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la demande aux avocats de la couronne, M. Phillimore, Sir W. Atteston et Sir R. Palmer.

Ces jurisconsultes déclarèrent, le 13 mars 1863, la saisie nulle et non avenue. «< Rien, disent-ils, ne justifie la saisie de la barque Springbok et de sa cargaison, et le gouvernement de Sa Majesté serait fondé à réclamer la restitution immédiate du navire et de sa cargaison, sans se soumettre à aucune sentence de la Cour des priscs américaine. » Ce préavis fut transmis par Lord Russell au ministre de la Grande-Bretagne à Washington *.

§ 2764. Le 14 janvier 1868, deux jurisconsultes anglais, MM. V. Harcourt et Mellish se prononcèrent dans les termes suivants :

« Nous reconnaissons que la loi a été interprétée fidèlement dans le jugement de la Cour suprême des États-Unis et que la justice en est évidente, si le chargement pris en Angleterre devait effectivement être transbordé à Nassau pour être ultérieurement conduit dans un port ennemi. Par contre, si, comme le prétendent les réclamants, l'embarquement de la cargaison a eu lieu sans autre intention que celle de la remettre au consignataire de Nassau pour être venduc bona fide par ses soins, il n'y avait pas lieu à confiscation, alors même qu'elle se serait composée intégralement d'objets de contrebande de guerre, ou que les acheteurs de Nassau l'auraient acquise avec l'arrière-pensée de la réexpédier à l'ennemi. La première observation que nous ferons, c'est que toutes les fois. qu'un navire semble réellement et de bonne foi destiné à un port neutre (et c'est ici le cas), c'est aux capteurs à fournir la preuve claire et concluante du contraire. La Cour suprême de Washington a dit avec raison que la confiscation doit reposer sur la destination primitive et originaire du chargement; mais quand on examine de près les arguments invoqués à l'appui de la condamnation, on voit qu'ils sont inexacts en fait et erronés en droit.

« Ainsi le premier argument affirme que le port de Nassau n'était pas le lieu de destination réelle; il ne repose que sur la formc irrégulière des connaissements, qui ne spécifiaient pas le contenu des colis et ne désignaient les consignataires que sous la simple qualification de représentants autorisés, laquelle est invoquée comme preuve qu'il s'agissait de dissimuler les destinataires véritables. Or nous avons sous les yeux une déclaration des principaux courtiers royaux de Londres, qui est d'accord avec notre expérience personnelle et atteste que les documents en question sont libellés dans la

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Opinion de

V. Harcourt et Mellish.

forme usitée et requise pour un port comme celui de Nassau. Il est vraisemblable que le tribunal a été induit en erreur par cette circonstance que les chargements pour les ports des États-Unis requièrent des indications plus détaillées pour satisfaire aux exigences des douanes américaines; mais comme les connaissements incriminés sont de tout point réguliers et conformes au libellé usité les ports des colonies anglaises, on prétendrait à tort en inférer une présomption d'intention frauduleuse.

pour

« Le deuxième argument dont on s'est prévalu consiste à prétendre que les intéressés ne pensaient pas à réaliser la vente de leurs marchandises à Nassau même, puisque la cargaison devait être délivrée à ordre. Il est certain que le connaissement ainsi libellé signifiait le contraire d'une vente quelconque déjà effectuée dans ce port; mais ce n'est pas là la thèse soutenue par les réclamants, qui affirment simplement avoir expédié les marchandises à un agent chargé d'en poursuivre la vente. Or, du moment qu'il en est ainsi, la forme des connaissements est des plus régulières. Nous pensons donc que, sur ces deux points importants la sentence a pris pour base unc interprétation fautive des faits.

<«< La Cour suprême s'appuie également sur le caractère et la composition de la cargaison pour en déduire que la destination finale ne pouvait pas être Nassau. Ce point, sur lequel la sentence insiste tout particulièrement, nous semble reposer sur une crreur manifeste. Le fait qu'une partie du chargement, voire même la totalité, constituait un cas de contrebande, loin de prévaloir contre la destination déclarée, la prouve indirectement, parce qu'il était beaucoup plus plausible d'expédier de la contrebande de guerre vers le port neutre de Nassau que vers les ports des belligérants. D'autre part, le commerce d'un neutre avec Nassau ne pouvait en aucun cas être qualifié d'illicite. Si A livre dans un lieu un chargement de fusils avec l'intention de le vendre sur place, ces armes ne peuvent être confisquées sous le prétexte que le vendeur doit s'attendre à ce que B les achètera pour les réexpédier dans un port belligérant. La nature du chargement ne justifie donc pas, à nos yeux, l'induction de la Cour suprême que le chargeur ne les a pas expédiées de Londres pour les vendre à Nassau.

« Le dernier argument invoqué par la Cour de Washington pour démontrer si l'on avait eu ou non l'intention de réaliser à Nassau même la vente bona fide des marchandises saisies est également fondé sur une appréciation erronée des faits. La Cour dit en effet : « Si ces circonstances sont considérées comme insuffisantes pour

<< autoriser une conclusion péremptoire et absolue, on trouve une << présomption bien plus forte dans la présence à Nassau du navire « la Gertrudis, évidemment destiné à forcer le blocus des ports «< sécessionnistes après avoir effectué le transbordement des mar«<chandises que le Springbok devait amener. Tout autorise à penser <«< que le premier de ces navires avait été expédié à la Provi«<dence pour y attendre l'arrivée du second. Or ce point particu«lier, dont le tribunal américain s'est fait une arme pour donner de « la consistance à ses inductions, est complètement erroné; car le << navire Gertrudis, loin d'attendre à Nassau l'arrivée du Spring« bok, se trouvait ancré en Irlande dans le port de Queenstown ; << l'induction tirée d'un transbordement prémédité à Nassau tombe « ainsi d'elle-même. >>

« Il nous semble qu'aucun des arguments sur lesquels s'est appuyé le tribunal ne suffit pour établir le seul cas qui eût rendu possible la confiscation et que toutes les circonstances de l'affaire se concilient parfaitement avec l'hypothèse, repoussée par les capteurs, d'une vente projetée à Nassau. Le rapport de M. R. W. Hart, qui nous a été communiqué, donne plus de force encore aux droits des réclamants; il y est démontré en effet comment à cette époque s'effectuaient à Nassau les ventes des chargements de l'espèce qui nous occupe, et ses déclarations formelles en ce qui concerne la cargaison du Springbok, ainsi que les instructions données pour sa vente, sont parfaitement d'accord avec les faits qui ressortent de l'enquête.

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« Prenant en considération l'ensemble des circonstances, nous nous sommes convaincus que si les faits servant de base à l'affaire avaient été clairement exposés et exactement compris tels qu'ils nous semblent résulter des documents placés sous nos yeux, la cargaison n'aurait pas été condamnée. En conséquence, la sentence est, dans notre opinion, entachée d'un abus de justice.

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§ 2765. Boeck s'exprime comme suit à l'égard de la sentence de Opinion des la Cour des prises américaine:

«Tout l'échafaudage de subtilités, sur lequel est construite la décision du Springbok, croule par la base, dès qu'on rejette, comme l'a fait le droit international moderne, le principe que la seule intention suffit pour constituer une rupture de blocus; si le navire ne peut être saisi pour violation de blocus qu'au moment où il tente de franchir la ligne de blocus après avertissement préalable, il ne saurait être question de condamner un chargement faisant voile vers un port neutre, fùt-il prouvé qu'infailliblement il sera dirigé

publicistes: Boeck.

Gessner.

Perels.

Sir Travers
Twiss.

de là, sur un autre navire, vers un port bloqué quelconque (1). » Dans un entretien qu'il eut en 1882 avec un correspondant du New-York Herald, le même auteur s'est exprimé ainsi :

« J'estime que la doctrine ou la théorie de la continuité du voyage sur laquelle repose ce jugement (celui de la Cour suprême), est inadmissible dans son application au blocus, et diametralement opposée à la Déclaration de Paris (2). >>

Gessner dit entre autres :

<«< Les Anglais observent encore, il est vrai, le principe, héritage des blocus sur papier, d'après lequel les navires neutres sont capturés et condamnés pour violation de blocus, lorsqu'ils sont en route pour un port bloqué. La théorie de la Cour suprême des EtatsUnis, à propos de l'affaire du Springbok, est un pas de plus sur cette pente glissante. Elle renferme en outre une menace ouverte contre le droit des gens, et, jointe à la procédure également approuvée par la commission mixte de Washington, elle équivaut au principe que la propriété neutre sur mer est aussi bien exposée à la capture que la propriété ennemie (3) .»

Perels s'exprime comme suit :

« Il faut rejeter l'application de la théorie de l'unité de voyage, dans le cas où un navire, venant d'un port neutre et s'étant dirigé d'abord sur un port non bloqué, aurait continué son voyage avec la même cargaison ou aurait expédié cette cargaison vers un port bloqué. Cette théorie a été appliquée notamment par la Cour des prises des Etats-Unis d'Amérique dans le cas de la barque anglaise Springbok (4). »

« Ce sera peine perdue, conclut Sir Travers Twiss, pour le futur historien du droit des gens, de mentionner, en témoignage des adoucissements apportés dans les guerres maritimes modernes aux procédés à l'égard du commerce de l'Océan, les concessions faites, aux termes de la Déclaration de Paris, à la propriété ennemic chargée à bord d'un navire neutre à destination d'un port neutre, si la propriété neutre chargée à bord du même navire doit être passible de confiscation suivant le droit général, sur soupçon de sa destination ultérieure à des usages ennemis (5). »

(1) New-York Herald, novembre 1882.

(2) Les Etats-Unis ont adhéré à tous les points de cette déclaration, sauf à celui qui concerne la course; Boeck, Propriété privée, § 723. (3) Gessner, Droit des neutres sur mer, p. 233.

(4) Perels, p. 305.

(5) Sir Travers Twiss, La théorie de la continuité du voyage, p. 35.

Fauchille s'exprime comme suit:

« En définitive, nous pouvons dire que la décision relative au Springbok est absolument dangereuse et constitue véritablement un pas en arrière dans la législation de la guerre maritime (1). »

L'impartialité nous fait un devoir de mentionner, comme contrepartie, l'opinion d'un jurisconsulte américain éminent, M. Bancroft Davis. Après avoir exposé qu'il n'y a pas à distinguer entre une saisie opérée après le départ du port neutre intermédiaire et une saisie antérieure à l'arrivée dans ce port, M. Davis ajoute :

C'est simplement une question de preuves. Les deux faits me paraissent rentrer également dans le principe que le voyage, à partir du port primitif d'expédition au port de la destination finale, est un seul et même voyage. Dans le cas de saisie après le départ du port intermédiaire, il est plus facile de prouver la destination finale des marchandises que dans le cas de saisie avant l'arrivée dans le port. Mais j'ai déjà dit qu'on ne peut supposer cette destination; il faut qu'elle soit prouvée par des témoignages à la satisfaction de la Cour (2). »>

§ 2766. La presse européenne s'est beaucoup occupée de l'affaire que nous venons d'analyser, et elle a presque unanimement condamné comme dangereuse la jurisprudence consacrée à cette occasion par la Cour suprême de Washington. Mais si ce reproche est fondé, il n'est pas moins délicat de se placer, pour réfuter cette jurisprudence, en dehors des conditions historiques et positives du droit international, ainsi que l'ont fait quelques-uns des écrivains qui l'ont combattue, en soutenant que le voyage d'un navire neutre entre deux ports qui le sont également ne permet en aucun cas d'attribuer à sa cargaison le caractère de contrebande de guerre, parce que ce caractère dépend uniquement de la réalité de la destination. Une fois que la destination est bien déterminée, dit Gessner dans l'ouvrage cité plus haut, il est parfaitement indifférent que le navire neutre fasse escale dans un port neutre d'où la contrebande de guerre doit être transportée dans un port belligérant, ou que les destinataires prennent possession de la marchandise dans le port neutre. Le lieu de destination n'a aucune importance; tout dépend de la destination elle-même, du fait que la marchandise est ou n'est pas destinée à un belligérant, du fait que l'on peut ou ne peut pas

(1) Fauchille, Blocus maritime, p. 344.

(2) Bancroft Davis, Les tribunaux de prise des Etats-Unis, p. 21.

Fauchille.

Bancroft
Davis.

Opinion de la presse ou

ropéenne.

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