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belligérants le moyen de nuire à l'autre. Ce devoir est absolu; la restriction qui l'impose s'étend à toutes les manières de fournir à l'un des combattants l'arme dont il veut frapper son ennemi. C'est un devoir d'humanité, et il n'est pas moins inhumain de vendre des instruments homicides dans le port de Livourne que de les transporter dans celui de Londres ou de Marseille. La vente des denrées de contrebande aux belligérants est donc prohibée sur le territoire neutre, de la même manière et pour le même motif que le transport de ces denrées dans les ports des peuples en guerre. » Pour Pistoye et Duverdy, la vente, comme le transport des armes et des munitions, constitue une immixtion à la guerre et partant une violation de la neutralité.

Pistoye et Duverdy.

Parmi les publicistes anglais, Phillimore est d'avis que les Phillimore. opérations de ce genre ont un caractère tout aussi hostile que celles qui consistent à transporter les mêmes marchandises vers un port ennemi, avec cette seule différence que les dernières ont un cachet d'hostilité plus prononcé et supposent une participation incontestablement plus directe et plus active à la guerre.

ventionnel.

§ 2770. Le droit conventionnel offre des divergences aussi mar- Le droit conquées. La plupart des Etats défendent à leurs nationaux le commerce de contrebande avec les belligérants: c'est ce qui ressort de nombreux traités, tels que ceux de la Russie avec la Prusse, le Danemark, la Suède du 16 et du 18 décembre 1800, et avec la Turquie du 21 juin 1873; les traités de commerce conclus par la Grèce avec l'Autriche le 4 mars 1835, avec la Suède et la Norvège le 4 décembre 1836, le traité de l'Italie du 26 février 1871 avec les États-Unis.

Mais les États ne donnent pas tous la même étendue, la même portée à cette interdiction; ils se réservent notamment la faculté de réglementer le commerce des objets de contrebande. Ainsi la Turquie, dans son traité avec la France du 29 avril 1861, défend aux Français d'importer en Turquie le matériel de guerre en général, parce que le commerce de ces articles reste sous la surveillance du gouvernement ottoman. On trouve une disposition semblable dans le traité conclu par la Porte le 23 février 1862 avec les Pays-Bas, et le 20 mars de la même année avec le Zollverein allemand.

Par une ordonnance du 19 mai 1861, le gouvernement russe se conserve aussi le droit de contrôler le trafic de contrebande.

L'Autriche-Hongrie, dans sa déclaration de neutralité du

Caractère

hostile de la

contrebande

11 mai 1877, défend de transporter à bord de navires sous pavillon austro-hongrois des troupes des États belligérants et des objets de contrebande; mais il n'y est nullement mention de la vente pure et simple de ces objets.

Les États-Unis divisent la question et établissent une distinction entre la vente et le transport ou l'exportation. Au mois d'octobre 1855, l'attorney général s'exprimait ainsi sur la contrebande de guerre « Ce n'est pas s'écarter de la neutralité lorsque les citoyens d'un État neutre vendent aux belligérants de la poudre, des armes, des munitions ou tout autre article de marchandisc contrebande de guerre, ou lorsque les navires marchands d'un État neutre transportent les troupes ou les munitions militaires de l'un ou de l'autre belligérant. Un tel commerce est parfaitement légal en lui-même, mais toujours exposé aux chances de la capture hostile par l'autre belligérant. »

Le message du Président du 31 décembre suivant contient un passage dans le même sens :

« Les lois des Etats-Unis ne défendent pas à leurs citoyens de vendre à l'une ou à l'autre des puissances belligérantes des articles de contrebande de guerre, ni de prendre des munitions de guerre ou des soldats à bord de leurs navires privés pour les transporter ; et quoique en agissant ainsi le citoyen, individuellement, expose sa propriété ou sa personne aux hasards de la guerre, ses actes ne constituent pas une violation de la neutralité nationale et n'impliquent pas par eux-mêmes le gouvernement. Cet emploi de la marine marchande n'est interdit ni par le droit international ni par notre droit municipal, et par conséquent ne compromet pas nos relations neutres. »

Cependant on lit dans la déclaration de neutralité des États-Unis du 22 août 1870:

«Tandis que chacun peut légalement, et sans en être empêché par l'état de guerre, fabriquer et vendre dans les États-Unis des armes, des munitions et d'autres articles désignés ordinairement sous le nom de contrebande de guerre, l'exportation de ces articles en pleine mer pour l'usage et les besoins d'une des parties belligérantes est défendue. »>

§ 2771. Si, au milieu de ce conflit d'opinions et de règlements, vente de la on se place sur le terrain purement pratiquc, il faut bien reconnaître que le caractère hostile des ventes de contrebande de guerre en pays neutre est de la dernière évidence, mais que le belligérant, étant dans l'impossibilité morale d'agir contre l'indé

de guerre.

pendance souveraine des autres États et par suite de réprimer directement les actes commis à son préjudice dans un pays tiers, n'a ni réellement ni accidentellement (per accidens) la moindre autorité sur le coupable et se trouve par conséquent hors d'état de poursuivre contre celui-ci la saisie ou la confiscation de la marchandise reconnue être illicite.

La répression de l'abus rentre dans le domaine de la loi municipale ou politique de chaque nation; il serait donc conforme à l'équité que le souverain territorial veillât spontanément à ce qu'aucun de ses nationaux ne manque aux stricts devoirs qu'impose sa neutralité; s'il n'est pas rigoureusement obligé d'interdire ou de punir le commerce de contrebande, du moins ne doit-il point le couvrir de sa protection et, à plus forte raison, s'y livrer luimême.

Vente effectuée par l'Etat

même.

§ 2772. Si les secours effectifs en nature que l'un des belligérants vient prendre et exporte à ses propres risques étaient fournis neutre par l'État neutre lui-même; si, par exemple, des armes, des projectiles, de la poudre étaient tirés de ses arsenaux ou de ses manufactures publiques, que ce fût gratuitement ou que l'État en reçût le prix, ce ne serait pas là un commerce privé; l'État, en agissant ainsi, deviendrait un auxiliaire de la lutte et enfreindrait par conséquent la neutralité.

Cas:

lui

Pendant la

guerre franco

1870.

§ 2773. Pendant la dernière guerre entre la France et l'Allemagne, le gouvernement français tira d'Angleterre et des États-Unis de grandes quantités d'armes et de munitions. L'ambassadeur d'Alle- allemande. magne à Londres réclama l'interdiction de cette exportation de la contrebande de guerre. D'abord le gouvernement anglais affirma n'en avoir pas connaissance et demanda des preuves, qu'on ne pouvait que difficilement produire; mais le général français Montauban ayant avoué publiquement que son gouvernement avait tiré 40,000 fusils d'Angleterre, l'ambassadeur d'Allemagne put prouver que du 30 aoùt au 8 octobre, la France avait en outre acheté en Angleterre de 120,000 à 160,000 fusils. Dans une note du 26 octobre 1870, Lord Granville repoussa les réclamations allemandes en faisant valoir que la législation anglaise, et notamment le foreign enlistment act de 1870, ne contenait aucune disposition qui interdit ce genre de commerce, qui avait toujours été permis et dont la Prusse avait donné elle-même l'exemple pendant la guerre de Crimée en laissant la Russic acheter des armes chez elle. mee. La question ayant été portée devant la chambre des Communes dans la séance du 29 mars 1871, une motion invitant le cabinet à

Pendant la guerre de Cri

Etats-Unis.

s'entendre avec les puissances sur une modification des dispositions en cause du droit international fut rejetée.

Conduite des § 2774. Aux États-Unis, le gouvernement fédéral lui-même, après avoir obtenu du congrès l'autorisation de vendre aux enchères une quantité considérable d'armes déposées dans les arsenaux, les vendit non pas directement au gouvernement français, mais à ses agents. Le cabinet de Washington prétendait que la vente d'armes aux belligérants n'est pas interdite par les lois du pays, et que dans ses proclamations de neutralité du 8 et du 12 octobre 1870, le président Grant ne l'avait pas défendue. De son côté, le congrès déclara que cette vente était d'accord avec les lois des ÉtatsUnis et que le gouvernement était de bonne foi et ne songeait pas à prendre part à la lutte. Cependant les démonstrations publiques. de la population allemande et les représentations du sénateur Schurz décidèrent le président Grant à ordonner au ministre de la guerre, le 24 janvier 1871, la suspension des ventes d'armes *.

Répression

de la

guerre.

con

§ 2775. La répression de la contrebande de guerre soulève dans trebande de la pratique de nombreuses difficultés. D'une part, le belligérant n'a aucun moyen de s'opposer aux spéculations préparées ou combinées sur territoire neutre, et ne peut sévir que contre les contrebandiers que ses croiseurs font tomber entre ses mains; d'autre part, si le caractère illicite de ce trafic est partout proclamé en principe, il règne un désaccord complet dans la législation interne des divers pays et dans la jurisprudence des Cours de prises non seulement sur la nomenclature des articles illicites, mais encore sur la portée pratique de l'action répressive, dont personne ne conteste la légitimité.

Doctrine ancienne.

Bynkershoek.

§ 2776. Ainsi, jusqu'aux premiers temps de l'ère moderne, comme nous l'avons déjà fait voir, il était de règle constante de confisquer à la fois la totalité de la cargaison et le navire chargé de son transport.

Bynkershoek approuve cette manière d'agir; mais il pense que le navire ne doit être condamné comme de bonne prise que lorsqu'il appartient en toute propriété au capitaine qui le commande. Et à ce sujet il ajoute :

« Hæc est sententia pactorum et edictorum: si ex his jus gentium

Gessner, pp. 112 et seq.; Bynkershoek, Quæst., lib. I. cap. XXII; Lampredi, pte. 1, §5; Hautefeuille, Des droits, t. II, p. 424; Martens, Précis, § 318; Klüber, Droit, § 288; Pistoye et Duverdy, Traité, t. I, p. 394; Massé, Droit commercial, t. I, p. 203; Ortolan, Diplomatie de la mer, t. II, p. 180; Bulmerincq, Revue de droit int., 1868, p. 640.

metiamur, dicendum videbatur nunquam naves, nunquam merces licitas publicari ob merces illicitas quæ eadam nave vehuntur; sed non autem ex his jus gentium efficere, quia ratio, juris gentium magistra, non patitur, ut omnino generaliter et indistincte hæc intelligamus; nam quod ad navim, distinguendum puto an hæc ad ipsum navarchum, an ad alios pertineat. Si ad ipsum navarchum, iterum distinxerim an sciverit, ut plerumque scit, res illicitas navi suæ imponi, an ignoraverit, ut si nautæ, navarcho forte absente, aliquid illicitum in ea condiderint. Si sciverit, ipse in dolo est, quod navim suam locaverit ad usum rei illicitæ, et navis publicabitur, secus si ignoraverit, quia sic dolo caret... (Telle est la sentence des traités et des édits si d'après eux nous mesurions le droit des gens, il semblerait qu'on doit dire que les navires ni les marchandises licites ne sont jamais confisqués à cause des marchandises illicites qui sont transportées par le même navire; mais que le droit des gens n'en conclut pas, parce que la raison, qui est le guide du droit des gens, ne le souffre point, que nous les comprenions absolument dans un sens général et sans aucune distinction; car en ce qui touche le navire, je pense qu'il faut distinguer s'il appartient au capitaine même ou à d'autres. S'il appartient au capitaine, je distinguerai encore si celui-ci savait, comme il le sait la plupart du temps, que des objets illicites étaient embarqués sur son navire, ou s'il l'ignorait, comme cela pourrait arriver, si des matelots, en l'absence accidentelle du capitaine, y avaient caché quelque chose d'illicite. S'il le savait, il est en fraude, parce qu'il a prêté son navire à l'usage d'une chose illicite, et le navire sera confisqué; il en sera autrement, s'il l'ignorait, parce qu'alors il n'est pas coupable de fraude).

D

Cette même doctrine, invariablement pratiquée jusque-là par les États-Généraux, était au surplus observée par d'autres puissances, comine le prouvent les traités de 1648 et de 1650 entre l'Espagne et la Hollande, et celui de 1655 entre la France et la ligue Ilanséatique.

Vattel, qui ne s'est occupé que des marchandises prohibées sans même faire allusion ni aux objets licites ni à la saisie des navires, pense que la capture seule ne suffit pas pour la répression d'un trafic si dommageable; il termine en disant : « Pour éviter des sujets perpétuels de plainte et de rupture on est convenu, d'une manière tout à fait conforme aux vrais principes, que les puissances en guerre pourront saisir et confisquer toutes les marchandises de contrebande que des des personnes neutres transporteront chez leur en

Vattel.

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