagne nous fournissent quelques exemples curieux de ce genre de reprise. Plusieurs marins anglais s'étaient engagés comme matelots gagnant leur passage sur un navire de leur nation qui avait été capturé par les ÉtatsUnis. Ce navire ayant été attaqué par des Anglais, les marins passagers contribuèrent à la reprise. L'amirauté britannique, considérant que cet acte avait été complètement spontané de leur part, puisque dans le cas où ils s'y fussent refusés on aurait pu les qualifier de déserteurs, décida qu'il y avait lieu de les faire bénéficier du droit de recousse.

§ 3209. L'Emily-Saint-Pierre, navire anglais, fut pris, le 18 mars 1862, par un vapeur détaché de l'escadre de blocus de Charleston. Il était envoyé de Calcutta avec ordre de s'assurer si la côte de la Caroline du Sud était encore bloquée. Dans ce cas, il devait s'en aller au Nouveau-Brunswick; sinon, il devait entrer dans le port de Charleston. Il n'y avait pas de contrebande de guerre à bord. Il fut saisi en pleine mer, à dix ou douze milles de terre, au moment où il marchait en droite ligne sur Charleston. Ses hommes d'équipage furent mis dehors, excepté le capitaine, le cuisinier et le munitionnaire, qui furent gardés à bord afin qu'on pût invoquer leur témoignage lorsque le navire serait traduit devant un tribunal de prises. Le navire fut confié à deux officiers, ayant treize hommes sous leurs ordres, avec instructions de le conduire à Philadelphie. Dans le trajet pour se rendre à ce port les trois prisonniers se soulevèrent contre leurs capteurs, les désarmèrent et s'emparèrent de leurs personnes; ensuite ils prirent possession du navire et, avec l'aide de trois ou quatre hommes de l'équipage de prise, qui préférérent leur prêter la main plutôt que de rester enfermés, mais qui étaient tous des hommes étrangers à la marine, ils réussirent à l'amener à Liverpool, après un voyage de trente jours, pendant lequel ils

* Wildman, v. II, pp. 287-289; Halleck, ch. xxxv, §§ 27, 28; Heffter, §§ 187 et seq.

de M. Adams

ment anglais.

éprouvèrent du gros temps, de nombreuses difficultés et fatigues. Informé de ces faits par le consul des États-Unis à Liverpool, Réclamations M. Adams adressa une demande au gouvernement anglais en vue au gouvernede la restitution du navire. Il dénonçait la recousse comme un acte frauduleux, offensant et flétrissant la bonne foi de la nation anglaise; il citait la condamnation d'une semblable manière d'agir, qui avait été prononcée par Lord Stowell dans le cas de la Catherine-Elizabeth, et il insistait pour que, sous quelque point de vue que l'affaire pût être regardée par les lois municipales d'Angleterre, il dût exister une juridiction compétente pour réparer un tort si évident.

Réponse du gouverne

Le gouvernement anglais répondit qu'il n'avait pas la faculté d'enlever le navire de la possession de ses propriétaires, dont les mont anglais, droits n'avaient jamais été éteints par la sentence d'un tribunal de prises. Si la recousse cût échoué, il n'y a pas de doute que la tentative eût rendu le navire susceptible de condamnation; mais le jugement de Lord Stowell n'autorisait pas à prétendre que les lois municipales d'un pays neutre obligent ou autorisent à mettre en pratique ou à aider à mettre en pratique le droit du belligérant à capturer, ou, en d'autres termes, donnent le pouvoir d'exercer une juridiction de prises entre les capteurs et les neutres.

• Vous qualifiez, ajoutait Lord Russell, la recousse de l'EmilySaint-Pierre de frauduleuse au point de vue du droit des gens. Mais que l'acte de recousse soit envisagé comme un acte frauduleux ou comme un acte de violence, ou comme ayant en partie ce double caractère, l'acte n'a été dirigé que contre les droits acquis à un belligérant en vertu du droit des gens relatif à la guerre et en violation des lois de la guerre, qui, tandis qu'elles permettent au belligérant d'exercer et de faire valoir ces droits contre les neutres par le droit particulier et exceptionnel de capture, imposent en même temps au belligérant seul le droit et lui confèrent le pouvoir de revendiquer ces droits et de mettre ces lois en pratique. Ces mêmes lois non seulement n'exigent pas des nations neutres qu'elles exercent les droits de belligérant; mais elles ne le permettent même pas. Vous citez la conduite du gouvernement des États-Unis dans l'affaire du Trent; mais le tort flagrant dans cette affaire provenait du fait d'un officier de la marine des États-Unis : les prisonniers dont on demandait la mise en liberté étaient sous la garde directe du gouvernement exécutif, et le gouvernement des États-Unis avait réellement le pouvoir de les relâcher, et il les remit au gouvernement anglais. Mais l'Emily-Saint-Pierre

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n'est pas au pouvoir du gouvernement exécutif de notre pays, et les lois de l'Angleterre ainsi que le droit des gens défendent au gouvernement exécutif d'enlever ce navire à ses propriétaires légitimes. »

Cette correspondance eut un brusque dénouement, dû en partie, paraît-il, à une curieuse découverte faite à la légation des États-Unis. On trouva qu'une réclamation analogue à celle que les États-Unis adressaient contre la Grande-Bretagne avait été faite en 1800 par la Grande-Bretagne contre les États-Unis, qui avaient refusé d'y accéder en faisant valoir les raisons qui, présentées par Lord Russell, paraissaient si peu satisfaisantes à M. Adams. Il n'est pas douteux que le gouvernement américain avait raison en 1800 et tort en 1862, et que le gouvernement anglais était dans son tort en 1800, mais dans son droit en 1862.

Le droit des gens laisse avec raison aux belligérants seuls le droit de faire respecter les blocus; et un des moyens d'y parvenir consiste dans l'exercice par le belligérant du droit de capture; ce droit est l'arme que le droit international met dans ses mains expressément dans ce but. La capture est un acte de violence, qui doit être soutenu par la force jusqu'à ce que la propriété du navire ait été changée par une sentence de condamnation. Si dans l'intervalle le navire s'échappe des mains du capteur, il n'appartient pas au neutre de le lui restituer.

La résistance ou la recousse, pour les raisons données par Lord Stowell, est un délit distinct, entraînant après soi une peine distincte et correspondante, savoir la confiscation. Mais ici encore c'est au belligérant d'infliger la peine, et ce n'est pas l'affaire du neutre de l'y aider, soit en lui restituant la prise, soit en traitant de crime l'acte de recousse.

Quoi qu'il en soit, dans les affaires que nous venons de rapporter le droit de recousse ne saurait logiquement être déduit de l'application du droit de postliminie à des cas semblables; si l'on examine la question à ce dernier point de vue, on voit que les recapteurs ne font en réalité que recouvrer leur état primitif *.

§ 3210. On n'a pas encore résolu d'une manière uniforme la question relative aux droits que conserve le propriétaire d'une

Vattel, Le droit, liv. III, §§ 213, 228; Bello, pte. 2, cap. v, § 8; Emerigon, ch. XII, sect. 25; Wildman, v. III, p. 293; Halleck, ch. xxxv, § 25; Valin, Com., art. 8; Valin, Traité, ch. vi, § 1; Dalloz, Répertoire, v. Prises marit., sect. 3, art. 3; Boeck, Propriété privée ennemie, § 313.

cargaison ou d'un navire neutre capturé par l'un des belligérants et repris par l'autre avant qu'un tribunal compétent en ait prononcé la confiscation.

« Il n'y a pas de matière, dit Hautefeuille, dans laquelle le droit Hautefeuille. secondaire se soit aussi complètement écarté de la loi primitive, dans laquelle il ait violé cette loi d'une manière plus complète. La loi divine veut que le navire neutre saisi par un belligérant et repris par l'autre avant le jugement de validité de saisie soit restitué à son propriétaire neutre sans aucune réduction, sans aucune condition; la loi humaine a décidé, au contraire, que ce bâtiment neutre serait nécessairement confisqué, au moins en partie, au profit du repreneur, et que dans la plupart des cas la confiscation serait complète au préjudice du propriétaire, auquel cependant on donne le nom d'ami. »

§ 3211. La plupart des règlements qui régissent les reprises en Règlements. général ne font pas mention de celles de ce genre; et lorsqu'ils en parlent, il les assimilent, comme le fait notamment la loi anglaise, aux reprises de navires nationaux.

§ 3212. Il n'y a qu'un très petit nombre de traités qui s'occupent de cette matière; en effet, on en compte six tout au plus, savoir: le traité conclu le 1 mai 1781 (1) entre la France et les PaysBas (art. 1o), celui du 26 septembre 1786 (2) entre l'Angleterre et la France (art. 34), celui du 25 novembre 1676 (3) entre l'Espagne et les Pays-Bas, celui de 1689 (4) entre ces derniers et l'Angleterre, celui du 1er mai 1725 (5) entre l'Espagne et l'Autriche (art. 43) et celui du 14 septembre 1782 (6) entre la première de ces puissances et la Porte Ottomane (art. 13).

Traités.

§ 3213. Les traités que nous venons de citer ont servi, pour Loi française. ainsi dire, de guide au conseil des prises français dans beaucoup

Capture du navire la

de ses décisions. Comme une des plus remarquables, nous rapporterons celle qui fut rendue à l'occasion de la capture de la Statira. Statira. M. Portalis, commissaire du gouvernement, donna les conclusions suivantes :

<< Le navire la Statira, sous pavillon nord-américain, a été re

(1) Martens, 1re édit., t. II, p. 127; 2o édit., t. III, p. 340.

(2) De Clercq, t. I, p. 146; State papers, v. III, p. 342; Martens, 1 édit., t. II, p. 680; 2° édit., t. IV, p. 155.

(3) Dumont, t. VII, pte. 1, p. 325.

(4) Dumont, t. VII, pte. 2, pp. 222, 236, 238.

(5) Cantillo, p. 218; Dumont, t. VII, pte. 2, p. 114.

(6) Cantillo, p. 568; Martens, 1re édit., t. II, p. 218; 2o édit., t. III, p. 402.

Conclusions de M. Portalis.

cous sur un corsaire anglais par le Hasard, corsaire français de Port-Malo et conduit au port de Perros-Guirec, près de Paimpol. Les tribunaux qui ont déjà prononcé ont ordonné la confiscation du chargement et la main-levée du navire, en adjugeant au capitaine le fret, la prime et une indemnité de 1,050 francs, à raison de 5 francs par jour et par homme d'équipage. Le capteur s'était pourvu en cassation, en se fondant sur ce que d'après nos lois le navire devait être confisqué comme la cargaison. Le capitaine cap. turé n'avait point réclamé contre les décisions par lesquelles la cargaison avait été confisquée; mais la cause et les parties ayant été renvoyées à nouveau devant le conseil des prises, le capturé, dans un mémoire imprimé produit devant le conseil, réclame et la cargaison et le navire.

« Le capteur prétend que le navire n'aurait pas dû être relâché, et il regarde la confiscation du chargement comme acquiescée et consommée sans retour. La recousse est le premier motif à la faveur duquel le capteur soutient que le navire aurait dû être déclaré de bonne prise. Ce motif est-il justifié par les principes ? En matière de recousse, il ne faut pas confondre les navires français avec les navires étrangers se prétendant neutres. Un navire français est-il recous sur l'ennemi par un autre français, on doit distinguer dans ce cas s'il est recous par un bâtiment de l'État ou par un corsaire particulier. L'État est tenu de défendre la personne et la propriété de tous les citoyens. De là un bâtiment de l'État qui reprend sur l'ennemi un bâtiment français n'exerce qu'un acte de protection, qui ne peut acquérir à la République la propriété de ce navire. Aussi nos lois veulent-elles que dans une telle hypothèse le navire soit rendu au véritable propriétaire. Il en est autrement d'un navire français recous sur l'ennemi par un corsaire particulier. Comme c'est au risque de leur vie et de leur fortune que les armateurs particuliers se livrent à leur course, on a cru devoir leur laisser la propriété du navire français recous par l'ennemi. Il est pourtant des armateurs qui, après avoir délivré leur compatriote par leur courage, l'ont rétabli dans ses droits par un sentiment de justice et de générosité. La dernière guerre nous a offert à cet égard des exemples qui honorent la nation et qui méritent d'être encouragés par le gouvernement. Quant aux navires étrangers se prétendant neutres et recous sur l'ennemi soit par un bâtiment de l'Etat, soit par des corsaires particuliers, on n'acquiert aucun droit sur ces navires par le simple fait de la recousse. On invoquerait vainement l'ordonnance de la marine de 1681 et les lois intervenues postérieu

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