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tain, c'est que la destination de tout le chargement était pour Londres. On avoue que cette circonstance ne suffit pas pour légitimer la prise, et qu'elle ne doit servir qu'à nous rendre plus attentifs et plus soupçonneux sur la conduite et les procédés du capteur.

Je ne puis dissimuler au conseil qu'après le jugement du tribunal de commerce de Paimpol, portant confiscation du chargement, le capturé n'a point appelé de cette disposition, et que l'affaire n'a été portée au tribunal d'appel que par le capteur, qui se plaignait de ce que le navire n'avait pas été confisqué. Le tribunal d'appel ayant confirmé le premier jugement, je fais observer encore que c'est le capteur seul qui s'est pourvu en cassation. Cette indifférence du capturé, ce silence constant de sa part sur des jugements qui lui étaient plus défavorables qu'au capteur, jetèrent des soupçons sur la nature et la véritable destination du chargement; on peut même dire que le capturé a sanctionné par son acquiescement au moins tacite toutes les prononciations contre lesquelles il n'a pas réclamé dans les délais de droit. Mais cela peut-il influer sur le navire qui est constaté évidemment neutre par les pièces de bord?

« Je pense qu'il y a assez de circonstances pour mettre le capteur à l'abri du paiement de toute indemnité quelconque. La recousse suffisait pour autoriser sinon la confiscation entière du navire, du moins son arrestation. Les marchandises de contrebande trouvées à bord, quoiqu'en petite partie, les nuages élevés sur l'origine du bois de campêche, la destination de tout le chargement pour Londres pouvaient faire naître des doutes raisonnables sur l'application des principes qui existaient alors; conséquemment la conduite rigoureuse du capteur n'a point été sans cause et sans motif; le capturé ne peut imputer qu'à lui-même tout ce qu'il a souffert. Mais pour la confiscation absolue du navire il faudrait quelque chose de plus même d'après la loi du 29 nivôse; il faudrait qu'une partie considérable de la cargaison eût été évidemment composée d'objets de contrebande ou de marchandises prohibées. Or si l'on excepte le goudron, qui ne formait qu'une bien mince portion du chargement, tout le reste n'a été déclaré de bonne prise par les tribunaux devant lesquels l'affaire a été portée que par des circonstances qui ne pouvaient avoir aucune influence contre la neutralité prouvée du navire. Il serait difficile sur ce point d'être plus rigoureux que les juges qui ont déjà prononcé et qui étaient dans l'habitude d'appliquer avec une extrême rigueur des principes infiniment rigoureux.

<< En discutant la question relative au navire j'ai discuté celle concernant la cargaison, puisque par le silence du capturé l'une se trouvait liée à l'autre. Je crois donc avoir mis sous les yeux du conseil toutes les observations qu'il pouvait attendre de moi.

« En cet état, je conclus à la confiscation de l'entier chargement et à la main-levée du navire, le capteur demeurant dégagé du paiement de toute indemnité quelconque. »

Le conseil se prononça dans le sens des conclusions du commissaire du gouvernement.

§ 3214. La reprise du navire nord-américain le Kitty par le corsaire français le Brave fournit au même magistrat l'occasion d'exposer de nouveau et dans toute leur étendue les principes de la jurisprudence française sur la recousse des navires neutres:

« La prise du navire le Kitty est-elle valide? Si l'on décidait qu'elle ne l'est pas, serait-il dù des dommages et intérêts au capturé? Telles sont les deux questions de la cause.

<«<Le navire le Kitty, sous pavillon américain, fut recous sur l'ennemi par le corsaire français le Brave. Il fut conduit à Algésiras. L'affaire fut portée au consul français à Cadix. Le consul français par jugement du 7 prairial an VI ordonna la main-levée du navire et la confiscation du chargement sur l'unique motif de la recousse. Appel fut porté de ce jugement au tribunal civil du département de la Loire-Inférieure, qui réforma la décision du consul et ordonna que la cargaison serait restituée, mais sans dommages et intérêts.

<< La contestation était pendante au tribunal de cassation, lorsque le conseil des prises a été établi. Le conseil a déjà manifesté ses principes dans l'affaire relative à la prise du navire la Statira. Il a reconnu qu'il ne faut pas raisonner sur un navire se prétendant neutre recous par un navire français comme on raisonnerait sur la recousse d'un navire français par un autre navire français. Dans ce deuxième cas, nos lois garantissent la propriété du navire recous au capteur qui a fait la recousse. Elle ne statue en rien sur l'hypothèse du navire se prétendant neutre et recous par un français. Cette hypothèse est abandonnée au droit commun. Or d'après le droit commun général un navire se prétendant neutre recous sur l'ennemi ne devient confiscable qu'autant qu'il ne peut justifier de la neutralité. Il faut se conduire à son égard comme se serait conduit l'ennemi lui-même sur lequel nous l'avons repris. Or chez l'ennemi le navire dont il s'agit n'aurait appartenu au capteur qu'autant qu'il

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aurait été déclaré de bonne prise par le magistrat. Donc nous devons, malgré la recousse, observer les mêmes formes. Les droits de la neutralité doivent être respectés partout et toujours.

« On objecte qu'il est absurde de traiter plus favorablement des étrangers que des nationaux. Je réponds qu'il serait bien plus absurde de vouloir régir par les mêmes règles des choses tout à fait différentes,

« Quand un navire français tombe dans les mains de l'ennemi, il est confisqué sans retour. Le reprendre, c'est faire une véritable conquête. Il n'en est pas ainsi du navire étranger se prétendant neutre ; ce navire ne peut devenir confiscable que par jugement. Il faut donc le juger après la recousse, comme on l'aurait jugé s'il n'eût pas été recous. Il serait sans doute plus généreux de la part de nos compatriotes de rendre au véritable propriétaire les marchandises ou les navires français qu'ils reprennent sur l'ennemi. La dernière guerre nous a offert plusieurs exemples de cette générosité, dont j'ai déjà parlé dans une autre occasion; mais les lois, sans renoncer à l'avantage d'inspirer les vertus douces et désintéressées, ne peuvent se proposer pour objet principal que le plus grand bien de l'État. Elles eussent craint de décourager la recousse des navires français par d'autres français, si elles n'eussent garanti au preneur ce qu'il avait enlevé à l'ennemi par son intrépidité et son courage.

« Le propriétaire français capturé par le sujet d'une nation en guerre avec la nôtre est irrévocablement dépouillé de son bien, si sa situation ne change pas. Recous par un français, il ne recouvre pas personnellement la propriété; mais l'État la recouvre. Or c'est l'intérêt de l'État qui a dirigé les vues de la législation; puisqu'on ne pouvait se promettre de rendre les hommes généreux, on les a invités, par la considération de leur propre intérêt, à devenir utiles.

« Les lois ont plus directement pour objet le bien de la société et l'utilité particulière du citoyen que la perfection morale de l'homme. On voit donc actuellement pourquoi l'on doit en user autrement à l'égard des étrangers recous qu'à l'égard des Français qui se trouvent dans le même cas..

« La recousse faite sur l'ennemi du navire le Kitty par un navire français ne pouvait donc jamais par elle-même devenir un juste motif de confiscation, si ce navire et sa cargaison sont constatés neutres. Or il résulte évidemment des considérants qui ont motivé le jugement du consul français à Cadix qu'en prononçant

la confiscation des marchandises chargées sur le navire le Kitty ce consul ne s'est déterminé que par la circonstance de la recousse; si elle avait pu être concluante, il fallait frapper tant contre le navire que contre la cargaison. Pourquoi donc confisquer la cargaison et relâcher le navire? Le tribunal d'appel, plus juste et plus conséquent, a relâché le navire et la cargaison. Il a jugé, en conformité des principes adoptés par le conseil, que la recousse seule ne pouvait motiver la validité d'une prise. On n'a critiqué ni la nature du chargement ni les pièces de bord. On a reconnu que tout était ncutre; donc il serait impossible de ne pas prononcer que la prise est invalide.

« Je n'ai qu'un mot à dire sur le défaut de passeport et de rôle d'équipage. Si ces deux pièces essentielles n'avaient pas existé, on n'eût pas oublié d'en faire mention dans le procès-verbal de capture et dans le jugement du consul. Or le procès-verbal de capture et le jugement du consul supposaient au contraire que toutes les pièces de bord étaient en règle et qu'il n'en manquait aucune. Mais on sait que le navire a été relâché et qu'il ne pouvait se passer pour son retour d'un rôle d'équipage et du passeport. Il est donc dérisoire de venir aujourd'hui et après coup exciper d'un prétendu défaut de passeport et de rôle d'équipage, quand on n'a eu garde de le faire lorsque les choses étaient entières et que la vérification du fait était possible. L'invalidité de la prise est donc manifeste.

« Faut-il accorder des dommages et intérêts au capturé? Je ne le pense pas. Il y a toujours motif d'arrêter un navire tombé dans les mains de l'ennemi. En second lieu, la question de la recousse, n'étant fixée par aucune loi précise et se trouvant controversée entre les auteurs, a pu donner lieu à des doutes capables de constituer le capteur en bonne foi.

«Par ces considérations je conclus à l'invalidité de la prise, à la main-levée du navire et de l'entière cargaison sans dommages et intérêts. »

Telle fut également l'opinion du conseil, qui sanctionna dans toute son étendue l'opinion émise par le commissaire du gouvernement *.

Pistoye et Duverdy, t. II, pp. 120 et seq.; Hautefeuille, Des droits, t. II, tit. 13, ch. 1; Massé, t. I, § 429; Gessner, pp. 344 et seq.; Wheaton, Élém., pte. 4, ch. 11, § 12; Heffter, §§ 191, 192; Fiore, t. II, pp. 533-535; Martens, Essai, §§ 52, 59; Valin, Com., liv. III, ch. Ix, art. 10; Jouffroy, pp. 357-363; Jacobsen, Seerecht, p. 814; Nau, Völkerseerecht, § 278; Grotius, Le droit, liv. III, ch. vi, § 3; ch. Ix, § 14; Vattel, Le droit, liv. III,

Le droit de recousse dans

§ 3215. Nous avons déjà expliqué ce qu'on entend par droit de les reprises recousse, et exposé les difficultés qu'offre l'établissement de règles générales propres à fixer la proportion dans laquelle doit s'accorder

neutres.

Opinion des [publicistes:

cette rémunération.

§ 3216. Voici en quels termes Bynkershoek s'exprime sur l'apBynkershoek. plication de ce droit aux reprises de propriétés appartenant à des neutres : « Quare si ex ratione rem placet æstimare, ipse putarem omnem temporis distinctionem esse abolendam ejusque loco habendam rationem operarum et impensarum quas recuperator fecit; habendam rationem periculi quod in recuperando subiit; habendam rationem pretii navium et mercium recuperatarum, et ex his omnibus boni viri arbitrio statuendum quid pro operis, expensis, mercede recuperatori tribuendum sit, neque id parcâ sed liberali manu, ad excitandum recuperatorum industriam. (C'est pourquoi, si l'on veut juger la chose selon la raison, je serais d'avis qu'on doit abolir toute distinction de temps, et qu'à la place on doit tenir compte des dépenses et des efforts que le recapteur a faits; on doit tenir compte du danger qu'il a couru en opérant la recousse; on doit tenir compte du prix des marchandises et du navire recous; et d'après tout cela on doit faire statuer par le jugement d'un homme compétent ce qu'il y a à accorder au recapteur pour ses efforts, ses dépenses, sa récompense, non d'une main parcimonieuse, mais libérale, afin d'exciter l'activité des recapteurs.) »

Massé.

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Presque tous les publicistes modernes ont reconnu la légitimité de la récompense due par le neutre au recapteur. Cependant Massé la limite aux cas dans lesquels la déclaration ultérieure de bonne prise par un tribunal compétent n'est pas douteuse. Or, selon lui, «< une reprise n'est légitime, de telle sorte que faite vingt-quatre heures après la prise elle soit un titre de propriété pour celui qui fait la recousse, qu'autant que la première prise était de nature à pouvoir être déclarée valable ». « Si donc, ajoute-t-il, la prise est nulle ou annulable, il en est de même de la reprise; et celui qui l'a faite doit la restituer au propriétaire sans pouvoir y prétendre autre chose que le recouvrement des frais et des dépenses que la reprise lui a occasionnés. »>

Mais même dans ce cas on ne saurait nier que le neutre a reçu un service qu'il doit rétribuer proportionnellement *.

§ 196; Phillimore, Com., v. III, §§ 408 et seq.; Klüber, Droit, § 254; Merlin, Répertoire, v. Prises marit., § 3, art. 4; Dalloz, Répertoire, v. Prises marit., sect. 3, art. 3.

*

Gessner, pp. 353 et seq.; Bynkershoek, Quæst., lib. I, cap. v; Massé, t. I, § 426.

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